Les cols blancs sortaient des tours construites en quelques mois ; avec des matériaux high-tech & un système antisismique -étrange ; les géologues n’ont jamais détecté la moindre petite secousse dans la région, réponse ; « Les continents bougent, un jour ou l’autre ça va arriver ; peut-être dans des siècles, mais là, vous serez contents d’avoir ce système de dernière-génération. Des questions ? – Oui ; dans des siècles -comme vous le dites si bien-, votre système high-tech ne sera plus de dernière génération. – Veuillez foutre dehors ce casseur & sur le champ ; je sens mon palpitant en train d’essayer de se faire ma crise cardiaque. »
Mon pote & moi, on regarde -aujourd’hui ; après « dans des siècles »- les mêmes tours, & les arrières-arrières-arrières-& ceatera-petits-fils travaillent là où leurs aïeux -déjà- travaillaient là.
Rien n’a changé, mes ancêtres regardaient ces mêmes tours (pour ceux de mon pote ; ils devaient regarder des tours -aussi- ; mais était-ce ces tours ?).
Nous ; mon pote & moi, on y voit un genre de symbole à La Mors Moi Le Nœud, & c’est comme ça depuis toujours. Nous ne sommes pas les premiers ; des tas de jeunes gars sont venus ici -ils sont comme nous ; mon pote & moi. & regarder ces tours ça remonte les tripes jusqu’à la glotte ; près à vomir sur le marbre de la place, lustrée par -devinez qui ?- nous. C’est pour cela qu’on ne se laisse pas aller à vomir, on a déjà pas mal de merdes à ramasser à la pelle.
Ces cols blancs n’ont pas de respect ; pour la plupart. Mais y’a une autre race ; les jeunes rêveurs-optimistes à La Mort-Back, ceux qui nous disent « Bonjour » chaque matin, avec un énorme sourire, du genre ; « Ne t’en fais pas vieux, je vais changer toute cette merde, à en risquer ma vie. »
& comme toujours, un matin, ils changent -radicalement- ; ne vous disent plus bonjour, ont acheté des montres hors de prix pour se la donner face aux collègues, ont deux gosses qui finiront comme eux, une bonne femme pas trop moche qui reste à la baraque fait les courses vous demande d’aller promener le chien acheté à noël pour les gosses & de sortir la poubelle ; ça vous fait chier -à la longue-, vous devenez un véritable connard (du genre sournois), tout en commençant à répéter devant le miroir les blagues que vous allez faire devant la machine à café vous demander si votre cravate est la bonne vous mettre à l’alcool au shit & allons y pour la coke « Faut bien essayer » que vous achetez à un dealeur qui vous grapille de la maille vous vous faites baiser alors que vous baisez le monde adieu vos rêves vous voilà en plein extase vous vous croyez puissant promotions à gogo voilà la nouvelle baraque achetée à crédit sur un demi-siècle avec la piscine où vous allez pouvoir baiser votre femme quand les gosses seront chez papy-mamy la nouvelle bagnole (là aussi ; crédit) où votre bonne-femme vous sucera la bite pendant que vous conduirez & les gosses dormant à l’arrière sur la route pour la maison de vacance en bord de mer avant de passer de moins en moins de temps en famille puis -si tout se passe bien- votre femme va vous tromper avec un collègue votre meilleur ami ou bien son psy qu’elle voit 3/Semaine (pour commencer) les reproches tomberont croyez-moi un jour vous allez vous en rendre compte les disputes jusqu’au divorce I/2 dans la poche de votre « ex » + pensions alimentaires les choses se compliquent vous ne faites plus assez bien votre job selon votre patron alors qu’en réalité rien n’a changé selon vous & c’est vrai mais voilà vous devenez trop vieux périmé dépassé vos gosses vous détestent de plus en plus votre « ex » s’est remariée avec un de vos collègues votre meilleur ami ou son psy peu importe votre vie est devenue une véritable merde votre seul plaisir maintenant c’est promener votre chien seule chose que vous avez réussi à garder dans la procédure de divorce l’envie vous vient de vous tirer une balle mais qui s’occupera de votre chien plus personnes à qui le confier ce chien si il vous arrive quelque chose vous allez vieillir avec lui prendre des rides avec lui prendre des kilos avec lui mais un jour votre chien va mourir & là vous allez être seul. Vraiment seul.
A cette heure du jour, ces tours rayonnent ; magnifique -en quelque sorte.
Mon pote ne comprendrait pas, si jamais je lui dis que ces tours puissent paraître magnifiques pour des de notre pedigree. Enfin, je dis ça, en réalité ; je n’en sais rien.
Là ; pour mon pote & moi, c’est la pause de midi. Je bois une bière en fumant une clop’ ou deux, selon mes envies. Mon pote -lui- carbure au jus d’oranges ; il prend une brique d’un litre & y plante une paille & la boit en l’espace d’un petit quart d’heure, avant d’en reprendre une autre & une autre & une autre. Là ; c’est la troisième. Tout est normal.
Un jour, mon pote, il m’a dit tout ça ;
– Hey hey Boudoir (il m’appelle comme ça depuis la première fois qu’on s’est vu ; Le Boss me l’a présenté comme étant mon nouveau collègue -l’autre n’a rien pu faire contre un cancer-, sur le coup j’ai fait la tronche ; boudeur donc boudoir, puis je m’y suis fait).
– Houaip ?
– Pourquoi ils ont fait ces tours ?
– Ca fait des siècles qu’elles sont là ; bien avant ta naissance & la mienne.
– Elles me dérangent. Pourquoi ?
Je me souviendrai toujours de sa réponse.
– J’ai peur en regardant ces tours.
Que celui qui n’a jamais entendu ces mots puisse me comprendre.
-Hey, je lui fais.
– Oui ?
– C’est quoi aujourd’hui ?
Il lâche sa 5ième brique pour mieux sourire.
– Mon anniversaire, hurle-t-il.
– Exactement, & j’ai un cadeau pour toi. Viens.
On marche jusqu’à la camionnette ; que j’ai garée de façon qu’une fois à l’intérieur ; les deux tours principales nous fassent face.
– Tiens ; mets ça.
Je lui passe un casque anti-bruit de chantier. Il met le casque.
– Regarde les tours ; elles vont disparaître.
Je sors une télécommande avec un gros bouton rouge & j’enfile un même casque.
J’appuie sur le bouton.

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