Rue Mouffetard, Paris.
Dimanche 14 octobre 2012.
08h50.

Dix jours filèrent aussi vite que le vent. Sur Zénith, Victor était toujours en prison. Les Elfes l’avaient torturé trois jours et trois nuits supplémentaires, mais il n’avait lâché aucune information au sujet de son père. Rien du tout. Sa loyauté envers ce monstre était infaillible. Lily n’était pas retournée le voir depuis leur dernière conversation. Elle s’était défendue de lui adresser la parole jusqu’à ce qu’il révèle des informations aux Elfes. Autrement, il ne valait pas mieux que Sian, quelque soit l’affection qu’elle lui portait.
La Reine avait pris la décision de cesser de le torturer. En revanche, elle avait interdit à ses gardes de lui apporter à boire et à manger dans sa cellule. Ainsi, il serait contraint de passer aux aveux s’il ne voulait pas dépérir dans sa cage. Étant donné que Lily possédait les deux Trésors sur elle, Victor avait disparu de la Terre et résidait continuellement sur Zénith jusqu’à ce qu’il possède de nouveau un Trésor. Sa mère était terriblement inquiète et se posait mille questions au sujet de son absence inopinée.
— Il faut que tu me dises pourquoi Aaron est parti ! s’emporta Isabelle, le visage décomposé par la peur. Que lui est-il encore arrivé, là-bas ?
Elles se trouvaient dans le salon. Isabelle sirotait un thé pendant que Lily était confortablement assise sur le canapé en train de l’observer. Sa mère l’avait obligée à s’assoir afin de discuter sérieusement au sujet de son fils.
— Tu es certaine de vouloir connaître la vérité ? demanda-t-elle, soucieuse de sa réaction.
— Évidemment ! La semaine dernière, tu es restée trois jours sur Zénith ! s’exclama-t-elle, fâchée. Tu ne veux rien me dire, mais j’aimerais à présent que tu me révèles ce qui se passe ! Je m’inquiète moi, bon sang ! Mes deux enfants vivent sur une autre planète !
Lily inspira vigoureusement avant de s’empêtrer dans de longues explications. Elle révéla ce qu’elle savait et n’omit aucun détail : que ce soit au sujet de la Guerre qui approchait, des Ombres qui risquaient d’envahir la Terre, ou de l’emprisonnement d’Aaron. Elle lui confia absolument tout. Isabelle s’affaissait de plus en plus au fur et à mesure que les déclarations tombaient.
— Attends… murmura-t-elle. Tu es donc en train de me dire que… que mon fils est un traître ? Qu’il… qu’il se considère vraiment comme le fils de l’autre dictateur ?
Lily baissa gravement la tête, regrettant déjà de lui avoir révélé ces tragiques informations.
— Oui, c’est un peu ça. Mais il faut le comprendre, tu sais… Aaron n’est pas tellement ton fils. Ce n’est pas contre toi, maman. Mais il se fiche complètement des liens de sang qui nous unissent. Il n’est pas comme nous. Il raisonne comme Sian Valtori… Il est complètement embrigadé.
Isabelle se mit à éclater en sanglots, sans prévenir. Bouleversée par le chagrin de sa mère, Lily se leva et s’assit à ses côtés. Elle lui caressa délicatement le dos, et prit sa main dans la sienne.
— Ne t’inquiète pas, maman. Je te promets d’arranger les choses…
— Et qu’est-ce que tu peux faire ? C’est trop tard ! explosa-t-elle, abattue.
— Un jour, peut-être, je retrouverai le troisième Trésor du Temps, déclara Lily d’un ton déterminé. Il s’agit d’un Sablier qui permet de remonter le temps…
Isabelle releva la tête, l’air ahuri, et dévisageait sa fille. Ses yeux hurlaient d’espoir. Cette histoire de voyage dans le temps lui semblait complètement absurde et irrationnelle — surtout pour elle qui était médecin. Mais seulement, au vu de la situation, elle espérait simplement que ce soit vrai.
— Je te promets que si je parviens à voyager assez loin dans le passé, jamais je ne permettrais que papa meurt ou qu’Aaron subisse ce qu’il a subi. J’empêcherais Sian de nuire. Nous serions alors une famille unie, et enfin heureuse…
Isabelle renifla grossièrement, se moucha, sourit pendant un bref instant et dit :
— J’espère que tu dis vrai, et que tu parviendras à changer les choses… Si seulement… si seulement ça pouvait être vrai…
— Ça l’est, maman, je te le promets…
Silence.
— Je dois te laisser. J’ai des choses à faire sur Zénith. Les Elfes préparent une Fête et une Guerre…
Isabelle leva les yeux au ciel et ne put retenir un éclat de rire nerveux.
— Tu me surprendras toujours avec tes histoires de monde parallèle et d’Elfes…
Lily se leva d’un bond, adressa un dernier sourire réconfortant à sa maman, avant de retourner dans sa chambre. Assise sur le lit, elle prit la fiole qui lui permettait de s’endormir sur-le-champ. Elle l’ouvrit, la porta à ses lèvres et en avala une goutte. Elle s’allongea confortablement et sombra aussitôt dans l’inconscience.

Aurora, Zénith.
Dimanche 14 octobre 2012.
21h15.

La jeune femme se leva souplement du vaste lit encastré dans le sol. Il faisait nuit. Demain, au lever du jour, le Fête de l’Ambre débuterait, et durerait la journée jusqu’au coucher du soleil, le 15 octobre. Malgré la Guerre qui menaçait d’éclater à tout moment, les Elfes tenaient à conserver cette tradition qui leur était précieuse.
Durant cette fête exceptionnelle, l’Ambre flamboyait et produisait un puissant jet de lumière qui atteignait le ciel. Apparemment, c’était ainsi que les Elfes rappelaient aux Zénithiens leur puissance et leur supériorité. Ils étaient des êtres de « lumière », et tenaient à se différencier des Ombres qui étaient des êtres des « ténèbres ». Quelque part, ce seul jour de l’année était l’occasion pour eux de fêter leur différence par rapport à leurs ennemis.
Quoi qu’il en soit, Noah lui avait appris la veille qu’Éléna désirait la voir en personne. Lily ne voulait aucunement s’entretenir avec elle, pas depuis qu’elle s’était montrée ingrate, odieuse, et qu’elle avait torturé son frère. Malheureusement, elle était la Reine et elle se devait de se soumettre et de la respecter. Ainsi, elle fit fi de sa rancœur et décida de se rendre à la Tour Royale comme Éléna l’avait exigé, à 21 heures 30.
Lily sortit de la demeure de Noah et parcourut les rues désertes d’Aurora, jusqu’à atteindre l’immense Tour Royale. Elle s’arrêta au seuil de la porte en ébène, soigneusement gravée d’arabesques ancestrales. Deux gardes y étaient postés de part et d’autre, et regardaient droit devant eux. Elle inspira profondément et se prépara au pire.
Qu’allait-elle lui dire encore ? Lui faire des reproches ? Lui apprendre la mort de son frère ? Lui donner une nouvelle mission suicide à faire ? Elle finit par faire un pas de plus, et les deux gardes s’empressèrent de lui ouvrir la porte avec une synchronie parfaite.
Elle devait se rendre à la Galerie Royale. Lily n’y était encore jamais allée. Elle ne connaissait de cette tour que la chambre de Lixi — son cœur se serra immédiatement dans sa poitrine à cette pensée — la salle de réunion où les Héliogiciens se retrouvaient régulièrement, et la petite salle au fond où elle avait vu Éléna jouer du piano.
Lorsqu’elle entra dans le hall, elle fut surprise par le monde qui s’affairait à décorer la demeure. Ce devait être pour la Fête de l’Ambre. Elle se déroulerait ici apparemment, puisque l’Ambre se trouvait dans la salle de réunion. Des femmes — Elfes et Humaines — déposaient des fleurs, nettoyaient les sols et accrochaient des tissus de décoration qui drapaient les murs. Les hommes installaient les tables, les chaises et réorganisaient les lieux. La fameuse galerie où se trouvait le trône de la Reine était à droite en entrant. Elle s’y approcha et deux nouveaux gardes lui ouvrirent à son arrivée.
Là, une immense salle s’offrit à elle. La Galerie Royale était spectaculaire et d’une beauté sans pareille, longue de cent mètres environ et large de vingt mètres. Le plafond était aussi haut que celui d’une cathédrale. Il était soutenu non pas par des murs, mais par des colonnes de pierre recouvertes de plantes grimpantes. Cette galerie reposait sur un rocher. De part et d’autre, le vide s’étendait.
Sur la gauche, à une dizaine de mètres à l’extérieur de la galerie, il y avait une vertigineuse montagne et une cascade fabuleuse chutait, rendant l’atmosphère fraîche et humide. La salle — ou la terrasse plus exactement — devait être baignée de lumière en pleine journée. Les lieux étaient magnifiques et Lily resta figée quelques instants.
— Approche ! ordonna la Reine au loin, d’une voix claironnante.
Elle parcourut l’allée jusqu’à se trouver à quelques mètres d’un trône resplendissant. La Reine y était dignement installée, entourée de ses quatre servantes.
— Allez me chercher le présent que j’ai à offrir à cette femme, ordonna-t-elle sur un ton autoritaire.
Les quatre Elfes et Humaines s’empressèrent de quitter les lieux et d’obéir aux ordres de la Reine. Quelques secondes plus tard, l’Ombre et l’Elfe étaient seules, face à face, et se jaugeaient du regard. Soudain, contre toute attente, Éléna sourit, d’un sourire si rayonnant qu’il sonnait faux.
— Je suis désolée de te déranger à cette heure, commença-t-elle d’une voix doucereuse. Je dois te parler de deux choses au sujet de la Fête de l’Ambre qui se déroulera demain dès l’Aurore.
Son ton était calme, son regard serein et ses gestes doux. Une tout autre femme se trouvait devant elle. Éléna était comme elle l’avait connue à son arrivée sur Zénith, avant que Lixi les trahisse. Elle n’était plus la femme haineuse et machiavélique de ces dernières semaines. Son comportement instable la déstabilisait sérieusement. Lily ne savait plus à quoi s’attendre avec la Reine des Elfes. Peut-être était-ce un masque qu’elle voulait se donner, et qu’en réalité, elle était vraiment mauvaise. Elle l’ignorait.
— Tout d’abord, dit la Reine, comme tu le sais, cela fait un peu plus de sept mois que tu es parmi nous, et la population est dans l’ignorance à propos de ta réelle identité. Ils ignorent que la descendante de Jeanne Aurora tant attendue est ici même. En ces temps durs, il est arrivé le moment où nous devons dévoiler au grand jour qui tu es vraiment. Nous pensions avec Noah que demain serait l’occasion parfaite pour cette annonce officielle. Notre peuple a besoin de retrouver un peu d’espoir…
Se présenter devant des milliers de gens et préparer un discours étaient les dernières choses qu’elle voulait affronter.
— Ne t’inquiète pas, tu n’auras rien à dire, poursuivit-elle comme si elle avait lu ses pensées. Je vais t’expliquer un peu le déroulement de la journée…
La Reine s’éclaircit la gorge avant de continuer :
— À l’Aurore, à 8 heures 13, tous les habitants se tiendront à la Grande Place, là où repose une fontaine, à côté de l’Institut, afin d’assister au spectacle : l’illumination de l’Ambre. Ensuite, nous suivrons le cortège jusqu’à la Tour Royale, afin de prendre part au banquet. Nous pourrons ainsi boire, manger et festoyer. Lorsque le soleil sera au Zénith, vers 13 heures 30, Noah et moi annoncerons la fameuse nouvelle. Tu auras juste à sourire et à attendre que les acclamations soient terminées avant de retourner à la fête. Après cela, nous danserons jusqu’au coucher du soleil…
— Très bien, dit Lily. Je ne doute pas que cette journée sera inoubliable.
L’instant d’après, les quatre servantes qui étaient parties revinrent hâtivement, chargées de malles en or serties de diamants, d’émeraudes et de rubis. Lily fut ébahie par la beauté de ces objets — qui ne faisaient office que de contenant.
— Voilà la deuxième chose que je tenais à t’apprendre, claironna la Reine avec fierté. Ouvrez ces malles et présentez-lui la robe.
Les femmes s’exécutèrent aussitôt et présentèrent à Lily ce qu’il y avait à l’intérieur. Elles en sortirent, avec la plus grande des précautions, une robe en dentelle noire absolument magnifique. Elle était parfaitement taillée. Les bras et le dos étaient nus. Dans d’autres malles, elles sortirent des chaussures à talon noires, et des gants en dentelles, finement tissés. Il y avait également des bijoux et une magnifique broche sertie d’émeraudes et de diamants à accrocher dans les cheveux. Lily était ébahie par la beauté et la délicatesse de cet apparat.
— Cette robe appartenait à Jeanne Aurora, ton ancêtre. Lorsqu’elle est arrivée ici pour la première fois, et qu’elle a manifesté toute son amitié à notre égard, j’ai décidé d’engager les couturiers et les bijoutiers les plus renommés de la ville afin de lui créer ce présent que tu as sous les yeux. Elle a mis cette robe pour toutes les Fêtes de l’Ambre qu’elle a vécues avec nous. Cela va de soi que cette robe te revient aujourd’hui. Tu la mettras demain, évidemment.
Lily était ravie de recevoir un si beau cadeau. Elle se confondit en remerciements sous le regard satisfait de la Reine.
— Je suis très heureuse qu’elle te plaise, Lily.
Éléna se tourna ensuite vers ses servantes et leur ordonna :
— Apportez les malles chez Noah. Je veux que deux d’entre vous dorment là-bas pour aider Lily à se préparer demain matin.
Les femmes acquiescèrent vivement avant de s’éclipser avec le précieux cadeau de la Reine.
— Je suis très touchée, vraiment merci…
— Ce n’est rien. Tu es une invitée privilégiée ici, tu le sais bien, dit-elle d’une voix mielleuse. Je te libère maintenant. La nuit sera courte et une belle journée nous attend demain.
Sa gentillesse et sa bienveillance la confondirent. Juste avant son voyage pour les Marais Hurlants, Lily avait été une Ombre clandestine, voire une moins que rien aux yeux de la Reine, jusqu’à ce que Noah lui révèle qu’elle redeviendrait humaine en possession des trois Trésors du Temps.
Lily lui adressa un timide sourire et se retourna avant de se figer. Elle désirait lui poser une question depuis un moment déjà, mais elle craignit qu’elle soit déplacée, surtout après le beau cadeau que la Reine venait de lui offrir. Elle resta immobile pendant de longues secondes.
— N’hésite pas à me confier ce qui te chagrine, ma petite, remarqua-t-elle d’une voix cristalline.
Lily se retourna lentement et regarda ses pieds, avant de déclarer :
— Ma Reine, j’aimerais que vous m’éclaircissiez sur un point… Cela va peut-être vous surprendre mais… J’ai besoin savoir.
L’Elfe se dandina gracieusement sur son trône, posa son menton sur ses phalanges et fixa l’Ombre de ses yeux brillants.
— Vas-y, je t’en pris, encouragea-t-elle.
— Voilà, cela fait quelques mois déjà que j’ai eu une… une vision de vous… en train de jouer du piano. Mais vous n’étiez pas seule…
La Reine fronça les sourcils, ne laissa rien paraître, et lui fit signe de poursuivre, intriguée.
— Un homme était assis à vos côtés, confia-t-elle sur un ton hésitant. Il vous apprenait à jouer du piano. Si je me rappelle bien, il s’agissait des Nocturnes de Chopin ou des Gnossiennes d’Érik Satie. Je ne connais pas cet homme. Il n’existe pas… à notre époque en tout cas. Il était brun, il avait le teint pâle et il était plutôt beau garçon. Il avait une vingtaine d’année. Cette personne vous dit-elle quelque chose ? Vous savez qui c’est ?
Lily trépidait à l’idée de résoudre enfin cette énigme, de savoir si elle était folle, si ses visions étaient réelles, si elles concernaient le futur ou le passé. Elle connaîtrait peut-être enfin l’identité de ce mystérieux Inconnu dont elle tombait peu à peu sous le charme au fil du temps, et contre son grès.
Elle décela pendant un bref instant de la surprise dans les yeux de la Reine, mais celle-ci devint aussi impassible qu’un mort une fraction de seconde plus tard.
— Je suis désolée, ma petite, mais je ne connais pas cette personne, affirma-t-elle avec froideur.
La jeune femme regarda dans une autre direction et resta bloquée ainsi pendant un court moment. Elle voulut insister, férocement, mais elle ne voulait pas non plus se montrer désagréable.
— D’accord, concéda-t-elle, terriblement déçue. Ce n’est pas grave. Mes visions me jouent des tours et n’ont aucun sens. Je suis désolée de vous avoir dérangée avec ma question idiote. Je vous laisse à présent.
Sur ces mots, Lily adressa un dernier sourire forcé à la Reine et quitta les lieux, penaude.
Éléna se retrouva donc seule sur son trône. Sa jambe se mit étrangement à s’agiter, sa mâchoire se contracta durement et son regard devint de plus en plus noir à mesure que ses émotions la submergeaient. Sa respiration s’accéléra et son cœur s’emballa follement. Quelques larmes se formèrent dans ses prunelles et glissèrent rapidement sur ses joues. Bouleversée, elle se murmura à elle-même :
— Pourquoi… pourquoi, ma petite, m’as-tu vue avec lui ?

Aurora, Zénith.
Lundi 15 octobre 2012.
06h30.

Lily était assise au bord de la terrasse de sa chambre, le dos collé contre une colonne, sa jambe droite pendant nonchalamment dans le vide. Elle était restée là toute la nuit, à songer sur les évènements passés, présents et futurs. Malgré les ténèbres qui approchaient à grands pas, elle était heureuse de vivre une journée comme celle-ci. Ce serait sans doute la première et dernière grande fête qu’elle connaitrait. Elle trépidait d’impatience.
Soudain, quelqu’un frappa à la porte. La jeune femme sursauta, se leva d’un bond et l’ouvrit.
— Bonjour Lily, nous venons vous aider à vous préparer, dit l’une des servantes de la Reine.
— Ah oui ! C’est vrai… Laissez-moi prendre un bain avant, et vous pourrez repasser d’ici dix minutes, d’accord ?
— Très bien, mademoiselle, nous repasserons, dit-elle avant de refermer la porte.
Lily se dirigea aussitôt dans la salle d’eau et se fit couler un bain bien chaud et moussant. Elle ferma les yeux et profita de ce bref instant de paix.

Quelques minutes plus tard, elle sortit de la majestueuse baignoire — à contrecœur — et se sécha avec une épaisse serviette blanche. Elle enfila ses sous-vêtements et attendit que les deux servantes entrent dans la chambre avec les malles.
L’instant d’après, elles entrèrent les bras chargés et s’affairèrent à déballer les valises. Elles vêtirent Lily de la fameuse robe, lui bouclèrent les chaussures à talon aiguille et lui enfilèrent les gants en dentelles. Puis elles la maquillèrent, coiffèrent ses cheveux rouges-sang en un chignon sophistiqué, et attachèrent la broche sertie de pierres précieuses. Elles lui accrochèrent ensuite la chaîne en or où pendaient l’Anneau et la Montre. Lorsqu’elle fut enfin prête, les deux servantes accompagnèrent l’Élue face à un miroir.
Lily fut surprise : elle se trouvait vraiment belle. Elle ne pouvait qu’admettre que cette robe lui allait à merveille.
— Voilà, vous êtes prête à rejoindre votre cavalier, s’exclama l’une des servantes, le sourire aux lèvres. Vous serez la plus belle, aujourd’hui.
Lily eut la vague impression de se préparer pour le jour de son mariage, malgré la couleur noire de sa robe. Elle agita la tête afin de chasser cette sotte idée. Elle avait parfaitement conscience que ce jour n’arriverait jamais : son destin était de vivre dans le passé d’un monstre afin de l’anéantir. Aucune autre issue ne l’attendait que la mort…
Soudainement excitée à l’idée de vivre cette journée, elle se laissa accompagner jusqu’en bas de l’escalier où Kaël l’attendait. Lui aussi s’était mis sur son 31. Il était charmant. Pendant qu’elle descendait les marches, l’Elfe la reluqua sous toutes les coutures, d’un air béat. Lorsqu’elle fut enfin à ses côtés, elle prit le bras qu’il lui présentait, et ne put s’empêcher de lui rendre son sourire rayonnant. Avec lui, c’était l’Aurore avant l’heure.
Huit heures : le soleil se lèverait dans treize minutes exactement. Ils ne devaient plus tarder à présent. Lily remercia les servantes de leur superbe travail, et partit avec Kaël vers la Grande Place où les habitants d’Aurora se retrouvaient afin d’assister au fameux spectacle annuel. La place était déjà bondée. Ils étaient si entassés que certains avaient grimpé la fontaine, d’autres étaient restés dans leur demeure et se tenaient sur les terrasses arrondies. Tout le monde était là pour assister à l’événement. Kaël et Lily restèrent en retrait, mais se mirent à un endroit où la vue sur la Tour Royale, au loin, était imprenable.
Les secondes et les minutes défilèrent. Il faisait encore nuit mais une pâle lueur commençait à apparaître de l’autre côté de la montagne, à l’Est. Cette lueur s’intensifia peu à peu. Des couleurs éclatantes apparurent.
Le sommet de la montagne était maintenant éclairé d’un halo de lumière vive et chaude. L’Aurore était enfin là. La lumière gagna du terrain, s’approcha peu à peu de la demeure royale. Puis, brusquement, le dôme au-dessus de l’Ambre s’ouvrit. Tout le monde retenait son souffle. Les enfants attendaient le phénomène avec des grands yeux écarquillés. Pour certains, c’était la première fois de leur vie qu’ils assistaient à ce fabuleux spectacle, comme Lily.
Soudain, les rayons atteignirent l’Ambre. L’instant d’après, un jet de lumière incroyable jaillit de la Tour vers le ciel. Il était aussi brillant que le miel. La foule émit aussitôt des cris de joie. Ils s’enlacèrent et se mirent à danser pour certains. Peu de temps après, un cortège se forma vers la Tour Royale. Lily et Kaël s’empressèrent de suivre les autres, main dans la main, le cœur léger et le visage rayonnant. Ils avaient conscience que c’était maintenant ou jamais pour profiter de tels moments de bonheur. Ce serait sans doute les derniers…
Pendant leur ascension, Lily sautillait presque, les yeux pétillants. Quelques mèches sanguinolentes de son chignon virevoltaient au rythme de ses pas dansants. L’Elfe ne pouvait décrocher son regard de cette femme. Cette dernière croisa son regard insistant, et son sourire s’évanouit légèrement pour devenir plus timide. Kaël baissa la tête et serra plus fermement sa main avec la sienne.
Ils furent enfin arrivés à la demeure royale. Des tables, des chaises et des fauteuils recouverts de coussins blancs en plumes étaient installés dans les vastes jardins de la Tour. Une immense table blanche, longue d’une centaine de mètres, était couverte de viandes, de fruits, et de desserts incroyables. Le banquet était ouvert et les gens commençaient déjà à se servir. Malheureusement, Lily ne pouvait rien avaler de ces merveilleux mets.
— Bonjour Lily ! Qu’est-ce que tu es belle ! s’exclama Éléna qui s’approchait d’eux, une flute remplie d’un breuvage sans doute alcoolisé dans la main.
— Merci, je vous retourne le compliment, dit-elle.
Noah les rejoignit aussitôt et leur adressa un grand sourire.
— Alors, comment as-tu trouvé le début de cette Fête ? demanda-t-il d’un air jovial.
Lily était tellement heureuse de voir tout le monde souriant et serein, comme si Zénith vivait en parfaite harmonie.
— Splendide ! L’Ambre est spectaculaire !
— Kaël, n’hésite pas à te servir au banquet, il y en a un autre dans la salle de réunion où se trouve l’Ambre, lui apprit la Reine. Quand à toi, Lily, à la table où l’on sert les boissons, il y a une fontaine d’eau ferreuse et alcoolisée, qui a été installée spécialement pour toi !
La jeune femme fut surprise par cette attention toute particulière, et la remercia sincèrement.
— Amusez-vous bien, et profitez de ces instants précieux, intima Noah, en leur serrant les épaules à tous les deux. À présent, je vous laisse tranquilles !
Puis il s’en alla en leur adressant un sourire entendu. Le clin d’œil qu’il lança à Kaël n’échappa pas à Lily.
— Viens, suis-moi ! dit-il en attrapant le bras de son amie. Allons voir cette fontaine, je ne voudrais pas que tu me mordes !
Lily se laissa entraîner par l’Elfe espiègle. Ils se faufilèrent entre les personnes qui commençaient à danser et chanter, des verres déjà vides dans les mains. Arrivée à la fameuse fontaine, elle prit une coupe et la remplit de la liqueur orangée.
— Aller, tout droit ! s’exclama l’Elfe.
— Quoi ?
— Tout droit ! répéta-t-il. Ça veut dire que tu dois boire d’un seul coup !
— Ah ! Cul-sec, tu veux dire ! reprit-elle, amusée.
Ils éclatèrent de rire, avant d’engloutir le contenant de leur verre. En effet, cette liqueur était alcoolisée, et ils n’avaient pas lésiné sur les degrés ! Kaël lui en resservit un avec engouement. Elle ne se fit pas prier deux fois pour siffler le deuxième, puis le troisième…
Quelques minutes plus tard, sa tête commençait à tourner. C’était bien la première fois de sa vie qu’elle buvait de l’alcool. Elle était peut-être une Ombre, mais elle ressentait parfaitement ses effets.

Les minutes et les heures défilèrent. Elle n’avait plus aucune notion du temps. Tout bougeait. Tout était flou. Elle regrettait de ne pas avoir les idées plus claires pour pouvoir mieux profiter de l’instant présent.
Lorsque le soleil fut au Zénith, Kaël l’attira vers lui et l’accompagna à l’étage. Lily ne comprenait plus rien de ce qui se passait autour d’elle. Ils se retrouvèrent dans une vaste chambre. Elle ne comprenait pas pourquoi il l’emmenait ici…
Bizarrement, ils n’étaient pas seuls, Éléna semblait les attendre à la terrasse de la chambre. Kaël l’incita à avancer jusqu’à l’esplanade. Lily rejoignit la Reine et fut aussitôt époustouflée par la foule qui se tenait devant eux, quelques mètres plus bas, dans les jardins de la demeure royale.
L’annonce officielle ! Lily avait complètement oublié que la Reine s’apprêtait à révéler aux habitants son identité. Malheureusement, Aurora ne saisit qu’un mot sur deux de ce qu’Éléna disait.
— …Lily Aurora est enfin parmi nous ! s’écria-t-elle.
Dès lors, des cris, des applaudissements et des acclamations lui parvinrent. L’Ombre se contentait de sourire et de les saluer, sous un soleil de plomb, comme si elle était une princesse.
Plus tard, ils redescendirent dans les jardins. Lily remercia le ciel d’être dans un état second. Tout le monde voulait la toucher, la serrer dans ses bras, l’embrasser. Des hurlements raisonnaient dans sa tête, elle crut même instant se retrouver dans les Marais Hurlants. Épuisée, elle tomba dans les bras de Kaël.
— Viens, allons danser un peu, murmura-t-il à son oreille.
Lui non plus ne semblait pas frais du tout. Personne n’était dans son état normal. Elle se laissa à nouveau entraîner par l’Elfe.
Ils se trouvaient maintenant dans la Galerie Royale, comme de nombreuses personnes. Tout le monde dansait en couple, lentement. Lily voyait trouble, mais du peu qu’elle distinguait, le paysage était fabuleux.
Le soleil commençait déjà à se coucher. Elle fut étourdie par la vitesse à laquelle la journée était passée. Elle ne savait plus tellement où elle était, ce qu’elle faisait. Elle avait des trous de mémoire et ne comprenait pas comment elle était arrivée là, dans les bras de Kaël, en train de danser un slow. Ils étaient étroitement enlacés.
— Tu es vraiment belle, tu le sais ? déclara-t-il sans détour, le regard fixe.
— Merci, souffla-t-elle, posant sa tête contre son torse.
— Je ne sais pas si tu vas un jour rencontrer ton fameux Inconnu…
Il s’interrompit, se mordilla la lèvre inférieure, avant de poursuivre, la gorge nouée :
— …dont tu sembles beaucoup te préoccuper. En tout cas, il a beaucoup de chance… d’accaparer autant ton attention.
— Pourquoi… pourquoi me parles-tu de lui ? Je ne le connais pas, lâcha-t-elle d’une voix hésitante.
Mais soudain, elle se sentit partir. Elle n’aurait su décrire… ces sensations étranges. Ce devait être encore l’effet de l’alcool sur son organisme. Lily releva la tête pour croiser le regard de Kaël.

Elle sursauta immédiatement et se pétrifia. Ce n’était plus avec l’Elfe qu’elle dansait, mais avec un parfait inconnu ! Il était grand et blond. C’était un Humain au teint pâle et aux yeux gris. Elle ne l’avait jamais vu auparavant ! Pourquoi Kaël avait-il disparu tout à coup ? Elle était si bourrée que cela ? Elle agita vivement la tête, interdite.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle en tentant de récupérer ses esprits.
L’effet de l’alcool commençait à se dissiper. Elle y voyait de plus en plus clair. Lily cligna des yeux plusieurs fois et regarda autour d’elle. Des couples continuaient de danser, dont elle ne reconnaissait pas les visages, mais elle portait toujours la même robe.
Lorsqu’elle releva la tête, elle constata que son esprit ne lui jouait pas des tours. Le blondinet était toujours en face d’elle et semblait décontenancé par son comportement anormal.
— Qui je suis, moi ? répéta-t-il, visiblement surpris qu’elle ne le reconnaisse pas. Je suis Victor ! Tu as trop bu ! Qu’est-ce qui t’arrive ?
Lily ricana. D’un rire nerveux. Pourquoi ce parfait inconnu portait le même nom que son frère ? Elle commençait à perdre patience. On était en train de lui faire une mauvaise blague. Elle examina les alentours d’un air agité.
Quand soudain, elle croisa son regard, au loin.
L’Inconnu était tranquillement tapi dans l’ombre en train de les observer. Il fumait une cigarette avec élégance. Lily plaqua sa main sur sa bouche et se retourna brusquement en fixant le sol, complètement désorientée. Elle n’en croyait pas ses yeux. Devenait-elle folle ? Lorsqu’elle se retourna à nouveau pour recroiser son regard, il n’était plus là. Paniquée, elle laissa le blondinet en plan et sortit hâtivement de la Galerie Royale. Elle partit à sa recherche, totalement désorientée. Elle courut à vive allure, dans tous les sens, et avait visiblement perdu sa vitalité propre aux Ombres. Soudain, elle croisa Éléna.
— Vous vous amusez bien ? demanda la Reine.
Bizarrement, l’Elfe ne portait pas la même robe. Lily agita la tête et l’ignora, sous le choc. Elle sortit aussitôt de la demeure et se dirigea dans les jardins, essoufflée, pendant que soleil se couchait dangereusement.
Le Crépuscule était là.
Elle regarda aux alentours, paniquée. Ses Trésors commençaient à chauffer. La température monta en flèche lorsqu’elle l’intercepta enfin. Il avait le dos tourné, et se trouvait sous un petit temple rond entouré de colonnes et surmonté d’un dôme. Cette petite bâtisse surplombait la ville qui était de plus en plus plongée dans les ténèbres. Lily avait les idées parfaitement claires à présent car les effets de l’alcool s’étaient totalement dissipés. Elle contrôlait ses faits et gestes, pour la première fois. Il ne s’agissait pas de visions ordinaires, elle y était vraiment !
Il était là.
L’Inconnu était là, sous ses yeux, à une dizaine de mètres seulement. Elle s’approcha de lui, pas à pas. Ses mains étaient moites, son cœur battait à tout rompre — oui, son cœur battait.

Une petite voix au fond d’elle lui interdisait d’y aller, comme si deux personnes cohabitaient dans un même corps. Jamais elle n’avait ressenti cela auparavant.

Mais elle avançait quand même, désirant enfin le rencontrer pour de vrai.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il soudain sur un ton cassant, sans prendre la peine de se retourner.
Lily se figea, pétrifiée. L’Inconnu venait de lui adresser la parole. Cela signifiait que c’était réel, elle ne rêvait pas. Elle voulait croiser le regard de l’homme qui l’avait hantée au cours de ces derniers mois ; l’homme qu’elle avait croisé dans la clairière ; l’homme qu’elle avait vu jouer du piano avec Éléna ; l’homme à qui elle avait présenté le mystérieux Médaillon au bord des falaises ; l’homme qui l’avait retrouvée dans le désert alors qu’elle était mourante ; l’homme qu’elle avait rencontré chez Noah ; l’homme qui avait failli l’embrasser dans la caverne.
Et l’homme qu’elle était sensée aimer.
L’Inconnu était toujours en train de fumer sa cigarette en silence. Il finit par jeter le mégot dans le vide avec nonchalance, et se retourna lentement pour lui faire face. C’était bien lui : ses cheveux noirs corbeaux, ses yeux onyx hypnotiques, et son charisme fulgurant. Il était encore plus beau en vrai. Lily retint sa respiration et tenta de retrouver ses esprits. Elle crut un instant que les effets de l’alcool étaient revenus — mais il s’agissait plutôt de l’effet que ce garçon avait sur elle.
— Qui es-tu ? demanda-t-elle, brûlant d’impatience.
Le jeune homme, qui paraissait légèrement plus âgé qu’elle, fronça durement les sourcils.
— Tu ne te rappelles pas qui je suis ? persiffla-t-il sur un ton sarcastique. Je crois que tu as un peu forcé sur la bouteille, ce soir.
Lily cligna de nouveau les yeux, et passa sa main sur son visage, l’air totalement ahuri.
— Qui est ce Victor avec qui je dansais ?
Dorénavant, l’Inconnu plissait les yeux et analysait la jeune femme comme si elle était un spécimen inquiétant.
— Écoute, commença-t-il d’un air vaguement agacé. Victor est mon bras droit depuis des années, comme tu es sensée le savoir. Et si tu danses ce soir avec lui à l’occasion de la Fête de l’Ambre, c’est parce qu’il t’a invitée, tu ne te rappelles pas ?
Lily ignorait où elle se trouvait, dans quelle dimension, quelle époque, dans le futur ou le passé. Elle se demandait même si elle ne rêvait pas. Peut-être qu’elle s’était endormie dans les bras de Kaël à cause de son état, et que ceci était le fruit de son imagination. Quoi qu’il en soit, elle avait besoin de confier à cet homme ce qu’elle ressentait.
— Écoutez, dit-elle, je n’ai pas la moindre idée de qui vous êtes. Je ne vous ai vu qu’à travers des visions que je n’explique pas.
Lily s’approchait dangereusement de lui car elle désirait le voir de plus près. De toute façon, cela ne pouvait pas être réel. Elle le savait, elle rêvait. Plus elle s’approchait, et plus son charme la déstabilisait.
Lui, en revanche, restait impassible. Il ne témoignait pas de la moindre émotion. Elle s’approcha d’un peu plus près. Si près à présent qu’elle pouvait sentir son souffle chaud sur son visage. C’était la première fois de sa vie qu’elle cherchait à séduire quelqu’un.
Il resta de marbre face à ses avances, mais ne la repoussa pas pour autant. Ils se jaugeaient ainsi durant de longues secondes, l’air méfiant et sur leurs gardes.
— Qui es-tu ? murmura-t-elle, fronçant durement les sourcils.
L’Inconnu se ressaisit presque aussitôt, lui attrapa fermement les épaules et la repoussa sèchement. Il la foudroya du regard et cracha d’un ton véhément :
— Bon, j’en ai assez de ton comportement avec moi ! La dernière fois, tu as tenté de me tuer. Et voilà que ce soir, tu ne te rappelles plus de rien. Ça suffit ! Je ne veux plus te voir. J’en ai assez de tes histoires de voyage dans le temps !
La jeune femme cligna des yeux plusieurs fois, hébétée. Il la dévisageait à présent, l’air horrifié.
— Va-t-en, ordonna-t-il sur un ton terriblement cassant.
Mais l’homme disparut sous ses yeux en un battement de cils.

— LILY ! s’écria une voix lointaine.
La jeune femme s’écroula sur le sol, ébranlée. Un flot de sang jaillit de son nez et de sa bouche. Elle toussa, cracha et vomit, secouée par la douleur. Sa tête était prête à exploser et ses Trésors étaient incandescents.
Mais lorsque le soleil fit don de sa dernière lueur crépusculaire, les effets se dissipèrent aussitôt. Lily resta couchée là, haletante et l’esprit embrumé.
— Lily ! Pourquoi t’es-tu téléportée ici ? demanda Kaël, l’air inquiet. Tu as disparu sous mes yeux jusqu’à présent ! Je t’ai cherchée partout !
La jeune femme se releva et le dévisagea avec gravité.
— Kaël, je crois que je viens d’effectuer mon premier voyage dans le temps…
— Quoi ? demanda-t-il, incrédule.
— Lorsqu’on dansait, je me suis soudainement sentie partir. Et… lorsque j’ai relevé la tête, tu n’étais plus là, j’étais ailleurs ! Je dansais avec autre garçon… que je n’ai jamais vu et qui portait le nom de mon frère ! Le fameux Inconnu, il était là ! Éléna était là aussi mais elle était vêtue d’une autre robe… C’était la Fête de l’Ambre je crois… Mais du futur ou du passé je n’sais pas… J’ai rencontré vraiment l’Inconnu ! Je lui ai parlé ! Il semblait me connaître depuis plusieurs mois, il me prenait pour une folle… comme si… comme si…
— Comme si tu avais voyagé dans ton corps du futur ou du passé, poursuivit-il, le regard sombre.
— C’est ça ! Je sentais que je n’étais pas seule dans mon corps, comme si j’avais pris la place de mon autre moi ! C’était tellement… dingue ! Je crois que j’ai vraiment voyagé ! Ce ne sont plus des visions qui m’apparaissent, mais je voyage dans mes visions maintenant…
Lily semblait très affaiblie. L’Elfe s’empressa de la soutenir lorsque ses jambes chancelèrent. Elle ferma les yeux, plaqua sa main sur sa bouche et libéra quelques larmes sanguinolentes. Elle réalisa que ses pouvoirs lui échappaient. Ils l’envahissaient, prenaient possession de son esprit, et maintenant de son corps tout entier. Elle était terrorisée à l’idée de perdre pied, de s’égarer dans le temps et la folie.

Quand soudain, une sirène assourdissante résonna dans Aurora. Des hurlements leur parvinrent et une agitation apocalyptique s’intensifiait au centre ville, une centaine de mètres plus bas. Terrorisés, Kaël et Lily s’empressèrent vers la demeure. L’instant d’après, Noah accourut jusqu’à eux et s’écria :
— Jézabel était là, au dos de sa Ténébreuse ! Elle vient de nous annoncer que leur armée est prête à nous déclarer la Guerre ! Ils nous attendent dans la Plaine des Supplices et nous attaqueront à l’Aube !

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