Collobrières (Var),
de nos jours

Sur la route qui, de Toulon, le ramenait à son domicile de Collobrières, le colonel Berthin fulminait ce soir-là contre les restrictions budgétaires. Une vague de chaleur prématurée frappait depuis quelques jours la Provence et, politique économique oblige, son véhicule de fonction n’était pas doté de l’air conditionné. Ce fut donc avec soulagement qu’il arriva, dégoulinant de sueur, dans le petit village. Chez lui, il y avait la clim.
Comme d’ordinaire, il stationna la voiture sur le parking de l’église et rejoignit à pied ses pénates où, une bière à la main, il alluma la télé et s’installa sur le sofa.
Désabusé, il n’était cependant pas disposé à contempler les images qui défilaient sur l’écran et il se dit, entre deux gorgées, qu’il n’avait rien vécu de si étrange de toute sa carrière. Pourtant, celle-ci avait débuté plus de vingt ans plus tôt et était riche en émotions. Il avait été obligé, quelquefois, de tuer au nom de la France et le mensonge faisait partie intégrante de son métier.
Mais vivre ÇA  ? Le meurtre commandité d’un enfant par sa hiérarchie ! UN ENFANT ! Malaxant nerveusement sa canette de bière, il avait envie de pleurer.
Afin de décompresser, il pensa bon de se consacrer aux actualités régionales. Le premier documentaire, sur l’Olympique de Marseille, le laissa totalement indifférent : il n’aimait pas le football. Le reportage suivant, réalisé à l’Université d’Aix-en-Provence, présentait un jeune professeur, à l’allure décontractée, interviewé sur la discipline qu’il enseignait : les langues anciennes…
Non, décidément, il n’arriverait pas non plus à s’y intéresser. Autant couper le son. Les images suffiraient…
Le colonel se divertit alors en examinant le visage du jeune enseignant, dont les lèvres remuaient désormais en silence. Au bout de quelques secondes, il lui sembla même le connaître ou, du moins, l’avoir déjà aperçu quelque part.
Ses cheveux noirs, bouclés, mi-longs…
Ses joues mal rasées…
Son nez aquilin…
Sa tache de vin sur le front…

MAIS… !

Le colonel Berthin renversa sa bière en se levant brusquement, prêt à traverser l’écran de la télévision.
Il venait de l’identifier.

1