Intermède : Balram Elkano

Les Larmes Orphelines

« Ne me regarde pas avec ses yeux ! »

L’enfant était agenouillé face à la tombe. Celle de sa mère. Ses doigts creusaient dans un mouvement mécanique la terre encore meuble. Il serra le poing, la terre s’effrita. Elle était sèche et rêche. Voilà plusieurs semaines que la pluie n’avait pas chu sur Anabella. Balram n’était rentré que la semaine dernière. Il avait passé plusieurs heures à chercher sa mère avant que quelqu’un daigne enfin l’informer de sa mort. Depuis, il passait la plupart de son temps devant le tas de terre. Ce n’était pas comme s’il avait d’autres endroits où aller. Les notions d’héritage et de propriétés n’existaient pas vraiment sur l’île des pirates. On prenait et on devait rester suffisamment fort pour le garder. De par ce fait, la cabane délabrée qui servait de maison à sa mère était passée entre d’autres mains avant même que son corps ne refroidisse. Balram n’avait plus rien. Il était inutile de penser à son père pour l’aider. Si ce salopard l’avait abandonné sur une plage déserte sans un regard en arrière, ce n’était pas sans raison. Il avait dix ans et obtenait le rang d’orphelin et de mendiant.

Le garçon cligna des yeux. Ils étaient secs. Cela faisait bien longtemps que ses larmes s’étaient taries. Les membres ankylosés, il se releva en grimaçant. La nuit n’allait pas tarder à tomber et il devait dénicher un endroit où dormir. Son ventre vide gémit. Ce matin, il avait tenté de voler une miche de pain, mais il s’était fait prendre. Il avait évité de peu un coup de sabre. Depuis, il ne s’était pas approché de la ville. Il valait mieux qu’il ne se retrouve pas face au tavernier qu’il avait voulu voler. Le temps que l’autre l’oublie. L’oubli était rapide sur Anabella. Il y avait tant de voleurs. En vérité, il n’y avait que des criminels ici. La démarche raide et instable, il se traîna hors des tas de terre anonymes qui constituaient le cimetière. Il releva les yeux et sursauta. Il n’était pas seul dans ces lieux de désolation. Un homme de taille moyenne et vêtu d’un costume chalicéen l’observait, les mains dans les poches. Il ne pouvait pas voir son visage comme il tournait le dos au soleil couchant. Mais il était certain qu’il n’était pas de l’île. Il connaissait tout le monde. Et personne n’était aussi bien vêtu ici. Aussitôt, Balram se figea, se préparant à détaler au moindre geste agressif de l’inconnu.

« Ne me regarde pas comme ça ! cria d’une voix acide la femme. Tu lui ressembles ! »

Le garçonnet baissa les yeux, coupable. Nerveusement, il tripatouilla la manche trouée de sa chemise. Il n’osait plus regarder sa mère. Il eut le réflexe de reculer. Mais la femme le bouscula au passage.

« C’est à cause de toi qu’il est parti. » acheva t-elle en quittant la maison.

Balram secoua la tête pour chasser la voix, maternelle certes, mais accusatrice. Mais il savait qu’il n’avait pas fini de l’entendre. L’homme ne l’avait pas quitté des yeux.

« Ça va, petit ? » demanda t-il en se penchant légèrement.

L’orphelin fit quelques pas en arrière, méfiant.

« T’es tout pâle. » insista l’inconnu qui se permit même de s’avancer doucement.

Il n’avait aucunement une attitude agressive. Il semblait plutôt chercher à apprivoiser un petit animal sauvage. Il avait la voix douce et était plus bedonnant que costaud. Finalement, Balram arrêta de reculer et le laissa approcher. L’homme s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur. Ses yeux ternes dévisagèrent sans gène le visage amaigri et sale du gamin.

« Ça fait combien de temps que tu n’as pas mangé ? Tu as faim ? »

Balram déglutit et hocha timidement de la tête. Bien sûr qu’il avait faim ! Il n’avait pas eu de vrai repas depuis plus d’une semaine. Doucement, l’homme lui tendit la main, l’invitant à le suivre.

**

Avec précautions, Balram posa le plateau chargé sur son bras gauche et saisit la bouteille de sa main droite. Il fit quelques pas prudents pour s’assurer de leur stabilité. La dernière fois qu’il avait brisé de la vaisselle, il avait reçu un vilain coup de martinet près de l’œil. Il n’en restait aucune trace. Valère d’Osmoise, son maître – il grimaça amèrement à cette pensée – faisait bien attention à ne pas laisser de cicatrice visible. Cela ferait perdre de sa valeur à Balram.

Ce soir, d’Osmoise recevait des invités. Quand l’adolescent de treize ans avait été chercher leurs affaires, il n’avait pas du tout aimé la manière dont ils l’avaient regardé. Il avait un mauvais pré-sentiment sur la soirée qui s’annonçait.

Ce jour-là, au cimetière, Balram n’aurait jamais dû prendre cette main que ce chalicéen lui tendait. Valère l’avait emmené sur son bateau et avait mis les voiles pour Por-Parcal. Depuis, Balram avait été réduit en esclavage et d’Osmoise comptait le dresser comme il disait pour le revendre au meilleur prix. Trois ans d’humiliation et de servitude en avaient découlé de cette rencontre. Parfois, il se demandait s’il aurait survécu longtemps en restant à Anabella. Il se disait que non, mais son sort lui semblait moins enviable que la mort en être libre.

Tâchant de ne pas trembler, il quitta les cuisines enfumées pour remonter vers le petit salon. Valère d’Osmoise était un puissant homme d’affaires vivant à Auderie, la capitale de Por-Parcal, la pointe sud de Chalice. Par ce fait, Balram avait découvert une civilisation à laquelle il n’aurait jamais pensé sur Anabella ou sur la mer. Mais il côtoyait des hommes suffisants et méprisants. Combien de fois s’était-il fait traiter de sauvage ou d’attardé ? Il n’était qu’un objet aux yeux d’Osmoise qui userait de lui jusqu’à ce qu’il reçoive une proposition de rachat intéressante. Il ne se montrait ni tendre, ni compatissant avec le garçon duquel il exigeait la perfection dans son service. Plus d’une fois, Balram avait tenté de se rebeller. Mais il n’était qu’un frêle adolescent, plus petit que la moyenne. Il ne faisait pas le poids physiquement face à Valère et encore moins face à ses gorilles qui le suivaient partout. Il rongeait son frein en attendant une occasion de fuir.

Ce soir-là, son maître recevait trois invités, tous venus du sud des Terre d’Ædan. La plupart venait de Corosis. Seul un était originaire de Thalopolis. Balram ne frappa pas pour rentrer dans le salon. Cela dérangerait ces messieurs dans leur conversation. Le devoir d’un serviteur – et plus d’un esclave – était de se faire oublier. On le lui avait beaucoup trop répété pour qu’il puisse l’omettre. Il se glissa sans bruit vers les fauteuils en cercle où parlaient les quatre hommes. La moquette aspira chacun de ses pas. Il déposa le plateau en évitant soigneusement les regards. Il déboucha la bouteille et servit les verres. Des frissons sur sa nuque lui apprirent qu’on l’observait avec insistance. Il essaya de les ignorer, mais sa main tremblait. Autour de lui, on discutait politique et affaires comme s’il n’existait pas. Le garçon reposa la bouteille et se redressa. Il ne fit que quelques pas en direction de la sortie avant que la voix de son maître ne le rappelle.

« Reste ici, mon garçon. Pendant que tu es là, ce sera fait ainsi. »

Balram se figea. Il n’aimait pas cela. Il sentait le regard toujours fixé sur sa nuque. Les dents serrées, il se retourna lentement. Les quatre hommes le regardaient. D’Osmoise avec négligence et en buvant une gorgée de son vin capiteux et extrêmement cher. Il ne le sortait que pour les invités et surtout pour les impressionner. Un autre au teint mat et à la silhouette massive le dévorait des yeux avec une avidité qui angoissait le garçon. Les deux autres le détaillèrent du coin de l’œil avant de reporter leur attention sur les petits fours.

« Approche. » s’impatienta l’hôte en lui faisait signe de la main.

Tendu, Balram s’exécuta. Il s’arrêta légèrement en retrait derrière d’Osmoise. L’homme massif ne l’avait pas quitté des yeux. La main froide de Valère lui saisit le poignet.

« Alors, c’est ça que tu as déniché, Valère, commença l’un des deux autres après avoir avalé sa bouchée au fromage.

– Oui, Hippolyte.

– Il est un peu maigre, jugea le dénommé Hippolyte en reprenant son verre.

– Il est en pleine croissance, se défendit le maître. Et il était dans un état catastrophique quand je l’ai trouvé.

– S’il est efficace dans son service, tu devrais trouver facilement des acheteurs, ajouta le troisième. Il est encore jeune et malléable. »

Ainsi, c’était pour le vendre. Ou du moins estimer sa valeur. Balram eut un mouvement incontrôlé du bras comme s’il espérait se délivrer de la poigne d’Osmoise. Mais son maître se contenta juste de resserrer ses doigts. Le garçon eut une grimace de douleur.

« Tu me connais, Giuseppe ! s’insurgea faussement le maître de maison. Jamais je ne présenterais de mauvais serviteurs. Je sais les dresser. »

L’homme massif qui fixait Balram se détourna enfin de lui et parla.

« Il est jeune et possède un physique étonnant. Il est métissé, j’ai l’impression.

– Mère damrique et père mesrin. » précisa d’Osmoise.

Le premier jour, il avait soigneusement interrogé Balram sur ses origines. L’enfant, fatigué et affamé, ne s’était pas méfié et avait tout déballé. Excepté le métier de son père. Il avait eu trop peur que l’homme le rejette en le sachant fils de pirate. Mais cela c’était avant qu’il sache ses véritables intentions. Valère avait bien entendu su dès le premier instant que le père était pirate. Qui d’autre laisserait femme et enfant à Anabella ?

« Ses yeux sont absolument fascinants, reprit l’étranger en se penchant légèrement.

– Il ressemble à un renard, trancha Hippolyte avec une moue sceptique. Ces traits sont trop marqués. Je n’aime pas trop ça. Esthétiquement, cela peut rebuter. Comme ses yeux. Ils mettront certains acquéreurs potentiels mal à l’aise.

– Ah, les physique atypiques peuvent autant plaire que rebuter !

– Tu as une idée précise, Aetius ? le relança d’Osmoise.

– Plusieurs bordels de Pèves. Beaucoup d’hommes cherchent de l’exotisme dans leur lit.

– J’avoue, admit Giuseppe en se resservant du vin. De plus, on ne peut pas dire qu’il est laid, ce petit. Mais pas beau non plus. Il a un charme rare, c’est certain. Après, il faut que ça plaise.

– Est-il encore puceau ? Cela augmenterait sa valeur sur ce marché, interrogea Aetius en détaillant à nouveau Balram.

– Normalement. »

Balram avait l’impression d’étouffer. Il ne supportait plus leurs regards ni leurs réflexions. Il n’était pas un objet. Il n’était pas à vendre ! Il tenta de se débattre discrètement, mais la poigne d’Osmoise était solide. Il haletait et cherchait une sortie des yeux. Il ne voulait pas rester ici. Si seulement il parvenait à fuir et ne jamais remettre les pieds ici. Il baissa la tête, tentant de se cacher derrière ses cheveux. S’il pouvait lui arracher les yeux à cet Aetius qu’il ne le regarde plus ! Étrangement, Anabella lui manquait. Elle semblait nettement moins malsaine que ce salon surchauffé et surchargé de meubles. Valère émit un claquement de langue agacé et tira un coup sec sur son bras pour le faire tenir tranquille. Il ne voulait pas être marqué définitivement comme esclave et encore moins en tant que chaufferette pour quelques pervers de Corosis.

D’osmoise poursuivit en listant tout ce que Balram savait faire. Il leur parla même de ses talents en navigation. Certains en haussèrent un sourcils. Les pilotes étaient recherchés et chers. Des marchands pourraient se trouver très intéressés par cet aspect de Balram pour conduire leurs navires à travers le Golfe. Visiblement, ce serait le choix le plus judicieux pour revendre l’adolescent. Mais il ne possédait que des bases et n’avait pas pratiqué depuis longtemps. Il aurait besoin d’une remise à niveau. S’il se révélait incapable de montrer plus dans ce domaine, les maisons closes viendraient. Mais il ne devait pas être trop vieux pour cela. Aetius soutenait qu’il avait l’âge idéal et qu’il ne fallait pas trop attendre.

Enfin, Balram fut relâché et Valère lui ordonna d’aller chercher les plats suivants. L’adolescent ne parvint à respirer que lorsqu’il fut enfin sorti de cette maudite pièce. Apparemment, il avait gagné un sursit grâce à ses connaissances en navigation. Mais il n’aurait pas plusieurs fois cette chance. Une fois, le repas amené, il s’enfuit discrètement et se terra dans un coin de la cuisine.

Les discussions tardèrent jusqu’à plus de minuit. Fatigué, Balram quitta son refuge pour rejoindre sa chambre. Normalement, d’Osmoise ne devrait pas le rappeler. Il n’avait pas allumé les lumières. Il connaissait suffisamment bien les couloirs depuis trois ans pour se déplacer dans le noir. Il entendit des pas étouffés par la moquette derrière lui. Il sursauta et fit volte-face. Il reconnut la silhouette massive d’Aetius.

« Dis-moi, mon petit, je cherche les cabinets, fit-il la voix rendue pâteuse par le vin. Où sont-ils ? »

D’instinct, Balram recula de quelques pas avant de répondre.

« Il faut faire demi-tour, monsieur. Les cabinets sont dans le couloir de gauche en sortant du salon. »

L’homme jeta quelques coups d’œil autour de lui, vacillant légèrement sur ses jambes. Il semblait bien imbibé. Il s’en rendit compte lui-même car il eut un petit rire avant de lâcher :

« Je ne sais même plus d’où je viens. Je vais avoir besoin d’un guide pour retourner sur mes pas. »

Cet homme le mettait mal à l’aise, mais il n’avait pas le choix. S’il refusait de lui servir de guide, il recevrait des corrections. Il contourna donc Aetius pour le ramener vers le salon. Au passage, il alluma les lumières du couloir. Cela éviterait que l’invité ne se cogne partout. Ou moins car vu son degré d’alcoolémie, il ne garderait pas toujours une excellente stabilité. Mais il ne put faire que quelques pas avant qu’Aetius ne lui saisisse le bras et l’obligea à se retourner. Il lui attrapa le menton et observa avec attention le profil de Balram. Le garçon, surpris, n’eut pas le temps de se débattre et il grimaça sous la poigne de l’homme. Il était plus fort que Valère et l’alcool rendait ses gestes brusques. Son haleine empestait le vin et donnait la nausée au garçon. Cela rendit ses réflexes à Balram qui tenta de se dégager. Mais Aetius ne semblait même pas se rendre compte de ses efforts.

« Giuseppe n’a pas de goût, murmurait-il pour lui-même. Tu as vraiment du chien, mon petit. Un côté sauvage et indomptable qui donne envie de te dresser. Un visage aussi unique qu’ensorcelant. Une silhouette intéressante aussi. J’ai hâte de voir quel aspect tu auras une fois ta croissance achevée. Vraiment hâte. » ajouta t-il en retraçant la linge de la mâchoire de son captif.

Balram se débattit avec plus de hargne. Son bras lui faisait mal, comme s’il allait s’arracher. La main libre de l’homme flatta sans douceur les côtes de Balram et descendit vers sa jambe.

« Par contre, j’ai quelques doutes sur ton pucelage. »

Les doigts frôlèrent le creux de ses reins. Ce fut comme une décharge électrique pour Balram qui se rua davantage. Voyant que ses efforts étaient vains, il grogna et mordit aussi fort qu’il put le bras de son agresseur. L’homme hurla. Son bras saignait et il lâcha enfin sa proie. À présent, ce fut la rage qui animait son regard. Il se pencha pour attraper Balram qui fit un bond de côté et donna un coup de pied dans son entrejambe. Profitant qu’Aetius se pliait de douleur, il remonta en courant le couloir. Mais, dans sa course, il se heurta à un obstacle. L’élan le fit chuter au sol. Il releva les yeux et reconnut sans mal Valère d’Osmoise.

« Ce mal morveux m’a frappé et mordu, Valère ! » accusa aussitôt Aetius en se redressant, la face grimaçante.

Balram bondit sur ses pieds. La morsure sur le bras de l’invité était parfaitement visible et définie. Du sang perlait sur la bouche de l’adolescent et son goût sur sa langue. Au moins, il aurait la satisfaction de lui laisser une cicatrice à vie. Une forte claque frappa le visage du garçon et le propulsa à terre. Cette fois, le goût d’un autre sang envahit sa bouche. Le sien. La poigne d’Osmoise le saisit à la nuque et l’obligea à se relever. Il fut traîné vers les sous-sols. Quand il s’en rendit compte, Balram se débattit mollement. Il n’entendait même pas les remontrances et menaces de son maître. Il ne voulait pas retourner là-bas. Il pleura, supplia.

Ils étaient arrivés dans les caves. Aetius suivait de près. Les deux autres attiraient dans les cris de Balram les avaient rejoint.

« Je ne tolérais pas qu’un simple esclave ramassé dans la rue agisse ainsi ! » tonna Valère en jetant Balram face contre terre dans le cachot.

Il s’agissait d’une petite pièce sans fenêtre ni lumière à l’écart de la cave à vin. Elle était humide et froide et étroite. Il avait à peine la place de s’y allonger. Déjà, Balram se sentait manquer d’oxygène alors que la porte n’était même pas fermée. Il se redressa sur ses avants-bras, tremblant. Il ne voulait pas rester enfermé dedans. C’était là que son maître le punissait et le gardait séquestré pour qu’il comprenne bien ses fautes. Balram ne supportait plus cette pièce. Il avait l’impression d’y être écrasé, de ne plus pouvoir y respirer. En vérité, depuis qu’il connaissait ce qu’il nommait le cachot, il ne supportait plus les petites pièces closes.

D’Osmoise attrapa un objet qui pendait près de la porte. Balram savait qu’il s’agissait du fouet. Il se crispa d’avance et se mit en boule. La corde de cuir gifla son dos dans un claquement trop bien connu. Il ne retint pas son cri. En quelques coups, il saigna à son tour.

Valère ne frappait pas souvent très fort. Il voulait éviter un maximum d’abîmer sa marchandise ou de la tuer. Il avait trop investi de temps dedans. Certes, Balram souffrait des coups durant quelques jours. Mais les traces pâlissaient et disparaissaient toujours. Son maître savait comment frapper pour que ce ne soit pas définitif mais mémorable. Le capitaine pirate qui l’avait formé et mis au monde l’avait fouetté beaucoup plus fort et son dos s’en était retrouvé lacéré de cicatrices blanchâtres sur sa peau brune.

Les coups cessèrent et la porte se referma sur lui. L’air lui manquait. Il sanglota de douleur et d’angoisse. Ignorant son dos, il se releva et alla frapper la porte de ses poings. Supplier qu’on l’ouvre. L’écho des coups sur la porte de fer se répercuta dans tout le cachot, l’assourdissant. Les murs se rapprochaient, il étouffait. Il toussa, chercha de l’air. Il tomba à genoux, épuisé et le corps douloureux. Combien de temps allait-il y rester cette fois ?

**

Balram avait seize ans. Six ans d’esclavage.

Ce jour-là, Valère d’Osmoise était de forte mauvaise humeur. Balram avait déplu de par son comportement rebelle et indiscipliné à un acheteur potentiel. Après plusieurs échecs pour un rôle de pilote, son maître le menaçait de l’envoyer aux bordels de Pèves.

« Ils sauront te dresser là-bas, sauvage ! » promettait-il.

Avec des gestes fébriles, il écrivait une lettre à la hâte. Il continuait de grogner sans regarder Balram resté à l’entrée de son bureau. Il insultait et menaçait plus qu’il ne frappait à présent. Balram faisait aujourd’hui la même taille que lui et s’était révélé plus fort physiquement une fois où il avait voulu le fouetter. C’était finalement un de ses gardes du corps qui s’était saisi de l’adolescent et l’avait battu et enfermé. Jamais Balram n’avait reçu telle correction. Il avait des cicatrices supplémentaires.

« J’ai perdu mon temps et mon énergie à te cultiver et à te former à la navigation et à la géographie, poursuivait le maître. J’aurais dû écouter Aetius et t’envoyer dans un bordel dès le début. Tu ne vaux pas mieux qu’un animal et qu’une putain. Tu dois tenir ça de ta mère, sale monstre ! »

« Tu n’aurais jamais dû naître ! J’aurais dû laisser ton père te noyer à la naissance ! J’ai été une idiote ! Il est parti à cause de toi ! »

Balram courba la tête en grimaçant alors que les mots d’Osmoise et de sa mère se mêlaient. Ce n’était pas faute d’avoir tout tenté pour être le fils idéal et aimé. Mais il était pourri de naissance, par son sang. Le sang de son géniteur. En vérité, c’était bien son père le monstre et le sauvage. Comment sa mère avait-elle pu éprouvé de la reconnaissance – de l’amour ! – pour lui ? Il l’avait enlevée et violée. Certes, il l’avait libérée de l’esclavage, mais à quel prix ? La rancœur qu’elle aurait dû réserver à son époux, elle l’avait craché au visage de leur fils. Lui qui avait seulement voulu que sa mère le prenne enfin – une seule fois – dans ses bras. Mais il avait les yeux de son père et son sang.

« J’aurais dû te laisser crever sur ton île de sauvages. » acheva sèchement d’Osmoise.

La voix de sa mère tiraillait ses oreilles. La respiration de Balram se fit haletante. La colère et la douleur enfla dans sa poitrine. Ses doigts enserrèrent une statuette d’ivoire. Elle était froide entre ses doigts.

« Tant d’heures à t’apprendre à lire. Et tout ça pour quoi ? Pour te faire écarter les cuisses à Pèves. Quel gâchis ! Es-tu donc si stupide pour ne pas te rendre compte de la chance que je t’off… »

Il ne termina jamais sa phrase. La figurine frappa son crâne. Un sinistre bruit de brisure se fit entendre. Du sang gicla. La statuette était chaude entre ses doigts.

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