Je restai figée au milieu de mon studio, les yeux écarquillés par la surprise. J’effectuai un grand tour sur moi-même pour tenter de découvrir comment le livre avait atterri ici. Une fenêtre ouverte, même s’il était peu probable que quelqu’un ait grimpé jusqu’au quatrième étage un énorme livre à la main, un indice quelconque. Mais rien. Mon appartement était resté comme je l’avais laissé, à l’exception de ce livre posé sur mon lit. Déjà qu’il faisait chaud, j’eus une bouffée de chaleur immense qui failli me faire perdre la tête.

Le cœur battant, je m’approchai puis m’éloignai du livre comme si ces mouvements sans réel sens allaient me faire comprendre le secret derrière son apparition. Beaucoup de choses me vinrent à l’esprit à ce moment-là, trop de choses. J’imaginai un malade pénétrant dans mon appartement pour me laisser un message étrange. Peut-être était-il en train de me surveiller en cet instant, se délectant de ma peur ?

Je ne savais pas comment une personne normale aurait réagi mais je me contentai de rester à plusieurs mètres du livre, à l’observer sans oser l’approcher. Comme quand je tombai face à une araignée… Tellement horrifiée que je ne pouvais m’empêcher de regarder tout en gardant une distance raisonnable pour assurer ma survie.

Après mur réflexion avec moi-même, je décidai tout d’abord de jeter mes affaires au sol (car j’étais restée encombré de mon sac pendant tout ce temps) avant de me débarbouiller le visage dans ma micro salle de bains, sans oublier de jeter des coups d’œil de temps en temps au livre, ne sait-on jamais qu’il décide de s’enfuir…

Après m’être rafraîchie, je partis me changer pour enfiler un legging et un t-shirt, toujours en observant le livre. S’il restait ici, on risquait de penser que je l’avais volé, mais je n’osai pas le toucher pour le fourrer dans un sac. J’étais encore imprégnée de cette sensation étrange qu’avait laissée le livre sur mes mains et ne souhaitai pas réitérer l’expérience. D’ailleurs, une énergie étrange s’en dégageait, comme à la bibliothèque. Je me sentais comme dans ces films fantastiques à la limite de l’horreur. Trop peur d’être envoûtée (ou quelque chose de semblable), je détournai le regard et fixai le mur opposé.

Après mur réflexion, je décidai de fermer les volets des deux uniques fenêtres de mon studio, comme une criminelle tentant de dissimuler ce qu’elle s’apprêtait à faire, puis partie dans mon coin cuisine pour y dénicher un vieux sac en plastique. Même s’il m’était douloureux de mettre un livre aussi ancien et magnifique dans un sac de supermarché, laid et déchirer. En prenant soin de ne pas toucher la couverture du livre, je le fis glisser péniblement dans le sac. Une fois ma mission accomplie je poussai un soupir de soulagement avant de fixer mon colis d’un air intrigué et inquiet.

– Comment t’as atterri la ? Lui demandai-je

Évidemment, je n’eus pas de réponse. Après l’avoir enfermé dans sa prison de plastique, je me sentis moins oppresser et pu m’occuper de ma soirée comme je l’avais initialement prévu. Manger, lire, dormir. Simple mais tellement agréable.

Avant d’aller me coucher, je nattai mes cheveux et débarrassai mon lit du livre étrange pour le poser sur la chaise de mon bureau. Il était hors de question de le poser à terre (déjà qu’il devait souffrir dans son emballage actuel). Demain, j’irai le rendre à la bibliothèque en espérant qu’ils ne posent pas trop de questions sur la raison de sa disparition. J’ajoutai à ma liste mentale « Vérifier la sécurité et poser une alarme ». J’étais persuadée qu’un rigolo était entré par effraction d’une quelconque manière, même s’il n’y en avait aucunes traces, et avait posé le livre pour me jouer un mauvais tour. Peut-être un visiteur de la bibliothèque qui m’avait surpris en train de toucher l’ouvrage ? Même si le monde me prendrait sûrement pour une folle s’il l’apprenait, j’allais chercher un couteau de cuisine et le glissai sous mon oreiller en soie. Rassurer par l’arme je m’allongeai, prête à m’endormir. Le tout était de ne pas me trancher les veines par accident pendant la nuit.

Après une nuit lourde et désagréable, j’eus le plaisir de constater que les températures avaient baissé. L’air était clairement plus frais et promettait des températures en baisse. Je pris le temps comme tous les matins où je me sentais bien, d’observer les alentours et les passants en contrebas, malgré ma nudité. De ci haut, personne ne pouvait me voir, et si c’était le cas, ça ferait peut-être un heureux (ou un appel de la police). Je pris le temps d’allumer mon téléphone, ce que je ne faisais pas habituellement, afin de vérifier mon compte en banque. Je constatai avec plaisir que mon salaire m’avait été versé hier dans la soirée et que mon compte ne faisait plus aussi la tête.

C’est donc, malgré mon mal de tête continuel, de bonne humeur que je partis me préparer pour la journée. Je partis dans la salle de bains et mis un de mes CD dans le gros lecteur que j’avais installé tout spécialement pour me faire plaisir pendant la douche. Je choisis pour ce matin le dernier album de Monsta X, un groupe coréen que j’appréciais tout particulièrement. Et oui, j’aimais la Kpop. Et aucunes critiques et insultes ne pourraient m’en détourner. Jamais.

Ce n’est qu’après avoir fini de prendre ma douche que je me souvins du livre mystérieux. Ce dernier était toujours dans son sachet, sur la chaise de mon bureau. Je le fixai irrité, toute trace de bonne humeur envolée en un instant. J’avais pensé l’emporter au travail pour ensuite le déposer à la bibliothèque mais je ne souhaitais pas particulièrement l’avoir auprès de moi une journée entière. J’avais une sensation étrange qui me rongeant l’estomac et à chaque fois que l’observait, même à travers le sac, il semblait m’appeler. De plus, mon mal de tête semblait augmenter à chaque fois que je le fixai. Preuve de mon agacement. Je détournai le regard, avalai rapidement mon jus vert quotidien et partie le plus vite possible, hors de portée de ce livre. J’avais hâte de m’en débarrasser.

Grâce à un « problème technique » j’arrivai en retard. Malgré tout, je passais à la boulangerie du coin pour m’acheter deux petits pains aux olives. J’étais déjà en retard de toute façon… Arriver au travail, je saluai rapidement toute l’équipe sans prendre le temps de m’excuser et partie m’asseoir à mon poste, tout au fond de la salle coincée entre mes collègues Myriam et Léa. Ma place était parfaite. À l’abri des regards inquisiteurs de ma responsable, et des autres collègues. Je possédais une vue panoramique sur la salle dédiée au service client me permettant de surveiller les allées et venu de chacun. Quelques plantes vertes avaient été placées aux quatre coins de la pièce pour donner un peu de vie au mur blanc et détourner nos regards de la pile de dossier en retard à traiter. Je n’avais jamais vraiment apprécié les open spaces. Peu d’intimité. Ici, comme l’espace était assez réduit pour onze personnes, cela devenait très vite un calvaire quand tout le monde parlait en même temps ou criait au téléphone.

– Salut Col, ça va bien, me demanda Myriam un petit sourire compatissant sur le visage.

Tout comme moi, ce boulot l’ennuyait et la fatiguait. Je lui racontai rapidement mes mésaventures de la matinée avec le métro avant de m’installer sur mon siège. Je lui répondis malgré tout avec un sourire en lui disant que tout allait bien.

Mon sourire s’effaça subitement quand j’ouvris mon caisson pour y déposer les petits pains. La place était à moitié prise par un énorme sachet en plastique. Au moins, avait-il eu la décence de venir couvert. Je jurai silencieusement sans quitter le livre des yeux. Ce n’était clairement pas normal. Je lançai un regard suspicieux à l’ensemble de mes collègues avant de secouer la tête pour me retirer cette idée ridicule de l’esprit.

J’inspirai profondément et expirai longuement quand je quittai mon travail. La pression du livre stalker, et de ma responsable souhaitant toujours plus d’efficacité, m’avait littéralement vidé. Mais je n’en avais pas fini pour autant. Je voulais jouer à un petit jeu pour m’assurer que je ne devais pas cingler. Priant pour que le métro n’ait aucun problème en cette fin d’après-midi, je rentrai chez moi.

Tandis que je montais les marches jusqu’à mon appartement, car l’ascenseur avait décidé de me lâcher, le stress monta. Bien que je sois assez sportive j’arrivais un peu trop essoufflé à mon goût au quatrième. Une main en suspend sur la poignée de ma porte, j’hésitai. J’avais peur de confirmer l’impossible. Sans doute préférai-je être folle ?

J’ouvris la porte d’un geste vif et me précipitai dans mon studio avant de refermer la porte aussi rapidement.

Je me retournai le ventre noué et posai des yeux embués de larme sur mon lit. J’aurai préféré qu’il reste la ou il était. Peut-être aurais-je dû le ramener à la bibliothèque directement après? Mon corps tout entier tremblait alors que mes yeux ne pouvaient s’empêcher de fixer l’objet de ma terreur. Et encore une fois, je ne savais pas comment réagir.

Le livre me suivait.

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