Aujourd’hui

Les cris des infectés s’étaient tus depuis une bonne heure déjà, et l’aube ne tarderait pas à pointer dans les cieux, lorsque je me décidai à aller éprouver une intuition ; qui se révéla être exacte.

— Il sont partis, m’entendis-je affirmer après confirmation visuelle et je m’abaissai de nouveau au sol, par précaution. J’avais la voix rauque d’avoir été réprimée durant de -trop- longues heures, mais c’était devenu monnaie courante depuis un certain temps déjà. A peine avais-je fermé la bouche que Jordan s’écroulait au sol, les bras agités de tremblements spasmodiques de l’effort inhumain auquel ils avaient été soumis afin d’assurer notre protection. Je l’approchai à quatre pattes, jusqu’à me laisser tomber auprès de lui pour pouvoir examiner l’état de ses mains. Il n’émit aucune protestation lorsque je les lui saisi et se contenta de rejeter la tête en arrière et de fermer les yeux, pour la première fois de la nuit. Sa cage thoracique se soulevait puissamment au rythme de sa respiration profonde et irrégulière, qu’il tentait de maîtriser. Je découvris ses paumes à vif, mais heureusement pas ouvertes -il n’aurait plus manqué qu’il chope le tétanos. Je me tournai vers Kimiko, hésitante à lâcher ma prise sur mon compagnon d’infortune, et lui indiquai d’un mouvement de la tête de m’envoyer mon sac à dos -dont je m’étais débarrassée quelques heures plus tôt. Elle le fit glisser vers moi, une interrogation sur le visage et je lui offris en retour un demi-sourire rassurant, qui devait plus ressembler à une grimace qu’autre chose.

— He’s fine*.

La Japonaise acquiesça et se mouva légèrement pour changer de position, portant son regard cacao sur Jordan dont l’éclaircissement du ciel nous révéla les traits tirés, blêmes et transpirants. A contrecœur, je déposai ses mains sur ses genoux, intérieurs tournés vers le plafond, avant de creuser dans mon paquetage jusqu’à en extraire ma gourde d’eau en métal, à moitié vide et ma bande de contention médicale en crêpe -que le gris avait substitué à sa couleur blanche originelle. Je me chargeai ensuite d’en découper deux rubans en maintenant une extrémité du tissu sous mon genou et en exerçant une tension d’une main avant de trancher la longueur souhaitée de l’autre, d’un coup incisif de hachette. Puis, j’imbibai le tissu d’eau avant de l’enrouler autour des paumes de Jordan jusqu’à obtenir deux bandages plus ou moins réussis. Le jeune homme ne réagit pas à mes soins, hormis pour une légère grimace de douleur. Une fois ses mains prises en charge je répétai le même processus qu’auparavant, jusqu’à pouvoir tamponner le visage de Jordan à l’aide d’une étoffe humide, dans l’espoir de lui apporter un certain confort. Sa respiration revint bientôt à la normale et lorsque que j’éloignai mon gant improvisé de son visage, se fut pour le voir entrouvrir les yeux et tenter de saisir mon bras pour me retenir ; action futile, car il n’avait plus la moindre force pour se faire et sa main retomba lourdement le long de son corps.

— Merci, me dit-il simplement et, muettement, j’acceptai sa reconnaissance avant de lui tourner le dos pour pouvoir m’asseoir près de lui. J’abandonnai rapidement au sol le tissu maintenant devenu brun de crasse et de sang mêlés pour me saisir de ma gourde, de laquelle je pris une grande gorgée. Le liquide tiède me brûla d’abord la gorge avant de la laisser dans un doux engourdissement qui me soulagea et, sans un mot, je la tendis en direction de Jordan qui entrouvrit les lèvres pour que j’y fasse couler le précieux liquide. Du coin de l’œil, je vis Kimiko commencer à farfouiller dans son propre équipement et en sortir quatre barres de céréales chocolatées qu’elle partagea entre nous et même Roger lui exprima de la gratitude.

En prenant acte de l’état de profonde apathie dans lequel chacun de nous était tombé suite à une nouvelle nuit blanche, placé sous le signe d’une extrême tension, je décidai que nous pouvions bien nous accorder une petite heure de repos avant de reprendre la route. J’étendis légèrement mes membres et me positionnai le plus confortablement possible, avant d’imiter Jordan, qui était retombé dans une parodie de sommeil.

Encore un beau de début de journée au Paradis.

*Il va bien

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