L’homme fait les cent pas dans un long couloir immaculé.
Autour de lui, les gens s’agitent, s’interpellent. Il perçoit des bribes de conversation, voit des femmes courbées, soutenues par leurs proches, qui passent devant lui le front moite et le souffle court.
Son agitation ne passe pas, il s’oblige à marcher pour ne pas craquer. Cela réussira-t-il ? A l’instant même où il se pose cette question, il entend un hurlement suivi de pleurs qui lui broient le cœur. Il s’écarte pour laisser passer les infirmières désemparées. Il ne peut pas regarder l’autre homme au visage noyé par les larmes qui appelle à l’aide, il n’en a pas le courage. La Nature est cruelle, ils s’en rendent tous compte, à présent.
Il reprend sa marche, s’efforce de ne pas trop s’éloigner pour intervenir dès que possible mais assez pour ne plus entendre le désespoir de son compatriote au rêve brisé. Perdu dans ses réflexions, c’est à peine s’il entend la voix de la sage-femme derrière lui.
— Monsieur Newton ?
Il se tourne vers elle, plus brusquement qu’il ne l’aurait voulu. Sa vie toute entière repose désormais sur les mots que va prononcer une inconnue. Elle a des cernes qui lui dévorent le haut des joues, d’une couleur si foncée qu’il ne serait pas étonné d’apprendre qu’elle n’est pas rentrée chez elle depuis plusieurs jours. Quand cette folie va-t-elle enfin cesser ?
Sa nervosité se mue en espoir en voyant les lèvres de la soignante s’étirer en un sourire fatigué.
— Elles souhaitent vous voir.

Il lui emboîte le pas. Des gouttes de transpiration descendent le long de son dos, mouillent certainement sa chemise mais il n’en a cure. Ses cadeaux les plus précieux se trouvent là, à quelques mètres à peine. Ça a marché, il le sent.
La sage-femme lui tient la porte et le laisse passer. Sa femme est là, elle va bien. Il essaie d’ignorer les innombrables perfusions qui lui transpercent la peau, il n’a d’yeux que pour ce qu’elle tient entre ses bras.
On ne l’a pas autorisé à assister à l’accouchement. C’est beaucoup trop risqué par les temps qui courent, il aurait pu tout perdre. Pourtant, Sasha est bien là. Elle respire. Elle a les joues rouges, des mèches sombres sont collées à son front par la sueur, son maquillage a coulé sur son visage. Franck la trouve si belle qu’il n’ose pas l’approcher. Il se sent comme un adolescent intimidé par les premiers sentiments amoureux. Enfin, elle lève ses yeux noisette vers lui et lui sourit.
— On a réussi, Franck, murmure-t-elle. Elle est magnifique.
Il arrive à sa hauteur, dépose un baiser sur son front humide. Entre les bras de sa femme, le nourrisson a les yeux fermés. Elle est si petite qu’il a l’impression qu’il va la briser s’il tente de la porter.
— Tout va bien, intervient la sage-femme. Votre fille est en pleine forme, vous pouvez être fiers.
Le couple hoche la tête. Franck ne peut pas réaliser la chance qu’il a, pas après tout ce qu’il a vu hors du bloc, pendant les longues heures de travail. Son bébé a survécu. Son bébé vivra. Il retient ses larmes comme il le peut mais elles ne sont pas loin.
— Comment s’appelle ce petit miracle ?
Il regarde Sasha. Elle est épuisée mais comblée. Elle ferme doucement les yeux en serrant sa petite contre elle. Il lui caresse le front, tend son doigt vers le bébé, qui le saisit doucement. Son cœur explose en milliard de confettis.
— Hope, murmure-t-il. Elle s’appelle Hope Newton.

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