Le prisonnier sortit de sa cellule. Dès l’instant où il se retrouva à l’extérieur, il se sentit libre. Être un homme nouveau, sans contraintes et maître de son destin. C’était donc ça la liberté?

Depuis presque six années, Daniel Lescotts n’avait pas vu le Soleil. Le vrai Soleil, celui que l’on ne pouvait apercevoir derrière les barreaux. Celui qui était synonyme de vie.

En parlant de vie, celle du jeune homme n’avait cessé d’être entachée par des délits mineurs en tous genres, depuis sa plus petite enfance. Non pas qu’il ait été mal élevé, loin de là. Les évènements s’étaient plutôt acharnés contre lui. Voilà ; c’était l’excuse qu’il préférait se répéter. Il ne fallait pas tomber sous l’emprise du remord, de la tristesse. Jamais ; il fallait résister.

Être confiné dans moins de cinq mètres carré d’espace vital avait été comme une révélation pour Daniel. <> se promit-il.

Seul la présence d’êtres chers manquait à l’appel de cette triste cérémonie. C’était peut-être mieux ainsi. Avec un peu de chance, ses parents le croiraient toujours en poste au sein de la marine britannique, et peut-être tout simplement mort au front. Pour la patrie.

Le plus important maintenant, c’était que ses anciens potes des quartiers chauds de Dublin ne le retrouvent plus. Il était inutile de ressasser les vieux démons, débuter une nouvelle vie, repartir à zéro. Ca c’était vraiment important. Mais au paravent, il devait d’abord régler un dernier petit détail. Un service qu’il devait à un vieil à ami. Celui qui lui avait payé le prix de la liberté.

Une limousine noire blindée vint le chercher.

Daniel s’installa sur la banquette arrière et fit face à son sauveur.

– Ah , tiens Danny, enfin libéré. Toujours à te fourrer dans des coups pas possibles, n’est-ce pas ?

– Merci d’avoir payé ma caution. Je te revaudrai ça Richard.

Grosse tape dans le dos, les deux hommes se connaissaient plutôt bien.

– Mais non, mais non Danny. C’est naturel voyons : tu sais que tu es comme un petit fils pour moi.

– Mmmh, se détendit le jeune homme, s’accommodant au siège confortable.

– Bon alors mon garçon –Daniel détestait cette expression. Elle lui donnait un air innocent qu’il avait l’impression de ne pas mériter du tout- tu te souviens de la proposition que je t’avais faite lors de ma précédente visite ? L’affaire dont je t’ai parlé ?

– Si c’est bien celle dont tu parles, oui.

– Je pense que nous pensons bien à la même chose alors. Ce n’est pas pour rien que je t’ai fais appel Daniel, tu me rappelle mon défunt fils ; je ne sais pas si je te l’ai déjà dit. C’est vraiment important pour moi, et je serai ravi que tu viennes.

Échange de regards.

– Oui bien sûr Richard. Je viendrais, promit l’ancien détenu.

Leurs têtes se détournèrent, et leurs attention se porta sur le paysage pluvieux qui défilait à travers les vitres tintées. Puis, les deux hommes n’échangèrent plus un mot, tandis que le véhicule se fondait dans les embouteillages de la circulation nocturne de la capitale Irlandaise.

*

Daniel arriva dans un camp paramilitaire. Un lieu tenu top secret par une coalition de plusieurs services mafieux de la région. On conduisit le jeune homme dans une chambre tenue légèrement à l’écart de la dizaine de ses consœurs que comptait l’établissement. Et elle ne ressemblait à rien cette chambre. Rien du tout ; on aurait dit nulle part. Elle était composée tout au plus d’un petit lit superposé et d’un petit meuble, dans un halo étrangement sombre de vieux murs blancs mal tapissés, sur à peine deux mètres carré au total. Autrement dit, un sac de couchage à la belle étoile aurait fait l’affaire.

L’homme jeta son sac au deuxième étage du lit superposé…qui s’écrasa sur un objet encore non-identifié.

La chose remua et beugla :

-Oh putain gros, c’est qui ça encore??!!!!Fuck, pas bossible de crevasser krankil dans cette putain d’baraque!!!!!

Surpris, puis amusé, Daniel répondit simplement:

-Désolé, je suis Dan. Dan Lescotts.

Le supplicié se redressa et ouvrit de grands yeux .Il les écarquilla tellement qu’il parut obscène et déplacé sur le moment. Décidément, le gangster avait une triste réputation qui s’était étendue au-delà des frontières de la Grande-Bretagne. Même ici en Irlande.

-Ohhhh, scuz’ couz’!!!!!Yo, c’est que j’étais en train de dormir.Tu sais…le retour des missions. Putain qu’est-ce qui m’a pris de dormir moi?!Bref, bienvenue ici gros!

Si ça avait pour objectif d’être drôle, eh bien c’était raté. Ca donnait plutôt l’effet inverse, genre : gros-taré-sans-meuf-sans-relation-hyper-triste-mais-qui-essaye-de-le-cacher. Mais l’homme le trouva accueillant et s’installa sur le lit du bas.

– Comment tu t’appelles, demanda-t-il.

– Ka Breno, s’empressa de répondre l’inconnu. Agent cambrioleur à gage professionnel. C’est du lourd mon gros .Ce qu’on nous a confié c’est du lourd.

Une petite entaille lui balafrait la joue gauche à présent .Il faut dire qu’après avoir reçu plusieurs kilos d’armement paramilitaire, j’en connais très peu qui s’en seraient sortis sans la moindre blessure. Et l’homme doutait sur la valeur du mot « professionnel » employé par le jeune black. Enfin bref.

– Aller vite frère, il faut qu’on se dépêche. Les autres nous attendent déjà pour le premier briefing de l’opération ! ajouta Ka, se rapprochant de la porte, et enjoignant l’autre de le suivre.

*

Les deux hommes reçurent le Soleil en pleine figure, en gage de bienvenue.

-Tsseuhh, simple formalité!!!sourit Ka.

L’homme remarqua qu’il manquait quelques dents au rasta man.

Ils traversèrent l’ancienne usine entièrement désaffectée, transformée en campement. Une vingtaine d’autres agents allaient et venaient le long des petites avenues jonchées de déchets industriels. D’autres fourraient leurs munitions dans leurs sacs. Semi-automatiques, grenades, fusils mitrailleurs dernier cri…

Ils arrivèrent finalement au centre de l’endroit, devant une tente dressée à la hâte ,dans laquelle l’homme entendait la voix doucereuse de Richard Newson. Décidément, ce mystérieux homme d’affaire ne manquait pas une seule occasion de se pavaner, ou de faire le con. Au choix.

-Ahh, Danny! s’exclama-t-il en le voyant. Mais entre donc, entrez donc tous les deux, allez!

Quel vieux type celui-là . Daniel n’en doutait pas une seule seconde. Lorsqu’il aurait réglé sa dette envers lui ,il le supprimerait…

-Alors qué vas-tu? Bien installé hein? Ah,bueno,bueno. Tiens, je te présente quelques uns de mes amis!!!!

L’homme jeta un rapide coup d’œil circulaire.

-Voilà Sendy McHinley ( Chancy McKinley), ingénieur en informatique et armement militaire.

Hochements de tête.

-Juno Delapéz’! (Julio Delavez) tacticien et stratège militaire. Y Bolia Schweiss (Bonia Scwheitz), conseillère infiltrée au tribunal!

Nouveaux hochements de tête. Grand sourire de Newson, qui se sent fier d’avoir achevé sa petite présentation merdique.

On leur répartit les rôles. L’homme serait chargé de poser des explosifs dans le tribunal, tandis que Ka le couvrirait avec une puissance de feu qui devrait dissuader pas mal de gens pendant un certain temps. Bonia en tant que juriste, convaincrait le juge d’ajourner la séance. Celui-ci devrait logiquement le faire -grâve erreur- ce qui devrait permettre à Daniel de le buter ensuite et de tout faire cramer. Les deux ingénieurs resteraient dans une camionnette, à quelques mètres de là. Tout ça pour une affaire ayant mal tournée entre Newson et le juge Paddins. Quand on vous disait que les histoires de vieux finissaient toujours mal !

*

Une semaine de préparation s’était écoulée depuis l’entrevue générale, avec les ingénieurs et la juriste. Le plan semblait infaillible, mais Daniel ne pouvait tout de même s’empêcher de le trouver foireux. Il y avait toujours une faille. Toujours. Cela rappelait qu’il y en avait aussi une du côté du tribunal: Bonia. Même si il ne croyait que très peu aux capacités de la gente féminine, cette idée n’en fût pas moins revigorante. Et puis, elle était plutôt jolie la fille; il avait surpris ses petits regards malicieux lors du dernier briefing ce matin. Ça faisait combien de temps déjà qu’il ne s’était pas un peu amusé?

Le jeune homme jeta un regard à Breno. Auquel celui-ci répondit en remettant en place son chargeur. Tout était OK.
Les deux criminels se trouvaient à quelques centaines de mètres du tribunal. Des voitures de police et des fourgonnettes de la télévision barraient presque entièrement la route. Un seul faux pas, et ils finiraient à la fourrière. *Vous vous souvenez de ma plaisanterie de tout à l’heure ? Oui ? Eh bien maintenant on passe aux choses sérieuses !
Nos agents pénétrèrent dans le tribunal par la voie de canalisations.
– Oh fuck, putain de crêverie de merde! cracha Ka, dans son émetteur.
– Ta gueule Breno, tu risquerais de tous nous faire sauter, répliqua Chancy McKinley, à l’autre bout du fil.
Daniel serra les dents; il est vrai que l’odeur n’était pas terrible.
Ils s’avancèrent prudemment dans le circuit obscur qui menait juste à côté de la salle des juristes, comme le leur avait si bien expliqué Bonia. Il n’y aurait ensuite que deux autres salles avant d’atteindre le juge.
L’homme regarda attentivement le plan.
– Alors, elle nous a mis quoi l’autre bouffonne, demanda Ka.
– Breno ?

-Oui ?

-Comment voudrais-tu que je le saches si tu ne me laisses pas le temps de lire cette putain de carte, bordel!
– Ah…désolé, fit Ka, qui n’avait pas la moindre once de sincérité sur le visage.
Daniel en revint au document. La salle des juristes étaient précédée par un long corridor tronqué d’uniformes bleues et noires, et de caméras de surveillance. Ensuite il n’y aurait plus qu’à foncer pour terminer le boulot. Cela semblait facile, mais rien de plus trompeur, savait-il.
Il tendit le plan à son partenaire, qui dû s’y reprendre à deux fois. Dan eût pitié de lui.
L’agent Breno atterrit le premier dans le couloir. Immédiatement, il se plaqua au sol. Un coup d’œil suffit pour lui signaler qu’ils n’étaient pas seuls. Il fit un signe furtif à Lescotts, lui indiquant le pilier qui se trouvait juste en face du sien.
Daniel sorti du conduit des canalisations, roula à terre et alla se cacher derrière la colonne de pierre. Ka lui montra d’un mouvement de tête la direction dans laquelle il fallait tirer. Son ami lui répondit à son tour par un clin d’œil et les deux agents s’élancèrent dans le couloir.
Les policiers eurent tout juste le temps de répliquer que Breno rectifiait d’une balle dans la tête le premier venu. Dan décocha un formidable coup de pied dans une mâchoire, avant d’abattre son propriétaire un plein cœur, de son puissant silencieux. <> murmura Ka dans son émetteur, tout en effectuant un saut arrière par-dessus un flic en mode fou furieux. Le policier se fit briser net la nuque, et dans un dernier effort, tenta de faucher son adversaire. Ses deux rafales atteignirent un collègue qui fût tué sur le coup. Le brave combattant s’effondra inerte sur le tapis naturellement pourpre, qui absorbait déjà le sang de trois de ses semblables.
Breno se redressa, tandis que Daniel vérifiait son Colt 25.
– Eh bien, on a fait du beau boulot, à ce que je vois, lui dit-il assez péniblement.
– A quand la prochaine? ironisa son compagnon.
Les deux agents faillir partir d’un fou rire, mais furent interrompu par Delavez, furieux de ne pas avoir pu assister à la fête: <>.

– Du calme Juno Delapéz. Au moins tu as pu y participer via les micros !
Cette fois-ci, les deux hommes rirent pour de bon, avant de s’engouffrer sereinement dans la fameuse salle des juristes. Delavez mit un moment à se ressaisir.

La salle des juristes avait été laissée largement éclairée. Les deux agents se déployèrent rapidement, Dan plaçant machinalement des explosifs à tous les recoins stratégiques qu’il pouvait trouver; sous les chaises, au coin des murs… Breno s’activa à neutraliser les caméras de surveillance.
– Vraiment pas possible cet endroit-là, une vraie fourmilière, grogna Ka.
Lescotts avait fini de placer les douze explosifs dont il était muni. Ils se retrouvèrent au milieu de la salle et rappelèrent la régie.
– Agent Daniel, nous sommes en position, qu’y a-t-il à signaler?
– Négatif, répondit Delavez à l’autre bout du fil, tout se passe exactement comme Bonia l’avait prévu.
Une clameur s’éleva de la salle d’audience, signe que le procès n’allait pas tarder à débuter.
– Oh putain les gars, ça s’réchauffe devant! s’excita Ka.
– Du calme, tout se passe comme sur des roulettes; pas besoin de tout faire foirer Breno, fit Delavez.
– Attendez avant d’enclencher vos petits joujoux, conseilla McKinley.
– Bien reçu, lancement de l’opération…commença Daniel.
– Pardon? demanda McKinley.
– Bah enfin il a raison bordel de merde, répondit Breno. Il faut lui trouver un nom à cette putain de mission.
– Très bien…. alors vous proposez quoi…
– La route de l’enfer, devança Delavez.
<> conclurent-ils de concert. Julio avait saisi la première opportunité pour se rattraper !

L’agent Breno et l’agent Daniel pénétrèrent dans la salle d’audience, juste derrière le juge. L’instant où ils franchirent le pas de la porte fût le signal du lancement de l’opération; le point de non-retour.
Comme prévu, une vingtaine de représentants des forces de l’ordre étaient placés de chaque côtés des issues de sortie possibles. Il ne fallait pas perdre de temps, l’anglais le savait plus que tout; dans ces circonstances, la surprise était un atout de taille.
– Pas un geste! Restez calmes et tout se déroulera sans encombres, cria-t-il, devant une assemblée médusée, tandis que son équipier se précipitait pour pointer le juge. Nous sommes venus récupérer un vieil ami, un seul mouvement, et vous pouvez tous dire adieu à notre cher monsieur Paddins !
– Il est inutile de résister, nos hommes bouclent entièrement le périmètre, rajouta Breno. Ta gueule, et couché toi si tu ne veux pas que j’t’explose (en braquant une pauvre juriste affolée).
Lescotts commença à avancer, fixant tour-à-tour Bonia, Newson, et les policiers. Il redoutait que des renforts ennemis ne viennent compliquer la situation. Ou pire encore, que les policiers décidaient tout naturellement d’ouvrir le feu. Seul Ka était lourdement armé, et lui-même ne disposait que d’un simple Colt et d’un détonateur thermique. Eh merde, pensa-t-il. Il ne fallait surtout pas commencer à flipper. Sinon ils étaient faits comme des rats.
– Posez vos armes, ordonna Breno, et lancez-les doucement au milieu de la salle. Mettez vos mains bien visibles, en évidence.
Un premier policier broncha….mais pas le deuxième, qui se roula sur le côté et tenta d’abattre Daniel; celui-ci esquiva un tira une balle qui vint se loger entre les deux yeux du pauvre flic.
– Jouez pas aux cons, prévint Breno, braquant sur le juge. Ou je le bute.
Cette fois-ci plus aucun flic ne bougea. Le cambrioleur à gage intima au juge de demander l’évacuation complète de la salle. Le pauvre vieil homme s’exécuta, terrifié.
Au même moment, Newson murmura quelque chose à l’oreille de son avocat. Ce qui se passa ensuite fût hallucinant. Les policiers situés sur les côtés avaient profité de ce court instant de distraction pour ouvrir le feu, devant des dublinois ahuris.
– Fais chier!! hurla Ka en explosant la tête du juge Paddins.
Les deux hommes se jetèrent à terre, roulèrent sur le côté, et piquèrent un incroyable sprint digne d’un champion du 100 mètres.
– Opération RDE (route de l’enfer) à centre de régie, les flics viennent d’ouvrir le feu!!! cria Breno, tout haletant.
– Centre de commande de la régie à opération RD….veuillez nos signaler votre position les gars.
Mais les deux hommes n’allaient pas répondre avant un moment. D’ailleurs, ils ne pouvaient pas trop répondre.
Les policiers s’étaient lancés à leur poursuite, slalomant à travers les rangs, et les dalles de pierre polie qui constituaient le sol du tribunal. Un homme sage avait dit que la meilleure solution pour se sortir d’un bourbier, c’était précisément de se jeter dans ce bourbier. Ce que nos deux agents appliquèrent à merveille. Mais ils furent réceptionnés à deux pas de la porte de sortie officielle, par les amis de l’officier qu’ils avaient exécuté en tout début de siège, vous vous souvenez ?
– Eh merde, putains de poulets de merde!!! jura Ka, fusil mitrailleur incontrôlable, tandis que Daniel et les policiers jouaient à qui mieux-mieux avec leurs pistolets.

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