Les Pics du Crépuscule, Zénith.
Samedi 20 octobre 2012.
07h55.

Ce fut la douleur qui l’obligea à se réveiller en sursaut. Elle cligna des paupières plusieurs fois pour s’assurer qu’elle avait bien repris conscience. Ses yeux mirent un certain temps avant de discerner les formes et les nuances de gris. Lily se trouvait dans une petite pièce sombre. Deux pans de mur étaient faits de roche noire et brute, comme s’ils avaient été directement taillés dans une montagne, et les deux autres étaient des barreaux rongés par la rouille. De toute évidence, elle était prisonnière. Les parois suintaient d’humidité et de champignons, rendant l’atmosphère putride et irrespirable.
La jeune femme gémit de douleur car elle sentait de vifs lancinements dans sa clavicule. Elle se risqua à en approcher ses doigts mais elle s’abstint au dernier moment. Un morceau de bois était encore fiché à l’intérieur, entre ses os brisés, paralysant son bras gauche. Il s’agissait de la flèche qu’elle avait reçue lorsqu’elle avait été neutralisée avec Kaël. Celle-ci avait été maladroitement cassée de part et d’autre de son épaule.
Où se trouvait son ami en ce moment ? Était-il encore en vie, ou prisonnier comme elle ? De qui ? Des Ombres, dans les Pics du Crépuscule ?
Elle se releva difficilement et longea les murs afin d’y trouver la moindre faille, en vain. Elle regarda au-delà des barreaux et y aperçut seulement d’autres cellules vides. Il n’y avait aucune trace de son ami. Paniquée, Lily se mit à hurler son nom, à plusieurs reprises, mais personne ne lui répondit. Un silence pesant envahissait les lieux, mis à part le bruit des gouttes d’eau chutant dans une flaque. Et puis, comme si cela ne suffisait pas à rendre l’ambiance lugubre et glaciale, il faisait terriblement froid ici, et Lily ne disposait d’aucun moyen pour se réchauffer.
Elle portait les mêmes vêtements que la dernière fois. Elle fouilla ainsi dans ses poches, y retira le Médaillon et le Livret, et cacha les deux objets dans une fente entre deux rochers. Elle ne voulait surtout pas les perdre car elle pressentait qu’ils étaient importants. Les Trésors du Temps, eux, étaient soigneusement cachés dans ses entrailles. Quoi qu’il en soit, Lily était incapable d’user d’Héliogie ici, ni même d’utiliser ses Trésors, puisque aucune lumière extérieure pénétrait les lieux. Seul un flambeau éclairait le fond d’un couloir, au loin.
Elle regrettait de ne plus être une Ombre. Elle aurait sans doute été suffisamment forte pour tordre ces barreaux et se libérer. Elle ne serait pas aussi frigorifiée qu’à présent, aussi dévorée par la faim ou asséchée par la soif. Il lui aurait suffi de retirer le résidu de flèche et sa plaie se serait cicatrisée en un instant. Ses capacités intellectuelles hors normes dues aux Trésors ne lui permettaient pas de traverser les murs. Et sans lumière, elle ne valait pas mieux qu’un simple Humain.
Où qu’elle soit, et quelques soient les individus qui l’avaient enfermée ici, ils devaient se douter qu’elle ait déjà possédé la totalité des Trésors du Temps, étant donné qu’elle était de nouveau humaine.
Cela, elle ne pouvait pas le cacher.

Le temps défilait et la jeune femme perdait espoir au fil des heures. Elle finit par se recroqueviller dans le coin le plus reculé de la cellule, se balançant d’avant en arrière et mordillant frénétiquement son bras. Elle pensa d’abord à Kaël, se posant mille questions à son sujet. Puis son intérêt se porta sur Victor, le frère qu’elle avait à peine connu et qui l’avait trahie, délibérément, pour rester fidèle à Sian Valtori. Les souvenirs des moments passés avec lui à Paris au mois de septembre semblaient flous et lointains. Elle se les figurait à peine, tellement de choses dramatiques s’étaient passées entre-temps — comme la Guerre.
Puis elle songea à Sian Valtori. Ses entrailles se tordirent davantage lorsqu’elle visionna son visage squelettique, pourrissant et cadavérique. Elle était effrayée rien qu’à l’idée de le revoir un jour. Elle espérait seulement mourir avant.
Soudain, Lily entendit quelqu’un descendre des marches et parcourir le long couloir. L’instant d’après, elle entrevit une grande femme aux longs cheveux blonds et aux yeux voilés par un bandeau en dentelle noire : Jézabel, l’Ombre aux yeux mystérieusement absents et cachés.
— Te voilà enfin consciente, minauda-t-elle d’une voix doucereuse. Nous nous impatientions.
— Où m’avez-vous emmenée ? s’empressa-t-elle de demander. Qu’est-il arrivé à Kaël ?
Jézabel gloussa comme une fillette amusée, et répondit d’un ton mielleux :
— Oh, la curieuse, tu veux tout savoir ! La réponse me semble évidente, petite sotte. Tu es enfermée dans les cachots des Pics du Crépuscule. Pour ce qui est de ton ami, il a subi… comment dire… un interrogatoire.
Lily commençait à s’agiter et à s’empourprer de colère.
— Un interrogatoire ?
— Oui, au sujet de tes Trésors, comme tu dois t’en douter. Et ne nous prends pas pour des idiots, Aurora ! Si tu es redevenue humaine, c’est que tu as déjà possédé les trois bijoux, d’autant plus que ton imbécile d’ami s’est supprimé les yeux ! Il a donc quelque chose à cacher au Maître des Âmes.
Silence.
— Mais je t’assure, nous sommes pleins de ressources, et prêts à tout pour obtenir ces informations. Tes Trésors, ont-ils plus d’importance que la vie de ton ami ? Si tu ne me dis pas où ils se trouvent, l’Elfe périra.
Lily baissa la tête et avoua franchement :
— Vous pouvez tuer n’importe qui, je m’en fiche, je ne vous dirai jamais où se trouvent les Trésors du Temps ! La vie des Elfes et celle des Terriens ont plus de valeur que Kaël, plus de valeur que ma propre vie.
Et elle le pensait fermement. Lily avait perdu tous ses êtres chers. Même si son ami devait mourir à cette époque, elle aurait encore une chance de voyager dans le passé si elle ne révélait rien. Maintenant, ses seules missions étaient d’empêcher Sian de mettre la main sur le Sablier, de rester en vie suffisamment longtemps pour entreprendre son voyage, et de trouver un moyen d’utiliser son Trésor même au fond de cette foutue caverne, sans lumière. Malheureusement, ces tâches s’avéraient impossibles. Elle était coincée pour de bon.
— Vous pouvez faire ce que voulez de moi, de Kaël, ajouta-t-elle d’un ton ferme et assuré. Vous pouvez nous torturer pendant des jours entiers, des mois, des années… Je ne vous dirai rien !
— Oh, tu crois cela ? Penses-tu pouvoir supporter autant de douleur ? Vraiment ? persifla-t-elle en haussant les sourcils. Je crois que tu nous sous-estimes, que tu sous-estimes Sian Valtori. Il est prêt à tout pour posséder les Trésors du Temps. À tout. Je serais toi, je ne m’avancerais pas comme tu le fais…
— Allez-y, faites ce que vous voulez, je n’ai plus rien à perdre, vous savez ? J’ai déjà perdu ma famille, Noah est devenu un Mort-vivant, les Elfes se sont éteins et Kaël est déjà condamné. Je le sais, il mourra comme tous les autres. De plus, mon frère n’est plus mon frère. Son esprit a été embrumé depuis son enfance, et son âme souillée. Pour couronner le tout, j’ai perdu mes trois Trésors à peine les avais-je dans leur totalité. Je n’ai plus rien maintenant, mentit-elle avec conviction. Je suis nue devant vous, et je n’ai aucun secret à vous dévoiler. Vous devez plutôt interroger les personnes qui m’ont volée les Trésors du Temps. Malheureusement, je ne connais pas leur visage, ni leur identité. Mes précieux bijoux m’ont été retirés pendant mon sommeil…
— Menteuse ! coupa l’Ombre d’un ton sec. Je suis peut-être aveugle, mais je vois très clair dans ton jeu ! Tu sais parfaitement où ils se trouvent !
— Non, je vous assure, dit-elle d’une voix calme et posée.
La belle Ombre fulminait et pinçait les lèvres. Quelques secondes plus tard, elle balança à travers les barreaux un tissu roulé en boule qu’elle tenait dans la main depuis son arrivée.
— Cela n’a pas d’importance pour le moment, lâcha-t-elle avec froideur. Sian Valtori veut te rencontrer en personne. Pour l’occasion, il exige que tu mettes cette robe.
Lily déplia le tissu, intriguée, et mit un certain temps à reconnaître le vêtement tant il était sale et abîmé. Il s’agissait de la magnifique robe noire en dentelle qui avait appartenu à son ancêtre, Jeanne Aurora, et qu’elle avait portée à l’occasion de la Fête de l’Ambre.
— Tu nous pardonneras, je l’espère, marivauda Jézabel avec mièvrerie. Mais elle s’est un peu déchirée en chemin…
Puis elle ricana. Clairement, elle cherchait à l’humilier. Le ventre de Lily se tordit aussitôt. Elle réalisa que ce n’était que le début. Le début d’un long moment d’épreuves et de souffrances. Aurait-elle le courage de faire face à Sian Valtori, son bourreau ? Elle n’avait pas le choix.
— Je ne mettrai pas cette robe, protesta Lily, furieuse.
Jézabel resta calme un moment, le visage impassible. Elle ne cillait pas face au regard noir de la prisonnière. Puis, sans crier gare, en un clin d’oeil, l’Ombre ouvrit la cellule pour se retrouver nez à nez face à Aurora. Elle attrapa sa gorge avec fougue, cracha comme un chat sauvage et ordonna d’un air méprisant :
— Tu mets cette putain de robe ou je te vide de ton sang sur-le-champ !
L’instant d’après, Jézabel déchira les vêtements de Lily en deux temps trois mouvements. Elle se retrouva complètement nue et vulnérable sous le regard menaçant et dominateur de cette Ombre — même si elle n’avait plus d’yeux, Lily pouvait aisément les deviner ainsi.
La fragile Humaine eut le réflexe immédiat de se cacher les parties intimes même si cela n’était pas nécessaire. Jézabel prenait un malin plaisir à rester plantée là, sans rien faire, devinant l’embarras de sa proie. Cette femme était sadique, songea-t-elle, et malsaine d’esprit. Cela ne présageait rien de bon pour la suite.
Résignée, Aurora dépoussiéra la robe avec des gestes fébriles et maladroits, et l’enfila en grimaçant. Son épaule ne cessait de la tirailler. Elle mit beaucoup de temps à la mettre. Elle luttait, et cela se lisait sur son visage. À aucun moment l’Ombre n’avait tressailli, ni même bougé le petit doigt pour l’aider, bien au contraire, elle jubilait intérieurement.
Des images resurgirent dans l’esprit de Lily. Elle se souvint de la délicatesse avec laquelle les servantes l’avaient vêtue de cette même robe à l’Aurore, avant la Fête de l’Ambre. Elle se souvint de leurs sourires, de leur gentillesse, de la douceur du vent et de la fraîcheur de l’air. Elle se souvint des rires des jeunes femmes, et de l’excitation qu’elle avait ressentie à l’idée d’entamer cette belle journée, apprêtée comme une princesse. Mais la réalité était bien différente maintenant.
Enfin prête, Jézabel lia ses pieds et ses mains de chaînes rouillées, agrippa violemment les cheveux poussiéreux de Lily et la souleva sans ménagement sous ses cris de protestation.
— Avance, petite idiote ! Et ne dis pas un mot ! cracha-t-elle en l’expulsant hors de la cellule.
Lily se laissa guider par Jézabel qui la tirait par les chaînes. Sa chevelure blonde — si blonde qu’elle paraissait blanche — coulait dans son dos, et dansait au rythme de ses pas souples et soutenus. Les deux femmes empruntèrent le couloir, puis gravirent un étroit escalier en colimaçon qui les menèrent à la Capitale des Ombres : la Caverne.

Lily resta bouche bée face à l’immensité et beauté lugubre de cette ville souterraine. D’innombrables manoirs avaient été taillés directement dans la roche de la montagne, et construits autour d’un précipice sans fond. Des passerelles en pierre polie rejoignaient les demeures, et s’entremêlaient au-dessus du vide. Aucune lumière extérieure ne pénétrait les lieux. Seuls des flambeaux accrochés aux murs, des lanternes et des lampadaires longeant les rues pavées faisaient office de lumière. On se serait cru dans un vieux Paris des années fin 19ème. Les lieux étaient à la fois luxueux, sublimes et sinistres. L’air était très chargé en humidité et il faisait froid. Un frisson galopa rapidement le long de son échine.
Les Ombres étaient grands, sveltes et très élégants. Les hommes portaient des sortes de costards trois pièces et des chapeaux haut-de-forme. Les femmes portaient quant à elles de somptueuses robes aux tissus nobles, en satin, en dentelle ou en soie. Mais ils étaient tous habillés de noir ou de gris. Ils ne semblaient guère apprécier les couleurs et la lumière vive et blanche du jour.
Les passants la lorgnaient avec insistance et envie, comme si elle représentait leur prochain repas de Noël. Certains crachaient et sifflaient comme des serpents à son passage, et d’autres humaient l’air avec avidité, un filet de venin infesté de virus au coin des lèvres. Peu à peu, l’effroi la stupéfiait. Elle regrettait vraiment d’être redevenue humaine et ne souhaitait qu’une seule chose : sauter dans l’abysse avec qui elle était en train de flirter.
Quoi qu’il en soit, ce qui la frappa le plus était que tous les Ombres, sans exception, avaient une excellente mine. Ils n’étaient plus aussi pâles et cadavériques qu’autrefois. Cela signifiait-il qu’ils avaient voyagé sur la Terre pour s’abreuver de sang ? Dans quel état était Paris en ce moment ? Ce devait être l’hécatombe.
— Pourquoi n’êtes-vous pas sur la Terre ? demanda Lily.
— Nous y sommes allés au moins une fois. Puis nous avons ramené l’Ambre que nous avons trouvée à Aurora aux Pics du Crépuscule. Chaque Ombre en porte un fragment sur lui et peut, dès qu’il s’endort ici, voyager sur la Terre, et revenir. Comme tu peux le constater, nous avons trouvé ce dont nous avions besoin sur ta planète. Il ne manque pas d’Humain là-bas, je crois bien qu’ils sont en surnombre… Une nouvelle vie débute pour les Ombres et tous les êtres de Zénith. Il a fallu que les Elfes et leur dictature disparaissent pour que les autres créatures puissent enfin s’émanciper.
— Pourquoi ne synthétisez-vous pas de l’eau ferreuse ou du sang grâce à l’Héliogie et l’Ambre, plutôt que de tuer des milliers d’innocents ?
— Tu crois vraiment qu’on va perdre son temps à s’essayer à l’Héliogie ? objecta-t-elle avec véhémence. Il n’y avait que Marius pour soumettre de telles idées ! Oui, peut-être qu’on en synthétisera… lorsque les Terriens viendront à manquer. Mais je crois que nous avons de quoi tenir plusieurs siècles. Il faudra simplement veiller à ne pas créer trop d’Ombres accidentellement. Sinon, l’échéance approcherait plus vite.
— Vous savez au moins que les Terriens ne se laisseront pas faire très longtemps ? ajouta Lily d’un ton grave. Ils sont pleins de ressources eux aussi, ne les sous-estimez pas. Ils connaissent une avancée technologique que vous ne soupçonnez pas, et ils sont plus de six milliards… combien vous êtes, vous ? Cent mille ? À mon avis, vous n’allez pas faire long feu. Vous allez sans doute faire quelques dégâts en région parisienne. Ça oui, certainement. Mais vous n’irez jamais plus loin. Pour vous exterminer, ils vont envoyer des hélicoptères, leurs meilleurs rafales, mirages, drones et j’en passe. Ils disposent d’Internet. Je suppose que vous ne savez même pas ce que c’est ! Et l’information de votre invasion, ainsi que les vidéos, ont déjà été diffusées dans le monde entier. Personne ne sera indifférent aux attaques que vous avez déjà faites. Vous êtes vraiment idiots, vous auriez dû vous montrer plus discrets et vous fondre dans la masse…
Jézabel resta interdite un instant, elle ne devait rien comprendre. Après tout, ils ne connaissaient rien du monde qu’ils envahissaient. Ils croyaient sans doute que les Humains se battaient encore avec des bâtons et des épées. Mais ils étaient loin d’imaginer ce qui les attendait.
— C’est sûr qu’en envoyant des Hybrides, des Géants et des Morts-vivants, vous ne pouviez pas vraiment vous fondre dans la masse, railla Lily de manière à provoquer son ennemie.
— La ferme ! coupa-t-elle, furibonde, lui assénant une gifle monumentale. Ce que tu me dis n’a aucun sens !

Plus tard, elles parcoururent des passerelles, et gravirent un vaste et majestueux escalier pour arriver au point le plus culminant de la cité : la demeure de Sian Valtori. Une immense porte de plus de trois mètres de haut et de large s’ouvrit à leur arrivée. Elles pénétrèrent à l’intérieur du manoir, traversèrent le hall d’entrée et s’approchèrent d’une porte en face qui s’ouvrit elle aussi.
Là, Lily se pétrifia, sa gorge se noua et un violent frisson fit hérisser ses poils. Ses yeux s’étaient posés sur Sian lui-même, qui était confortablement installé au bout d’une longue table en onyx. Son visage était découvert, et elle ne put décrocher son regard de ses prunelles aussi noires que la table.
— Ah, la voilà enfin, ma convive tant attendue ! s’exclama-t-il en arborant un sourire faussement chaleureux. Je commençais à m’impatienter…
La jeune femme peinait à soutenir son regard tellement il glaçait son sang. Pendant un bref instant, elle ne sut pourquoi, mais celui-ci lui parut étrangement familier. La vision de son visage lui souleva les viscères : il était si rongé par le temps et la putréfaction qu’il était difficile de ne pas détourner la tête, ou de partir en courant. Ce fut seulement à cet instant qu’elle remarqua la présence de Kaël, les yeux toujours absents, et les membres liés par des chaînes comme elle ; et Victor, qui se tenait aussi dignement que son père sur sa chaise, élégamment vêtu et l’air hautain.
— Kaël, souffla Lily, soulagée de le savoir sain et sauf.
Elle éprouvait moins de joie à la vue de son frère — qui ne l’était plus vraiment. Il ressemblait tellement à Sian Valtori, dans son attitude et son accoutrement, qu’elle ne put ressentir que du dégout à son égard.
Jézabel l’obligea à s’assoir à la place opposée de Sian, en face de lui. La table était si longue que la distance entre elle et lui était supportable. L’Ombre aveugle, quant à elle, s’installa à côté de Victor. À ce moment là, Sian étendit les bras et s’exclama :
— Et bien voilà la famille réunie ! J’espère que vous apprécierez notre humble hospitalité ! ironisa-t-il.
Aussitôt après, des esclaves s’avancèrent et posèrent sur la table une quantité impressionnante de plats débordants de nourriture appétissante comme de la viande, de la volaille, du fromage, des légumes et des pâtisseries dignes d’un dîner royal. On lui donna une assiette surchargée et fumante, dont les fragrances firent gronder son estomac. On lui servit un épais vin rouge dans un grand verre à pied. À l’odeur, elle devina néanmoins qu’il ne s’agissait pas de vin mais de sang. Elle ne put s’empêcher de grimacer, l’air révulsé, et de loucher à nouveau sur son assiette.
À cet instant, Sian Valtori ricana sournoisement et dit :
— Alors comme ça, Lily Aurora est redevenue humaine, ce qui signifie qu’elle est, ou a été, la Maîtresse du Temps.
Lily se raidit et ne fit aucun commentaire.
— Cela ne sert à rien de le nier, persifla-t-il. Tu as à ta disposition de la nourriture et un verre de sang dernier cru, mais voilà que tes yeux n’ont pas lâché l’assiette, tandis que tu as semblé profondément écoeurée à la vue de ce breuvage écarlate. Tu viens à l’instant de te démasquer, sans même le vouloir.
Lily ne savait plus où se mettre, confuse. Sian avait une telle présence, un tel charisme, qu’il déstabilisait n’importe qui. Il dégageait quelque chose de spécial, un pouvoir naturel. Jézabel était aux anges et jubilait. Victor, lui, semblait impassible, contrairement à Kaël qui paraissait totalement perdu. Le tableau était presque risible.
— Quoi qu’il en soit, dit Sian avec désinvolture, les deux personnes aveugles ici présentes ont quelque chose à me cacher puisque je suis dans l’incapacité de sonder leur âme.
Jézabel sursauta aussitôt, comme si on venait de la pincer, et devint rapidement nerveuse.
— Je plaisante, précisa-t-il d’un ton acide à l’adresse de l’Ombre. Quant à toi, petit Elfe, il est certain que tu caches un secret, et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il soit en rapport avec les Trésors du Temps.
Silence.
— Considérez ce repas opulent comme un cadeau, en échange de la précieuse information que j’attends avec impatience. Bien sûr, je la veux à l’issue de cet entretien. Vous comprenez ?
Sian Valtori approcha son buste de la table, capta le regard de Lily, avec sévérité, et ajouta d’une voix anormalement doucereuse et posée :
— Si je n’obtiens pas l’information souhaitée à l’issue de cet échange, cela va de soi que ce merveilleux repas sera le dernier. Ce sera la dernière fois que vous me verrez aussi attentionné, gentil et bienveillant à votre égard.
Il s’enfonça un peu plus dans sa chaise, se mit à son aise, croisa les mains, haussa les épaules et dit d’un ton faussement hésitant :
— Vous… vous voyez au moins… où… où je veux en venir ?
Puis il étira ses lèvres inexistantes pour dévoiler des dents noires et cassées, avant de frapper la table, jeter sa tête en arrière et rire aux éclats.
— Vos têtes d’enterrement m’amusent tellement !
Les mains de Lily devinrent rapidement moites. L’atmosphère était trop pesante, la situation insupportable. Sian jouait avec leurs nerfs. Il était question de vie et de mort, ses menaces étaient très sérieuses. Cet homme était un psychopathe qui n’avait aucune pitié, aucune empathie. Elle et Kaël étaient enchaînés comme de vulgaires prisonniers, des moins que rien. La mort était imminente puisqu’elle savait parfaitement, comme son allié, qu’aucun d’eux ne lâcherait la moindre information au sujet des Trésors, quoi qu’ils subissent.
Jamais.
Face à cette terrible réalité, qui s’accordait mal aux rires cyniques de Sian, Lily craqua et éclata en sanglots dans un silence mortuaire. Elle eut le réflexe de cacher son visage ruisselant de larmes avec ses mains, dans un bruit de cliquetis à cause des chaînes. Elle hoqueta à plusieurs reprises et peinait à retrouver son calme.
Quand soudain, Sian se leva de sa chaise et ordonna d’un ton glacial :
— Sortez, sortez tous ! Laissez moi seul avec elle.
Jézabel hésita un instant, vaguement jalouse, puis finit par se lever, accompagnée de Victor. Elle s’approcha de Kaël, attrapa ses chaînes et sortit de la salle avec lui. Lorsque la porte fut refermée, la terreur que Lily pouvait ressentir fut à son paroxysme. Elle se retrouvait seule avec Sian Valtori. Son pire cauchemar était en train de se réaliser.
— Approche, ordonna-t-il avec autorité.
Il fut si convaincant qu’elle ne put que lui obéir, se lever, s’approcher timidement et s’assoir juste à côté de lui avec docilité. Elle essuya ses larmes d’un revers de la main et balbutia :
— Pourquoi cherchez-vous à tout détruire autour de vous ? La Terre, Zénith, les Elfes, ma famille, mon frère… moi ? Même les Ombres, vous les emmenez à l’abattoir en les envoyant sur la Terre et en leur promettant monts et merveilles. Pourquoi ?
Le sourire malicieux de Sian s’évanouit et il la dévisageait d’un air très grave et sérieux à présent. De toute évidence, il ne jouait plus la comédie. Il fronçait les sourcils, et pendant un bref instant — si bref qu’il parut inexistant — Lily put lire dans les yeux de Sian de la tristesse et quelque chose de… vulnérable. Mais celui-ci se ressaisit aussitôt.
— N’aimez-vous donc personne ? insista-t-elle, désespérée.
— Aimer c’est souffrir, se contenta-t-il de répondre d’un air énigmatique. Et je refuse de souffrir.
— Je ne vous comprends pas… Comment est-ce possible ? Je ne peux pas croire que quelqu’un, un être humain, ne puisse pas aimer, ou ne veuille pas être aimé, ou… n’ait plus rien de bon en lui. Cela me semble impossible. Ou alors, je suis trop naïve. Qu’est-ce que vous cachez, Sian ? Vous haïssez-vous tant que cela pour faire souffrir les autres à ce point ?
L’intéressé fut surpris par ses questions pertinentes, qu’elle avait dites avec beaucoup de sérénité, franchise et humilité. Lily se contentait de lâcher quelques larmes, et d’essayer de percer les prunelles onyx de cet étrange individu. Elle était la première personne depuis près d’un siècle qui ne craignait pas de croiser son regard, sans jamais sourciller ni même baisser les yeux. C’était la première fois que quelqu’un essayait de le comprendre, de percer le mystère qu’il était. Habituellement, c’était lui qui sondait les âmes des autres grâce à son pouvoir lié à l’Anneau. Mais là, les rôles étaient inversés.
Cette jeune femme, si innocente et fragile, ne semblait pas avoir peur de lui en cet instant précis. Elle tentait de sonder son âme si noire, mais si noire… à se demander s’il en avait une encore. Malgré la rougeur des yeux verts de Lily à cause de ses pleurs, la saleté de ses cheveux, et la suie sur ses joues, il ne put s’empêcher de penser qu’elle était très belle et singulière.
— Je suis flatté que tu me considères encore comme un être humain malgré ma désavantageuse apparence, dit-il.
— Pourquoi avez-vous tant peur de souffrir ? Et pourquoi vouloir les Trésors du Temps à tout prix ?
Sian croisa les bras et s’enfonça dans sa chaise, ses yeux noirs toujours rivés sur sa proie qui suscitait de plus en plus son intérêt.
— Pourquoi je désire ardemment les Trésors du Temps ? répéta-t-il d’un air songeur. La réponse me semble pourtant évidente. Tu n’as qu’à regarder le monstre que je suis devenu pour le comprendre. Les Trésors de l’Âme m’ont noirci l’âme au fil des ans et m’ont fait perdre toute sensation du goût et du plaisir. Mes souvenirs s’estompent et je deviendrai peut-être sénile un jour. Mon corps souffre mais je ne trouve pas le repos dans la mort. En même temps, je refuse de mourir, j’ai bien trop peur de cela, avoua-t-il sans détour, en toute franchise. Mon goût pour la vie s’amenuise de jour en jour. Bientôt je serai aveugle, sourd et je ne pourrai plus bouger malgré tous les pouvoirs que je dispose sur les autres et sur leurs âmes. Je pense que mes Trésors sont une malédiction, et j’en suis devenu totalement esclave. J’ai horreur d’être esclave, Lily. C’est la pire chose qui ait pu m’arriver dans ma vie. Je pense que tes Trésors pourraient enfin m’apaiser, me libérer de mes peurs et de mon esclavagisme.
Lily fut choquée de voir Sian Valtori se dévoiler autant. Était-ce une stratégie pour qu’elle confesse son secret ? Elle l’ignorait. Mais il paraissait vrai, et en devenait presque touchant.
— C’est donc pour vivre éternellement que vous convoitez mes bijoux ? dit-elle.
— Oui, mais pas seulement. Grâce aux Trésors du Temps, je retrouverais mon apparence d’antan, ma jeunesse. Je n’aurais alors plus besoin de voler des âmes pour vivre quelques années de plus. Vois-tu, j’ai toujours été foncièrement jaloux des Trésors du Temps. À mon sens, les bijoux créés par Jeanne Aurora sont d’une telle perfection comparés à ceux d’Alexandre Valtori ! Ils ont un pouvoir si incroyable ! Grâce à ces Trésors, je ne retrouverais pas seulement ma jeunesse pour l’éternité, mais je pourrais également voir l’avenir qui se dessine devant moi car j’ai peur de l’inconnu comme beaucoup de monde. Je ne pourrais plus mourir car je crains la mort comme beaucoup de monde. Je pourrais voyager dans le passé et changer les évènements qui m’ont fait souffrir ou que je regrette, comme beaucoup de monde. Je pourrais même arrêter le temps parfois, pour mieux profiter de chaque instant, car il est fuyant et insaisissable. Le temps court trop vite, il nous échappe, le présent est bien trop bref. Grâce à ces Trésors, je pourrais alors mieux comprendre le Temps, et le maîtriser.
— À quoi bon vivre éternellement si vous êtes seul et mal aimé ? asséna-t-elle avec véhémence.
Sa réplique fut comme une douche froide pour lui.
— Vous dites que vous craignez l’inconnu, la mort, les mauvais choix que l’on peut faire dans sa vie et que l’on regrette, ajouta-t-elle. Cela est plutôt rassurant en réalité. Cela fait de vous un être des plus humains et aimables. Alors, pourquoi vous accaparez tous ces pouvoirs ? C’est normal d’avoir de telles peurs. Il faut juste les accepter et vivre avec comme tout le monde. Vous dites que vous êtes soumis à vos Trésors. Alors, pourquoi ne pas simplement s’en débarrasser ?
— Et toi, alors ? Tu fais comme tout le monde ? objecta-t-il. Tu as déjà été en possession des trois Trésors du Temps, je me trompe ? Tu as déjà succombé à la tentation de les utiliser ? Dis-moi que tu n’as jamais mis l’Anneau pour voir ton avenir, ouvert la Montre pour arrêter le temps et mieux en maîtriser le cours, ou envisagé un voyage dans le passé avec le Sablier ? N’as-tu jamais goûté aux délices de leurs pouvoirs ? N’en as-tu point profité pour retrouver ton humanité qu’on t’avait arrachée ?
Ce fut à Lily cette fois-ci de rester silencieuse, ne trouvant plus les mots.
— C’est vrai, j’ai déjà succombé, admit-elle. Néanmoins, mon avis sur mes bijoux a radicalement changé depuis. Vous venez d’admettre que les Trésors du Temps sont parfaits et que vous les enviiez par rapport aux vôtres. Mais vous vous trompez, cela je peux vous l’assurer ! Les Trésors du Temps sont aussi vils, aliénants et maudits que les Trésors de l’Âmes. J’ai vu les méfaits qu’ils ont eu sur moi lorsque j’étais une Ombre, ou… sur mon amie, Lixi, qui a vieilli en l’espace de quelques semaines, qui a perdu son enfant qui grandissait en elle. Mes Trésors les ont tués. Ils sont dangereux.
Silence.
— Peut-être auraient-ils eu des effets secondaires sur moi, si je les avais encore, mentit-elle. Visiblement, Jeanne avait perdu la raison avec le temps. Son âme, en quelque sorte, se dégradait. Vous, c’est votre corps qui vous lâche à cause de vos Trésors… Et qui sait, sans doute qu’ils vous font perdre la tête aussi, comme les miens auraient pu aussi s’attaquer à mon corps au fil des ans… Je pense sincèrement que les Trésors du Temps m’auraient fait perdre la tête comme vous, et embrouillé l’esprit. D’ailleurs, ils me faisaient voir des visions très étranges, des choses que je n’avais jamais vécues auparavant et qui ne me concernaient pas, sans que je les sollicite. C’était comme s’ils prenaient le pouvoir sur moi, vous voyez ?
Il acquiesçait faiblement, et semblait comprendre.
— Je crois qu’il faut se débarrasser des six Trésors, Sian, et pour toujours, révéla-t-elle avec gravité. Ne soyons pas esclaves d’eux ! Détruisons-les !
— Non, non, non, soyons raisonnables, veux-tu ? dit-il. Je crois que tu t’emballes un peu trop, jeune fille.
Un long silence plana durant lequel chacun était dans ses pensées. Il faisait de plus en plus froid dans la salle, et Lily commençait à claquer des dents.
— Tu as froid, peut-être ? Veux-tu que je t’apporte une couverture ? proposa-t-il gentiment, un sourire aux lèvres.
Lily peinait à le cerner. Un coup il était terrifiant, et un autre il se montrait des plus bienveillants. Que lui arrivait-il ?
Sian se leva et alla chercher une couverture dans un placard, puis il la lui tendit sans dire un mot, méditant sur ce qu’ils venaient d’échanger. Lily déplia la couverture, un peu méfiante, et hésita un instant, avant de s’en envelopper. Elle se sentit rapidement mieux.
— Je regretterais presque de ne pas t’avoir connue plus tôt, avoua-t-il, esquissant un sourire. Tu t’avères être quelqu’un de très intéressant, à l’esprit fin. J’aurais aimé avoir davantage de conversations de ce type avec toi. Comme ton frère, d’ailleurs, je l’apprécie beaucoup… je l’ai quand même élevé comme mon fils.
L’estomac de Lily se tordit immédiatement à l’évocation de Victor. Sian était très fort. Elle commençait presque à avoir un soupçon de sympathie pour lui malgré ce qu’il lui avait fait subir dans sa vie. Mais rien que le souvenir de son frère la ramena aussitôt à la réalité.
— J’espère que cet entretien t’aura fait réfléchir et que tu me révèleras la localité des Trésors du Temps, ajouta-t-il d’un ton faussement désinvolte.
Silence.
— Je viens de t’avouer mes principales peurs, dit-il. En as-tu, toi ? J’imagine que oui. Tu es une Humaine maintenant.
La jeune femme réfléchit, attendit un peu, avant de répondre :
— J’ai peur de l’inconnu, du noir…
— Comme moi oui. Vas-y, continue, encouragea-t-il, ne la lâchant pas des yeux.
— Le sang aussi. Mais j’ai une peur bleue de l’eau…
— De l’eau ? Pourquoi donc ?
— Et bien… À l’âge de sept ans, pendant des cours de natation à l’école, des élèves m’ont poussée dans l’eau alors que je ne savais pas nager. J’ai failli me noyer ce jour-là. Mais ma meilleure amie a été la première à me tendre la main.
— Pourquoi t’ont-ils poussée ?
Lily trouvait ses questions si étranges. Pourquoi jouait-il son psychologue tout d’un coup ? Sian était très curieux, trop curieux.
— Et bien, je n’sais pas… Vous savez, les enfants à l’école, beaucoup d’entre eux sont cruels et on ignore un peu pourquoi. Ils se moquent de ceux qui sont un peu différents et à l’écart… Ils ne supportent pas la singularité. Je pense que l’Humain est naturellement méchant. Pour un enfant, faire des bêtises est ce qu’il y a de plus primitif et facile… Les parents, entre autres, doivent fournir un effort considérable pour que leurs progénitures aillent à l’encontre de ces actes vils.
— Tu as tout à fait raison, Lily. Donc enfant, tu as été rejetée.
— Oui.
— Et en veux-tu à ces enfants ? Souhaites-tu te venger ?
— Non. Pourquoi donc ? On fait tous de mauvaises choses, plus ou moins graves, certes. Nous sommes imparfaits. Nous devons l’admettre. Et il n’y en a pas un qui vaut mieux que l’autre. Alors, de quel droit puis-je les juger ? Je suis loin d’être parfaite.
Sian lâcha un petit rire et confia :
— Tu sais, je crois que nous nous ressemblons beaucoup sur certains points. Moi aussi, enfant, j’étais rejeté. J’ai grandi dans un orphelinat, alors tu vois ? J’étais différent des autres aussi… Notablement plus intelligent, ça c’est certain. Et ils ont su se montrer très cruels envers moi pendant mes dix-huit années passées dans ce foutu établissement.
Silence.
— Je me souviendrai toujours… commença-t-il en plissant les yeux, croyant que cela l’aiderait à mieux se rappeler. Je me souviendrai toujours de la fois où j’ai failli mourir à cause d’eux.
Silence.
— Je me souviens comme si c’était hier, poursuivit-il. J’étais assis au bord d’un lac, et je lisais tranquillement, comme à mes habitudes. Je crois que j’avais sept ans. Et les mêmes adolescents, qui ne cessaient jamais de me harceler, sont venus vers moi…
Lily déglutit péniblement. Elle l’ignorait encore, mais elle voulait qu’il cesse de parler. Elle refusait d’entendre un mot de plus sur son histoire racontant un épisode de son enfance.
— L’un d’eux m’a arraché le livre des mains, comme ça, sans raison. Et il m’a dit « Eh ! Le Psychopathe ! Tu n’viens pas t’amuser avec les autres ? »
En même temps que lui, Lily murmurait ces paroles, mot pour mot. Elle les connaissait par coeur et voulut se boucher les oreilles, mais Sian poursuivait inéluctablement son terrible récit. Elle refusait de croire que c’était lui le petit garçon depuis le début.
Que c’était lui !
— Après, c’est un peu flou, poursuivit-il. Ils m’ont entraîné dans le lac et ils ont essayé de me noyer. Ce fut à cet instant que j’ai vécu mon premier voyage sur Zénith, étant donné que je possédais dans ma poche l’Anneau qui me permettait de sonder les âmes des gens.
Les joues de Lily ruisselaient de larmes à présent. Elle refusait de l’admettre, non. C’était impossible. Elle tenta par tous les moyens de chasser ces informations de sa tête. À cet instant, Sian posa ses prunelles onyx sur Lily et ajouta :
— Mais tu vois, moi j’étais seul. Je n’avais pas d’ami pour me tendre la main et m’extraire des eaux. J’étais seul, répéta-t-il. Depuis ce jour, j’ai horreur de l’eau moi aussi. Tu vois ? Nous ne sommes pas si différents, finalement…
Puis il étira un large sourire. Néanmoins, il fronça les sourcils lorsqu’il remarqua les pleurs de la jeune femme.
— Qu’y a-t-il ? Pourquoi pleures-tu ? Mon histoire t’a-t-elle émue ?
Silence.
— Bon, parlons sérieusement maintenant, lâcha-t-il avec sévérité. Je vais cesser d’être gentil car je vais finir par perdre patience. Peux-tu me dire où se trouvent les Trésors du Temps s’il-te-plaît ?
Lily commençait à bouillir et sentait qu’elle pèterait bientôt les plombs. Les émotions la submergeaient. Puis soudain, de manière totalement imprévisible, Aurora explosa :
— Mes Trésors sont cachés dans un lieux que je ne vous dirai JAMAIS ! JAMAIS JE NE VOUS PERMETTRAI DE TOUCHER AUX TRÉSORS ! JAMAIS !
Sian cligna des yeux à plusieurs reprises, ne comprenant pas la raison de son hystérie inopinée, puis trancha :
— Très bien. Je t’avais pourtant laissée une chance en me montrant poli et bienveillant. Je vais devoir utiliser la manière forte alors. C’est tellement dommage… Je suis déjà triste de devoir abîmer ce si beau visage. Malheureusement, tu m’y obliges. Je n’ai pas le choix.
Lily haletait, ne maîtrisant plus le rythme de sa respiration, et se sentait affreusement piégée. Son coeur battait à une folle allure.
— Au fait, merci pour tes confidences, ajouta-t-il d’une voix mielleuse. Je connais tes peurs sans avoir utilisé l’Anneau. Je pourrai m’en servir pour te faire avouer, car ce qu’il t’attend, ma pauvre… Personne ne voudrait subir cela.
Lily se débattit et tenta de se défaire de ses chaînes, en vain.
— GARDES ! hurla Valtori, fou de rage. RAMENEZ-LA DANS LES CACHOTS !

1