Timothy était dans sa chambre, son moniteur d’ordinateur ouvert devant lui. Dans sa grande chaise, il réfléchissait. Il venait de créer son propre vlog, un blog mais composé de vidéos, une technique considérée paresseuse pour certains, mais productives pour d’autres. Pour lui, ce n’est ni l’un ni l’autre : il ne fait ça que parce qu’il aime regarder des vidéos en ligne. TechnoGeek News, sur lequel il posterait de l’actualité technologique et sur sa vie en général, serait le point tournant de sa carrière, selon lui. Tim est très axé sur lui-même, il est une personne très égocentrique. Cela repousse beaucoup de gens dans le monde extérieur, il doit donc de se créer une propre personnalité sur Internet. Il cessa de réfléchir et pianota sur son clavier. Son logiciel de montage s’ouvrit et il actionna sa caméra. Il toussota un peu et s’élança :
– Bonjour à tous, mon nom est Timothy Baker. Je vous souhaite la bienvenue sur mon vlog, TechnoGeek News! Je suis très content de commencer cette belle aventure technologique…
On cogna à sa porte. Tim soupira et se leva de sa chaise. Il ouvrit la porte, la mine renfrognée.
– Quoi? dit-il en anglais.
Devant lui, se tenait sa grand-mère. Haute comme trois pommes, passée les soixante-dix ans, cheveux gris et visage couvert de cernes, elle le regardait avec un grand sourire. Elle avait un peu de poids, mais elle n’était pas si grasse que ça. Toujours en anglais, elle dit :
– Le souper est prêt.
– Merci Grand-Ma.
Elle s’en retourna vers la cuisine et Tim arrêta l’enregistrement. Il ferma son ordinateur et sortit de la pièce. Il habitait à New York, une ville cosmopolite au nord-est des États-Unis. Il y demeurait avec sa grand-mère depuis près de 12 ans, en fait, il vivait avec Grand-Ma depuis l’accident de ses parents. Un accident d’avion. Tim n’avait que peu connu le bonheur d’avoir deux parents sous son aile. Dan, son père, était ingénieur. Sylvia, sa mère, était designer de mode. Ils formaient le duo parfait, on n’aurait pu voir ce genre de couple que dans les films d’amour pour pré-adolescentes, et les critiques auraient jugé les personnages «trop stéréotypés». Pourtant, ce type d’amour existait véritablement. Ils étaient faits l’un pour l’autre, et ils sont décédés ensemble. Avant, Timothy était un garçon qui s’amusait toujours. Mais depuis le jour où ses parents l’ont quitté, il s’est comme fabriqué une coquille tout autour de lui, pour ne pas avoir à vivre le même choc émotif qu’il avait vécu précédemment. Il ne parlait à personne à sa garderie, encore moins à son école primaire. Et à son école secondaire? Il parlait quand il le devait, c’est-à-dire en évaluations orales, quand un professeur lui posait des questions ou quand il était rencontré par le directeur. Il fit quelques pas dans l’appartement qui lui servait de logis jusqu’à la table de bois, dans la salle à manger, entre le salon et la cuisine. Grand-Ma avait préparé des poitrines de poulet, avec des patates pillées et des petits pois. Simple comme repas, mais Tim en a toujours raffolé. Les poitrines de poulet de Grand-Ma sont les meilleures de toute l’Amérique, c’est ce qu’il affirmait à chaque repas. Il s’assit devant son repas et commença à manger.
– Tu ne m’attends donc pas?
– J’ai faim, dit-il simplement.
– Va donc me chercher un verre d’eau, petite canaille, dit-elle en souriant.
Grand-Ma savait que Tim avait une personnalité particulière à cause de l’accident de ses parents. Elle tâchait donc de ne pas l’ennuyer avec ça. La première année qu’il avait passé ici, avec elle, fut catastrophique. Tim ne cessait de briser des verres en implorant à Grand-Ma de ramener ses parents. Elle avait beau lui expliquer qu’ils ne reviendraient pas, le jeune garçon ne comprenait pas le terme du mot «mort». C’en était tel qu’elle paya un psychologue pour calmer Tim. Après quelques séances, il devint bien moins turbulent et il finit par comprendre que papa et maman ne reviendraient pas, et que sa famille, maintenant, c’était elle. Dès la fin de ses séances, Grand-Ma tenta de faire revenir le côté extroverti qu’il avait jadis eu, mais en vain. Trois ans plus tard, elle abandonna. Tim évoluera, et peut-être qu’il changera avec l’âge, peut-être qu’il oubliera. Mais encore là. Tim partit chercher un verre d’eau pour sa grand-mère et le déposa juste devant son assiette.
– Merci mon cœur.
En signe de réponse, il hocha de la tête et se mit à manger goulûment. Grand-Ma était inquiète ces temps-ci pour l’avenir de Tim. Il devait choisir une université avant la date limite, qui était dans trois jours. Sinon, il devra attendre un an pour pouvoir continuer ses études.
– Timothy?
Il se tourna vers sa grand-mère et articula un «Quoi» entre deux bouchées.
– Qu’en est-il de l’université?
Tim poussa un soupir. Il finit sa bouchée et but un peu d’eau.
– Je sais pas. Aucune université n’a de programme intéressant ici.
– Et ailleurs? À Philadelphie? À Boston?
– Rien.
Il y eut un lourd silence à la table. Tim en profita pour ingérer d’autre poulet.
– Mais ce programme existe-t-il vraiment?
– Oui, je me rappelle l’avoir vu…
Elle le regarda, un sourcil en l’air.
– …quelque part. Je ne sais plus où, bon!
– Et si tu regardait pour un autre programme?
– Comme quoi?
– Je n’en ai aucune idée… les arts? Tu dessinais toujours quand tu étais petit!
– Oui, mais c’était pour passer le temps.
– Et pourquoi pas le théâtre?
– Je n’ai aucune aptitude sociale, comment veux-tu que je me performe devant une foule de gens près à critiquer chaque faux mouvement que je fais?
Il finit de manger rapidement et alla porter son assiette dans l’évier.
– Je regarderai ça demain, ok? T’en fais pas.
Il embrassa Grand-Ma sur le front et lui souhaita bonne nuit. Il se dirigea vers la salle de bain pour brosser ses dents. Lorsqu’il eut terminé, il se rendit dans sa chambre. Il ferma les rideaux et alluma sa lampe de chevet. Il continua sa lecture de Les Bases de la Programmation Orientée Objet. Jusqu’à ce que ses paupières deviennent lourdes et qu’il tombe endormi.

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