La chaleur était accablante, presque étouffante. Je regrettai presque d’avoir choisi Paris comme lieu de vie. Mon appartement au quatrième étage aux allures de placard à balais ressemblait plus à un four qu’à un lieu que l’on voudrait accueillant et chaleureux. Ma vie en banlieue avec mes parents me manquait presque. L’air plus frais (j’exagère sans doute mais laissez moi y croire), les étés bien plus supportables et une belle climatisation dans une maison suffisamment grande pour que l’on puisse accueillir six personnes sans problème. Le seul moyen que j’avais de réguler ma température corporelle était mon éventail, mais à force de l’utiliser, je finissais toujours par en avoir mal au bras.

Je me levai avec un mal de crâne carabiné, conséquence de plusieurs jours de chaleur caniculaire et de travail intense à mon boulot cette semaine. Ce weekend s’annonçait palpitant.

Je rabattis mes cheveux en arrière et les attachai à l’aide d’une pince crabe. En hivers, les cheveux crépus pouvaient être une aubaine, mais en été s’était un véritable enfer. Les miens me tombaient un peu plus bas que les épaules dans un mélange de boucle serré et noirs. J’aurais pu dire que cela ressemblait à une cascade me descendant jusqu’aux épaules, mais ça aurait été un mensonge. Un volcan en colère ou une crinière de lion aurait été une meilleure comparaison.

– Bouteille, bouteille, j’appelai inutilement comme si ma bouteille d’un litre et demi allait apparaître soudainement devant moi.

J’avais la fâcheuse tendance à laisser tout traîner à des endroits que j’oubliais instantanément. L’avantage quand vous viviez dans un studio/placard était que vous en faisiez rapidement le tour. Je jetai un œil près de mon lit double qui prenait une grande partie de la place disponible (je ne souhaitais pas me priver de ce confort malgré l’espace étroit), observa de « loin » mes meubles de rangement sans y voir « Bouteille », mais fini par la trouver cachée à côté de ma chaise, par terre en face de mon bureau.

Je me précipitai vers elle comme une assoiffée et en vidai le tiers sans m’arrêter et poussai un soupir de soulagement avant de poursuivre de m’éventer avec mon meilleur ami.

Je pensai sortir et me réfugier dans des magasins climatisés pour survivre au reste de la journée mais, bien que nous soyons le huit du mois, mon patron ne m’avait toujours pas viré ma paye, et je ne souhaitais pas particulièrement souffrir en observant des vêtements que je ne pourrais même pas imaginer acheter. La souffrance avait ces limites.

Alors je restai chez moi et me posai devant mon ordinateur. Après avoir passé, ou plutôt perdu, du temps en regardant des vidéos, je commençai à écrire un peu pour me détendre et essayer d’oublier la chaleur. Mais cette dernière était un ennemi trop puissant pour y faire face. Faible que j’étais je fini par me retrouver sur mon compte en banque et effectuai un virement, en grattant sur ma malheureuse épargne, pour faire oublier la trentaine d’euro qu’il me restait pour survivre, et me donner l’illusion que j’étais riche en y ajoutant une centaine d’euros supplémentaires.

Après cette petite opération, je fourrai dans mon sac à main une mini-bouteille et mes papiers, surtout ma carte bancaire, enfilai une jolie robe qui sera rapidement ruinée par la sueur, des lunettes de soleil, pour éviter mes yeux de s’assécher, et sortie, mon éventail toujours accroché à la main.

Malgré la climatisation des magasins et la bouffée d’air frais que me procurait cette sortie en « plein air », mon mal de crâne eut la bonté de me suivre sans relâche. J’effectuai une pose pour m’acheter une autre bouteille d’eau afin de me rafraîchir et déambulai dans Châtelet à la recherche de quelque chose à manger. Mais étant végétalienne, peux de chose était à ma portée. En tout cas, pas ici. Je me souvenais de mes séjours en Angleterre et au Pays-de-galle et des options Vegan à chaque coin de rue. En l’espace de quelque mois j’avais eu l’opportunité de rencontrer plus de Vegan qu’en plusieurs années en France. Ici, nous étions un peu en retard sur certaines choses, malheureusement.

Je décidai donc de mettre un terme à ma sortie, non sans avoir craqué sur quelques vêtements et décidai de passer dans un supermarché afin de m’acheter de quoi faire à manger. Quelques légumes surgelés, des steaks et yaourt au soja pour faire le plein, du riz, des pattes, ce genre de choses. Je ressortis du magasin surchargée au point d’avoir du mal à me déplacer et me dirigeai d’un pas lent vers chez moi.

Les transports aidants, j’arrivai à la porte de mon immeuble une demi-heure plus tard. Les bienfaits de la climatisation sur mon organisme avaient été comme annulés par mon voyage en métro et le poids des courses ainsi que mon mal de crâne persistant, m’avait vidé de toute mon énergie. Je composai le code difficilement, attendis avec impatience l’ascenseur et m’engouffrai dans le four qu’était mon logement pour me concocter un plat rapide. Une série en plus, et la soirée serait parfaites.

Je passai la journée du dimanche de la même manière. Solde oblige, certaines enseignes étaient ouvertes, ce qui était une aubaine. J’allai donc, après avoir profité de la fraîcheur matinale, faire un tour dans les magasins pour profiter de leur fraîcheur artificielle et dépenser encore l’argent que je n’avais pas.

Dans le métro du retour un vieil homme me fixa. Il avait le visage grincheux, la bouche coincée dans un rictus mécontent, la chevelure parsemée et le visage dégoulinant de sueur. S’il ne faisait pas fait aussi chaud je penserai que l’homme avait de sérieux problèmes de santés. Je croisai son regard et l’ignorai le reste du chemin. J’avais l’habitude d’être observé. À dire vrai, je ne m’en souciais plus puisqu’il m’était impossible de déterminer les raisons de leur curiosité et de leur regard parfois indescriptible. Était-ce ma peau noire ? Le fait que je sois une femme ? Mes tatouages peut-être ? Même si le seul actuellement visible était celui qui remplissait mon avant-bras gauche. Ou mes piercings ? « Surtout, celui au septum » pensai-je. Ça ne pouvait pas être mes cheveux puisque je m’étais fait deux macarons sur la tête pour éviter d’être étouffée par mes boucles.

L’avantage quand vous aviez un travail de bureau, s’était que vos responsables s’en fichaient souvent de votre allure. En tout cas, cela ne dérangeait personne la ou je travaillais. Et s’était l’une des seules choses positives à en dire.

Une fois arrivée chez moi, même routine, à la différence que je finis ma soirée avec un bon livre avant de partir me coucher.

Je me levai le lendemain, exténuée. La nuit avait été courte et la chaleur, ainsi que le besoin de vider ma vessie, m’avaient obligé à me lever trois fois. Et la migraine n’avait pas aidé. À peine les pieds posés à terre, j’attrapai « Bouteille », que j’avais pris soin de poser près de mon lit, et étanchai ma soif. Il était sept heures trente du matin, le soleil était déjà levé et une nouvelle journée de travail s’annonçait.

Je pris le temps de traîner des pieds pour me préparer, avalai un jus vert et agrippai mon sac. J’aurais tout donné pour rester chez moi et passer ma journée à autre chose que ce travail. Mais les factures devaient être payées et le frigidaire rempli. Même si cette notion échappait à mon cher et tendre patron qui pensait qu’il n’était pas urgent de me verser le fruit de mon labeur.
La journée passa à une lenteur phénoménale. En plus de travailler bénévolement, j’étais accablée de paperasse, comme ces dépressifs dans les films qui finissaient par se jeter du haut d’une fenêtre à cause du surmenage. Et d’ailleurs, il y avait une fenêtre juste derrière moi…
La climatisation était montée à fond comme tous les jours à cause de quelque collègue trop chaud bouillant, me forçant à me couvrir avec un gilet. Le comble, lorsque dehors on étouffait. Résultat : Mal de crâne doublé et grelottement. Le choque fut terrible quand je sortis du bâtiment pour affronter la chaleur de fin d’après midi et le métro.

Toujours munie de mon éventail, je partis me battre contre ce soleil assassin.

Avant de rentrer, je passai à la bibliothèque Charlotte Delbo, à mi-chemin de mon travail et de mon appartement. Dans la hiérarchie de mes addictions, les livres étaient à la première place, suivis de près par les vêtements. Toucher du papier avait presque des vertus thérapeutiques. Je n’y allais pas tout le temps mais j’aimais passer du temps là-bas, traîner dans les rayonnages, prendre un livre et le feuilleter avant de passer au suivant. Je possédais déjà une pile impressionnante de livres à lire dans mon micro-appartement et j’évitais donc de me torturer en empruntant des ouvrages que je n’aurais pas temps de terminer.

Je passai dans le rayon « Roman fantaisie » pour ensuite me retrouver dans les romans historiques. Ce rayon était totalement vide et je pus prendre le temps de le parcourir en passant ma main sur le dos de chaque livre pour en lire leur titre. J’en mémorisai certains qui semblaient intéressants et notai le reste dans mon téléphone, complétant ainsi ma liste interminable de livres à lire un jour.

Un livre en particulier attira mon attention. « Véritable vérité ». Il m’intrigua tout d’abord par son titre et ensuite parce que son aspect semblait ancien et ne collait absolument pas au genre de livre que proposait cette bibliothèque. Je voyais davantage ce livre dans la Bibliothèque nationale de France par exemple. Je le tirai délicatement et le posai sur les autres livres présents sur la table derrière moi. Je restai un moment à le regarder, puis observai les alentours, persuader de faire une bêtise. Je n’avais pas l’assurance d’être en droit de le toucher tellement il semblait vieux. Je posai ma main sur l’objet et en détaillai chaque contour. Les bords étaient clairement usés tout comme le plat du livre. Le cuir, lui, était plutôt en bon état et d’un rouge foncé qui semblait délavé à certains endroits. Les bords avaient été décorés d’une fine ligne dorée et un symbole runique avait été incrusté dans le cuir du livre, mais n’ayant aucune connaissance des runes il m’était impossible d’en deviner la signification.

Quand je le fixai, j’eus une sensation étrange. Une attraction toute particulière qui me donnait envie d’ouvrir ce livre. Au début je ne m’en souciai pas puisque j’avais de toute façon prévu de le feuilleter. L’envie qui me prit, semblait plus viscérale. J’avais besoin de le garder auprès de moi et d’en détailler chaque page. Je détachai brutalement mon regard du symbole étrange et soulevai le livre pour le ranger là où je l’avais pris, effrayé par ce qu’il dégageait. Je frottai mes mains sur mon pantalon, réflexe que j’avais quand je tripotai quelque chose en cuir (souvent des livres, car dans les autres cas j’évitai à tout prix le contact avec la peau morte de créature vivante).

Il sembla plus lourd. Sûrement la fatigue et ma migraine qui ne me lâchait pas. Je notai dans ma liste de chose à faire mentale « Aller voir mon médecin », en sachant pertinemment que j’oublierai le lendemain.

J’arrivai chez moi à reculons, redoutant la chaleur terrible qui m’attendait. Mais ce n’est pas la chaleur qui me paralysa sur place quand je franchis la porte de mon placard, mais ce qui était posé sur mon lit. Je m’approchai lentement et détaillai le livre qui s’y trouvait. Exactement le même qu’à la bibliothèque.

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