Chapitre 02 – L’Auberge

Alice voyageait en carriole, confortablement installée à l’avant au côté de son conducteur. L’homme, un marchand d’antiquités, allait lui-aussi à Rose Citadel et lui avait proposé de l’emmener, en échange de récits et de poèmes. La tâche ne fut pas difficile à réaliser. Elle avait choisi l’un de ses poèmes préférés et l’un des rares que sa mère lui chantait avant de s’endormir.

— Merci, petite. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas entendu quelqu’un réciter de cette façon et avec autant d’émotions, dit-il en ressuyant une larme au coin de son œil. Regarde dans mon sac à l’arrière, il doit y avoir un peu de pain et de viande séchée si tu as un petit creux. Il nous reste encore de la route à faire.

Elle hésita un peu gênée, puis finit par se servir. A part le maigre repas qu’elle avait pris au déjeuner, elle n’avait pas remangé depuis. L’expédition continua sur deux bonnes heures où ils continuaient de parler de leur famille, le futur qu’ils souhaiteraient avoir. Alice ne voulait pas mentionner l’Académie et son inscription, mais il était déjà au courant.

— T’es assez connue dans la région. Même dans les petits villages paumés, les gens parlent de toi. J’dois avouer que je suis sacrément content de pouvoir te parler avant que tu sois à Rose Citadel. Fais de ton mieux là-bas et laisse les gens raconter ce qu’ils veulent. Ils vont surement te mettre la pression mais rien ne t’oblige à faire ou dire quelque chose que tu ne veux pas ou qui va contre tes principes.
— Je n’oublierai pas vos mots.

Un amas de nuages noirs recouvrit le ciel et en quelques minutes à peine, un déluge s’était abattu, rendant la route quasi-impraticable pour les chariots. L’une des roues arrière s’était embourbée et malgré les efforts d’Alice et du marchand, ils n’avaient pas réussi à la dégager.

— L’auberge n’est plus très loin ! Continuons à pied, suggéra le vieux monsieur en attrapant son sac.

Alice avait balancé son sac à dos sur son épaule. Malgré la présence de la magie et l’autorisation de la pratiquer sous certaines limites, la vie du peuple ne s’était pas améliorer pour autant.

— Parfois, j’me demande à quoi le roi peut bien passer ses journées, dit-il en tirant sur la corde pour faire avancer son âne. Le peuple meurt de faim et de froid l’hiver. L’été, les récoltes se font de plus en plus rares avec les sécheresses mais il continue d’engager des Mages pour son armée.
– Je n’y avais pas pensé, répliqua aussitôt Alice penaude.
– Bah, t’as rien à te reproché gamine. Aujourd’hui, peut-importe ton talent, que tu aies de la magie ou non, tu finis par être enrôler de force dans l’armée.

Voyant le regard surprit de la jeune fille, il reprit ses explications :

— Dans le village voisin d’où je viens, y’avait un garçon peut-être âgé d’un an de plus par rapport à toi. Il était très doué avec le fer, il pouvait te forger n’importe quoi en très peu de temps. Il comptait reprendre l’entreprise familiale mais le récit de ses exploits a fini par remonter jusqu’au roi et quelques jours après il avait rejoint l’armée. Son père en est mort de chagrin trois mois plus tard.

Alice n’avait jamais vu le roi de très près. En fait, elle ne savait même pas à quoi il ressemblait. Habitant dans une région trop reculée, elle entendait parler de la famille royale par des messagers venant apporter de bonnes ou mauvaises nouvelles avec bien souvent une semaine de retard. Elle savait néanmoins que celui-ci n’était pas très apprécié, voulant à tout prix assouvir sa soif de conquête en menant des guerres sans vrais motifs. Sa femme, était décédée en mettant leur unique fils au monde, le prince Jamie.

Après une demi-heure de marche, ils pouvaient enfin apercevoir l’auberge. A bout de force et trempés jusqu’aux os, les derniers mètres furent les plus difficiles à faire. Ils avaient cette impression que plus ils se rapprochaient, plus l’auberge semblait s’éloigner. L’un des gérants leur ouvrit la porte et les pressa de rentrer se mettre au chaud.

L’auberge était pleine de vie, les clients s’entassaient un peu partout et une odeur mélangeant la nourriture et le feu de cheminé flottait dans l’air, amenant un sentiment de réconfort. Alice se dirigea aussitôt vers le comptoir afin de réserver une chambre.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ma petite? demanda l’aubergiste.
— Il me faudrait une chambre s’il vous en reste de libre, s’il vous plait.
— Effectivement, ils nous en reste une. J’espère que son emplacement ne te dérangera pas.

Alice s’apprêtait à lui répondre quand un homme tapa du poing sur le comptoir en s’exclamant:

— Comment ça il vous reste une chambre? Vous m’avez dit il n’y a même pas dix minutes qu’elles étaient toutes prises!
— Contrairement à toi, la demoiselle est restée polie. Voilà pourquoi je la lui ai donné! répliqua l’intendant.

L’homme se tourna vers Alice qui ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait.

— Ecoute gamine, je suis en mission officielle pour l’Académie de Magie de Rose Citadel, dit-il en montrant un badge en forme de bouclier surmonté d’une rose. Je réquisitionne donc la chambre.

La jeune fille se mit à sourire, retira son sac à dos et fouilla quelques secondes. Elle en sortit une petite pochette en daim qu’elle ouvrit précipitamment. L’aubergiste explosa de rire en voyant qu’elle possédait elle-aussi un badge de l’Académie.

— La « petite » a certainement le même âge que toi à en juger par la convocation qui se balance de la poche de ton pantalon. Le seul endroit que tu pourras réquisitionner sera les écuries si tu continues d’ennuyer les gens de la sorte, répondit la jeune Mage.

Il s’éloigna le visage empourpré. A la fois gêné et agacé d’avoir été moucher de la sorte par une fille devant autant de monde. Pour la remercier, la femme de l’aubergiste lui offrit le souper qu’elle accepta volontiers.

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