L’obscurité s’était abattue depuis quelques heures sur Heaven City, une petite ville comptant cinquante mille habitants. Elle s’était développée sur une péninsule entourée à la fois par la mer et les montagnes. Doucement, la ville s’endormait sous la bienveillance de la lune apportant avec elle un peu de ses rayons, diffusant une lumière apaisante.
Tapies dans l’ombre, les forces du mal s’éveillaient, progressivement rongées par la haine et leur désir de vengeance, mettant au point mille et un stratagèmes afin de défier l’autorité des grands empires gouvernant la Terre et Neacia ; un monde encore inconnu des humains considérés comme « normaux ».
Sur le toit d’un des nombreux gratte-ciels qui surplombaient la ville, une femme semblait profiter de la vue. Lorsqu’elle sentit qu’elle n’était désormais plus seule, elle retira les lunettes noires, dévoilant ainsi de petits yeux noisette encadrés par de longs cheveux roux ondulant le long de son dos.
Elle fut peu après rejointe par un homme, dont la cape noire flottait au gré du vent.

— Nous avons donc fini par trouver leur repaire, commença la femme qui s’était tournée vers son interlocuteur.
— Heaven City… Les Chevaliers ont baissé leur garde et les informations ont fini par fuiter. Il semblerait que les prochains Gardiens se trouvent dans cette misérable ville et par un heureux hasard, il se trouve que le « Traître » serait également là mais sous un nom d’emprunt.

Il retira la capuche de son habit, dévoilant alors un tatouage argenté en forme de croissant de lune qui couvrait une bonne partie de sa pommette gauche. Il s’avança prudemment vers le bord du bâtiment et il s’accroupit, observant à son tour, silencieux.

— Le Maître sera certainement ravi d’apprendre cela, reprit la femme. Il est même impatient d’en finir avec les Gardiens avant qu’ils ne deviennent une réelle menace et la capture du Traître sera la cerise sur le gâteau. Cependant, continua-t-elle, notre cible a l’air de vouloir jouer au chat et à la souris. Je suppose que cela ne te pose aucun problème, n’est-ce pas Topaz ?
— Tu m’ôtes les mots de la bouche Pearl, lança le Démon, le sourire aux lèvres.

14h37
Heaven City
(Planète Terre)

Un nouvel éclair déchira l’épaisse masse nuageuse qui s’était installée dans le ciel de Heaven City depuis bientôt trois heures. Au coup de tonnerre, Eléa sursauta. Elle était confortablement installée au volant de la voiture que son père, Ethan Osmont, lui avait achetée après qu’une vague d’événements bizarres et inquiétants se soient abattus sur Heaven City. Ethan Osmont, déjà connu pour être un homme assez sévère, l’était devenu encore à partir de ce jour. Sa mère, Mérédith, s’occupait depuis la naissance de sa fille d’un salon de thé et avait su rester humble dans n’importe quelle circonstance.
Eléa avança son véhicule de cinq mètres et s’arrêta à nouveau, avec un soupir. Cela faisait au moins vingt minutes qu’elle était coincée dans les embouteillages quotidiens du centre-ville. Elle avait eu du mal à quitter la chaleur de la cheminée et le livre qu’elle dévorait depuis plus d’une heure, et la météo n’avait fait qu’empirer les choses. Elle donna un coup d’œil à la circulation derrière elle où une file d’attente se formait déjà. Elle avait l’habitude de marcher quand elle devait se déplacer ou aller à l’Institut Edelweiss ; l’établissement où elle étudiait. Mais cette fois, elle avait opté pour sa voiture lorsque sa mère l’avait appelée en catastrophe. L’un des employés du salon de thé était malade, et elle ne savait plus où donner de la tête entre les commandes et les livraisons.
« Aux Petits Bonheurs » était un petit commerce qui avait su se développer au fil des années et qui avait trouvé sa clientèle parmi les étudiants des divers établissements que comptait la ville. Le salon de thé, composé de deux vastes salles au rez-de-chaussée, permettait aux clients de se lover dans de confortables canapés ou fauteuils en lisant un livre, utilisant le Wi-Fi gratuit tout en dégustant une boisson chaude ou froide. L’étage était principalement utilisé pour les réceptions, des fêtes ou même pour accueillir plus de clients quand l’étage inférieur était déjà rempli. Eléa alla trouver sa mère qui était effectivement débordée à la caisse.

— Ah! Eléa, tu es enfin là ! Viens me donner un coup de main ! Prends le plateau qui est sur le comptoir, il est pour la table sept.
— Tout de suite !

Eléa ressemblait beaucoup à sa mère. Elles avaient toutes les deux de longs cheveux bruns qui descendaient dans le bas de leur dos et de malicieux yeux verts pétillants de joie. Seul leur taille différait. Meredith était un tout petit peu plus grande que sa fille. Une fois les commandes apportées aux clients qui commençaient à s’impatienter, la jeune fille retourna vers sa mère qui était derrière le comptoir en train d’ouvrir une bouteille de soda qui une fois ouverte, la but à grande gorgée.

— Anna n’est pas là non plus? demanda Eléa qui jetait un rapide coup d’œil à la cuisine.
— Si, mais j’ai dû l’envoyer elle aussi faire des livraisons. Ce n’était franchement pas le bon jour pour manquer de personnel ! Je t’ai posé les quatre commandes près du four. Elles sont toutes proches du musée, comme ça tu n’arriveras pas en retard à ton travail. Est-ce que ton père est toujours à la mairie ?
— Malheureusement, répondit-elle en levant les yeux au ciel. Quand il est parti ce matin, il était au téléphone avec le directeur de la police de Rosean. Il veut constituer une alliance entre nos brigades pour arrêter le « Croesau Arian ».
— Quand est-ce qu’ils comprendront enfin que cette ville a besoin d’un héros ? Le fait qu’il soit ici rassure les habitants et surtout les commerçants, même si très peu de personnes ont pu l’apercevoir.
— Il faut croire qu’ils voient les choses sous un angle différent, ajoute-t-elle en se dirigeant vers la cuisine. J’y vais ! A ce soir !

Eléa partageait le point de vue de sa mère. Depuis bientôt un an et demi, un étrange héros avait élu domicile à Heaven City et protégeait la ville des criminels. Il arborait toujours une cape noire et se servait d’un étrange pistolet argenté en guise d’arme. Ce qui dérangeait son père et la municipalité étaient le fait qu’il avait toujours une longueur d’avance sur la police locale. Il n’était pas rare non plus de le voir aux informations, car il était un sujet de convoitise pour les médias et pour les jeunes. Eléa avait déjà tenté de découvrir son identité ou, même essayé de l’approcher, mais il était telle une ombre. Elle le manquait à chaque fois.

***

Le musée Océana était réputé dans la région pour rassembler diverses œuvres d’art et sculptures représentant la culture française. La ville ayant autrefois appartenu aux français, le conservateur, Monsieur Strauss, avait voulu faire découvrir aux habitants les subtilités que leurs ancêtres avaient laissées sur place lorsqu’ils avaient quitté la France pour le Nouveau Monde. Il disait tout le temps qu’un peu de culture générale ne faisait de mal à personne. Cette phrase faisait souvent sourire Eléa qui pensait exactement la même chose. Depuis son arrivée, en tant que stagiaire, elle avait vu en lui quelqu’un avec qui elle pouvait discuter de leur passion commune : l’Histoire ; à la seule différence qu’Eléa se spécialisait dans les langues anciennes et modernes.
Le musée disposait de sections un peu plus « classiques » sur la préhistoire, l’Egypte… Les sujets que l’on avait l’habitude de retrouver dans un lieu tel que celui-ci.
Eléa entra par la porte de service qui était située à l’arrière de la rue Washington –la rue dans laquelle se trouvait le musée. Exceptionnellement, il était fermé au public. Le conservateur devait recevoir de nouvelles caisses remplies d’anciennes babioles qui devraient être nettoyées, analysées puis triées et cela leur prendrait certainement tout l’après-midi. Elle alla au bureau du conservateur en passant par la section réservée à la Renaissance, la partie du musée qu’elle préférait. Elle vouait une certaine admiration aux robes provenant de la cour de Versailles. Lorsqu’elle pénétra dans le minuscule bureau, M. Strauss semblait chercher un papier dans le monstrueux bazar qui régnait dans la pièce. C’était un homme d’une soixantaine d’années, d’une taille moyenne, les cheveux coupés courts en bataille et grisonnants. Il portait une moustache fine et élégante et était vêtu d’un ensemble beige.

— Si vous cherchez la liste des objets que nous sommes censés recevoir aujourd’hui, vous l’avez rangée dans la pochette jaune près de votre vase d’Osiris, dit Eléa tout en se calant contre la porte.
— Ah oui ! Merci ! Ce bureau est un véritable capharnaüm. Rappelle-moi de le ranger la semaine prochaine, répondit le vieil homme alors qu’il sortait la fameuse pochette de dessous une pile de livres.
— C’est noté ! À moins que vous ne l’oubliiez encore une fois. Est-ce que je dois continuer de classer les urnes égyptiennes ?
— Non, j’ai trouvé un livre qui était tombé derrière l’une de nos étagères dans la remise. Je voudrais que tu l’examines et que tu trouves un maximum d’informations dessus.
— C’est comme si c’était fait ! s’exclama-t-elle alors qu’elle se dirigeait déjà vers la remise.

Eléa considérait un peu M. Strauss comme un grand-père. Quand ils travaillaient ensemble, il lui arrivait de se confier sur les problèmes qu’elle pouvait rencontrer avec ses parents, et principalement avec son père qui était plus autoritaire envers elle qu’avec son frère aîné Nathan. Lui, à l’inverse, l’écoutait dans les moindres détails et n’hésitait pas à lui donner des conseils ou même à lui trouver une échappatoire lorsqu’elle en avait besoin.
Dès le premier jour, il avait vu l’immense potentiel d’Éléa: elle n’avait aucun souci à apprendre les langues, était constamment communicative rendant les employés du musée également de bonne humeur, possédait une curiosité débordante et avait le sens de l’aventure.
Après avoir descendu les quelques marches en granit, elle ouvrit la porte qui grinça et alluma les lumières de la remise, un endroit poussiéreux où des dizaines d’objets provenant du monde entier venaient s’entasser en attendant que quelqu’un s’occupe d’eux. Eléa attrapa une paire de gants et un pinceau du casier métallique où le matériel était généralement rangé. Elle prit délicatement le livre et le déplaça ensuite sur son établi. Elle alluma la petite lampe au-dessus d’elle, prit le pinceau et commença à le dépoussiérer. Elle remarqua aussitôt qu’il était fermé par un étrange mécanisme posé sur la couverture, mais ce n’était pas l’unique chose qui le différenciait des autres livres sur lesquels Eléa avait pu travailler par le passé. D’une couleur marron délavé, il avait en son centre un étrange symbole circulaire dans lequel avaient été incrustées différentes runes encore inconnu à son bataillon. Chaque symbole était séparé par de minuscules pierres bleues et violettes. Elle observa les runes un moment et se lança enfin dans l’action. Elle fit pivoter d’un quart de tour vers la droite le cercle qui semblait être une clef, ce qui par chance le déverrouilla.
Curieuse de nature, elle l’ouvrit à la première page et s’aperçut qu’elle avait affaire à un nouveau langage. Il ne ressemblait en rien à tout ce qu’elle avait pu voir ou même apprendre jusqu’à ce jour.
Elle soupira. Définir une date sur ce vieux bouquin n’allait pas être une partie de rigolade.
Elle continua à tourner machinalement les pages et s’arrêta soudainement sur l’une d’elles où les inscriptions se mirent à briller d’un bleu foncé, puis un étrange hologramme apparut, recouvrant toute la surface de la pièce.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce foutu livre ?!

Eléa sursauta puis avança intriguée au centre quand elle comprit ce qui venait de se dévoiler sous ses yeux : c’était la carte de ce qui semblait être un monde encore inconnu.

— Je crois que je me suis fourrée dans de sales draps encore une fois. De toute façon, M. Strauss voulait que je l’examine. Il doit y avoir une raison pour qu’il m’ait laissé un manuscrit aussi précieux et étrange.

Au bout de quelques minutes, l’hologramme cessa de fonctionner et la salle revint à la normale, au grand soulagement d’Eléa. Elle se précipita vers le livre, le ferma avec hâte et le rangea dans sa sacoche. Il fallait à tout prix qu’elle rapporte ses découvertes au conservateur, elle savait qu’il serait plus qu’heureux d’apprendre qu’une chose aussi incroyable lui était arrivée.
Elle s’apprêtait à emprunter le couloir qui menait à l’accueil lorsqu’elle entendit des voix inconnues dans le corridor. Elle s’arrêta net et se cacha instinctivement derrière l’un des piliers les plus proches afin de pouvoir observer la scène et éventuellement entendre une partie de leur conversation. Mr Strauss était à terre, reculant face à cinq hommes dont les visages étaient recouverts par d’étranges capuches. L’un d’eux s’avança vers le conservateur qui essayait de cacher sa peur tandis que l’homme le menaçait avec une sorte d’épée:

— Dis-nous où il est, vieil homme, où est l’Artefact des Éléments ?
— Je… Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Mon établissement se spécialise surtout dans l’histoire française. Jamais de ma vie je n’ai entendu parler d’un quelconque objet portant ce nom, bégaya le conservateur qui se releva en s’appuyant sur une colonne.
— Mentir ne t’apportera aucune aide. L’un de mes espions sait que tu as reçu deux caisses en provenance de cette ville que les humains appellent Rosean, répondit celui qui semblait être le chef du groupe.
— Les caisses n’ont pas encore été ouvertes, je ne connais pas le contenu exact et même si je savais où était l’Artefact, je ne le laisserai jamais tomber entre les mains de Démons tels que vous !

L’inconnu soupira et se retourna vers ses hommes de main.

— Vous deux, venez avec moi chercher ces caisses ! Quant à vous, surveillez notre « ami ». Je m’occuperai de son cas plus tard.

Comment ça « s’occuper de son cas » ? Il était hors de question que ces voleurs ne touchent ne serait-ce qu’un seul des cheveux du conservateur ou qu’ils mettent la main sur une de leurs antiquités. Eléa était déterminée à la trouver avant eux, même si elle savait que cela comportait le risque de se faire prendre, voire pire s’ils étaient tous armés.
Elle fit le tour du bâtiment, cherchant un plan à exécuter si la situation devenait désavantageuse. Quelque chose lui disait que ces voyous n’étaient pas là pour plaisanter. Elle marcha jusqu’à l’accueil – l’endroit où la majorité des colis se trouvaient lorsqu’ils venaient d’être livrés. Heureusement pour elle, ses adversaires n’étaient pas encore arrivés. Elle ferma le bureau à clef, attrapa un pied de biche et ouvrit à la hâte l’une des caisses en espérant que l’objet en question soit dans celle qu’elle venait d’ouvrir. Elle farfouilla quelques instants et en sortit un étrange collier.
Forgé avec les bases d’une clef, il était surmonté par un étrange symbole où cinq petites pierres rouges, jaunes, vertes, bleues et blanches étaient incrustées à l’extérieur. Elle remarqua alors que le design du bijou était le même que le livre sur lequel elle avait travaillé peu de temps auparavant.
Sans plus tarder et par intuition, Eléa passa le collier autour de son cou et se décida à aller porter secours à Mr Strauss. Depuis son enlèvement au début du mandat de son père en tant que maire, il avait insisté pour que sa fille suive des cours d’auto-défense et elle était certaine qu’en cet instant, ce serait le moment idéal pour mettre en pratique ce qu’elle avait pu apprendre. Elle retourna vers le couloir en courant sans prêter attention aux éventuels voleurs qui pourraient surgir de n’importe où. Quand elle fut assez proche, elle ralentit, se cala contre le mur et observa la situation. Elle devait agir rapidement avant que leur chef ne revienne les mains vides et qu’il décide de se venger sur le pauvre homme. Eléa soupira. Visiblement, il n’y avait pas trente-six mille solutions si elle voulait le secourir : elle allait devoir les affronter directement. Elle cacha le médaillon à l’intérieur de son t-shirt et se résolut à se montrer.

— Vous vous êtes trompés d’endroit si vous vouliez voler quelque chose. Tant que je travaillerai ici rien ne sortira des enceintes de cet établissement ! cria Eléa.

Surpris, les voleurs lâchèrent leur prisonnier qui se précipita pour fouiller dans ses poches et en sortit une espèce d’appareil rectangulaire dont il se servit pour appeler ce qu’Eléa espérait être les renforts. Elle décida de régler son compte au premier individu qui s’approchait d’elle l’air un peu trop confiant à son goût. Elle lui donna un coup de poing qui alla le cueillir en plein dans la mâchoire. L’homme tituba en arrière en retenant un cri de douleur. Perdant son agilité par la même occasion, il se prit les pieds dans une des cordes de sécurité faisant tomber au passage les poteaux en fer servant à séparer les objets d’art des visiteurs. Au contact avec le sol, le bruit résonna à travers le bâtiment tout entier.
C’était le moment pour Eléa et M. Strauss de s’enfuir. Le bruit avait certainement dû alerter leur supérieur qui serait là sous peu. Eléa attrapa à la hâte l’un des poteaux et le jeta à la figure du second homme qui s’écroula à son tour. Elle se précipita alors vers le conservateur.

— J’ai l’objet dont ils parlaient ! Dépêchons-nous, ils ne vont pas tarder ! s’exclama la jeune fille qui s’apprêtait à le prendre par le bras.
— Il est trop tard pour moi et puis je ne suis plus aussi jeune. Ils me rattraperaient sans aucun problème. Tu dois t’enfuir et protéger l’Artefact jusqu’à ce que les renforts arrivent.
— M’enfuir et vous laisser seul face à ces criminels ? Il en est hors de question !
— Topaz est beaucoup trop puissant pour que tu puisses l’affronter. Une humaine sans magie n’aurait même pas dû être mêlée à cette histoire, répliqua-t-il tout bas.
— Vous l’avez appelé « Démon » un peu plus tôt. Qu’est-ce que vous avez voulu dire exactement ?
— Écoute-moi bien Eléa. Le monde tel que tu le connais n’est qu’un reflet que nous voulons donner aux humains habitant la Terre. La vérité est que notre monde, Neacia, a pour mission de protéger la Terre de créatures appelées des « Démons ». Ils sont bels et bien réels et surtout extrêmement dangereux.
— Regardez-moi ça ! rétorqua Topaz qui venait d’arriver. Auranor, le célèbre Analyste s’est associé à une humaine, comme c’est attendrissant
— Auranor ? s’exclama Eléa. Je croyais que vous vous appeliez M. Strauss ?

Le conservateur hésitait à lui révéler la vérité mais lorsqu’il vit la détermination de Topaz, il sut qu’il ne pourrait pas garder Eléa à l’écart très longtemps.

— M. Strauss n’est qu’un nom d’emprunt, je t’expliquerai le reste plus tard.
— Comment ça un nom d’emprunt ?!
— Reste derrière moi. Je n’ai peut-être plus vingt ans, mais je saurais te protéger. Mes capacités magiques sont restées intactes au fil des années.
— Comme si tu pouvais faire quelque chose. Nous sommes beaucoup plus nombreux que vous et mes pouvoirs sont certainement supérieurs aux tiens. Tu ne pourras pas la défendre bien longtemps.

Il claqua des doigts et d’autres Démons apparurent comme par enchantement, laissant Eléa stupéfaite. Comment une telle chose était possible ? Soit elle était en train de rêver, soit elle avait oublié qu’une série télévisée devait être tournée dans le musée ou c’était du moins ce qu’elle espérait. Tout était pourtant bel et bien réel. Les Démons n’étaient pas seulement de simples mythes et la magie qu’une chose fantaisiste.
La situation devint un peu plus critique lorsque cinq Démons s’approchèrent d’eux.

— Enfuis-toi Eléa ! Je me débrouillerai seul, ordonna Auranor.

Elle ne répondit pas, s’avança vers leurs adversaires et entra d’office dans la bataille.

— Vous devriez me connaître depuis le temps ! Je n’ai pas l’intention de vous laisser seul ! Et s’il vous arrivait quelque chose ? Je serai avec vous jusqu’au bout !

Un sourire se dessina sur le visage d’Auranor. Il connaissait parfaitement le caractère d’Eléa et elle était prête à se battre si elle le devait. En voyant la détermination de sa jeune employée, il fit apparaître une étrange épée dans ses mains. Il hésita quelques instants, regarda comment la situation évoluait et comment il pouvait la faire pencher en leur faveur.
Lorsqu’il se décida à passer à l’attaque, Eléa attaqua à son tour l’un des assaillants. Elle bondit sur le Démon qui surprit, tomba à la renverse. Au contact du sol, le poignet de l’homme émit un craquement. Il hurla de douleur pendant qu’une grimace se dessina sur le visage de la jeune fille. Eléa s’arrêta net quand elle remarqua que Topaz venait dans sa direction.
L’Artefact ! Dans l’action, celui-ci était sorti du dessous de son t-shirt et était visible. Il était inutile de le dissimuler à nouveau. Il l’avait vu et était déterminé à le lui prendre. Eléa se mit sur ses gardes, prête à l’affronter.
Le Démon l’attrapa soudainement par le bras et l’envoya faire un vol plané à une dizaine de mètres. Elle se releva en se tenant le bras.

— Les humains sont tellement bruyants et ennuyants, s’exclama-t-il l’air menaçant.
— Tu aurais dû rester dans ton monde dans ce cas. On peut très bien se passer des gens de ton espèce, crois-moi.

Topaz ricana. Était-ce de l’ignorance ? Il aimait quand ses adversaires lui donnaient du fil à retordre, cela rendait le combat encore plus passionnant. Il s’approcha d’Eléa avec une vitesse surhumaine et l’attrapa par le col de sa veste.

— Pourquoi les protèges-tu ? Tu ne possèdes pas de magie et ce n’est même pas ton monde, répondit le Démon le sourire aux lèvres.
— L’image que les terriens ont des Démons m’a apprit à ne fais pas leur faire confiance et marchander encore moins. Ils ne respectent jamais leur part du marché.
— Tu as raison sur ce point. J’obtiens toujours ce que je veux, et je n’hésite pas à utiliser la force s’il le faut, répliqua-t-il en la lâchant.

Le sol se mit à trembler et un étrange sceau noir apparut derrière Topaz puis il relâcha Eléa. Auranor qui venait d’achever le dernier Démon revint vers elle. Eléa observa le cercle et fut surprise lorsqu’elle reconnut les arcanes qui étaient semblables à ceux inscrits sur l’artefact. Dans quel monde vivait-elle ? Elle qui avait toujours cru que les Démons n’étaient qu’une invention servant à effrayer les enfants, voilà qu’elle se retrouvait à en combattre, un bien réel avec une magie tout aussi réelle et dévastatrice.
Elle attrapa nerveusement l’une de ses mèches de cheveux. Que pouvait-elle faire ? Elle ne voulait pas laisser M. Strauss combattre seul face à lui. Soudain, des éclairs fusèrent des mains de Topaz et se précipitèrent vers eux. Eléa eut le réflexe tout comme l’Analyste de plonger sur le côté, les évitant de justesse. En se relevant, sa main effleura légèrement l’Artefact qui se mit à briller, entourant la jeune fille d’un halo de lumière rouge. Eléa ressentit une étrange et puissante énergie parcourir son corps. Elle se sentait plus forte, invincible.
Lorsque tout redevint à la normale, elle remarqua qu’une dizaine d’inconnus venaient d’envahir la pièce, avec en premier plan, un homme la dépassant d’au moins une tête. Il avait de longs cheveux noirs et un regard à la fois perçant et rassurant. L’homme en lui-même dégageait une certaine prestance et l’armure argentée qu’il portait ne faisait qu’accentuer cet effet.

— Topaz, tu es en état d’arrestation pour avoir violé plusieurs traités du Royaume Veradia et du Royaume Silëaën. Tu es également coupable pour avoir semé le trouble sur Terre, manquant de blesser des terriens.
— J’aurais dû me douter que l’Impératrice enverrait Lidakil, son fameux toutou et sa garde après moi, répondit Topaz en ricanant.
— Rends-toi sans faire d’histoires ou tu auras droit à un aller simple pour la prison d’Herael, menaça le Chevalier qui venait de faire apparaître une épée.

Eléa reculait lentement vers Auranor qui était désormais protégé par quelques Chevaliers. D’autres Démons arrivèrent et l’encerclèrent. Il lui était impossible de rejoindre les autres. Topaz avait trouvé une nouvelle cible. Il voulait à tout prix l’anéantir. Il la considérait comme une véritable nuisance.
Il s’avança vers elle pendant que son cercle magique se dessinait derrière lui et qu’il s’apprêtait à lancer son attaque. Les éclairs commencèrent à fuser de ses mains.
Eléa leva instinctivement les mains en avant comme si elle cherchait à repousser l’attaque. Elle matérialisa une sorte de barrière d’énergie transparente, empêchant n’importe quel type d’attaque magique de passer à travers.

— Analyste Auranor, depuis quand saviez-vous que votre employée était une Magicienne ? demanda stupéfait celui que les Chevaliers appelaient « Capitaine ».
— Je n’en avais pas la moindre idée ! Elle n’avait aucune aura magique quand elle est entrée dans le bâtiment ! répondit le vieil homme surpris à son tour. Mais ce qui est sûr, c’est que je prends Eléa sous ma protection à partir de maintenant. La petite est suffisamment perturbée par ce qui vient d’arriver.

Le Capitaine fit signe à trois de ses camarades de venir le rejoindre et en un rien de temps, ils s’étaient regroupés autour du Démon qui n’avait aucune échappatoire possible. Une étrange fumée verte apparut, semant la panique parmi les Chevaliers et lorsqu’elle se dissipa, le Démon avait disparu. Lidakil poussa un juron tout en faisant disparaître son épée et marcha vers Eléa qui semblait complètement dépassée par les événements. L’Analyste l’avait déjà rejoint et essayait de la rassurer tandis qu’elle essayait de mettre de l’ordre dans ses pensées.

— Je sais que tout ceci dépasse complètement ton imagination et je comprendrais si tu décidais de me haïr pour ne pas t’avoir dit la vérité plus tôt, mais j’avais comme mission de garder le tout secret.
— Je ne pourrai jamais vous haïr et vous le savez bien ! lui fit remarquer l’adolescente avec un regard affectueux. Disons que le tout est difficile à avaler pour l’instant.
— Tu possèdes de la magie et il faudrait qu’Auranor te fasse passer des examens pour déterminer le taux de magie que tu as, continua Lidakil qui terminait de donner les derniers ordres.
— Des examens ? Quel genre d’examens ?! s’exclama Eléa.
— Ne t’inquiète pas, il n’y a pas de maths si c’est ce que tu veux savoir, répondit l’Analyste le sourire aux lèvres.
— Pour votre sécurité, il serait préférable que vous veniez avec nous à l’Avant-Poste. J’irai informer Estella de la situation.

Lidakil donna le départ. Les membres du groupe revêtirent différentes capes pour cacher au mieux les armures et autres tenues extravagantes. Pour atteindre l’Avant-Poste, ils devaient passer par un bâtiment qui avait été conçu afin de protéger le passage entre Neacia et la Terre. C’était comme un voile qui séparait les deux mondes.
En chemin, Eléa ne put s’empêcher de poser diverses questions au Chevalier et à l’Analyste qui essayaient d’y répondre avec le plus de précisions possible.

— Pourquoi je n’avais jamais remarqué les Chevaliers auparavant ? Même Auranor je l’avais pris pour un humain tout à fait banal !
— Ceux qui ont la chance de travailler pour l’Impératrice de notre royaume suivent une formation spéciale sur la Terre et ses coutumes. Il est facile pour nous par la suite de nous fondre dans la masse, expliqua Lidakil l’air sérieux.
— Est-ce qu’il n’y a qu’Heaven City de protégée par les Chevaliers ?
— Non, nous possédons différentes branches à travers le monde entier. Chacune d’entre elles surveillent de près l’usage de la magie. Dès qu’il y a un pic d’activité trop élevé, nous intervenons.
— Et qu’est-ce qu’il y a de si spécial à Heaven City pour que vous ayez une base directe avec cet autre monde… votre monde ?
— C’est le lieu où le flux de magie est le plus important, mais aussi le plus instable. Et puis, l’un des rares Téléporteurs qui ont été construits sur Terre se trouve ici. Le second a été découvert à Paris en France durant l’exposition universelle de 1900.
— C’est incroyable ! répondit Eléa estomaquée.

Le groupe entra dans une curieuse librairie nommée « Le Livre Poussiéreux » située à un pâté de maisons plus loin. Eléa ne cacha pas son étonnement lorsqu’elle pénétra dans la boutique. La librairie d’une taille moyenne, avait été agencée avec de vieux meubles en bois dispatchés un peu partout dans la pièce. De part et d’autre étaient éparpillés des dizaines de rayonnages tous encombrés de piles de livres qui menaçaient de tomber à tout instant. Seul un tout petit comptoir disposé à l’entrée du magasin faisait office d’accueil pour d’éventuels clients. Visiblement, le propriétaire de la boutique n’était pas un adepte du rangement. Curieuse de nature, Eléa s’apprêtait à prendre un ouvrage au hasard quand celui-ci se mit à voler pour aller se ranger quelques mètres plus hauts. Elle vit ensuite une centaine d’ouvrages qui se déplaçaient d’un endroit à un autre sans jamais trouver leur bon emplacement. Elle regarda Lidakil surprise qui se mit à rire suivi par l’Analyste.

— La librairie utilise un sortilège de rangement. Comme tu peux le constater, la propreté et le rangement ne sont pas ses points forts, répondit Auranor en lui adressant un clin d’œil.
— Lidakil ! Combien de fois vais-je devoir te dire de ne pas utiliser ma boutique en tant que portail ! Tes soldats font un de ces vacarmes à chaque fois qu’ils passent par ici ! Et regarde-moi la quantité de poussière qu’ils amassent ! grommela un petit vieux qui venait d’arriver.
— Ta librairie est déjà un nid à poussière, vieille bourrique, cesse donc de te plaindre ! intervint Auranor dont le visage commençait à virer au rouge.

Le libraire regarda l’Analyste d’un œil noir et se tourna vers Lidakil sans même prendre le temps de répondre.

— Oncle Merus, je te présente Eléa.
— Ah, la fameuse Gardienne ? s’exclama-t-il à nouveau tout en dévisageant Eléa par-dessus ses lunettes rondes. C’est donc sur les épaules d’une enfant que repose la sécurité de Neacia ? Le monde magique est définitivement perdu, ma parole. Bon allez, du balai, j’ai encore du travail !

Tandis qu’il alla se placer derrière le comptoir. Eléa en profita pour le dévisager à son tour. Merus était un homme de petite taille, trapu, les cheveux courts, grisonnant, laissant paraître la soixantaine d’années. Il portait un simple pantalon de toile marron, une chemise à carreaux délavée et une paire de souliers certainement bonne pour la poubelle.
Ils se dirigèrent vers l’arrière de la boutique et lorsqu’ils franchirent la seconde porte, Eléa resta bouche bée devant ce qu’elle voyait. Elle aurait juré avoir changé de monde. Une gigantesque bâtisse en pierre lui faisait face, affichant un énorme drapeau arborant un blason mélangeant certaines fleurs. Sur la droite, cinq Chevaliers s’entraînaient à l’épée tandis que quatre autres préféraient combattre à mains nues.

— Ceci n’est que l’Avant-Poste. Nous sommes en fait à la frontière entre notre monde et la Terre, mais si nous voulons aller jusqu’à Neacia, il nous faut alors emprunter le Téléporteur. C’est une sorte de machine à voyager sauf qu’il faut un code spécifique à notre Royaume sinon elle ne marchera pas.
— Comment votre oncle fait-il quand il reçoit des clients humains ? Est-ce qu’ils peuvent voir les livres bougés ?
— Non, pour ceux qui ne possèdent pas de magie, tout ceci est invisible. Lorsqu’ils franchissent le seuil de la librairie, c’est une boutique tout à fait ordinaire pour eux, expliqua Lidakil pendant qu’ils entraient dans le bâtiment. Pour l’instant, je vais prévenir l’Impératrice de notre arrivée. Nous ne devions pas revenir avant quelques mois. Et puis, lorsque je l’ai quittée, notre capitale était attaquée par un groupe de Démons et de Sorciers.

Il s’arrêta et observa Eléa dont le visage changeait subitement de couleur.

— Est-ce que tu vas bien ? demanda-t-il soucieux.
— Je ne comprends pas grand-chose. Cette histoire d’artefact, de magie, de royaumes… Et ce type, là, Topaz, il va continuer à me chercher, je suppose. Pour être honnête, j’ai l’impression d’être droguée !
— Une tâche dangereuse, mais très importante t’a été confiée il y a longtemps, tu n’es pas obligée de l’accepter. Nous avons une ancienne légende qui raconte que cinq Gardiens aux pouvoirs provenant de nos anciens Dieux viendraient délivrer Neacia et la Terre du danger qui les menace. Nous avons reçu comme mission d’apporter l’Artefact des Éléments à Auranor.
— L’une de nos Prêtresses avait vu l’arrivée des Gardiens dans cette ville. Nous devions les trouver avant qu’ils ne se fassent tous tuer par « Le Fléau », continua l’Analyste.
— Mais ne t’en fais pas, tu auras notre aide et notre soutien ! répliqua aussitôt le Chevalier.
— Comment pouvez-vous être sûrs que je suis bien la personne que vous cherchez ? À quand remonte la dernière apparition des Gardiens exactement ? demanda Eléa qui n’en croyait pas un mot.
— D’après de vieux manuscrits, il semblerait que cela remonte à mille ans, nous ne les avons pas revus depuis la Guerre contre les Orcs. Pour répondre à ta première question, seul un Gardien peut activer un Artefact.
— C’est tout simplement incroyable… Je ferai mon possible pour les trouver et éviter qu’un accident comme celui avec Topaz n’arrive encore une fois, mais je ne vois pas ce que je pourrais faire !
— Malheureusement, il n’est pas notre ennemi principal, il n’est qu’un pion parmi tant d’autres sur l’échiquier d’un Démon appelé « Le Fléau ». C’est la menace que nous devons éradiquer à tout prix, répliqua Auranor en haussant les épaules.
— Ne t’en fais donc pas. Tu as notre soutien et notre protection, répliqua Lidakil pour la rassurer.

Alors qu’ils entraient dans l’édifice, mille et une questions traversaient la tête d’Eléa : dans quel genre d’aventure s’était-elle embarquée ? À quoi ressemblait le Téléporteur ? Est-ce que l’étrange livre qu’elle avait ouvert un peu plus tôt avait un rapport avec ce monde fantastique ? Elle qui aimait d’habitude lire des romans fantastiques, la réalité lui semblait tellement plus dangereuse et incroyable, mais elle savait qu’elle finirait par s’y habituer rapidement.
Elle soupira et regarda Lidakil s’éloigner tandis qu’elle s’installait près de la fenêtre. Son regard dériva rapidement sur les Chevaliers en plein entraînement. Elle se sentait quelque peu nostalgique face à eux. D’étranges et lointains souvenirs essayaient de refaire subitement surface.

30