Une D’Cision Importante

A.J.B Minime

Il ne voulait pas parler. Malgré les appels incessants de Jenny, il ne pouvait pas se résoudre à parler. Il risqua un coup d’œil autour de lui. Tous les hommes se regardaient, hébétés, le visage empli de terreur. Il ne voulait pas y aller… Il ne pouvait pas y aller. À part lui, qui pourrait s’occuper de Jenny ? Et puis, rien ne garantissait qu’il reviendrait vivant et en bonne santé ; alors pourquoi prendre le risque ? Dans un accès de panique, il se mit à penser à d’horribles choses, imaginant les pires supplices possibles …

*

Il était au front, le visage en sueur, affaibli et méconnaissable ; à mesure que la pluie ruisselait sur sa fine silhouette. Soudain, sans aucun signe annonciateur et avec la rapidité de l’éclair, un obus lui éclata sur la tête. La vue brouillée, il se vit tomber, tomber de plus en plus profondément dans les abîmes, loin de sa bien-aimée, loin de toute forme de vie…

*
« Jacques ! Jacques ! Je t’en supplie, réponds-moi, Jacques ! »
Ce furent les cris d’angoisse de Jenny qui le ramenèrent à la réalité.
« Jacques ! Oh mon Dieu, Jacques, est-ce que tu vas bien ? » Le visage blême, les traits déformés par la peur, voyant la terreur grandissante sur le visage de sa dulcinée ; Jacques se résolut enfin à parler :

« Je n’irai pas », dit-il simplement, le plus simplement du monde.

« Oh, non, Jacques, c’est pour le bien de la patrie, il faut que tu y ailles…», souffla Jenny, anxieuse.

« – Non, jamais. Tu ne me feras pas changer d’avis, Jenny. Je n’irai pas, ne rends pas les choses plus difficiles…

– Il le faut pourtant, mon amour. Ne t’en fais pas, je resterai là pour toi, je t’attendrai…

– Jenny…

– S’il te plaît, Jacques, je suis enceinte ! » .

Le choc de l’annonce créa un sentiment de fierté et de joie. Une main de Jenny dirigea les siennes sur son ventre encore creux, tandis que l’autre lui enlaçait voluptueusement la taille.

« Là, tu le ressens ? Je veux que notre fils se souvienne de son père comme d’un héros. »

Jacques repensa aux visages terrifiés qu’il avait vus devant Saint-Louis d’Antin. Il se remémora le bruit assourdissant des cloches sonnant le glas de l’ère de paix. Poussé par le soutien de sa bien-aimée et galvanisé à l’idée d’être bientôt papa, Jacques pensa : « Il faut que je sauve le pays, que je redonne le sourire à tout un peuple, pour empêcher que d’autres enfants ne naissent orphelins, comme le sera sûrement mon fils… Ne serait-ce que pour lui…et Jenny…»

Il fit quelques pas en arrière, guetta en direction de l’affiche. Un officier rassemblait déjà les volontaires, autour de plusieurs camions militaires. Les futurs héros abandonnaient leurs familles, pour un avenir meilleur, au péril de leur vie. L’officier esquissa un hochement de tête en l’apercevant ; et il émanait de ses traits tendus, sous cette moustache frémissante, une chaleur et une volonté indescriptibles.

Jacques, les yeux embués de larmes, prit Jenny dans ses bras et lui murmura à l’oreille : « Je t’aime, mais je dois y aller. »

*

Le soldat lui tendit l’enveloppe, l’air serein.
Jenny la décacheta avec précaution. Caché derrière la porte entrouverte, un petit garçon demanda :

« Mère, qui est ce monsieur sur le cliché ? »

Elle se crispa. Tandis qu’une tâche assombrissait la photographie.

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