Les Bois de l’Aurore, Zénith.
Mardi 6 mars 2012
5 h 25.

Ce fut la douleur qui la réveilla. Lily se redressa en hurlant, ferma les yeux, et finit par se rouler par terre. De violentes convulsions la secouèrent. L’Anneau s’embrasait et lui brûlait vivement la peau. Un courant électrique ébranla son corps, faisant battre son cœur à un rythme effréné. Elle crut qu’elle ne tiendrait jamais le coup. Son crâne s’apprêta à exploser, une succession de flashs blancs envahirent son esprit.
La douleur devint insoutenable, mais quelques minutes plus tard, elle se calma enfin. Lily gardait les yeux clos et récupérait, inspirant et expirant à pleins poumons. Peu à peu, elle se reconnectait à la réalité. Son cœur retrouva un rythme normal ainsi que sa respiration, et son bijou redevint froid.
Soudain, une autre information lui parvint : la douleur causée par l’accident. Elle se souvint d’un choc brutal qui l’eut assommée sur le coup. Elle se rappela les klaxons, les cris, les crissements de pneus, un craquement et le bruit sourd lorsque son corps fut retombé sur l’asphalte. Son épaule lui faisait affreusement mal à présent. Elle sentait un vif lancinement dans son bras gauche. Son jean était déchiré et ses jambes étaient recouvertes d’égratignures et d’hématomes.
Elle s’attendait à se retrouver allongée sur la route, au milieu de pompiers, d’une foule curieuse et du conducteur. Elle aurait pu aussi bien se situer à l’hôpital à ce moment même. Mais ce ne fut pas le cas. Lorsqu’elle ouvrit enfin les yeux, elle cessa de respirer et se figea.
Lily était allongée au beau milieu d’une vaste et sublime forêt, comme elle n’en avait jamais vu de toute son existence. L’air paraissait plus pur et plus doux qu’à Paris, une légère brise caressait sa peau. Elle écoutait le chant des oiseaux, une mélodie jusque-là inconnue. Des parfums nouveaux et variés de fleurs chatouillaient ses narines. Elle aperçut à une centaine de mètres au-dessus de sa tête un immense plafond verdoyant de feuilles, qui laissait filtrer une lumière vive et chaude. Des papillons blancs effleuraient son visage et ses sens s’extasiaient, comme après une nouvelle naissance. Son rêve fabuleux semblait palpable : Lily contrôlait ses gestes et ses pensées.
Le soleil se levait avec lenteur, et l’Aurore donnait à la forêt de splendides couleurs or et argent. Fascinée, l’étrangère se redressa sur ses jambes chancelantes, la tête tournée vers la cime des arbres inatteignable.
Elle restait figée là, l’air hébété, sans effectuer le moindre geste pendant un long moment. Le temps défilait, le soleil grimpait dans le ciel, et Lily ne se réveillait pas. Elle souhaitait désormais retourner dans la réalité.

Plus tard, bien qu’elle eût consacré des heures entières à l’exploration des lieux en claudiquant, elle était toujours ancrée dans ce monde. La faim tiraillait son estomac et la soif asséchait sa gorge, lorsqu’un son capta son attention. Elle entendit le bruit chatoyant d’une cascade, au loin. Curieuse et déshydratée, elle accéléra la cadence, tant bien que mal, vers ce qui l’attirait comme un aimant.
Malgré ce fugace enthousiasme, ses pas chancelants témoignaient de son angoisse. Elle arriva devant un rocher et le contourna. Ébahie, elle contempla une immense clairière avec de grands yeux exorbités. Un mur naturel haut d’une vingtaine de mètres lui faisait face, sur lequel chutait une cascade scintillante accueillie par un vaste lac émeraude. Lily s’accroupit et but avidement l’eau fraîche. Lorsqu’elle eut terminé, elle s’assit et y plongea ses pieds, attendant avec impatience de se réveiller.
Malgré la beauté et le confort de son rêve étrange, le temps semblait s’étirer indéfiniment. Peut-être se trouvait-elle dans le coma, et ceci était-ce le fruit de son imagination ? Elle était terrorisée à l’idée de rester prisonnière ici, jusqu’à ce qu’elle succombât.

Des heures plus tard, Lily ne quittait toujours pas les lieux. Jamais un songe ne lui avait paru si palpable. Elle avait de nouveau soif et sentait la faim la dévorer peu à peu. Elle ne se souvint pas avoir déjà ressenti de telles sensations dans un rêve, auquel cas elle se réveillait. Son cœur commençait à s’emballer. Paniquée, l’étrangère se leva d’un bond, en proie à l’angoisse.
Après quelques heures de va-et-vient au milieu de la forêt afin de trouver désespérément une sortie, la colère commençait à s’emparer d’elle, elle se sentait impuissante. Ses jambes tremblaient, témoignant d’une grande fatigue. Le soleil se couchait, les bois s’assombrissaient et s’engouffraient dans les ténèbres à mesure que les minutes défilaient. Des perles de sueur se formaient sur son front brûlant.
— JE VEUX SORTIR !
L’incompréhension la rendait folle et lui faisait perdre la raison.
— C’est impossible, murmura-t-elle. Je vais bientôt me réveiller…
Lily tentait avec acharnement de se rassurer, en vain. Elle suivit à nouveau le bruit de la fameuse cascade, quelques mètres plus loin. Elle contourna le rocher et s’approcha du bassin afin de boire quelques gorgées d’eau fraîche, le visage tiraillé. Ses gestes devenaient sauvages et maladroits. Quelques derniers rayons de soleil persistaient, éclairant encore un peu la clairière.
Quand soudain, une branche craqua. Elle se figea aussitôt, le cœur au bord des lèvres, tandis que la nuit l’avait engloutie. Un silence perçant l’assourdit. C’était effroyable. Des sueurs froides irritèrent son échine, ses jambes tremblèrent. Lentement, elle se retourna, retenant sa respiration.
Elle se retrouva face à une masse énorme et sombre. Paralysée par l’épouvante, Lily se vit dans l’incapacité d’effectuer le moindre geste. La silhouette ressemblait à celle d’un lion géant. Des dents acérées scintillaient à la lueur de la lune. Elle songea un instant que la créature ne l’entendrait pas. Malheureusement, son cœur battait bien trop fort pour qu’aucun être de la forêt ne pût l’intercepter.
L’instant d’après, l’énorme bête prit de l’élan et fondit sur sa proie, rugissant avec fureur. Sa victime esquiva de justesse cette attaque en se jetant au sol. La créature chuta dans l’eau comme une pierre, permettant à Lily de filer à toute allure en plein cœur de la forêt. Elle galopa entre les arbres, aussi vite que ses poumons et ses jambes le lui accordaient. Elle chevaucha les racines sinueuses, fonça dans les buissons touffus, se dégagea des lianes, des branches, des obstacles qui ralentissaient sa course infernale. Elle trébucha, haleta et finit par éclater en sanglots tout en bondissant, fuyant le monstre à ses trousses. Ce cauchemar lui soulevait les viscères.
Lily parvint à entendre les pas lourds de la créature s’enfoncer dans la terre et s’élancer au rythme de sa course déchaînée. Le prédateur réduisait la distance qui les séparait.
Quand soudain, un rugissement sinistre retentit. Elle tressaillit. Le sol vibra et se déroba sous ses pieds. La bête bondit, et Lily dégringola dans une raide et longue pente. Elle eut à peine le temps de sentir des griffes aiguisées lui entailler l’intérieur du poignet droit, avant de perdre connaissance…

L’Hôpital Cochin, Paris.
Mercredi 7 mars 2012
9 h 10.

Lily se réveilla en sursaut, et inspira à pleins poumons comme après un long moment d’apnée. Elle s’agita dans tous les sens et se redressa promptement, plaquant sa main droite sur sa gorge. Elle portait toujours l’Anneau autour du cou dont la chaleur persistait. Elle était vêtue d’une blouse et se trouvait dans un lit, perfusée, au centre d’une chambre au sol trop propre et aux murs blanchâtres. L’odeur du désinfectant avait embaumé l’espace. De toute évidence, elle résidait à l’hôpital.
Elle portait des bandages sur ses multiples plaies aux jambes, et une attelle soutenait son bras gauche. Lily fut soulagée de se retrouver là, dans le monde réel, après le rêve étrange qu’elle avait visionné — le cauchemar, devrait-elle penser. Pourtant, elle se souvenait très clairement de la bête féroce qui l’avait pourchassée et de sa griffure.
À cette douloureuse anecdote, elle sentit des picotements lui démanger la partie inférieure de son poignet droit. Puis, à force de se concentrer sur ce détail agaçant, elle réalisa peu à peu que quelque chose de chaud coulait dans sa main. Intriguée, elle baissa lentement les yeux vers ses doigts. Elle se figea, pétrifiée, et poussa un cri de frayeur : du liquide écarlate ruisselait et avait taché les draps immaculés. Cinq profondes entailles creusaient sa peau blanche. Elle appuya son bras contre son ventre et haleta, les larmes dégoulinantes.
— À l’aide ! Y’a quelqu’un ? Je suis blessée !
Le sang affluait, et le diamètre de l’auréole rougeoyante sur sa blouse ne cessait de s’accroître à un rythme inquiétant. Maintenant qu’elle avait pris conscience de ses lésions, la douleur s’intensifia. Elle mit un certain temps à réaliser l’envergure de ces drames. Comment s’était-elle entaillé le poignet ? La plaie ressemblait à des marques de griffes. Elles ne s’apparentaient pas du tout à celles d’un chat, mais bien à celles d’un tigre, d’un lion ou d’un ours. Pourtant, se faire attaquer par une énorme créature de son cauchemar était absurde.
Choquée, la jeune femme demeurait muette, le cœur agité. Une pensée percuta alors son esprit : peut-être était-elle atteinte de somnambulisme ? Après son accident, les flashs étranges, les mystérieux courants électriques — qu’elle n’expliquait toujours pas — elle serait sans doute sortie de l’hôpital cette nuit pendant son état d’inconscience, dans les rues de Paris, et un gros chien l’aurait griffée.
Cette éventualité semblait peu plausible. Comment aurait-elle réussi à quitter cet établissement sans qu’aucun personnel médical la remarquât ? Comment serait-elle revenue de son plein gré ? À moins qu’on l’eût trouvée dehors, cette nuit, et qu’on l’eût ramenée à l’hôpital. Dans ce cas, pourquoi ne lui avait-on pas soigné ses entailles ? Cela n’avait aucun sens.
Une infirmière entra dans sa chambre, et resta figée au seuil lorsqu’elle vit la blouse et les draps imbibés de sang.
— Mademoiselle ! Que vous est-il arrivé ? s’exclama-t-elle, s’approchant d’elle afin d’étudier la plaie.
Puis elle interpela une collègue qui passait par là, lui ordonnant d’appeler le médecin.

Plus tard, on la ramena dans la chambre où elle s’était réveillée, le poignet suturé et bandé. On lui apporta à manger sur un plateau qu’elle dédaigna. Son appétit était coupé à présent, tout lui semblait incompréhensible et irrationnel. Le médecin qui l’avait soignée entra ensuite et s’assit sur un tabouret.
— Vous sentez-vous mieux, Mademoiselle Aurora ? demanda-t-il d’un ton chaleureux et perplexe à la fois.
Lily fronça les sourcils et détourna la tête, regardant l’horizon par la fenêtre. Il pleuvait encore des cordes. Et pas une once d’humidité ne perlait ni sur elle ni sur ses cheveux. Ceci portait à croire qu’elle était restée enfermée dans cet hôpital toute la nuit, et qu’elle ne s’était pas aventurée dans les rues de Paris. Alors, comment avait-elle bien pu se mutiler ainsi ?
Le médecin la dévisageait avec insistance et croisait les bras, il ne pouvait dissimuler son air incrédule.
— Écoutez, Mademoiselle Aurora… Comment dire ? Toute l’équipe médicale s’interroge sur la cause de vos blessures au poignet, sachant qu’elles n’existaient pas lorsque nous vous avons ramenée ici hier soir, à la suite de votre accident… Vous rappelez-vous quelque chose ?
Elle se souvenait de son rêve oui, à la perfection, dans le moindre détail. Cela ne correspondait pas à de vagues flashs d’un songe quelconque qu’elle peinerait à se mémoriser. Non, il lui semblait avoir quitté cette mystérieuse forêt quelques heures plus tôt. Elle tremblait encore de peur à cause de l’attaque de la créature. Les images demeuraient très claires, nettes, sans aucune zone d’ombre. Elle s’y était vraiment rendue, là-bas ! Bien sûr, elle se garda bien d’en révéler un mot au médecin. Il la prendrait pour une déséquilibrée.
— Non, je ne me souviens de rien, mentit-elle. Je rentrais de l’université… J’étais un peu perturbée alors… j’ai traversé la rue sans regarder et… plus rien ensuite. Je me suis réveillée ici, avec cette plaie au poignet.
— Avez-vous bien dit que vous étiez perturbée ? demanda-t-il, tentant de la sonder avec ses yeux perçants. Êtes-vous angoissée en ce moment ?
Que lui voulait-il, celui-là ? Se prenait-il pour son psychiatre maintenant ? Que soupçonnait-il ?
— Est-ce que vous vous sentez triste, parfois ? poursuivit-il sur le même ton neutre. Des idées noires vous obsèdent-elles ? Êtes-vous envahie par la sensation d’être espionnée ? Subissez-vous des troubles de la mémoire ? Des sautes de l’humeur ou ce genre de choses… ?
Oui, elle possédait quasiment tous ces symptômes réunis, mais elle ne souffrait pas de dépression ! Lily se sentait très bien malgré tout. Et elle avait encore moins des envies suicidaires.
— Pensez-vous vraiment que c’est moi qui me suis taillé les veines ?
Elle avait pour habitude de longuement réfléchir avant de s’adresser à un inconnu. Après ces évènements, elle avait changé. Cet homme ne l’impressionnait pas, elle le regardait droit dans les yeux à présent, sans ciller.
— On se pose la question, dit-il. Personne n’est entré dans votre chambre, et vous n’en êtes pas sortie non plus, nous avons vérifié les vidéos des caméras de surveillance dans les couloirs. Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que vous vous êtes blessée cette nuit, dans cette chambre, et vous étiez seule, cela est certain.
— Et avec quoi j’aurais bien pu m’infliger ça, hein ? rétorqua-t-elle, sentant la colère la submerger. Voyez-vous un outil tranchant dans les parages ? Mes poches et mon sac sont vides ! Fouillez si vous voulez ! Et je suis attachée à ce lit par tous ces tubes et ces aiguilles ! Je n’ai pas pu bouger d’un millimètre !
L’homme paraissait désemparé, il ne trouvait aucune explication à cet étrange phénomène. Son visage se ferma tout d’un coup, il devint beaucoup plus taciturne.
— C’est compréhensible que vous soyez si déprimée… Vous l’avez vu dans l’autre chambre votre… hum hum… euh… laissez tomber.
Il se racla la gorge et dit quelque chose que Lily n’écoutait plus, avant de disparaître. Elle avait déjà tourné la tête vers la fenêtre sur laquelle une tempête de pluie s’abattait.

Plus tard, quelqu’un entra dans sa chambre et vint s’assoir au bord du lit.
— Bonjour ma chérie ! Comment ça va ?
Lily daigna la regarder et se laissa docilement enlacer bien que son esprit s’évadât.
— J’étais morte d’inquiétude ! Je suis tellement rassurée que tu sois réveillée…
— Maman… ils pensent que j’ai tenté de mettre fin à mes jours cette nuit, mais ce n’est pas vrai ! Ils disent n’importe quoi ! Je n’aurais jamais pu faire une chose pareille, j’ai horreur du sang ! Je suis incapable de blesser qui que ce soit, et encore moins de me faire du mal ! Je n’aurais jamais pu faire ça ! J’espère que tu ne crois pas ce qu’ils disent…
— Chuuut, ma chérie, ne t’inquiète pas, la rassura-t-elle en lui tapotant le dos. J’ai déjà contacté un psychiatre, tu pourras lui confier ce que tu as sur le cœur, j’aurais dû y songer avant, c’était évident…
— JE NE SUIS PAS FOLLE ! s’écria-t-elle, furibonde, la repoussant. Je…
Elle s’interrompit, elle ne pouvait rien révéler au sujet de son rêve. Sinon, elle serait démasquée comme une schizophrène notoire.
— Je ne suis pas folle, répéta-t-elle dans un murmure comme pour s’en convaincre.
Silence.
Isabelle la dévisageait d’un air affligé.
— Je t’aime, ma chérie…
— Je veux partir et ne plus jamais revenir, affirma-t-elle d’un ton cinglant. Je vais très bien ! Je peux encore marcher, alors foutons le camp d’ici !
Étant elle-même chirurgienne à cet hôpital, et gérant le personnel, Isabelle alla s’entretenir avec le médecin, et revint un peu plus tard, habillée de sa veste. Lily s’était changée. Son sac à l’épaule, elle emboîta le pas vers la sortie.
— Rentrons, décréta Isabelle d’une voix faussement calme.
Ses doigts s’agitaient et sa nervosité se manifestait de plus en plus. Ces détails n’échappèrent pas à Lily. Était-ce pour sa fille qu’elle s’inquiétait ? Son comportement l’interpela : Isabelle fuyait son regard et semblait très pressée.
— Pourquoi me fixes-tu ainsi, Lily ? Allons-y, dépêchons-nous !
La jeune femme fronça les sourcils, suspicieuse, et parcourut le long couloir aux murs blanchâtres. Elle n’était jamais venue ici.
Lily aperçut plusieurs malades dans les chambres à travers de larges fenêtres. Une sensation étrange la cernait progressivement au fil de ses pas indécis. Son cœur battait de plus en plus fort. La cadence s’accélérait gravement pour une raison qu’elle ignorait. Elle eut le sentiment que ses palpitations résonnaient dans tout l’hôpital. La jeune femme n’entendit plus rien ensuite. Elle eut la vague impression que quelque chose l’attirait, comme un aimant. Un bref courant électrique parcourut son corps. Elle sursauta. La peau de son buste brûlait. Elle se figea, prétexta à sa mère une envie soudaine d’aller aux toilettes, et s’y rendit, affolée. Elle se dévisagea dans un miroir : l’Anneau avait laissé une vive marque sur sa poitrine. Elle fronça les sourcils, l’air incrédule.
Silence.
Elle agita la tête, sortit des w.c., puis rejoignit sa mère. Son regard glissa d’une dame âgée à une fillette transfusée, en passant par un jeune homme endormi. Son attention s’attarda sur lui. Elle referma ses doigts sur l’Anneau, et déroba la main à cause de son incandescence. Troublée, elle dévisagea l’inconnu et tenta d’ignorer son bijou. Il semblait paisible dans son sommeil. Des mèches brunes retombaient avec grâce sur son visage impassible. La vision de cet homme éveilla chez elle un vif intérêt.
— Pourquoi ce garçon attire-t-il ta curiosité ? Allons-y !
— Non, attends, affirma Lily.
Elle continuait de le dévisager. Son Anneau ne cessait de monter en température.
— Pourquoi t’intrigue-t-il ?
— Je ne sais pas. Quelque chose… d’étrange…
Lily finit par agiter la tête et poursuivit son chemin, sous le regard terrorisé d’Isabelle. On aurait dit qu’elle venait de voir un fantôme ! Ce n’était certainement pas elle que les médecins devaient interner, mais sa mère !
— Je te sens très stressée, maman, détends-toi.
Celle-ci se força à sourire et resta silencieuse jusqu’à ce qu’elles pénétrassent dans la voiture. Pendant le trajet, Lily suivait des yeux le parcours du soleil qui déclinait inexorablement. La circulation paraissait plus dense, plus bruyante, accentuant son angoisse dévorante.
Elles arrivèrent enfin devant la porte d’entrée. Des sueurs froides l’inondaient, des frissons écorchaient son échine et la firent tressaillir. Sa nuque se raidit et des lancinements progressèrent jusqu’en bas de ses reins. L’Anneau qu’elle portait paraissait lourd, comme si, tout d’un coup, du plomb le composait. Il était devenu en l’espace de quelques heures un fardeau.
Sa mère sortit les clés de sa poche avec des gestes fébriles. Ses mains continuaient de trembler. Elle les laissa tomber, et les ramassa fiévreusement.
Elles entrèrent ensuite, et se dirigèrent vers le salon, le visage tourné vers la grande baie vitrée, feignant de contempler la vue. Lily s’isola dans sa chambre sans attendre et s’affala sur le lit.
Quelques minutes plus tard, ses paupières se refermèrent. Le Crépuscule envahissait progressivement le monde dans lequel elle vivait. Son cœur palpitait dans sa poitrine, comme si son corps et son esprit appréhendaient quelque chose, et s’impatientaient.
Lily Aurora eut à peine le temps de sentir l’Anneau brûler sa peau et ses nerfs s’électriser avant de sombrer dans l’inconscience…

11