Par réflexe, Jehim se couvrit la tête avec ses deux bras et s’accroupit. Il n’aimait pas les insectes, et ce bourdonnement-là n’annonçait rien de bien réjouissant.

Ce fut l’éclat de rire clair et frais de Pirma qui le tira de son horreur. Il se risqua alors à jeter un regard vers le ciel, s’apercevant avec soulagement qu’il n’avait rien à craindre. Une quinzaine de fées se trouvaient là, hommes, femmes, enfants, et le bruit venaient de leurs ailes irisées.

Jehim jeta un regard d’incompréhension à son amie, qui ne prit pas la peine de lui répondre. Au lieu de ça, elle se tourna vers les nouveaux arrivants et se dressa de toute sa hauteur.

— Mes amis, cette nuit, nous prouverons que les fées ne sont pas les créatures hautaines et méprisantes que tout le monde croit !

***

La vérité, c’était que cette nuit-là, Pirma avait utilisé le signal de détresse du peuple féerique. N’importe qui entendant ce sifflement devait abandonner ce qu’il était en train de faire pour répondre à l’appel. Durant les heures qui suivirent, les fées se déployèrent pour partir à la recherche de survivants. Ce ne fut qu’au petit matin que Jehim put serrer dans ses bras sa chère Bielme et accrocher le ruban rose saumon autour du cou de Cyrcléa.

Malgré la rapidité de la catastrophe, les survivants étaient nombreux. Naltya leur fit un discours qui les sortit de leur torpeur, et tous ensemble, souris, fées, gobelins, ils se mirent en quête d’un endroit où fonder une nouvelle cité.

Depuis le fond de son petit jardin, Jehim observait sa femme en repensant aux récents événements. Le Conseil avait choisi de construire la nouvelle cité aux abords de l’Étang bleu, dans un parc protégé par les lois Grandes Gens. Jehim avait activement participé à la construction. Son aventure l’avait transformé : il avait désormais le courage de suivre ses idées et de travailler dur pour les réaliser. La cité dont il avait rêvé enfant voyait enfin le jour.

— Jehim !! C’est dégoûtant ! Enlève-la de là !

Le jeune gobelin réprima un éclat de rire et se dirigea vers sa femme qui essayait de repousser une grosse limace avec une brindille. Elle avait encore énormément de mal à s’habituer à la vie à la surface, mais ils avaient tous les deux tenus à avoir cette petite maison en dehors de la cité. Le monde était vaste, c’était stupide de s’enfermer.

Au fil des semaines, quelques gobelins aussi téméraires qu’eux les avaient imités, et une sorte de petit bourg s’était finalement construit à la surface. Pirma s’était installée non loin de là, et elle faisait le relais entre eux et les autres fées. Quelques accords étaient en train d’être passés, et prochainement, quelques fées viendraient s’installer elles aussi dans les bois voisins.

— Théom est passé ce matin pendant que tu te promenais, lui annonça Bielme. Il dit que l’engrais est prêt.

— Parfait. Nous allons pouvoir nous lancer !

Vivre à la surface en dehors de la cité signifiait aussi savoir se débrouiller seul. Avec l’aide de Naltya et de Pirma, les gobelins avaient appris à cultiver quelques plantes et racines, et à force d’expériences, ils avaient réussi à élaborer un nouvel engrais qui leur permettrait de les faire pousser plus vite et plus haut.

Jehim chassa paisiblement la limace qui se traîna paresseusement jusqu’au jardin de leurs voisins. Le jeune gobelin sourit en coin.

— C’est vraiment dégoûtant…

Bielme regarda la limace avec une grimace, mais Jehim ne répondit pas. Il observait sa femme. Cette dernière portait une robe jaune bouton d’or, et elle rayonnait de mille feux. Pris d’une impulsion soudaine, il l’attrapa par la taille et la fit virevolter. Ses éclats de rire s’envolèrent vers le ciel. Une feuille rouge se détacha et vint doucement se poser à leur côté.

— L’hiver sera bientôt là, remarqua Bielme, soucieuse.

— Ne t’en fais pas. Même s’il neige, la maison restera bien au chaud. Nous ferons du feu. Naltya viendra nous apporter quelques couvertures chaudes.

La souris était retournée vivre avec son clan. Fidèle à son serment, elle avait vengé la mort de son maître et avait chassé de leur territoire le clan Telmuij. A la fin de l’hiver se tiendrait la cérémonie faisant d’elle la nouvelle chef. Elle avait déjà prévu de faire migrer son clan pour venir s’installer près de l’Étang Bleu. L’union et l’amitié faisaient la force, et elle savait que ce serait là leur botte secrète pour lutter contre les Grandes Gens.

Un avenir tout neuf se dressait devant eux.

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