Hôpital Cochin, Paris.
Jeudi 30 aout 2012.
06h34.

Lily était restée assise par terre contre le mur froid du couloir toute la nuit, le regard vitreux et le teint blême. Son cœur était inerte et elle semblait comme morte. Du moins, elle avait la sensation de l’être. Les évènements l’avaient complètement dépassée, comme le périple qu’elle avait mené avec Kaël et les épreuves qu’ils avaient subies pendant plusieurs jours : le désert, les Marais Hurlants, le lac de sang, le fantôme d’Aaron, la traîtrise de Marius et de Lixi…
Si seulement il ne s’agissait que de cela.
Il s’était ensuivi son retour difficile avec Kaël, son combat terrible contre Victor, mais surtout, la révélation que le fils de Sian était son frère, Aaron, qu’elle chérissait et imaginait depuis son enfance.
À l’instant où elle avait appris que son frère décédé qu’elle n’avait jamais connu était en réalité bien vivant, et qu’il se trouvait sous ses yeux, elle avait déjà commis l’irréparable. Elle était en train de vivre ce genre de tragédie qui n’existait que dans les livres.
Pendant cette nuit où elle était restée assise là, sans fermer l’œil, elle avait eu le temps de réfléchir. Elle ignorait ce qui était le plus terrible entre le fait que son frère aille très certainement mourir à cause d’elle, ou le fait que sa mère lui ait caché son existence toute sa vie.
Depuis ces deux décennies, Isabelle avait veillé sur son fils qui était dans le coma au sein de l’hôpital où elle travaillait. Cet établissement se trouvait seulement à un kilomètre de l’appartement où elle vivait avec son autre enfant, Lily, à qui elle avait laissé croire que son frère était mort. Mais était-elle complètement inconsciente ? Plus elle y songeait, et plus l’effroi faisait place à la colère. Colère contre elle-même mais surtout contre sa mère. Comment avait-elle pu lui mentir à ce point ?
Soudain, elle fut interrompue par un médecin.
— Bonjour, mademoiselle Aurora.
L’intéressée se releva souplement avec une énergie insoupçonnée.
— Comment va mon frère ? s’empressa-t-elle de demander sans même prendre la peine de le saluer comme il convenait.
— L’opération s’est bien déroulée, il se trouve actuellement dans un état stable mais il demeure toujours inconscient.
— Que lui est-il arrivé ? demanda-t-elle d’un air innocent.
Le médecin demeura interdit un instant. Il paraissait sincèrement troublé par la situation.
— Je l’ignore…
— S’il-vous-plaît, implora-t-elle d’un air désespéré. J’aimerais qu’on cesse de me mentir…
Il hésita un moment, avant d’ajouter en baissant le ton de sa voix :
— Un phénomène paranormal s’est déroulé hier soir et personne… personne ne trouve d’explication sensée. Il…
— Que lui est-il arrivé ?
— Son foie a été perforé et sa blessure a clairement été causée par une lame sauf que… nous avons vérifié toutes les vidéos des caméras de surveillance, et il n’y avait personne dans la chambre d’Aaron au moment où le sang coule de sa plaie et tâche sa blouse. Nous pouvons le voir en direct sur la vidéo, c’est incroyable, sincèrement…
Lily avait une explication sensée à ce phénomène, mais bien évidemment, il valait mieux pour elle qu’elle s’abstienne de lui en révéler le moindre mot.
— Mais ce n’est pas le plus étrange… Pendant l’opération, la plaie s’est mise à cicatriser spontanément, comme par magie, sans notre intervention.
Les Héliogiciens sur Zénith. Ils devaient être responsables de ces miracles grâce à la lumière du jour.
— Tu devrais prévenir ta mère de ce qui vient de se produire, conseilla-t-il.
— Je ne peux pas. C’est à vous de vous en charger, je ne suis pas sensée être au courant que mon frère est encore en vie et qu’il est dans le coma depuis vingt ans, trancha-t-elle avec froideur.
Le médecin parut sincèrement choqué. Il ouvrit la bouche puis la referma, l’air incrédule.
— Mais ne vous inquiétez pas, j’aurais une conversation sérieuse avec ma mère dès son retour, ajouta-t-elle avec amertume.
— D’accord, si tu préfères, je l’appellerai moi-même. Écoute Lily, je te connais très peu, seulement à travers Isabelle et je ne savais pas que tu n’étais pas au courant, je suis vraiment désolé…
— Ne vous en souciez pas. Le plus important est que mon frère soit en vie. Je vous remercie beaucoup d’avoir pris soin de lui. Pas seulement cette nuit, mais depuis toutes ces années…
Il lui adressa un sourire compatissant.
— Est-ce que je peux le voir à présent ?
— Normalement, il est interdit de lui rendre visite à cette heure, mais je pense que tu mérites de le voir, suis-moi.
Et il se retourna pour se diriger vers la nouvelle chambre où son frère se reposait. Plus elle s’approchait, plus l’Anneau chauffait, comme s’il sentait la présence d’un autre Trésor du Temps. Lily suivait le médecin de si près qu’elle faillit lui rentrer dedans lorsqu’il s’arrêta devant la porte.
— Je te laisse avec lui, moi je m’occupe d’appeler ta mère…
— Surtout, ne lui dites pas que je suis au courant ! Je préfère le lui apprendre moi-même…
— Entendu.
Puis il s’éclipsa, laissant Lily enfin seule avec son frère. Elle inspira vigoureusement et ouvrit la porte. Là, elle vit Aaron paisiblement allongé sur le lit. Elle s’approcha lentement de lui et s’assit à son chevet. Elle remarqua qu’il portait toujours la Montre Gousset autour du cou. Les médecins avaient visiblement pris soin de ne pas la retirer. Pourquoi ? Elle l’ignorait. Les deux Trésors brûlaient, laissant une marque rouge sur la peau du frère et de la sœur. Le cœur de Lily s’emballa bien qu’elle soit une Ombre. Elle sentit ses joues s’empourprer et ses lèvres gonfler. Elle reprenait vie ! Ces sensations étaient absolument exaltantes.
Son regard s’attarda sur le visage d’Aaron. Il était plutôt joli garçon, mais son teint était pâle et il semblait vraiment malade. Elle n’osait pas le toucher, car il avait beau être son frère, il était un étranger pour elle. Et pas plus tard qu’hier, ils avaient mené une lutte mortelle et acharnée. Il l’avait fixée d’un regard noir et malveillant. Un regard terriblement meurtrier, celui d’un chasseur bien décidé à achever sa proie. Il n’avait pas hésité à la rouer de coups lors de leur première rencontre avec Jézabel, à la trainer dans les fournaises dans le désert, et à la jeter dans la crevasse. Il la haïssait, clairement. Certes, il avait ignoré qu’elle était sa sœur et il avait toujours cru être le fils de Sian Valtori. Même s’il avait la chance de se réveiller un jour, il ne l’aimerait pas d’un amour fraternel du jour au lendemain. Encore faillait-il qu’il se réveille…
Lily, en revanche, ne songeait plus qu’à une seule chose à présent : dormir. Les minutes défilaient, sa nuque devenait de plus en plus raide. Lentement, elle déposa sa tête sur le lit, juste à côté de la main de son frère, en prenant bien soin de ne pas le toucher, et s’endormit profondément.

Aurora, Zénith.
Jeudi 30 aout 2012.
20h04.

Lily ouvrit lentement les yeux. Elle se trouvait dans sa chambre chez Noah. Kaël avait dû l’emmener ici après être arrivé à Aurora. La dernière fois qu’elle l’avait quitté, ils avaient été au dos d’un Vulci en direction d’Aurora depuis la Plaine des Supplices.
À son réveil, Kaël était assis au niveau de ses pieds.
— Bonjour, Face de Cadavre. C’est seulement maintenant que tu décides de quitter la Terre pour revenir parmi nous ?
— Mon frère s’est-il réveillé sur Zénith ? demanda-t-elle hâtivement, sans même saluer son ami ou même s’assurer qu’il allait bien.
— Euh… et bien… non, pas que je sache non. Mais les Héliogiciens ont réussi à soigner ses blessures quelques heures plus tôt. Il est toujours endormi… Mais attends, qu’est-ce que tu es allée faire sur Terre pendant tout ce temps ?
Lily se leva en repoussant Kaël sans ménagement, et répondit :
— Retrouver mon frère à l’hôpital où travaille ma mère, non loin de chez moi à Paris. C’est Sian qui m’a révélée qu’il était dans le coma là-bas depuis vingt ans.
— Vingt ans ? répéta-t-il, l’air ahuri. Et tu n’en as jamais rien su ?
— Non, ma mère était au courant depuis le début. D’ailleurs, c’est grâce à elle qu’il a été maintenu en vie dans une structure médicale. Néanmoins, c’est un détail qu’elle a toujours gardé pour elle…
— Et donc, il s’est réveillé à Paris ?
— Non, sinon je ne serais pas revenue.
Kaël sembla vaguement vexé, sa mâchoire se contracta à plusieurs reprises.
— Enfin, pas aussi vite, précisa-t-elle.
— Au départ, j’étais venu pour t’informer que les membres de la Guilde nous attendent pour une réunion, ils veulent en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de notre voyage, et ils veulent savoir pourquoi Marius et Lixi ne sont pas avec nous…
Le cœur de Lily se serra un peu plus au souvenir de leur trahison, qu’elle ne réalisait et ne comprenait toujours pas.
— D’accord, allons-y, lâcha-t-elle sans enthousiasme.
Elle n’avait pas la force de faire face à une quinzaine de personnes pour ressasser ces épreuves insurmontables. Elle n’avait pas le choix malheureusement, la situation était bien trop critique pour qu’elle reste seule dans son coin.
Elle suivait l’Elfe vers la sortie et marchait à ses côtés dans les rues désertes d’Aurora. Les habitants devaient sans doute se réfugier chez eux, la Guerre pouvait éclater à tout moment. Le ciel était clair et le soleil déclinait peu à peu. Les lieux étaient très calmes et paisibles, les paysages somptueux. Elle avait conscience que toute cette beauté ne durerait plus très longtemps, l’ambiance pesante qui régnait ce jour là le lui confirmait.
Sur ces pensées, son ventre se noua, et des frissons galopèrent le long de sa nuque jusqu’en bas de ses reins. Elle était terriblement nostalgique, du temps où elle avait parcouru les rues joyeuses d’Aurora au côté de Kaël et Lixi. Ce temps était révolu à présent. Elle avait la douloureuse sensation que plus rien ne redeviendrait comme avant. Un sombre Destin l’attendait, comme jamais elle n’aurait pu l’imaginer. Malheureusement, Il n’en avait pas fini avec elle, loin de là. Il était bien décidé à lui arracher un à un tous les êtres qu’elle aimait.
Mais il lui restait Kaël. Lily le suivait silencieusement jusqu’à la Tour Royale, dominant la fabuleuse capitale des Elfes. Ils entrèrent et se dirigèrent vers la salle de réunion. Les membres de la Guilde étaient déjà installés, dont Éléna qui trônait au bout de l’immense table ovale. Ils semblaient très absorbés par la réunion, et débattaient activement sur la meilleure stratégie pour contrer l’armée de Sian Valtori. L’Ambre qui flottait au-dessus de leur tête étincelait à cette heure de la soirée. Quand ils prirent enfin conscience de leur présence, ils se turent un à un pour laisser planer un long silence.
— Bonsoir, lâcha Lily d’un air absent.
Kaël se contenta d’incliner faiblement la tête, l’air dépité.
— Venez vous asseoir, nous avons beaucoup de choses à traiter ensemble, déclara Éléna d’un ton grave.
Lily s’exécuta, la tête baissée, suivie par Kaël. Tous les membres de la Guilde se tournèrent vers elle, le regard sévère, toutefois enclins à écouter. La Reine demanda :
— Kaël a refusé de me révéler quoi que ce soit en ton absence. Plusieurs zones d’ombres persistent. Dans un premier temps, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi… pourquoi ni Marius, ni ma propre fille sont de retour ?
Son ton était dur et autoritaire. Les yeux de la Reine flamboyaient comme jamais auparavant. La fureur semblait l’envahir petit à petit.
— POURQUOI ? hurla-t-elle, ne se contenant plus.
L’Elfe et l’Ombre sursautèrent aussitôt, un vent glacial balaya la salle et le ciel s’assombrit légèrement. La Reine sembla user d’Héliogie sans que ce soit intentionnel. Lily ne la connaissait pas aussi impatiente et instable. Là, elle reconnut Lixi en Éléna. Ses sujets se regardaient un à un, déstabilisés.
— Ma Reine, lança Kaël. Votre fille… votre fille nous a quittés…
— Est-elle morte ? coupa-t-elle, horrifiée.
Kaël baissa les yeux et se mordit la lèvre inférieure. Les larmes menaçaient de jaillir à tout instant.
— Non, c’est pire que cela… Après plusieurs jours passés dans les Marais Hurlants, Lily a trouvé le Sablier comme vous lui aviez demandé, dans un lac de sang… Alors que nous l’attendions tous les trois, Marius a changé radicalement de comportement. Il nous a assommés et nous a attachés à un arbre, en pleine nuit. Lorsque je me suis réveillé, Lily était revenue, et Marius nous a alors révélé qu’il avait préparé son coup depuis des décennies.
L’Elfe poursuivit son histoire, sous des regards ahuris.
— Au moment de partir, votre fille a pris la décision de le suivre et d’abandonner ses amis, sa famille, son clan, son honneur… Elle a choisi sa liberté et l’amour qu’elle portait à cet Ombre…
— Comment a-t-elle pu… ma propre fille…
La Reine n’en revenait pas, elle paraissait sérieusement dépitée. C’était la première fois que Lily la voyait dans cet état. Elle se leva d’un bond, fit les cent pas derrière la table, traînant majestueusement le pan de sa soyeuse robe derrière elle.
— Comment… comment Lixi A-T-ELLE PU ME TRAHIR ?! hurla-t-elle, hors d’elle. Et Marius…
Elle s’agita derrière son siège. Elle était belle mais terrifiante à cet instant précis. D’un geste de la main, elle envoya valser une chaise contre le mur. On aurait cru voir une sorcière malfaisante.
— Et Marius, il est parti avec le Sablier, je suppose ? s’emporta-t-elle, de plus en plus furieuse. Voilà pourquoi je hais les Ombres ! Ces sales vermines ! Ceci prouve qu’on ne peut pas leur faire confiance !
Kaël acquiesça sans risquer de croiser le regard de la Reine. Éléna devint pâle comme un linge. La nouvelle que le Sablier était entre les mains d’un traître semblait bien plus l’atteindre que le fait que sa fille soit partie avec lui.
— Lily, peux-tu me dire pourquoi as-tu donné le Sablier à Marius en les rejoignant ? N’as-tu pas mesuré l’idiotie de ce geste avant de le faire ?
Aurora commençait à perdre patience. Elle s’était donnée tellement de mal, elle avait tout sacrifié pour retrouver le Trésor. Et elle avait réussi ! À aucun moment la Reine ne l’avait félicitée, ou même rassurée. Le seul retour qu’elle obtenait d’elle était des reproches cinglants. Encore bouleversée par les événements, Lily abandonna ses bonnes manières et se leva d’un bond :
— Vous me reprochez de ne pas avoir ramené le Sablier ? Vous savez un peu ce que ça m’a coûté ? Ce que j’ai risqué pour l’avoir ? Vous auriez pu y aller vous-même plutôt que de laisser une jeune femme totalement inexpérimentée et naïve y aller ! Vous saviez depuis mille ans l’endroit où il se cachait ! Vous allez me dire que vous n’avez pas trouvé quelques jours de libres dans votre emploi du temps ces mille dernières années ?
— Lily, tais-toi, marmonna Kaël dans sa barbe.
Noah commençait à s’agiter sur son siège et semblait embarrassé ; pire encore : effrayé.
— C’est plutôt moi qui devrais vous faire des reproches Éléna, ajouta Lily avec véhémence. Vous m’avez envoyée dans le couloir de la mort avec un traître ! C’est vous la fautive, vous et vous tous, d’avoir fait confiance à un TRAÎTRE ! À un OMBRE qui était le bras droit de SIAN VALTORI ! Mais vous êtes FOUS ? Vous vous attendiez à QUOI ? Qu’il vous OBÉISSE DU JOUR AU LENDEMAIN ? Simplement parce qu’il a été attendri par la princesse ?
Lily perdait les pédales et était à bout de forces. Elle ne supportait plus cette situation, ses jambes cédèrent et elle se laissa lourdement tomber sur son siège.
— Quand la crise de mademoiselle Aurora sera passée, je pourrai continuer ? cracha la Reine avec amertume.
Elle eut sa réponse car Lily ne fit aucun commentaire de plus. Elle se contentait de tordre ses doigts en serrant les dents. Cette réunion l’agaçait au plus haut point, elle aurait préféré retrouver son frère et rester à son chevet jusqu’à ce qu’il se réveille.
— À présent, j’aimerais que tu m’en dises davantage sur ce qui s’est passé ensuite.
Lily attendit un peu avant de réciter son histoire d’un ton morne, sans prendre la peine d’articuler. Elle relata son duel avec Victor, sa confrontation avec Sian, la révélation qu’il n’était pas son fils en réalité, mais le frère de Lily. Elle n’omit aucun détail néanmoins. Elle leur apprit aussi qu’Aaron se trouvait actuellement sur la Terre entre les mains des médecins, et ne manqua pas de leur demander dans quel état il se trouvait sur Zénith.
— Les Héliogiciens ont réussi à stabiliser son état. Il demeure toujours inconscient, mais sa vie est sauve, déclara Noah.
— En revanche, nous en avons tous discuté longuement et nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’à son réveil, Lily, il faudra que tu créées un lien de confiance solide avec lui, pour qu’on puisse en connaître davantage sur son père adoptif, les plans de Sian, sa stratégie d’attaque ou n’importe quelle autre information au sujet des personnes qu’il aurait fréquentées aux Pics du Crépuscule, affirma la Reine.
Lily parut scandalisée. Ils voulaient vraiment qu’elle manipule son frère ? Il n’était pas encore réveillé, ni même entièrement rétabli, et ils manigançaient déjà des plans derrière son dos pour lui extirper des informations, comme s’il était un vulgaire prisonnier ? Ils étaient fous et ne comprenaient donc pas ? Ils ne comprenaient pas la situation tragique ? Ils ne comprenaient pas qu’il lui faudrait du temps pour s’en remettre, et qu’avant de manipuler Victor, elle voudrait peut-être tisser des liens fraternels avec Aaron ?
— Je sais que c’est dur pour toi d’encaisser de telles épreuves, mais en cette période sombre, nous n’avons plus le temps de nous attarder sur nos sentiments. Il faut agir vite, et réfléchir avec notre tête, ajouta la Reine.
— Foutez-moi la paix quelques jours, cracha Lily en guise de réponse. Foutez-moi la paix et laissez-moi me remettre de ce que j’ai vécu et appris ces derniers jours. Pour être honnête, j’en ai absolument rien à foutre de ce que vous voulez. J’en ai assez fait pour le moment.
Et là, Lily se leva sans leur adresser un seul regard. Elle comprit pourquoi Lixi n’avait jamais supporté les réunions avec les membres de la Guilde et la Reine. Ils réfléchissaient trop, ne pensaient qu’à leur propre intérêt, et se souciaient peu des pions qu’ils manipulaient. Personne ne l’interpella ou la rattrapa, le message semblait être passé. En revanche, Kaël ne tarda pas à se relever pour rejoindre Lily. Il pressa le pas et la retrouva une centaine de mètres plus loin, dans les rues d’Aurora. Il attrapa son poignet avec vivacité afin de l’arrêter, mais celle-ci se retourna comme une furie :
— J’en ai plus qu’assez d’eux ! vociféra-t-elle, furibonde. J’en ai assez, tu comprends ?
Sa voix se brisa et les larmes dégoulinèrent de ses yeux enflammés. Lily s’empressa de les essuyer et de baisser la tête, fuyant les éventuels regards inquisiteurs des Elfes.
— Marius nous a trahis, Lixi nous a abandonnés, le Sablier est entre les mains de Sian à l’heure qu’il est… gémit-elle, affolée. Tu ne peux pas savoir à quel point… à quel point je m’en veux d’avoir laissé filer le Sablier entre mes doigts ! Après tant d’efforts et de dangers ! Il faut à présent que je supporte les colères de la Reine alors qu’elle a toujours été confortablement installée sur son trône !
Kaël se rapprocha de Lily, l’air soucieux.
— D’autant plus que Victor m’a traînée dans la boue, j’ai dû supporter ses coups, Sian est ensuite arrivé pour m’apprendre que je venais de tuer mon frère ! Mon frère, tu entends ? Mon FRÈRE ! Aaron a été élevé par un MONSTRE !
Ses larmes ne cessaient de couler, couler, couler. Ses joues étaient inondées de sang à présent. Kaël s’empressa de la prendre dans ses bras de façon à cacher son visage et l’entraîna dans une ruelle sombre et déserte, à l’abris des regards.
— S’il a la chance de se réveiller, je ne sais même pas si… s’il essaiera de… Il est programmé pour me tuer ! Sian en a fait un meurtrier sans état d’âme ! Peut-être… peut-être qu’il vaudrait mieux qu’il ne se réveille jamais, ou qu’il meurt…
Kaël s’écarta légèrement et la dévisagea. À bout de force, Lily s’affaissa un peu et ferma les yeux, l’air abattu.
— Tu devrais te reposer un peu, lui intima-t-il. Enlève tes Trésors pour que tu puisses réellement dormir sans te réveiller sur la Terre, ça te ferait le plus grand bien…
— Non, je dois retourner chez moi à Paris, ma mère rentre de vacances. Une longue conversation avec elle m’attend…

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