Il espérait un jour de pluie mais même le climat semble se moquer de lui, aujourd’hui. Jamais le soleil n’a été si présent, la température si haute, la chaleur si forte. Il expire longuement.
— Monsieur ?
Franck quitte la fenêtre du regard et se tourne vers la porte de sa chambre. Sur le seuil, la nourrice semble mal à l’aise. Dans ses bras, Hope paraît encore plus frêle que d’habitude dans sa robe noire. La petite a le visage fermé, elle a bien compris que quelque chose ne va pas. L’homme entend à peine son employée lui dire qu’il est l’heure de partir, il n’a d’yeux que pour la seule famille qu’il lui reste.
Il marmonne un vague merci et s’approche pour récupérer son enfant. Cette dernière ne dit rien mais ses grands yeux posent plus de questions que ses lèvres. Ses cheveux sont attachés en une tresse qui lui descend sur l’épaule. Elle a le visage pâle, les traits tirés. Son père la serre très fort contre lui.
Il a longuement hésité avant de l’emmener. Un enterrement est une cérémonie difficile pour les adultes mais elle l’est d’autant plus pour les enfants. Pourtant, après la mort brutale de Sasha, Franck a décidé de ne rien lui cacher. Il ne peut décemment pas la protéger si elle ignore tout du danger. Plus elle sera avertie, formée, plus elle sera prudente et en sécurité.

Après la cérémonie, la marche jusqu’à l’emplacement réservé à sa femme se fait sous un soleil de plomb. Ils sont peu nombreux à s’être déplacés. Franck et Hope, bien sûr, accompagnés de quelques collègues de travail de Sasha. Le couple n’a plus de famille depuis longtemps et Franck se sent plus seul que jamais. Comment va-t-il pouvoir gérer la mort de la seule personne qui l’a toujours accompagné, soutenu ? D’un coup, cette tâche lui semble bien trop lourde. Et il y a Hope.
La petite fille marche à côté de lui, sa main potelée dans la sienne. Elle n’a toujours pas parlé. Il lui a expliqué, quelques jours plus tôt, les raisons de la mort de sa mère. Depuis, il n’ignore pas que l’enfant se pose des questions. Des milliers de questions, même, mais il les fuit pour l’instant. Il lui répondra plus tard, quand il sera capable de passer toute une journée sans pleurer. Hope ne doit pas voir les larmes sur le visage de son père. La faiblesse est exclue.

L’air sent la terre fraîchement retournée et la fragrance des platanes environnants. Debout devant le trou béant, père et fille se tiennent immobiles. Tous les deux ont les joues sèches et le regard vide. Et puis, une voix fluette brise le silence.
— Pourquoi maman n’est plus là ?
Franck prend quelques secondes avant de répondre. Il a besoin de garder un visage impassible.
— Je te l’ai expliqué, Hope. Maman était malade.
— Elle ne reviendra jamais ?
Il baisse la tête vers la fillette. Elle-même a levé la sienne vers lui, attendant une réponse avec un sérieux tel qu’il en reste sans voix pendant un court moment.
— Non, ma chérie.
Sa voix tremble, il se racle la gorge. A sa gauche, Hope tend les bras vers lui. Il se penche pour pouvoir la hisser. Elle sent la lavande, odeur de la lessive qui imprègne encore sa robe neuve. Elle est beaucoup trop jeune pour ça, il aurait tant voulu que cela n’arrive pas si vite.
Hope pose sa tête contre l’épaule de son père, ses petits bras sont passés autour de son cou.
— Papa, est-ce que je vais mourir moi aussi ?
C’est plus qu’il ne peut le supporter. Franck la serre contre lui et enfouit son nez dans ses cheveux bruns. Maintenant que Sasha n’est plus là, tout son amour s’est reporté sur Hope et l’idée même de la perdre à son tour lui est intolérable.
— Ne t’inquiète pas, lui souffle-t-il à l’oreille. Je ferais tout pour que cela ne t’arrive jamais.

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