1er octobre. Le mois de septembre avait filé comme une flèche. L’automne était arrivé, tant à Paris qu’à Aurora. Sur Zénith, le soleil déclinait au fil des jours, comme l’espoir des Elfes. La tension était palpable : dans la rue, au sein de la Guilde, même dans la demeure de Noah. Au cours de ce dernier mois, Kaël s’était montré de plus en plus désagréable. Il s’isolait constamment, il parlait peu pendant les repas et se montrait très distant. Il demeurait impassible, mais Lily savait pertinemment qu’il était malheureux — comme tout le monde, songeait-elle, en ces temps durs et sombres.
Noah était quant à lui très peu disponible. Il passait le plus clair de son temps à la Tour Royale avec les membres de la Guilde afin de se préparer à la Guerre qui approchait à grand pas. C’était très étrange, car tout le monde avait le sentiment qu’elle éclaterait bientôt, mais pourtant, Sian Valtori était aussi absent et silencieux qu’un mort. Personne n’avait aucune nouvelle de l’ennemi, les Hybrides avaient déserté les Bois de l’Aurore — lieu où ils avaient l’habitude de chasser à la tombée de la nuit ; et plus personne n’avait croisé d’Ombre depuis bien longtemps. Ce silence ne présageait rien de bon…
La Reine des Elfes dévoilait de plus en plus son vrai visage. Elle ne souriait plus, son regard était terne et austère. Elle était devenue froide, autoritaire et irrespectueuse envers ses sujets. La perte de sa fille l’avait terrassée. Depuis leur trahison, personne n’avait plus eu de nouvelles de la princesse ni de Marius. Ils devaient se trouver aux Pics du Crépuscule à présent, et Sian devait être en possession du Sablier. Les Héliogiciens étaient terrorisés à l’idée qu’il en fasse usage pour retourner dans le passé et changer le courant de l’Histoire.
Victor, lui, était toujours dans le coma sur Zénith. Il résidait dans une sorte de refuge à l’écart de la ville qui faisait office d’hôpital pour les Zénithiens malades. Le lieu était paisible et désert car la population était rarement atteinte de maladies en réalité. Les quelques personnes qui y résidaient étaient des Humains dont la santé était plus fragile que celle des Elfes. Des soldats guettaient à l’entrée du refuge, et attendaient le moindre signe de vie et de réveil de Victor Valtori pour le saisir et l’emprisonner pendant l’interrogatoire qu’il devrait subir.

À Paris, Isabelle était revenue à l’appartement auprès de ses deux enfants. Victor avait finalement accepté de la rencontrer et de vivre sous le même toit qu’elle. Néanmoins, il ne la considérait pas encore comme sa mère, et demeurait distant avec elle. Lily s’était chargée de révéler le maximum d’informations à sa maman sur l’Histoire de Zénith, l’Héliogie, la Guerre qui se préparait, Sian Valtori et le fait qu’il ait élevé Aaron comme son fils durant toutes ces années. Isabelle avait été totalement désemparée d’apprendre la nouvelle : que son propre enfant ait été éduqué par un dictateur dans un autre monde imaginaire. Elle peinait à y croire encore aujourd’hui. Pourtant, lorsque son propre fils lui avait fait une démonstration d’Héliogie sous ses yeux ébahis, elle avait admis qu’ils n’étaient pas fous et qu’ils disaient vrai.

Les liens avec son frère s’étaient consolidés au fil du temps, depuis la journée qu’ils avaient passée ensemble. Ils se faisaient confiance à présent. Victor se confiait à elle au sujet de son passé difficile, des Ombres et de Sian Valtori. En revanche, il n’avait rien révélé au sujet des plans de Guerre. Il n’en savait rien d’après ce qu’il disait. Son père n’avait jamais partagé ses projets avec son fils. Il s’était contenté de le préparer à tuer Lily Aurora car elle était l’ennemie et qu’elle possédait un Trésor du Temps dont il fallait s’emparer. Mais c’était tout. Ainsi, Lily n’était pas parvenue à obtenir des informations cruciales qui pourraient aider les Elfes.
Quoi qu’il en soit, Lily favorisait sa vie à Paris car à Aurora elle était terriblement seule. Sur Terre, en revanche, elle passait beaucoup de temps avec son frère et partageait des moments heureux avec lui. Ces dernières semaines, ils étaient beaucoup sortis.
Le soir, elle l’emmenait au cinéma, au restaurant japonais et dans des bars. La journée, elle lui faisait visiter Paris, et ils se baladaient dans les plus beaux parcs de la ville. Très vite, ils avaient fini par tout connaître l’un de l’autre.

Les Buttes Chaumont, Paris.
Lundi 1er octobre 2012.
11h45.

Victor et Lily se trouvaient en ce moment aux Buttes Chaumont, dans le parc le plus fantastique de Paris selon elle. Ils étaient assis sur un banc, en face du Temple de Sibylle. Il découvrait ce qu’était la vraie vie, à l’extérieur, sous un soleil resplendissant, accompagné des rires éclatants de cette jeune femme au charme fascinant. Il passait la moitié de son temps à la dévisager car il la trouvait belle. C’était la première fois de sa vie qu’il était aussi proche d’une fille de son âge, et même d’une fille tout court.
À ses yeux, elle n’était pas sa sœur, il ne savait même pas ce que signifiait une sœur, comme il ne savait pas ce qu’était une mère. Il avait grandi avec un père autoritaire qui ne lui avait transmis aucune valeur familiale ou fraternelle. Les seules autres personnes qu’il avait côtoyées depuis sa jeune enfance étaient des Ombres, qui n’avaient pas de famille à proprement dit puisqu’ils étaient incapables de procréer, et vivaient éternellement.
Pour lui, la famille et les liens du sang n’avaient pas de sens. L’amitié n’avait pas de sens. L’amour n’avait pas de sens. La seule chose qui avait du sens à cet instant précis, était qu’il désirait passer le restant de ses jours auprès de cette femme aux cheveux de sang. Il pensait à elle constamment, et ne pouvait quitter son regard de son visage. Lorsqu’elle lui souriait, il sentait des pics d’adrénaline lui faire hérisser ses poils et bouleverser ses entrailles. Ces sensations étaient euphorisantes. Il n’avait jamais ressenti cela auparavant, et était même inquiet de se sentir aussi bien auprès d’elle, aussi heureux. Victor ne parvenait pas à mettre un mot sur ce qu’il ressentait pour Lily. Il en était incapable. Il n’avait jamais connu cela auparavant…

— C’est fou, tu ne trouves pas ? dit-elle, regardant vers l’horizon.
Le soleil était au zénith à cette heure de la journée. Peu de gens se baladaient dans le parc car ils travaillaient pour la plupart. Victor et Lily étaient seuls et conversaient déjà depuis un long moment.
— De quoi ? demanda-t-il, l’esprit ailleurs.
— Il y a à peine un mois, j’ai failli te tuer. J’étais persuadée que tu étais le véritable fils de Sian et que mon frère était bien mort avant ma naissance…
Silence.
— Il y a un mois, ma vie a été bouleversée, déclara-t-elle.
Elle hésita, baissa furtivement la tête, avant de confier tout en le fixant du regard :
— Je suis vraiment heureuse que tu sois là, Aaron…
Victor tiqua, pinça les lèvres et fronça les sourcils.
— Oups, pardon, s’excusa-t-elle. Tu n’aimes pas que je t’appelle Aa…
— Non, je n’aime pas, trancha-t-il sur un ton froid. Je ne m’appelle pas Aaron Aurora, mais Victor Valtori, et cela ne changera jamais.
La dureté de sa voix et la froideur de ses mots furent comme une gifle pour Lily. Elle avait espéré qu’il se considère comme son frère, et non pas comme le fils de Sian. Mais ce n’était pas encore le cas visiblement.
Les traits du garçon s’adoucirent à l’instant où il leva sa main, l’approcha du visage de Lily et replaça délicatement une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Sa main s’attarda alors sur sa joue, ce qui désarçonna la jeune femme. Son prédateur la regardait fixement avec ses grandes prunelles émeraude. Lily ne savait plus où se mettre. Elle glissa ses yeux à gauche, à droite, en bas puis dans les siens. Mais elle peinait à soutenir son regard tellement il était anormalement insistant.
— Moi aussi je suis heureux d’être avec toi tous les jours, avoua-t-il sans détour, sans ciller, sans ressentir la moindre gêne.
Victor semblait sûr de lui. Il approcha lentement son visage du sien, approcha ses lèvres de celles de Lily, mais celle-ci se leva d’un bond à l’instant où ses craintes devinrent évidentes. Elle était à présent debout, la main plaquée sur sa bouche comme si elle avait voulu se protéger d’un baiser qu’elle aurait évité de justesse.
— À quoi tu joues là, tu m’expliques ? cracha-t-elle d’un ton véhément.
Victor fronça les sourcils, contracta durement la mâchoire. Il semblait de toute évidence très contrarié.
— Et bien, je n’sais pas, se contenta-t-il de répondre d’un ton abrupte. J’avais envie de t’embrasser, voilà tout.
Lily se boucha presque les oreilles tellement ce qu’il venait de dire lui était insupportable.
— Ne refais plus jamais ça, Victor, tu entends ? Plus jamais ! vociféra-t-elle, confuse.
— Pourquoi réagis-tu ainsi ? rétorqua-t-il, se levant d’un bond tel un prédateur prêt à se jeter sur sa proie. Depuis quand un homme n’a pas le droit d’embrasser une femme ?
— De… depuis quand ? s’offusqua-t-elle, abasourdie et cherchant les mots.
Lily s’agita soudain, haleta vivement avant de répondre :
— Depuis que cet homme est le frère de cette femme !
Un long silence plana, ce qui rendit l’atmosphère encore plus pesante. Victor semblait réfléchir car il regardait ailleurs. Il peinait à la comprendre. Pour lui, il ne faisait rien de mal, bien au contraire. Pourquoi le repoussait-elle ?
— Sian ne t’a-t-il donc rien appris ? dit-elle. Ne t’a-t-il jamais appris qu’une telle relation est impossible ?
— Non, il ne m’a pas appris cela, figure-toi. Je ne sais pas ce que c’est une sœur, ce que cela fait d’en avoir une… Je ne sais pas ce qui est bien ou mal… Depuis que je suis né, on m’apprend à devenir une machine à tuer ! À te tuer toi ! Comment veux-tu que je sache tout ça…
— Et bien maintenant, tu le sais, cingla-t-elle d’un ton cassant. Ce que tu viens de faire est mal ! Ce que tu ressens… envers moi… est mal ! Alors ne t’avise plus jamais de m’approcher comme tu viens de le faire, ni même… de ressentir ce que tu ressens.
Victor croisa les bras et demeura muet comme une tombe, le regard noir.
— Maintenant, rentrons, dit-elle froidement avant de s’en aller.
Il ne le laissa pas transparaître, mais cette femme venait à l’instant de lui briser le cœur. Il comprit alors ce qu’il ressentait, et put enfin mettre un mot sur tout cela : l’amour

Aurora, Zénith.
Mardi 2 octobre 2012.
08h00.

Lily ouvrit subitement les yeux en hurlant. Quelque chose de brûlant consumait sa peau. Elle dégringola de son lit, se roula par terre en gémissant de douleur. Sa main attrapa naturellement l’Anneau qu’elle portait : il était incandescent. Ne supportant plus le lancinement, elle retira la chaîne et la balança contre le mur. Elle resta accroupie un instant, haletante, attendant de reprendre ses esprits. Lorsqu’elle voulut se relever, elle dut fournir un effort considérable. Ses jambes tremblaient et sa tête tournait dangereusement. Pourtant, elle avait bu une bouteille entière d’eau ferreuse avant de se coucher la veille. Elle ne devrait pas se sentir aussi affaiblie.
Elle regarda l’Anneau qui gisait au sol. Pourquoi l’avait-il brûlée ? C’était comme s’il ne voulait plus d’elle. Elle s’approcha lentement de lui, pas à pas, et finit par le ramasser avec appréhension. Il était encore chaud et semblait plus lourd, comme s’il devenait peu à peu un fardeau plutôt qu’un atout. Elle le garda sur elle néanmoins. Il lui manquait déjà la Sablier, elle ne voulait pas non plus se séparer d’un autre Trésor.
Soudain, quelqu’un entra en trombe dans la chambre.
— Tout va bien ? demanda une voix haletante.
Il s’agissait de Kaël qui semblait très inquiet.
— Je t’ai entendue crier…
Lily baissa la tête, elle ne voulait pas se confier à lui. Cela faisait un mois qu’il ne lui adressait plus la parole.
— Il faut que je sois en danger de mort pour que tu daignes me parler ? lança-t-elle avec amertume.
— Danger de mort ?
— Non… C’est juste mon Anneau… Il me fait des misères…
— Tu es très pâle, remarqua-t-il soudain. Enfin, je veux dire… encore plus pâle que d’habitude. Tu es tellement maigre…
— Ah oui ? Et c’est que maintenant que tu le remarques ? cracha-t-elle.
— Pourquoi es-tu aussi distante ? rétorqua-t-il.
— Moi ? Distante ? s’exclama-t-elle, offusquée. Tu ne t’es pas vu toi depuis un mois ? Pourquoi tu ne me parles plus, hein ? C’est parce que je me suis éclipsée lors de notre dernière entrevue alors que tu t’apprêtais à m’embrasser ?
Kaël sembla piqué au vif.
— T’embrasser ? répéta-t-il d’un air dégouté. Toi ?
Il s’approcha d’elle d’un air menaçant et pointa le doigt dans sa direction :
— Tu crois que j’en ai quelque chose à foutre de toi et de ces vaines histoires, avec la Guerre qui approche ? Tu crois vraiment que cela a de l’importance pour moi en ce moment ? Redescends sur Zénith ! Peut-être que je te parlerais davantage si tu ne passais pas ton temps à dormir ici, à vivre ta vie et à t’amuser sur Terre pendant qu’on prépare une Guerre ! Alors comme ça, on s’amourache bien de l’ennemi ?
Folle de rage, Lily fonça sur Kaël pour le gifler mais elle perdit pied avant de faire un mètre, et tomba lamentablement dans les bras de l’Elfe. Ce dernier la rattrapa adroitement. Dès que Lily fut contre lui, elle lâcha prise, épuisée, et éclata en sanglots.
— Je suis éreintée, gémit-elle, à bout de force. Je n’en peux plus…
— Mais qu’est-ce qui t’arrive, bon sang, murmura-t-il au creux de son oreille, lui tenant fermement la tête.
Il la prit dans ses bras, l’allongea délicatement sur le lit et s’assit à ses côtés.
— Je ne sais pas, souffla-t-elle. J’ai l’impression d’être malade…
Le front de Lily perlait de sueur. Elle était brûlante bien qu’un Ombre soit sensé être glacial.
— Que veux-tu que je fasse pour toi ? demanda-t-il d’un air bienveillant. Que j’appelle Noah ? Il doit être en réunion mais je peux…
— Non, interrompit-elle. Je veux que tu restes un peu…
Il alla chercher un linge propre afin d’éponger la sueur de son visage.
— C’est la première fois de ma vie que je vois un Ombre fiévreux, s’étonna-t-il d’un regard sombre.
— Je crois que c’est l’Anneau…
— Alors enlève-le !
Kaël attrapa la chaîne, la retira de son cou et la posa sur la table de chevet. Lily abandonna ses envies de protestations car elle ne parvenait plus à lutter. Ils se regardèrent un long moment sans dire un mot.
— Pourquoi tu ne parles plus depuis un mois ? se risqua-t-elle à demander, les paupières lourdes.
— Parce que… je n’sais pas… Je n’ai plus goût à rien… Lixi n’est plus là, Noah est jamais disponible, la Guerre approche, il nous manque le Sablier, toi tu… tu as l’air très occupée dans ton monde avec Victor…
Lily posa sa main sur celle de son ami et esquissa un faible sourire.
— Et voilà que maintenant, tu es mystérieusement malade, poursuivit-il. Alors que c’est le moment où nous aurions le plus besoin de toi pour arrêter Sian.
Un long silence plana durant lequel elle ferma les yeux afin de les reposer un peu. Croyant qu’elle voulait dormir, Kaël commençait à partir lorsqu’elle lui retint fermement le poignet.
— Reste, implora-t-elle.
Il s’exécuta aussitôt. Elle ouvrit alors les yeux.
— Ils préparent la Fête de l’Ambre, déclara-t-il afin de changer de sujet, et parler de choses plus plaisantes.
— La Fête de l’Ambre ? Qu’est-ce que c’est ?
— Depuis des millénaires, les Elfes célèbrent la Fête de l’Ambre le 15 octobre car c’est grâce à elle que nous pouvons pratiquer l’Héliogie, ou voyager sur la Terre.
— Le 15 octobre ? C’est le jour de mon anniversaire et celui de mon frère. Pourquoi cette date ?
— L’Ambre est comme un prisme qui, lorsqu’elle est traversée par la lumière du jour, elle émet les rayons du soleil chargés en hélioctrons, et inonde Zénith de ces particules, nous permettant de pratiquer l’Héliogie de l’Aurore au Crépuscule, révéla-t-il. Mais, il y a une journée particulière dans l’année où un phénomène extraordinaire se produit. Il s’agit du 15 octobre. L’étoile dont Zénith tourne autour est à une distance telle, que l’Ambre émet un jet de lumière extrêmement puissant dans le ciel, et cela du lever du jour jusqu’au coucher du soleil. Les Elfes ont donc choisi spécialement cette journée pour la célébrer.
— Et malgré la Guerre qui approche, vous allez quand même la fêter ?
— Oui, notre peuple est très attaché aux traditions, et c’est aussi une manière pour nous de manifester notre puissance et notre supériorité à tous les êtres de Zénith.
Lily tiqua, ses révélations l’étonnèrent.
— Les Elfes se croient vraiment supérieurs aux autres ?
— Évidemment, affirma-t-il comme si c’était tout à fait normal de penser cela. Nous sommes les seuls à pouvoir pratiquer l’Héliogie sans à devoir posséder un fragment de l’Ambre sur nous.
— Mais pourquoi vous n’avez pas jadis prêté ou vendu des fragments de l’Ambre aux autres, comme les Ombres par exemple, et développé un marché ? Vous seriez alliés avec eux aujourd’hui, sans à devoir faire des guerres… plutôt que de vouloir vous la garder pour vous seuls en vous croyant supérieurs aux autres ?
Kaël demeura profondément silencieux et semblait scandalisé par ce qu’elle venait d’affirmer.
— C’est de la folie de vouloir faire du commerce avec les Ombres ! s’offusqua-t-il. C’est ce qu’Éléna s’évertue à nous clamer haut et fort depuis mille ans…
Soudain, Kaël réfléchit à ce que venait d’avancer Lily, les sourcils durement froncés. Mais il ne s’exprima pas davantage sur ce sujet.
— Revenons-en plutôt à la Fête de l’Ambre, dit-il. Elle se déroulera dans deux semaines. Elle commence à l’Aube. En général, nous mangeons, buvons et festoyons jusqu’au moment où le soleil est au Zénith. À ce moment-là, nous dansons jusqu’au Crépuscule. Et… je ne sais pas si tu seras en état ce jour-là, mais il est de tradition que chaque Elfe choisisse une compagne de danse…
— Et tu m’as choisie moi, j’imagine ? devina-t-elle en esquissant un sourire.
— Oui, il n’y avait personne d’aut…
— J’accepte, coupa-t-elle. À condition que ma santé s’améliore d’ici là.
— Auquel cas je veillerais à ton chevet, poursuivit-il.
— Bon, je te libère maintenant, tu peux de nouveau vaquer à tes occupations, dit-elle.
Il se tut et la regarda fixement, avant de confier :
— Je suis content d’avoir pu reparler avec toi, je suis désolé si j’étais distant ces derniers temps. Ça n’avait rien avoir avec toi…
Elle posa sa main sur la sienne et avoua :
— Moi aussi, je suis contente… Je me sens mieux depuis que j’ai enlevé l’Anneau. Mais j’aimerais le récupérer maintenant.
Kaël était soulagé, il sourit et se pencha sur elle afin de lui déposer un baiser sur le front. Il récupéra le Trésor et le lui rendit. Dès que les doigts de la jeune femme effleurèrent le bijou, son esprit fut aussitôt envahit d’une septième vision :

« Elle se trouvait dans une immense caverne aux parois humides. Une ouverture au plafond rocheux laissait entrevoir une faible et pâle lumière nocturne. On apercevait la pleine lune et un ciel étoilé. L’air était frais, et on pouvait sentir le sel iodé de la mer, dont les puissantes vagues se fracassaient contre une falaise, au loin.
Elle était debout dans une flaque d’eau glacée. Lily frissonnait de froid et de peur.
Elle n’était pas seule.
L’Inconnu était posté devant elle et lui tenait fermement le poignet. Il était grand et vêtu d’une cape noire. Mais il était proche, très proche de son visage, trop proche. Jamais elle ne l’avait vu d’aussi près. Ses traits étaient si charmants qu’elle le dévisageait avec avidité. Elle tenta d’en mémoriser chaque centimètre carré. Ses yeux onyx et sombres étaient rivés sur elle et la fixaient furieusement. Une lueur énigmatique traversait ses prunelles et quelques mèches d’un noir corbeau effleuraient sa joue.
Un flux violent d’adrénaline jaillit dans ses artères et la fit tressaillir. Son corps était en émois et sa respiration saccadée. Il lui était impossible de détacher son regard de ce garçon.
À cet instant précis, elle avait le sentiment de ne désirer qu’une seule chose : passer le restant de ses jours à ses côtés. Elle n’avait jamais ressenti cela auparavant, mais un seul mot pouvait définir ce qu’elle ressentait à cet instant précis : l’amour. Même si, au fond d’elle, bien qu’elle n’explique pas ce sentiment, elle savait que c’était mal.
Mais elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. L’Inconnu attrapa son visage avec ses mains froides et s’approcha un peu plus.
À l’instant où leurs lèvres s’effleurèrent, le rêve éveillé s’interrompit brutalement. »

Le réveil de Lily fut cuisant. Elle eut le sentiment que sa tête s’apprêtait à exploser. Elle sentait une douleur effroyable au crâne.
— AÏE ! J’AI MAL ! C’EST HORRIBLE ! hurla-t-elle.
Quand soudain, du sang chaud coula à flot de son nez, et inonda les draps. Lily essuya son visage et adressa à Kaël un regard de profond désespoir. Saisi de panique, l’Elfe prit Lily dans les bras et courut hâtivement au refuge où les Zénithiens étaient soignés d’urgence. Elle ne voyait plus rien tellement la douleur était intense. Elle hurla de douleur pendant le trajet. L’Elfe était au bord des larmes, il se sentait impuissant. Il entra en trombe dans le refuge et déposa Lily sur un lit, à côté de Victor. La jeune femme gesticula dans tous les sens quelques instants, avant de s’immobiliser. La douleur s’était dissipée aussi vite qu’elle était apparue. Kaël s’assit à ses côtés et s’affola :
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Lily tenait sa tête dans les mains, fermait les yeux et sanglotait.
— Je n’en peux plus, Kaël… C’est encore ces visions ! Je n’en peux plus…
— Qu’est-ce que tu as vu cette fois ?
— C’est lui, lui et encore lui, j’en ai marre ! gémit-elle entre deux hoquets. Je ne vois que lui ! Tout le temps ! Il m’obsède ! Tout tourne autour de lui…
— Qui ça ? demanda-t-il, désemparé.
— JE NE SAIS PAS ! hurla-t-elle, folle de rage.
Elle s’essuya le nez avec sa manche. Le tissu s’imbiba aussitôt de son sang épais.
— Nous étions seuls dans une caverne… lugubre… Il s’apprêtait à m’embrasser lorsque je suis revenue à moi ! Je crois… je crois que j’étais… amoureuse de lui. Mais je ne le connais pas… Il n’existe pas ! J’ai l’impression d’aimer un fantôme ou pire… UN MORT ! TU ENTENDS ?
— Chuuut, calme-toi…
— NON JE NE ME CALMERAI PAS ! CES VISIONS VONT ME TUER SI ÇA CONTINUE ! ME TUER ! répéta-t-elle avec frénésie.
La voix de Lily railla tellement elle hurlait fort.
— GARDES ! s’écria Kaël. Allez me chercher Noah tout de suite, c’est URGENT !
Les soldats s’exécutèrent aussitôt.

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