Aujourd’hui

Nous courions toujours, incapables de nous arrêter, et j’avais l’impression d’avoir fait ça toute ma vie. Courir pour sauver ma vie. L’adrénaline qui pulsait dans nos veines nous poussait à poursuivre notre fuite effrénée, alors même que le danger était écarté. Pour l’instant du moins. Ce n’est que lorsque nous atteignîmes le toit du dernier bâtiment que nous nous retrouvâmes dans l’obligation de nous stopper et enfin, nous prîmes le temps de reprendre notre souffle. Pliée en deux, j’avalai de goulues gorgées d’air, les poumons brûlants, avant de me laisser tomber auprès de Kimi qui reprenait son souffle, la tête calée entre ses genoux. Roger s’était appuyé contre un tonneau de chantier bleu délavé laissé à l’abandon et prétendait ne pas être hors d’haleine – foutu macho -, tandis que Jordan était parvenu à rester debout. Toutefois, je pouvais sans peine distinguer le tremblement qui agitait ses longues jambes recouvertes de denim et je me doutais que la main qu’il appliquait contre le côté gauche de son bas-ventre venait comprimer un méchant point de côté.

Au terme de longues minutes je parvins à réguler ma respiration et mon rythme cardiaque, mais je réalisai vite que j’étais incapable de me remettre debout tant mes membres inférieurs se sentaient faibles. Je pris conscience que Jordan avait eu raison de ne pas succomber à la fatigue en s’écroulant et ce train de pensée m’amena à porter mon regard sur lui, pour le voir scruter nos arrières. J’étais heureuse de sa vigilance qui m’avait permis de laisser tomber la mienne, ne serait-ce que pour un court moment.

— Nous sommes suivis ?

— Non, ils doivent pas savoir comment surmonter ce genre d’obstacle. Ou alors ils sont encore coincés, me répondit le jeune homme avant de m’adresser un sourire fugace de soulagement et Roger, merveilleusement silencieux depuis trop longtemps, se redressa dans un grognement avant de se mettre à piailler.

— «Pourquoi on ne s’arrêterait pas là ? C’est désert on pourrait y passer la nuit. », m’imita-t-il, très mal du reste, d’une voix nasillarde en m’adressant un regard courroucé. Oui c’était une super idée, Boss ! T’en as d’autres des comme ça ?

— Hey, tu te calmes. Personne n’aurait pu deviner que ça grouillait d’infectés dans une zone pareille, me défendit l’autre homme du groupe en posant une main sur le poitrail de Roger pour l’empêcher de se rapprocher de moi.

— Retire tes sales pattes ducon.

Si Roger était agressif auparavant, maintenant il était carrément menaçant. Et dans le monde d’aujourd’hui, je le savais d’expérience, ce genre d’individu et de comportement pouvait causer des ravages. Aussitôt, je forçai mes jambes à se raffermir pour me tenir debout, légèrement vacillante – même si j’essayai de ne rien laisser paraître – et m’avançai pour désamorcer la situation.

— Recule Jordan, j’ordonnai calmement et ce dernier obéit, non sans jeter un dernier regard méprisant au quinquagénaire et celui-ci reporta son ire sur moi.

— Comme il est bien dressé, ne put-il s’empêcher de commenter et je vis du coin de l’œil le concerné se hérisser, même s’il ne céda pas à sa pulsion – très légitime – d’embrasser l’homme poivre et sel avec son poing.

— Ta gueule Roger. On se passera de tes commentaires.

— Oh, alors comme ça, c’est moi l’problème ? Aux dernières nouvelles, chef très estimée, c’est toi qui nous a foutus dans la merde !

— Arrête de crier imbécile ! je le fustigeai à voix basse. Tu vas les attirer !

— Peut-être que ça leur plaît, à ton hippie et ta chintok de suivre les ordres d’une gamine en culotte courte, mais pas moi !

— Premièrement et pour la dernière fois, Kimiko est Japonaise et deuxièmement, si la façon dont je fais les choses te plaît pas, tu n’as qu’à te tirer ! j’explosai, les nerfs à vifs, en tentant de maîtriser mes décibels bien que j’aurais voulu pouvoir hurler. Mon interlocuteur fut décontenancé durant un instant, mais sa hargne coutumière reprit bientôt le dessus et il me foudroya du regard avant de reprendre la parole, la voix heureusement maîtrisée.

— J’irai jusqu’au camp avec vous, si on atteint ce putain de camp un jour, mais après j’veux plus voir vos sales gueules.

— Enfin, nous sommes d’accord sur quelque chose !

3