Aussi improbable que cela put paraître, la fée les invita à venir passer le reste de la soirée ainsi que la nuit dans sa petite maison. D’après elle, s’ils continuaient à avancer, ils se retrouveraient à la tombée de la nuit perdus au milieu des bois, et bien que Naltya s’offusqua de voir la fée sous-entendre qu’ils ne s’en sortiraient pas, les deux compagnons acceptèrent.

La dénommée Pirma les amena donc jusqu’à une étrange habitation, creusée dans un tronc d’arbre couvert de mousse. Le reste de son clan vivait là également, dans des maisons aussi nombreuses que variées. Jehim ne cessait de jeter des regards méfiants tout autour de lui. Il n’avait rien contre les fées, cependant il savait que de leur côté, elles n’approuvaient pas toujours les choix de vie des gobelins. Promptes à juger rapidement, elles avaient de nombreux reproches à adresser à tous les autres Peuples magiques.

La petite souris pour sa part avançait dignement sur ses deux pattes arrières, sa queue se balançant en rythme alors que ses oreilles se tournaient pour capter les moindres murmures.

Pirma les fit passer sous un rideau de fibres de roseau tressées, dévoilant une toute petite pièce construite dans un étrange mélange de bois et de récupération d’objets Grandes Gens. Elle déposa d’ailleurs sur une table des tasses minuscules, provenant sûrement d’une vaisselle de maison de poupées.

— Nous nous trouvons donc au nord-ouest des lacs ?

Naltya semblait ne pas vouloir se laisser distraire, mais la fée ignora sa question et se retourna pour fouiller dans un placard.

— Jehim, reprenons la route ! s’exclama la souris soudainement. Nous perdons notre temps !

Le jeune gobelin observa sa compagne. Le regard de Naltya s’était teinté d’émeraude alors que ses moustaches tremblaient de colère. Les ailes rouges de la fée s’agitèrent de la même façon et Jehim rentra la tête entre les épaules. Il n’appréciait déjà pas les situations de conflit en temps normal, mais là, coincé entre une fée et une souris… Il se sentait presque en danger. Personne ne lui avait jamais appris comment survivre à cela.

— Mangez au moins un morceau.

Le ton était sans appel. Avec dextérité, la créature ailée attrapa un couteau et découpa trois parts dans un grand chou à la crème fourré à la fraise. Jehim ne put s’empêcher de froncer du nez en regardant l’assiette posée devant lui.

— Et alors ? Timoré le gobelin ?

Le ton moqueur de la fée lui fit monter le rouge aux oreilles, mais il ne dit rien. Elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait, il savait que c’était la prudence qui lui dictait sa conduite, et non la peur.

— Sommes-nous au nord-ouest des lacs ? s’entêta Naltya.

— Oui.

La voix de la fée trahissait son agacement, mais la souris cligna les yeux d’un air satisfait et commença à grignoter sa part de pâtisserie. Jehim l’imita finalement. Peut-être qu’il n’était pas prudent de vexer la fée.

— Il faudra que vous suiviez le chemin qui monte vers les prairies au nord. Il y aura une grande voie noire à traverser, mais c’est le chemin le plus court.

— Une voie noire ?

La voix du gobelin avait tremblé rien qu’à l’idée d’approcher la surface rugueuse et sinistre d’où s’élevaient des odeurs d’essence entêtantes. Les véhicules des Grandes Gens filaient à toute allure, et les chances de survie étaient maigres.

— Et un chemin moins court ?

La fée leva les yeux au ciel alors que la souris posait une patte rassurante sur son avant-bras.

— Tout ira bien Jehim, tu rentreras chez toi très bientôt.

— Quelle drôle d’équipe vous faites tous les deux… Je crois que je suis curieuse de voir ce que cela pourrait donner. Je vous accompagnerai.

— Nous n’avons pas besoin de compagnie, déclara Naltya.

Une fois de plus, une sorte de tension électrique emplit la pièce et Jehim se tassa sur sa chaise. La prudence lui dictait de ne pas s’en mêler.

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