Lorsque les gens commencèrent à tomber malades, par centaines, puis par milliers et finalement, par dizaine puis centaine de milliers à travers tout le pays, le gouvernement fit enfin une annonce. Le ministre de la santé nous demanda de ne pas nous affoler, nous assura que nous n’avions rien à craindre, que ce n’était qu’une épidémie de grippe, particulièrement virulente cette année. Que tout cela n’avait rien à voir avec les cas isolés de personnes, atteintes prétendument de la rage, dont nous avions entendu parler. Alors nous continuâmes de vivre comme si de rien n’était. Comme s’il n’y avait pas un centre d’urgence, déjà bondé, en pleine installation à la bordure d’Aix-en-Provence. Comme s’il n’y avait pas presque plus aucun élève dans les salles de classe. Comme si nous ne devions pas porter des masques pour sortir de chez nous. Comme si nous étions aveugles au balais des soldats armés et des tanks qui passaient dans nos rues. Comme si nous n’avions pas conscience du rationnement mis en place dans tous les magasins. Comme si nous ne voyions pas les corps bâchés de nos voisins, être sortis de leurs maisons vacantes par des hommes vêtus de combinaisons et de masque à gaz et être emmenés dans des camions stériles qui portaient le logo des maladies infectieuses.

Comme si nous n’avions pas peur d’être les prochains.

Mais dans la sécurité de leurs foyers et sur les réseaux sociaux les gens commencèrent à murmurer à propos de manipulation de masse, de complot, de mensonges d’état et surtout, de corrélation entre l’épidémie et l’apparition de ce qui ressemblait de plus en plus à des zombies. La majorité refusait encore d’utiliser ce terme et même de reconnaître qu’il était approprié, car ces créatures étaient imaginaires, n’est-ce pas ? C’était bien trop surréaliste pour être vrai. Une telle chose ne pouvait pas se produire dans la vie réelle. Ce n’était rien de plus que de la science-fiction. Pourtant, nous savions tous au plus profond de nous que cette explication au phénomène qui nous touchait n’était pas si fantasque. Les nombreuses vidéos amateur qui affluaient sur le net, mettant en scène ces fameux malades, ne faisaient que renforcer ce sentiment. Mais nul n’osait encore proclamer haut et fort être un adepte de cette théorie.

Je passais beaucoup de temps devant la télévision à ce moment-là, branchée sur les chaînes d’informations qui avaient cessé de rapporter les « cas de rage » qui pourtant continuaient de se produire partout dans le pays. Néanmoins, nous étions encore tenus informés de ce qu’il se passait ailleurs dans le monde. L’Inde avait fermé ses frontières terrestres, maritimes et aériennes depuis deux semaines déjà, pour tenter d’endiguer la propagation de la « grippe » qui les touchait eux aussi et plus personne n’avait de nouvelle de la situation là-bas. La Chine, le deuxième pays à avoir été touché par l’infection, avait coupé toutes les communications avec le monde extérieur et il se chuchotait que ses agences de santé étaient en recherche active d’un vaccin, en coopération avec la Russie. Quatre jours plus tôt le gouvernement de l’Arabie Saoudite avait autorisé l’abattage des infectés par les services de police et même le Conseil de sécurité de l’ONU n’avait rien trouvé à redire, pour une fois. Le Pape quant à lui s’était retranché dans un lieu tenu secret au Vatican, après une allocution durant laquelle il avait encouragé ses oilles à garder espoir et prier, comme si la Foi pouvaient les sauver. Les Etats-Unis, déjà isolationnistes par nature, n’avaient pas tardé à abandonner le reste du monde à son sort, mené par le Président Donald Trump qui avait simplement déclaré avant de rompre toute relation diplomatique : «America first !». Je supposais que s’ils devaient trouver un remède au mal qui nous touchait là-bas, ils ne nous en feraient certainement pas profiter, ou tout du moins pas avant d’y imposer un bon prix. C’était écœurant. Pendant ce temps l’Europe toute entière tentait de garder la tête à flot et ses populations sous contrôle, mais déjà des émeutes de masse avaient éclatées en Angleterre et l’Ecosse en avait profité pour établir son indépendance, longtemps attendue. C’était peut-être la seule chose positive qui était ressortie de tout ça, selon moi. Sur l’ensemble du globe, seule l’Afrique semblaient résister à la maladie, mais ça devait plus avoir à faire avec sa démographie éparse que parce que ses citoyens étaient immunisés.

Durant cette période maman batailla ferme avec papa pour nous faire rester à la maison indéfiniment, arguant que nous serions plus en sécurité chez nous et à l’abri de la maladie qui sévissait dehors. Mais mon père demeura inflexible sur la question. Peut-être parce qu’il refusait de s’avouer dépassé ou parce que garder un semblant de normalité dans nos vies, une routine, lui permettait de croire à l’illusion que tout allait s’arranger. Je ne l’ai jamais su, je n’ai jamais demandé. Ça m’arrangeait bien de sortir de chez-moi pour échapper à l’ambiance étouffante qui y régnait, ne serait-ce que pour quelques heures et même si en étant dehors je savais que je courrais le risque d’être infectée à mon tour. J’avais juste besoin de respirer, même si c’était au travers d’un masque sanitaire. Et à l’époque, ça me fit songer qu’avant, les gens trouvaient bizarre que les Chinois et les Japonais en portent à longueur de journée, presque que comme un effet de mode. Certains s’en amusaient même. Et qu’à présent, plus personne ne riait.

Parmi mes amis seuls deux n’étaient pas tombés malades et je n’avais aucune nouvelle des autres. La dernière fois que j’en avais entendu parler, ils souffraient des premiers symptômes de la maladie mystère qui nous décimait, peu à peu. Une grande confusion, de l’agitation et de l’anxiété le tout accompagné d’une accélération anormale et inquiétante de leur rythme cardiaque et respiratoire. Je supposais qu’ils devaient se trouver à l’hôpital, s’ils avaient pu en trouver un où il restait encore de la place. Sinon, ils devaient être dans l’un des centres d’urgence mis à la disposition de la population. Quoi qu’il en soit, je ne les revis jamais.

Maman arrêta d’aller travailler, elle voulait être là pour nous accueillir à notre retour de l’école. Etre là, tout simplement, en cas de besoin. Ce qu’elle ne pouvait pas faire en étant enfermée dans la bibliothèque où elle bossait. Et puis, il semblait évident que « l’incident » l’avait suffisamment traumatisée pour qu’elle ne se sente plus capable d’affronter le monde extérieur. Papa quant à lui fût réquisitionné pour assurer la sécurité de convois chargés d’acheminer des médicaments à tous les points de quarantaine de la région et on ne le vit que rarement durant cette période. Lucas continua d’aller au collège et je passai énormément de temps en sa compagnie, bien plus que jamais auparavant. Nos parents m’avaient chargée de veiller sur lui, lorsque nous étions loin de la maison et je pris cette tâche très au sérieux.

Cette étrange situation, comme si le monde entier retenait son souffle, dura un certain temps. Assez pour que nous nous mettions à penser que les choses n’empireraient pas, que pour une fois nos dirigeants n’avaient pas menti et qu’ils géraient le problème, même s’ils souhaitaient garder secrète sa véritable nature. Que tout ceci n’était qu’une mauvaise passe dont on parlerait bientôt dans les livres d’histoire. Bien entendu, nous avions tort.

Par une journée pluvieuse d’avril nous assistâmes en direct à la destruction du centre d’urgence de Lyon, submergé par des infectés -dont les gens, après ça, ne purent plus douter de la nature-qui avaient atteint le stade final de la maladie, qui, surprise, n’était pas la grippe. A la suite de quoi, la relation entre cette dernière et les cas de folie meurtrière n’était plus à démontrer. Nous n’avions jamais rien vu de tel. Ce fût un véritable massacre, un déchaînement de violence sans précédent. Il n’y eut aucun survivant. Principalement parce que, pour empêcher les infectés de se répandre dans la ville, le gouvernement fit bombarder la zone. A la suite de quoi, on nous coupa internet, les réseaux téléphoniques furent bloqués et on nous brouilla la diffusion de toutes les stations de radio et de toutes les chaînes de télévision hormis une.

Ce soir-là les autorités y diffusèrent pour la première fois le message officiel que nous adressait le ministère de la santé, qui se déroulait sur notre écran sans discontinuer et qui résonna tant à nos oreilles que nous finîmes par le connaître par cœur.

«Nous demandons à nos concitoyens de rester calmes. La situation est sous contrôle. Le gouvernement et les agences de santé publique travaillent sans relâche à l’endiguement de la maladie. Tout reviendra bientôt en ordre. »

Je ne retournai plus jamais au lycée après ça. Mon frère n’alla plus à l’école lui non plus et mon père abandonna son poste. Nous barricadâmes la maison et nous y enfermâmes.

La longue attente débuta et un pesant silence, semblable à une chape de plomb, s’abattit sur nous.

Note de l’auteure :

Alors que pensez-vous qu’il va se passer dans la suite ? Notre héroïne et sa famille seront-ils épargnés par la maladie ? Le gouvernement tiendra-t-il sa promesse ? Et quelle est donc cette maladie mystère qui transforme les gens en monstres ? La suite au prochain chapitre !

2