C’était une nuit comme les autres, mis à part l’averse qui s’abattait sur la ville, il n’avait pas plu depuis tellement longtemps…
Dans ma chambre, je ne pouvais pas m’empêcher d’observer la pluie par la fenêtre. C’était tellement nouveau de voir ainsi de l’eau venant tout droit du ciel, c’était si beau de la voir ruisseler sur le sol, cogner contre ma fenêtre comme si elle demandait à entrer. J’étais tellement absorbé par ce spectacle que je n’avais pas entendu l’appel de ma mère pour le dîner. Soudain, j’entendis la porte de ma chambre grincer, je ne pus pas retenir un léger sursaut. Ce n’était que mon frère, il n’entra même pas dans ma chambre, il se contenta de grommeler derrière la porte entre-ouverte:
«Viens tout d’ suite, Marius, le repas est sur la table.
-J’arrive ! » Répondis-je sèchement, le regard fixé sur la pluie.
Depuis que papa était parti, ce n’était plus la même chose, Henrik, mon frère et Alya, ma soeur arrivaient à feindre la joie devant maman, moi, je n’y arrivais pas. Maman nous disait que notre père exerçait un métier noble et qu’il était obligé de voyager. Nous savions tous ce qu’était un mercenaire mais nous ne voulions pas la contredire, elle était heureuse tant que nous l’étions.
Comme depuis plusieurs jours, notre repas était une soupe verdâtre, fade et insipide, accompagnée d’un minuscule bout de pain. Maman ne pouvait pas nous donner plus avec ce que papa lui envoyait. Il y avait une petite table en bois au milieu de la cuisine, c’était là que l’on mangeait tous les jours.
Nous étions tous les quatre assis autour de la table lorsqu’on entendit frapper à la porte. Maman s’empressa d’aller ouvrir. Elle était dans le couloir menant à la porte d’entrée et d’où j’étais je ne pouvais que distinguer ma mère. À mesure qu’elle ouvrait la porte, je voyais tout son corps se raidir, je ne pus qu’entendre un murmure de ma mère, à peine perceptible:
« Bonsoir, messire. »
Je n’entendais rien à la conversation entre Maman et la personne dehors car leurs paroles ne s’élevaient guère plus haut que des murmures.
Au bout de quelques minutes, je vis Maman s’agenouillait en face de la personne en pleurant et en hurlant à celle-ci:
« Je vous en prie! Vous devez vous tromper, il n’a que quinze ans! »
Je compris qu’ils parlaient de moi et, sans même réfléchir une seconde, je courus vers ma chambre. Ce fut la première fois que l’on me vit monter aussi vite les escaliers.
De ma chambre, j’entendis la voix de ma mère:
« Où est Marius? »
Il ne me restait guère plus de trente secondes pour me décider sur ce que j’allais faire. C’est assez drôle car, à ce moment, je crus entendre un orchestre formaient par les battements de mon coeur et mon souffle, jouant un terrible brouhaha qui cognait dans mon crâne.
Que devais-je faire? Devais-je partir? Par où partir? Comme pour répondre à toutes ces questions qui sonnaient comme un minuteur dans ma tête, je me jetai sur mon manteau, un cadeau de mon père, le seul objet de valeur de toute la maison. J’entendis des bruits de pas dans l’escalier.
Peut-être n’aurai-je jamais dû faire ce que j’ai fait, mais peut-être serai-je mort si je ne l’avais pas fait. Je sautai par la fenêtre lorsque j’entendis quelqu’un ouvrir la porte de ma chambre. Comment avais-je pu survivre à la chute? Je n’en avais aucune idée mais toujours était que j’avais survécu. Je courrai aussi vite que je pouvais courir, sans regarder derrière moi, sans prêter attention aux cris de ma mère me priant de revenir.
La pluie faisait rage et je n’avais aucune idée d’où aller mais je courais, je courais, toujours plus vite, toujours plus loin, sans m’arrêter.

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