16 Juin 2014

Mon bandage laisse à désirer. La balle en plomb n’a fait qu’érafler mon bras, sur un centimètre de profondeur, laissant tout de même une belle entaille sanglante. J’ai dû faire le garrot moi-même dans le noir avec une seule main, d’autant plus que je n’aies aucune dextérité pour tout ce qui est un peu manuel, alors heureusement qu’il fait noir, je n’ose même pas imaginer à quoi il ressemble.

J’ai posé deux pansements sur l’arcade d’Arthur et épongé le sang avec quelques mouchoirs. Ensuite il s’est allongé, mais je ne crois pas qu’il dort. Comment le pourrait-il ?

Toutes les quinze minutes, je fais un détour par les escaliers, au cas où je percevrais des voix. Mais je n’entends rien. Plus rien.
L’impact de la balle a laissé un petit trou en bas à droite du volet. Maintenant, je peux entrevoir une parcelle infime de la façade d’une maison du voisinage. La porte y est entrouverte. Je distingue une forme longiligne noire qui s’étend sur le seuil de la bâtisse et qui s’étend jusqu’à l’entrée. Mais d’ici, je n’arrive pas à voir ce que c’est. A l’intérieur, c’est le noir complet. Tout est abominablement statique. Vide. Mort.

Il me faut descendre à la cave pour récupérer une bouteille d’alcool, j’ai vidé le flacon de désinfectant en soignant ma blessure et celle de mon frère. Et quelque chose me dit qu’on va en encore en avoir besoin. Je commence à dévaler les marches étroites et raides. Ici, il n’y a pas le moindre soupçon de clarté. Les ténèbres remplissent l’intégralité de la pièce. Ma nouvelle bougie semble peu rassurée à l’idée de se faire remarquer dans cet endroit plein de frissons et de souffles asphyxiés. Je saute la dernière marche. En face de moi se trouve la voiture de mes parents, sur ma gauche le débarras de mon père et sur ma droite, une sorte d’arrière-cuisine :congélateur, machine à laver, armoire …
Je fais quelques pas en direction de cette pièce où sont aussi entreposées les bouteilles de vin, bières et j’en passe. J’ouvre un buffet, examine quelques instants toutes ces bouteilles, et je choisis finalement un alcool à 70°, parfait pour désinfecter.
Quand je me relève, je constate étonné qu’une minuscule lumière filtre sous la porte de l’armoire qui me fait face. Pourtant, je ne l’avais pas remarqué en arrivant. C’est probablement dû à l’accommodation de mon œil à l’obscurité plus dense ici. Je contourne le meuble, et m’approche à tâtons de cet éclat lumineux inattendu, et inquiétant. Car derrière le meuble, il n’y a qu’un simple mur qui nous sépare de plusieurs tonnes de terre. Je l’ouvre délicatement, mais les gonds usés n’en font qu’à leur tête et trahissent ma présence aux fantômes du sous-sol. Des vieux habits sont suspendus par un cintre, et la lumière provient de l’autre coté de cette rangée épaisse de vêtements. En les écartant, j’ai l’impression que je vais atterrir dans un monde parallèle tel que le monde de Narnia. Mais il en est tout autre. Le fond de l’armoire est cassée, laissant place au mur de briques grises. Sur lesquelles est dessiné une tête de serpent, en trois dimensions. Et la lumière provient de l’antre de sa gueule. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Je me chuchote à -moi-même.
Mais j’aurais probablement dû chuchoter mois fort.
Un bruit de gamelle renversé m’interpelle dans mon dos. Je fais volte-face précipitamment et la lumière du serpent éclaire mon chat Haddock, disparu depuis le grand bouleversement, assis sagement sur le carrelage de la pièce d’à coté. J’ai du mal à savoir si c’est moi où le fond de l’armoire qu’il scrute avec tant d’intensité. De plus, je ne sais pas si c’est un effet lumineux ou non, mails il me semble que ses pupilles brillent plus qu’à l’ordinaire.
« Haddock ? Haddock, c’est moi Jérémy, tu me reconnais ? »
En temps normal, il serait venu se frotter contre mes jambes, réclamant ses précieuses croquettes. Mais aujourd’hui, il reste immobile, inlassablement inquiétant. J’entreprends de m’approcher de lui en douceur. Je referme le meuble et les lieux replongent dans un torrent de noirceur, malgré la lueur de ma bougie bien trop faible pour vaincre ce raz-de-marée continu de ténèbres. Haddock disparaît alors à moitié, et tout ce que je vois de lui ce sont ces yeux étincelants. J’arrive à environs un mètre de lui, et son expression change alors du tout au tout. Ses poils se hérissent sur son dos, sa queue gonfle en un instant et il émet un profond grondement digne d’un extraterrestre enroué. Puis, il décoche une larme blanche qui vient mouiller ses poils tigrés. Je comprends soudain que ce n’est pas moi qu’il menace. Mais quelque chose derrière moi. Un claquement sourd éclate dans la pièce, j’en fais tomber ma bougie et je m’élance en pleine obscurité vers l’escalier. J’entends Haddock se battre contre autre chose. Quelque chose de plus gros. J’ai beau l’appeler, il ne m’écoute pas. Puis il lâche un cri horrible, un cri qui annonce que le coup de grâce lui a été infligé. Je distingue Haddock s’effondrer au sol, juste à coté de ma bougie, en sang. Il a perdu ses deux pattes avant. Une silhouette massive s’approche de son corps et je ne réfléchis pas plus longtemps : je m’élance à toute allure dans les escaliers, et j’entends déjà des pas lourds charger sur ma personne. J’atteins le rez-de-chaussée, je ferme immédiatement la porte à clef, lorsqu’un puissant coup fait vibrer les murs. Il est de l’autre coté. Je m’écroule au sol, contre un mur, en tentant de reprendre mon souffle, quand je découvre Arthur debout devant moi. Il me regarde avec effroi, puis jette un œil à la porte du sous-sol.
« Elles sont pas en bas ?
-De quoi ? Je lui réponds, essoufflé.
-Les choses qu’ont … les choses qui … qu’a tué les gens tout à l’heure… dehors.
-Si. Il y en a une dans la cave.
-Elle ne va pas rentrer ici ? »
Je contemple un instant la vieille porte en bois, pourrie à la base qui me paraît franchement trop frêle pour résister à de telles attaques. Pourtant, ce qui a tué Haddock semble avoir abandonné, au vu du calme qui s’étend de plus en plus. Je constate alors que j’ai oublié mon fusil auprès des escaliers. Je me relève, attrape l’arme fougueusement, et dévisage mon frère un instant :
« Qu’elle essaye. »

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