Notes d’auteur : Bonjour à tous ! Voici un petit intermède pour la route. Malgré plusieurs versions, je n’en suis pas vraiment satisfaite, mais il est plus que temps que vous ayez quelque chose à vous mettre sous la dent. Je vous souhaite une bonne lecture !

******************************************************

Intermède : Cyaxare Nightingal

La Main de la Terreur

Les cierges flambaient autour du cercueil ouvert. Le corps raide, étincelant dans son armure forgée, Antarès Nightingal reposait, les mains sur son épée. Sur ses yeux clos, le prêtre avait déposé deux pièces d’argent comme le voulait la coutume pour payer le passeur dans l’autre monde. Il avait été placé sur l’autel, en hauteur. Devant, Cyaxare était agenouillé, renforçant cette distance entre lui et le cercueil. Il avait revêtu les couleurs de la famille, bronze et argent. Une longue cape brodée de fourrure donnait l’illusion qu’il était plus âgé que ses dix-neuf printemps. À ses côtés, Myriem, menue et recroquevillée, s’était faite dévorer par ses voiles et dentelles noires. Il ne parvenait même pas à voir son visage. Enfumant le temple d’encens, le prêtre psalmodiait pour accompagner le mort, qu’il soit accueilli par les dieux. On craignait sinon qu’il ne puisse traverser et que ses mânes errent pour l’éternité sur Terre. Connaissant Antarès, Cyaxare se disait qu’il serait bien capable de rester uniquement pour vérifier que ses enfants appliquent bien ses consignes et les corriger s’ils ne se montraient pas à la hauteur. Le jeune homme fixait le cercueil, mais ses pensées ne cessaient de l’en éloigner.

Il était l’unique héritier de Lord Nightingal. C’était à présent à lui de porter ce titre et tout ce qu’il comportait. Les terres, les fonctions politiques et militaires, la charge des gens qu’ils soient paysans, serviteurs ou soldats. Il devenait aussi le tuteur de sa sœur et ce jusqu’à ce qu’il lui trouve un mari digne d’elle et de la famille. Avec la guerre et les nombreuses trahisons, Antarès n’avait pu marier décemment sa fille. Même Cyaxare n’était toujours pas fiancé. Il pourrait choisir lui-même son épouse ; tout en respectant les critères qu’exigeaient son rang et sa position. Mais, en cet instant, le mariage n’avait pas sa place dans ses pensées. La guerre faisait rage et Sutherland ne cessait de gagner du terrain et des alliés. Ils étaient en train de perdre et cela avait tant fait enrager son père. Lui aussi à présent.

Le roi Zamariah III était bien sûr venu aux obsèques de son conseiller. Il s’était placé sur un balcon et observait la cérémonie d’en haut. Il s’était même vêtu d’habits de deuil bien que le défunt ne fasse pas parti de sa famille. Il n’avait pas encore parlé avec Cyaxare de la suite. Il devait attendre la fin de la cérémonie pour plus de décence. Cependant, il ne pourrait se permettre d’attendre que la période de deuil soit écoulée. Le pays était sur le point de s’effondrer. Eminghal n’avait jamais été au plus mal. La population dépérissait sous la guerre et la famine. L’argent manquait cruellement et les dettes s’accumulaient pour continuer à payer les soldats et les armes. Tout l’Est et le Sud avaient juré allégeance à Valerius Sutherland. Les commerces avaient été coupé qu’ils soient terrestres ou fluviaux. Les taxes augmentaient, étranglant le peuple. Le nombre de mendiants et de bandits sur les routes ne cessaient de croître. Plus personne n’était en sécurité. Les cadavres s’accumulaient et plusieurs cas de pestes avaient été déclaré près des côtes. Si une épidémie se rajoutait aux autres problèmes, ce serait un véritable acharnement de la part des dieux. Le royaume pourrait ne jamais se relever de cette guerre civile.

Le prêtre fit lever l’assemblée. Le cercueil fut emporté par quatre serviteurs. La procession se mit en route, Cyaxare et Myriem à sa tête. Le roi resta à sa place et l’observa défiler. La foule quitta le temple. Il fallait traverser le village pour atteindre le château des Nightingal. Juste à côté un immense caveau se dressait en granit gris. C’était là qu’étaient enterrés tous les Lords et leur famille depuis des siècles. Antarès y reposerait aux côtés de ses ancêtres. Arrivée au but, la procession s’arrêta devant les portes. Seuls le prêtre et les enfants du défunt pouvaient y pénétrer avec les porteurs. Quelques prières supplémentaires et on referma définitivement le cercueil et on le déposa dans un autre immense, de pierre cette fois, qui fut à son tour scellé. Le religieux y apposa sa bénédiction et s’en alla avec les serviteurs, laissant les orphelins se recueillir.

Cyaxare avait du mal à croire ce qui se passait. Son père, cet homme qui lui paraissait invincible, reposait dans un bloc de pierre et entre quatre planches de bois. Il était largement assez âgé pour savoir que nul n’était immortel, mais il n’avait jamais envisagé la mort d’Antarès Nightingal. Toutes ces responsabilités qui lui tombaient sur les épaules et surtout l’absence de cette ombre qui le guidait et le gardait dans le droit chemin. Et pourtant, c’était bien son nom gravé dans la pierre avec le bouclier des armoiries familiales et sa devise.

Par le Fer et non par l’Or. Absent, Cyaxare passa le doigt dessus. La main légère de Myriem lui toucha l’épaule.

« Cyaxare » souffla-t-elle.

Doucement, il se retourna et aperçut Zamariah III à l’entrée du caveau. D’un signe de tête, le jeune homme l’invita à entrer. Avec sa discrétion habituelle, Myriem se faufila dehors. Le roi la salua au passage et lui présenta ses condoléances. Elle s’inclina avant de disparaître. En silence, le souverain vint se placer aux côtés de Cyaxare face à la tombe de son conseiller.

« Je suis désolé pour cette terrible perte » fit-il à voix basse.

Que répondre à cela ? Cyaxare avait l’impression d’être vide. Que les mots se répercutaient en lui comme un écho sans l’atteindre. Pourtant, il allait devoir revenir à la réalité. Zamariah reprit :

« J’aimerais que vous reveniez avec moi à Herval dès aujourd’hui. Malheureusement, les affaires du pays n’attendent pas et je dois au plus vite vous nommer comme conseiller et général des armées royales.

— Comme il vous plaira, Majesté. »

Il n’avait que le grade de capitaine pour l’instant. Il ferait un bon faramineux en très peu de temps. Il restait à espérer que son éducation et son entraînement spécifique aient été efficaces et que le fait d’être le fils d’Antarès Nightingal le légitime à ces postes malgré son jeune âge et son manque d’expérience.

**
Les deux lignes de cavaliers se rencontrèrent dans un tonnerre de bois et de métal. Les armures se défoncèrent, les boucliers explosèrent, les lances se brisèrent, les chairs saignèrent. En hauteur, derrière les rangs d’archers, Cyaxare observait le déroulé de la bataille avec anxiété. Face à lui, derrière le rideau de poussière, Callag semblait le narguer. Un coup de trompe et les hommes à pied contournèrent la mêlée de cavaliers. De l’autre côté, on réagit et la formation se resserrera. Ce fut au tour des hommes de s’entrechoquer. Les cris des soldats lui parvinrent malgré la distance. Il était certain que même les habitants de Callag les percevaient malgré l’épaisse muraille de pierre rouge. La terre sèche et le sable devinrent peu à peu boue rougeâtre alors que les cadavres s’amoncelaient. Les troupes de Callag étaient résistantes et vaillantes. Elles semblaient bien décidées à protéger leur cité de son propre souverain. Qu’avait bien pu dire ou faire Sutherland pour pousser la ville à se rebeller à ce point ? Ces hommes étaient prêts à mourir pour ne pas ouvrir leurs portes à Zamariah III. Tout du moins à son représentant. Le roi était resté à Herval. Mais Cyaxare avait toute autorité en son nom.

Voilà des années que Callag résistait et était hors du contrôle du royaume. Cela avait été la première cité et le premier seigneur à rejoindre Valerius. En dehors des terres de Sutherland lui-même évidemment. Malgré sa distance avec la capitale, il s’agissait d’une ville importante. Elle était l’une des plus grandes du pays et particulièrement essentielle au commerce. Antarès avait tenté d’affamer Callag en l’assiégeant. Mais les réserves de la cité étaient plus importantes qu’il ne l’avait cru et il avait dû y renoncer face aux moyens colossaux que le siège réclamait. La couronne devait déployer une nouvelle stratégie. Une chose était sûre, on ne pouvait laisser encore longtemps Callag aux mains de l’ennemi. C’était la principale fournisseuse en or et en nourriture de l’armée de Sutherland. Reprendre la cité l’affaiblirait considérablement pour un temps. Presque la moitié du pays le soutenait à présent et il trouverait ce dont il avait besoin ailleurs, mais le déstabiliser et lui ôter l’un de ses principaux alliés n’étaient pas négligeables.

Cyaxare avait besoin de voir Callag de ses yeux et de la tester avant de mettre sa propre stratégie en place. Le siège d’épuisement ne fonctionnait pas, c’était la seule chose dont il était certain. À côté, il avait ordonné qu’on fouille les archives du château afin de dénicher – s’il y en avait – des plans de la citadelle du sud ou au moins des rapports d’anciennes attaques dessus. Tous les murs possédaient une faille, il fallait seulement la trouver. Et Cyaxare ne comptait pas quitter cette région sans les clés de Callag en poche. Il ne ferait pas demi-tour, pas comme son père. Il devait faire ses preuves comme général. Reprendre Callag serait un coup de maître. Il ne serait plus uniquement le fils d’Antarès Nightingal. Les murs de Callag se briseraient. Il les ferait tomber. Quant aux traîtres qui s’y terraient, leur sort servirait d’exemple et de message à tous les autres. Cette guerre devait prendre fin avant que le pays ne s’autodétruise. Qu’importaient les moyens, seul comptait le résultat. Le retour à la paix et la prospérité. Même s’il faudrait des années pour rattraper les dégâts énormes subis durant ces années. Une ou deux générations peut-être seraient nécessaires pour bander les plaies d’Eminghal.

Le soir, après la bataille, le sol était jonché de corps, d’humains et de chevaux. Les soldats de Callag étaient retournés se cacher derrière les murs de la ville. Dans sa tente, Cyaxare réfléchissait sur des plans de la région et de la citadelle ; alors que ses hommes triaient les cadavres. Le calme après la tempête était plus assourdissant que les combats. Comme si on avait traversé un voile entre deux mondes. Cyaxare s’accrochait à la réalité en préparant ses prochaines actions. En attendant de trouver le moyen de percer les murailles, un siège s’était installé. Il priait pour qu’il dure moins longtemps que celui de son père.

Trois semaines. Trois semaines que le siège durait, parfois agrémenté d’attaques stériles. Callag ne montrait toujours aucun signe de faiblesse. Cyaxare tournait en rond et enrageait. Il devait prendre cette maudite cité au plus vite, mais ses murs paraissaient infranchissables.

Attaquer directement les murs et les portes ne servaient à rien. Cyaxare en était venu à cette conclusion. Il fallait changer de méthode. Il y avait réfléchi et avait trouvé. Il avait ordonné qu’on creuse quelques kilomètres au nord de la ville, hors de la vue des remparts. Un tunnel allait être crée et passerait sous les murs de la citadelle. Alors, ils pourraient envahir Callag en pleine nuit. Surprise, la ville tomberait sans mal. Cependant, combien de temps les soldats allaient-ils mettre pour construire ce souterrain ? Heureusement, ils avaient des provisions et ils étaient régulièrement réapprovisionnés. Cyaxare avait tenu à une organisation au point afin de ne pas se retrouver pris en défaut comme l’avait été Antarès.
La nuit déversa son torrent de sang. Les soldats du royaume déchaînés envahirent les rues de Callag. Les gardes de la ville, surpris, mirent du temps à organiser une défense. Trop de temps. La ville n’était pas faite pour les batailles et cela ressemblait plus à une vulgaire guérilla. Les habitants, paniqués, tentaient de fuir. D’autres restaient cachés chez eux. Personne n’était à l’abri. On défonçait les portes et fouillait les maisons. On tuait les passants, civils ou militaires, à tour de bras. Plusieurs incendies se déclarèrent, entretenant le climat de peur. Les callageois étaient pris au piège dans leurs propres murs. Cyaxare fut l’un des derniers à pénétrer dans la ville. Il passa par la porte que des soldats lui avaient ouverte. Une odeur de cramer et de sang lui attaqua le nez à peine fût-il entré. Il commençait à trop bien la connaître. Callag était envahi de cris, de pleurs et de supplications. On se battait et on fuyait de toutes parts. Le château seigneurial, en hauteur, brûlait, visible par tous.

Au lever du soleil, Lord Caliban Southland abandonna ses armes aux pieds de Cyaxare et lui offrit la reddition de la ville. Callag appartenait à nouveau au roi Zamariah III. Même si elle comportait plus de ruines et de cadavres à présent. Le château et les riches demeures avaient été consciencieusement pillés. La guerre était chère et il fallait la rembourser. Comme les soldats exigeaient récompense de leurs semaines de labeur et le prix du sang versé. Tuer des ennemis dans leur lit et violer leur femme ne suffisait pas à faire oublier les camarades gisant sur le champ de bataille. Un simple défouloir et une satisfaction sur le moment. Cyaxare les laissa se faire les nerfs comme ils l’entendaient et préféra contrôler l’arrivée et la mise en sécurité du butin de guerre. Southland, ses généraux et ses ministres avaient été enfermé en attendant leur sort. Haute trahison, ils n’avaient guère d’espoir d’y survivre.

Cyaxare ignorait ce qui causait le plus de bruit. Le clou s’enfonçant dans le bois ou s’enfonçant dans l’os. Mais une chose était sûre : les hommes criaient plus fort que tous les coups de marteau donnés. Les pieds et les poignets inondaient de sang la croix. Étrangement, c’était les coups de marteau qui gênaient plus Cyaxare. Peut-être parce que c’était un bruit auquel il était moins habitué. Ou alors, le suintement de la chair perforée et déchirée qui lui parvenait le dégoûtait plus qu’il ne l’aurait cru.

« À ton avis, disait un soldat à l’un de ses camarades, combien de temps ils vont mettre à crever ? »

Là était toute la question dans ce genre d’exécution. Durant une crucifixion, le poids du corps reposait sur les bras. Leurs articulations des coudes et des épaules cédaient et, alors, c’était au torse de porter le reste du futur cadavre. À ce moment-là, la véritable agonie commençait. Peu à peu, sous le poids, les poumons se retrouvaient compressés et la victime étouffait, écrasée par elle-même. L’agonie pouvait durer quelques heures comme plusieurs jours. Bien sûr, les poumons souffraient le martyr, mais le reste du corps n’était pas en meilleur état. Les clous n’apportaient aucun réconfort. Les articulations disloquées, les bras écartelés, le corps immobilisé, la faim et la soif. C’était plus de la torture qu’une simple mise à mort. Le corps exposé de son vivant et de sa mort était aussi un message. Tout comme l’empalement ou l’écorchement, la crucifixion impressionnait et terrorisait. La condamnation de Southland et de ses hommes serait relayée dans tout le royaume et parviendrait d’ici un jour au deux aux oreilles des soutiens de Sutherland. Cela devrait refroidir les ardeurs de quelques-uns. Les cadavres seraient laissés à l’abandon sur leur croix. Les charognards feraient le reste.

Ce ne furent que les premiers d’une longue série. Cyaxare se spécialisa dans cette forme d’exécution. La crucifixion était plus facile à exécuter que l’empalement – surtout si l’on voulait que la victime vive quelque temps à la peine – et plus rapide que l’écorchement. Quand il prenait un village ou une citadelle, il faisait toujours exécuter quelques habitants pour marquer les esprits. Au passage de son armée, on se rendait sans faire d’histoire, terrorisé de subir le même sort. Seuls quelques seigneurs résistèrent encore avant de se retrouver sur la croix. Le Sud finit par abandonner Sutherland et sa rébellion. Seul l’Est résistait encore. Cyaxare allait enfin pouvoir s’y consacrer, maintenant que le Sud était pacifié. Entre temps, le camp de l’ennemi avait subi quelques défections au Sud-Est. La terreur que le jeune Lord avait mise en place faisait son effet. Regrettait-il les corps disloqués, étouffés, laissés aux vautours le long des routes ? Aucunement, la victoire se rapprochait de lui.

**
Myriem se précipitait dans la cour du château, ses jupons voletant derrière elle. Ses dames de compagnie l’avaient informée du retour de son frère. Voilà presque un an qu’elle ne l’avait pas vu. Il passait son temps sur la route, à combattre les ennemis du roi. La jeune fille ne savait rien de ce qui se passait réellement à l’extérieur. Seules quelques rumeurs de victoire lui parvenaient par ses serviteurs revenant des marchés environnants.

Elle eut un immense sourire quand elle vit Cyaxare devant les écuries, descendant de son cheval. Ses habits étaient couverts de poussière, il était décoiffé et avait la mine fatiguée. Il revenait d’un long voyage. Myriem se jeta à cou, se fichant de se salir. D’abord surpris, le jeune homme se détendit quand il reconnut les boucles brunes sauvages de sa sœur. Il lui rendit son étreinte avec chaleur. Il respira son odeur de violette. Comme cela pouvait faire du bien après tant de mois sur les champs de bataille ! Il était chez lui avec sa famille. Son petit havre de paix. Jamais il n’aurait cru que le petit et sombre château Nigthingal lui manquerait tant.

« Viens te mettre au chaud, proposa Myriem en descendant enfin de son cou. Je vais prévenir les cuisines. On va fêter ton retour, grand frère ! »

Cyaxare se força à sourire. La bonne humeur de sa sœur lui paraissait irréelle. Après tant de temps passé au milieu des massacres, l’innocence de Myriem semblait venue d’un autre monde bien hors de sa portée. Il se laissa conduire dans une des nombreuses pièces de la demeure. Elle le traîna dans un petit salon. Il s’assit dans un fauteuil moelleux. Le contraste avec le confort spartiate de sa tente le frappa. Le feu ronflait dans l’immense cheminée en face de lui, réchauffant ses membres rendus froids et douloureux par les semaines de voyage. D’un pas léger et joyeux, Myriem disparut. Lentement, Cyaxare se débarrassa de sa cape. Quand il était en campagne, il n’avait jamais de courbatures. Soudain, maintenant, elles se réveillaient et habitaient tout son corps. Il grimaça. À vingt ans, il se sentait déjà vieux. Myriem avait gardé toute sa fougue et sa fraîcheur. Lui se sentait fatigué, usé et amer.

La jeune fille réapparut, toujours aussi lumineuse et souriante. Elle se laissa tomber dans un fauteuil à côté du sien et commença à le harceler de questions. Se forçant à sourire, Cyaxare raconta que le roi était sur le point de gagner. Que les villes se rendaient de bon cœur à l’armée sans besoin de combattre le plus souvent. Il ne put nier qu’il y eut certains combats assez durs. Les traîtres étaient emprisonnés et les habitants et soldats, forcés de s’opposer à eux, étaient gracieusement pardonnés. Zamariah III était acclamé partout et Sutherland, pris au piège à l’Est, refusait de se rendre. Pas de tortures, pas de destructions, rien de grave dans son discours. Pas d’ombre sur le visage de Myriem qui voyait déjà la silhouette d’un pays en paix, d’un roi victorieux et de son frère en général héroïque et adoré.

Le repas, digne d’un roi, arriva deux heures plus tard. Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé comme cela ? Ses revenus étaient généreux grâce à ses importantes fonctions. Il ne gardait que ce dont il avait besoin pour la campagne et le reste il le laissait à la gestion de Myriem. Le château était en excellent état, les cuisines pleines et les serviteurs bien traités. Les revenus engendrés par leurs terres étaient quant à eux laissés aux bons soins du clerc de son père. Avant de repartir, il devrait aller le voir afin de vérifier les comptes. Quant à ce qu’il laissait à sa sœur, qu’elle en fasse ce qu’elle voulait, c’était à elle tant qu’elle vivrait chez lui. Lui n’en avait pas l’usage, autant qu’elle en profite pendant son absence.

Alors qu’ils mangeaient, Myriem racontait son quotidien dans ce lieu isolé où les nouvelles de la guerre n’arrivaient pas. Comme si elle vivait dans un autre pays, loin du sang, des cris et des villes incendiées. Il y tenait. Qu’elle ne découvre jamais le monstre qui se cachait derrière l’homme qu’elle appelait grand frère. Qu’elle ne sache jamais que le nom de Nightingal signifiait massacre et bourreau à travers tout le royaume. Qu’elle reste heureuse et innocente tant qu’elle le pouvait encore. C’était tout ce qui lui importait. Son petit trésor qu’il tenait à dissimuler, à protéger à tout prix.

**

Cela faisait trois semaines. Un siège de trois longues et pénibles semaines. Herval était encerclé. Les feux qui dévoraient les remparts Est enfumaient toute la ville. Zamariah III restait cloîtré dans son donjon à fixer les cartes et les rapports comme si la solution allait lui sauter ainsi aux yeux.

Malgré les nombreuses victoires militaires de Cyaxare, Valerius avait repris du poil de la bête et rassemblé tous ses alliés de l’est. Il n’avait pas tenté de reprendre le sud. Contre toute attente, il avait divisé en deux son armée. Une partie attaqua de front la capitale, alors que l’autre avait contourné les armées du roi par le Nord avant de fondre à son tour sur Herval. Harcelée des deux côtés, la citadelle avait vaillamment résisté. Mais des catapultes aux boulets enflammés avaient fini par créer une brèche immense dans ses murs. Les rebelles de l’Est déferlaient sur la cité, ravageaient tout sur leur passage. Cyaxare s’était retiré vers le palais et organisait sa défense. Il fallait riposter pour ne pas perdre, mais il n’avait plus assez d’hommes. La plupart étaient resté coincé sur les chemins de ronde et aux abords des portes. Ils allaient perdre Herval. Le plus important restait de mettre le roi à l’abri. Mais il ne daignait pas quitter sa tour.

Cyaxare sentait l’amertume l’envahir. Son père avait tenu ce pays durant plusieurs décennies et résistait à Sutherland pendant près de quinze ans. Lui, n’aurait résisté que trois. Pitoyable, lamentable. Quand il passerait dans l’autre monde, comment pourrait-il affronter le regard d’Antarès Nightingal ? Il commençait à se demander si Valerius n’avait pas abandonné volontairement le Sud pour le détourner de l’Est et de cette attaque. L’amertume envahit sa bouche et son être tout entier à cette pensée.

Des cris, du métal qui s’entrechoque, des pas précipités. Le bruit des soldats qui chargeaient.

« En formation ! hurla Cyaxare à ses hommes. Boucliers ! Lances en avant ! »

Une heure, il avait suffi d’une heure pour que le palais tombe avec la ville. Zamariah III avait été capturé. Cyaxare était parvenu à fuir par l’un des souterrains. Il se doutait qu’une purge aurait lieu pour se débarrasser de l’ancien gouvernement et asseoir celui que Valerius préparait. Car, bien évidemment, ce dernier n’hésiterait pas une seconde à trôner à la place de son cousin.

Sur son plus rapide destrier, le jeune Nightingal s’élança vers son domaine. Il était à plusieurs lieues de la capitale et il mit presque deux semaines à l’atteindre. Il devait fuir. Tous les chefs militaires et ministres du roi déchu étaient arrêtés les uns après les autres. Si cela n’aurait s’agit que de lui, Cyaxare aurait été prêt à assumé la défaite et à se rendre dans l’honneur. Mais il craignait davantage pour Myriem. Que devenaient les familles des vaincus ? Il ne voulait prendre aucun risque. Il allait récupérer Myriem dans le château familial et ils allaient fuir le pays ensemble.
Mais comme pour la guerre, la fuite ne se passa pas comme il l’avait espéré. Quand il arriva enfin à son domaine, le château était partiellement détruit ; certaines pierres fumant encore. Quelques gardes à sa solde gisaient au sol, morts. Aucune trace de Myriem. Il fut néanmoins rassuré de ne pas voir son cadavre. On le recherchait, on devait vouloir l’attirer. Et quel meilleur appât que sa sœur ?

Il lui fallut encore quelques semaines pour entrer en contact avec Valerius sans risquer d’être arrêté. Ce fut à ce moment que le nouveau souverain lui promit la liberté de Myriem contre un million d’écus. Quelques jours plus tard, il prit un bateau et quitta Eminghal afin de trouver cet or tant convoité.

****************

Pour le prochain chapitre, les choses vont un peu changer. Nous allons découvrir un « nouveau » personnage dont on parle depuis très longtemps. Des idées et hypothèses ? Il s’intitulera Le Corsaire au Loup. J’ai une semaine de vacances en Août et j’espère pouvoir faire le chapitre suivant à ce moment-là. À bientôt et bonnes vacances !

0