31 jours auparavant

Après avoir passé un temps considérable à se rassurer l’un l’autre, j’avais entraîné Lucas à la recherche de nourriture -les grognements incessants du ventre de ce dernier étant le catalyseur de cette décision. Je me souvenais avoir remarqué en arrivant à l’hôpital que les distributeurs automatiques dans le hall d’accueil contenaient encore de quoi manger, alors plutôt que de naviguer à l’aveugle dans les étages -et exposer mon petit frère aux horreurs qui s’y déroulaient- j’avais décidé de rejoindre le rez-de-chaussée. Nous l’atteignîmes sans croiser âme qui vive et fûmes aveuglés durant quelques instants en quittant la cage d’escalier, redécouvrant la lumière du jour. Quand nos yeux furent acclimatés à la luminosité, je repérai avec peine l’objet de notre convoitise au travers de la masse de corps qui obstruait ma vision. Nous traversâmes le hall pour l’atteindre, obligés de nous frayer un passage dans une foule compacte et chaotique de personnel soignant, visiteurs et malades qui m’obligea à tenir la main de Lucas, afin de ne pas l’y perdre. Finalement nous parvînmes à nous en extraire et je fis asseoir ce dernier sur un banc libre, le temps de nous acheter de quoi grignoter. Il n’y avait plus beaucoup de choix dans la machine, après des semaines sans réapprovisionnement, mais je n’étais de tout façon pas très pointilleuse sur les barres chocolatées. C’était également une chance que j’avais par réflexe emporté avec moi mon porte-monnaie en quittant la maison, et qu’il contenait suffisamment de celle-ci pour que je puisse nous sustenter.

Une fois mes achats en main je rejoignis Lucas et nous mangeâmes dans un silence confortable et partagé, nous perdant dans nos pensées respectives pour oublier la frénésie qui nous entourait. Je laissais quant à moi mon regard courir sur mon environnement, comme je le faisais toujours, absorbant toutes les informations que je pouvais glaner -une habitude qui, plus tard, me serait d’une grande utilité ; pour ne pas dire vitale. Et je remarquai rapidement un étrange manège opéré par les professionnels de santé, qui se stoppaient tous les quelques pas pour s’entretenir les uns avec les autres à voix feutrée lorsqu’ils se croisaient, avant de poursuivre leur route, dans une parodie de course qu’obligeaient leur métier et les circonstances. Mais ils paraissaient devenir étrangement imperméables aux esclandres qui éclataient un peu partout autour d’eux, toutes les quelques secondes, une fois ces conversations achevées, comme si un lourd poids leur était enlevé des épaules. La nervosité et le soulagement se battaient sur leurs visages harassés. Et même si je ne savais pas comment interpréter ma découverte, une chose était certaine.

Quelque chose se préparait.

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