— Si tu lui touches ne serait-ce qu’une mèche de cheveux, je te tue sur-le-champ ! menaça Noah avec détermination.
L’Héliogicien faisait réellement peur, mais il prit soin de ne pas regarder le Maître des Âmes dans les yeux. Sian se mit à rire, d’un rire grinçant et cynique. Il se désintéressa de Lily et se rapprocha de son ancien allié, avec toujours cette même lenteur.
— Mon pauvre ami, dit Noah, je vois que tes Trésors t’ont noirci l’âme et rongé ton coeur comme une gangrène. Tu as tort de nous avoir déclarés la Guerre, Sian. Il fut un temps où je n’aurais jamais imaginé qu’une telle chose soit possible…
L’intéressé grimaça et persifla avec sarcasme :
— Ah oui parce que vous, les Elfes et les Héliogiciens, vous êtes parfaits ! Vous êtes des êtres suprêmes de lumière, rayonnants comme des dieux ! Vous rejetez toutes vermines comme les Ombres… Vous refusez de vous intéresser à eux, de commercer avec eux, de les aider… C’est un peuple condamné et vous détournez le regard !
Silence.
— Tu sais bien, Noah, que j’ai horreur de l’injustice, ajouta-t-il. Oui, peut-être que mon âme est devenue aussi sombre que la nuit, mais je ne pense pas que mes Trésors en soient responsables. C’est plutôt l’injustice que j’ai subie ! Et l’injustice que les Ombres subissent chaque jour ! acheva-t-il en haussant le ton.
— Oh, épargne-moi tes apitoiements sur tes souffrances passées ! Cela n’excuse pas tes actes immondes ! riposta Noah sur un ton véhément. Tu n’es pas une victime, tu peux choisir de faire le bien !
Sian rit de plus belle.
— Je fais le bien en rendant justice moi-même, puisque personne n’est capable de le faire ! Je fais le bien en remettant les Elfes à leur place, en détruisant leur suprématie, et en sauvant les Ombres !
— Ah oui, parce que pour toi, sauver les Ombres, c’est les rendre aussi violents et sanguinaires que des barbares, alors qu’ils étaient autrefois pacifiques et civilisés ?
— Ça suffit !
Sans prévenir, Valtori saisit l’un de ses Trésors, l’Onyx. Il la pointa vers la bouche de l’Héliogicien, et aspira son âme en une fraction de seconde.
L’instant d’après, le son du cor retentit à trois reprises et la bataille cessa immédiatement. Le soleil était bel et bien levé, et la plaine fut rapidement inondée de lumière. En revanche, il ne fut pas de même pour Noah. L’iris de ses yeux disparut et son oeil devint aussi blanc que la neige. Ses jambes fléchirent et son corps s’écroula sur le sol, inerte. L’Héliogicien s’éteignit à 9 heures 5 du matin précisément, en ce jour du 16 octobre 2012.

Sous le choc, Lily resta plantée là, accroupie, en train de fixer son ami, son mentor, son guide. Sa respiration était totalement interrompue et aucun son ne parvint à sortir de sa bouche. Sa gorge était nouée. Elle eut une soudaine envie de vomir.
Puis elle hurla ; hurla si fort que le sol s’ébranla. Elle rampa vers le corps sans vie de Noah et prit sa tête entre les mains.
— Tu ne peux pas mourir, tu ne peux pas, tu ne peux pas…
Mais ses yeux étaient d’un blanc laiteux. Son âme avait quitté son corps pour être enfermée dans l’Onyx de Sian. La jeune femme referma les paupières de son vieil ami, et le serra très fort contre elle en pleurant à chaudes larmes. Elle n’avait pas eu le temps de lui faire ses adieux. Jamais Lily n’avait assisté à une mort si violente, brutale et gratuite. Sian l’avait assassiné d’un geste de la main, sans sourciller. Cette homme était un monstre innommable.
Elle ne put s’empêcher de penser que si elle l’avait écouté, jamais Noah ne serait mort. Normalement, elle aurait dû fuir Aurora et ne jamais risquer sa vie sur le champ de bataille. Mais elle ne l’avait pas écouté, délibérément. Noah venait de payer le prix de sa désobéissance.
Pendant ce temps, Sian Valtori se téléporta pour réapparaître cent mètres plus loin, au sommet d’une petite colline. Là, il observa le champ de bataille. Des dizaines de milliers de morts gisaient sur un sol écarlate. La moitié des Elfes et la majorité des Humains avaient succombé. Environ sept mille Elfes seulement avaient survécu.
Mais contre toute attente, Sian sortit son Pendule et le tint fermement dans sa main droite. Il ferma les yeux et se concentra. Puis, il leva les bras vers le ciel, avec souplesse et majesté. L’instant d’après, tous les morts ouvrirent les yeux au même instant. Un voile blanc recouvrait leurs prunelles. Malgré leurs blessures sanglantes et mortelles, ils se levèrent, un à un, et se tinrent sur leurs jambes pour ceux qui en avaient encore.
Lily sursauta lorsque Noah ouvrit subitement les yeux en grand et se releva machinalement.
— Noah ! Tu es en vie ! s’écria-t-elle, folle de joie.
Mais son soulagement ne fut que de courte durée. L’Héliogicien ne lui adressa pas un regard et ne lui répondit pas. Ses yeux étaient toujours aussi blancs, vides, et son teint était blême. De toute évidence, il était bel et bien mort. Mais son corps se relevait de manière autonome, et marchait machinalement en direction de Sian. Cette démarche-là n’était pas la sienne.
Quelques minutes plus tard, une armée de morts s’étaient rassemblée autour de ce monstre, et attendait docilement ses ordres. Comme il semblait respecter le Pacte du Temps, il ne dit rien, et se contenta de fixer Lily, qui le dévisageait au loin, dévastée. Sian Valtori lui jeta un regard de défi, et lui adressa un sourire des plus fourbes.
Aussitôt après, les ennemis se séparèrent. Les Elfes et Humains survivants retournèrent dans leur campement à la lisière de la forêt, tandis que l’armée de Sian constituée d’Ombres, de Géants, d’Hybrides et de Morts firent de même, mais dans une direction opposée, à l’Ouest.
Lily rejoignit Kaël, totalement vidée de toute énergie. Elle ne se sentait plus capable de parler, de réfléchir, de ressentir la moindre émotion, ni même de penser. Les évènements cauchemardesques l’avaient assommée. Elle avait la sensation de s’être prise un coup de massue sur le crâne.
— Lily, tu es vivante ! s’exclama Kaël, la prenant dans ses bras. Ça va ? Pourquoi fais-tu cette tête ?
— Noah…
L’Elfe demeura interdit.
— Quoi, Noah ? Il est blessé ?
Elle lui raconta les atrocités qui venaient de se dérouler, avec des mots simples, et sur un ton incroyablement posé. Mais ce fut au cours de son récit qu’elle mesura la gravité des évènements. Après un long silence, elle finit par éclater en sanglots dans les bras de l’Elfe. Leur étreinte s’éternisait et dura de longues minutes. Ils parvinrent à trouver un peu de réconfort dans les bras l’un de l’autre.
— Lily ! J’ai à te parler ! s’exclama une voix froide et cinglante.
L’intéressée rompit le contact avec son ami et posa son regard sur la Reine des Elfes qui était dignement postée à quelques mètres. Son visage aux traits délicats était recouvert de giclées de sang — celui de ses ennemis, sans doute. Éléna devait être une combattante redoutable. Elle fronçait durement les sourcils et fixait Lily d’un regard noir.
— Suis-moi, ordonna-t-elle avant de se retourner sans un mot de plus.
Aurora plongea ses yeux dans ceux de Kaël afin d’y trouver un peu de courage, et suivit la Reine, penaude. Cette dernière l’attira dans une vaste tente qui avait été montée pendant la nuit, avant l’Aube. Le sol était recouvert de tapis rouges et un trône était disposé au fond de la pièce. Éléna s’y installa avec élégance, et fit signe à Lily de s’assoir sur un siège à côté.
— Avant toute chose, pourrais-tu me dire pourquoi toi et Kaël vous n’êtes pas déjà partis le plus loin possible d’ici ? demanda-t-elle sans détour, d’une voix chevrotante.
— Et bien…
— Dois-je te rappeler que si tu meurs, aucun voyage dans le passé ne sera possible et nos chances de survie mourront avec toi ? insista-t-elle sans prêter attention à sa réponse.
La Reine perdit son sang froid et frappa du poing l’accoudoir du trône qui, aussitôt, se fendit en deux.
— J’en ai ASSEZ de ta DÉSOBÉISSANCE et de ta MALADRESSE ! s’écria-t-elle.
Lily baissa gravement la tête et fixa le sol d’un regard agité. Perdait-elle l’esprit ? Pourquoi cette colère, cette impatience ? N’avait-elle pas de compassion ? Une Reine ne se devait-elle pas d’être douce et à l’écoute ? La haine et la fureur avaient noirci son coeur, visiblement. Plus le temps passait, et plus cette Elfe se métamorphosait en une Reine malfaisante. Soit elle changeait véritablement, soit son masque tombait de plus en plus. Quoi qu’il en soit, Lily n’avait pas besoin de subir les sautes d’humeur d’Éléna maintenant. Elle était encore abasourdie par la mort subite de Noah et le réveil des morts orchestré par Sian.
— Vas-y, parle, maintenant ! ordonna-t-elle sur un ton méprisant.
Lily releva la tête et répondit calmement :
— Mon seul objectif a toujours été de récupérer le Sablier afin de voyager dans le passé. La meilleure piste était Sian, car Marius m’a trahie dans le but de le lui donner. Alors j’ai pensé que fuir n’était pas la solution, bien au contraire. La seule chance que j’avais de trouver le Sablier était d’affronter Sian Valtori sur le champ de bataille.
— Tu as désobéi à Noah ! J’aimerais bien le voir pour savoir ce qu’il en pense ! Il va arriver d’une minute à l’autre !
— Éléna, Noah…
Silence.
— Noah est mort, apprit-elle d’une voix tremblante.
La Reine se raidit instantanément. Son visage se décomposa et son corps s’affaissa. Elle passa sa main sur son visage et resta figée ainsi, l’air totalement désemparé.
— Co… comment est-ce arrivé ? balbutia-t-elle.
Lily baissa la tête et déglutit péniblement — sa gorge lui brûlait — avant de poursuivre :
— Sian a… il a pointé son Onyx sur son visage et il a aspiré son âme…
— NON ! hurla-t-elle, alertée. Non, pas ça ! Ce n’est pas possible !
L’Elfe se leva d’un bond et fit les cent pas dans la tente, totalement désorientée.
— Rien ne pouvait lui arriver de pire ! C’est pire que la mort ! poursuivit-elle. L’âme de Noah se trouve emprisonnée dans l’Onyx de Sian ! Il voit ce qu’il voit, sent ce qu’il sent et fait ce qu’il fait, aux côtés de toutes les centaines d’âmes que Valtori a déjà dérobées, mais il ne peut rien contrôler ! Noah est totalement impuissant… Seule la mort de Sian le délivrera enfin…
Lily plaqua ses deux mains sur sa bouche et tenta de retenir ses larmes. Soudain, la Reine se retourna et pointa ses yeux de prédateurs sur elle.
— Comment se fait-il que tu aies assisté à cela ? Pourquoi se trouvait-il à proximité de Sian ?
— Parce que… parce qu’il a voulu me protéger de lui…
— C’est à cause de toi qu’il est mort ! vociféra Éléna. C’est à cause de toi ! Et encore à cause de toi !
N’y soutenant plus, Lily hoqueta violemment et éclata en sanglots. Chacune de ses accusations était comme un coup de poignard planté dans son coeur. Alors que la Reine se déchaînait sur elle, la rabaissant tant et plus, l’insultant, Lily ne cessait de pleurer, pleurer de plus belle. La douleur était atroce.
— Comme les Ombres, poursuivit la Reine d’un ton haineux, tu es vile et désobéissante ! Tu ne vaux pas mieux qu’eux malgré le sang noble qui coule dans tes veines ! Depuis le début, tu déshonores la lignée Aurora à cause du monstre que tu es ! Tu nous fais honte !
En temps normal, Lily aurait su trouver les mots justes pour se défendre. Mais là, elle était bien trop anéantie par la mort soudaine de son ami…
— Pardonnez-moi, gémit-elle avec désespoir.
Mais ses paroles furent étouffées par les cris d’Éléna et ne semblaient être que des murmures.
— PARDONNEZ-MOI ! JE VAIS RÉPARER ÇA ! aboya-t-elle, à bout de force. Je vais retrouver le Sablier et tuer Sian dans le passé…
Ses Trésors étaient incandescents à présent, et son nez se mit rapidement à saigner. Une grande fatigue s’était emparée d’elle.
— Je crois que tu sous-estimes la douleur que je ressens après avoir appris cette terrible nouvelle, Lily, dit-elle sur un ton grave. Noah… Noah n’était pas qu’un simple ami de longue date. Noah…
L’Elfe s’interrompit et détourna le regard, les joues empourprées de honte.
— Nous nous aimions autant que pouvaient s’aimer des amants fous et passionnés, lâcha-t-elle sans détour.
Cette confidence sembla être une délivrance pour elle. Ce furent les prémices d’une succession de révélations.
— Nous avions commencé à entretenir une relation en 1990. Or, à cette époque, l’ancien Roi des Elfes, Anar, mon époux, était encore de ce monde. Ma relation avec Noah était doublement préjudiciable : d’une part parce qu’elle était extra-conjugale, d’autre part parce que j’étais une Elfe et lui un Humain.
— Qu’est devenu votre mari ?
— Il a été tué pendant la Guerre de 1991, comme Lÿan, ma fille aînée, et les parents de Kaël…
Silence.
— Mais ce que tu ignores, comme tout le monde, ajouta-t-elle.
Silence.
— C’est que Anar n’est pas le père de Lixi…
— Co… comment ça ? Vous voulez dire que… Noah est le père de Lixi ?
Éléna détourna la tête et baissa le regard. Elle paraissait vulnérable. La voir ainsi était une chose assez rare.
— Lixi est mi-Elfe, mi-Humaine ? demanda Lily, stupéfaite. Je ne savais pas que c’était possible…
— Oui ! lâcha-t-elle, à la fois soulagée et agacée. Voilà pourquoi Lixi était aussi différente des autres Elfes ! Son physique ne l’a jamais trahie, mais son caractère… Elle était si intrépide, fougueuse et passionnée ! Si instable et rebelle… Elle a toujours refusé d’assurer son rôle de future Reine ! Je suis convaincue que cela est dû à sa part d’humanité. Ces caractères n’avaient rien d’elfique !
— C’est pour cela que vous n’aimiez pas Lixi autant que Lÿan ? Parce qu’elle n’était pas de sang pur ?
Éléna se figea et devint rapidement rouge de colère. Lily avait visiblement touché une corde sensible. Elle se rappela la dureté et l’indifférence de la Reine à l’égard de Lixi. D’autant plus que cette dernière avait trahi les Elfes pour rejoindre leurs ennemis. Éléna devait certainement la haïr au plus haut point.
— Cela n’a plus d’importance. Elle a trompé les siens. Lixi n’est plus ma fille. À présent, j’aimerais faire mon deuil de Noah en paix…
Silence.
— Seule, précisa-t-elle sur un ton cassant.

Lily fut soulagée de quitter les lieux et de s’éloigner de cette femme. Éléna dégageait des ondes négatives. Elle souhaitait rejoindre Kaël au plus vite et trouver un peu de réconfort à ses côtés.
Sa mère et Joanna étaient sans doute déjà parties dans un pays éloigné de la France. Marius et Lixi les avaient trahis. Peut-être étaient-ils morts pour une quelconque raison puisqu’elle avait appris par Sian lui-même que jamais il n’avait reçu le Sablier, et que jamais il n’avait revu Marius et Lixi. Lily ne pouvait plus faire confiance à Éléna car elle perdait l’esprit. Aaron était toujours dévoué à Sian et encore enfermé dans un cachot.
Noah venait de mourir.
Bref, Lily réalisa qu’elle était seule, ou presque. Seul Kaël, son véritable ami, était en vie, à ses côtés, et digne de confiance. Des deux planètes, il ne restait plus que lui.
— Lily, tu es là ! Je te cherchais partout ! s’écria l’Albinos. Le soleil est déjà au zénith. Nous avons jusqu’au Crépuscule pour nous reposer et dormir un peu. Je crains que la bataille de ce soir ne soit la dernière…
Les deux amis trouvèrent une tente vide dont le sol était recouvert de tapis et de peaux de bête. Quelques coussins étaient installés dans un coin. Kaël posa son sac à dos et sortit de la nourriture pour lui, et de l’eau ferreuse pour elle.
L’Elfe s’approcha d’elle et examina son visage avec une extrême délicatesse. Ses sourcils étaient froncés. Lily réalisa à quel point il était bienveillant envers elle. C’était la seule personne qui manifestait autant de gentillesse et de douceur à son égard, contrairement à Sian et Éléna. Elle se remémora le visage effrayant de Valtori. Ses entrailles se nouèrent instantanément et sa gorge se serra un peu plus. Elle se focalisa sur le visage de Kaël afin de ne pas perdre pied. Il était sa source d’apaisement et de joie, comme l’Ambre.
— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? demanda-t-il, un sourire espiègle au coin des lèvres.
— Cette journée a été si dure, si dure, souffla-t-elle, à bout de force.
Elle avait perdu beaucoup de sang et elle se sentait très affaiblie. Ce n’était pas tellement à cause de ses blessures, mais plutôt à cause des ravages que ses Trésors du Temps faisaient sur elle. Elle n’avait pas besoin de le dire pour que son ami comprenne. Kaël prit aussitôt la chaîne en or de Lily et la retira de son cou.
— Tu n’as plus besoin de les porter pour le moment, repose-toi.
— J’ai peur, Kaël, avoua-t-elle, désemparée. Une armée de morts attend l’heure fatidique pour nous achever. On va tous mourir. On va peut-être même devenir comme eux… Et le corps de Noah en fait partie…
L’Elfe s’approcha un peu plus d’elle, prit une mèche de ses cheveux et la ramena derrière son oreille.
— Chut… Ne pense pas à cela maintenant. Rien n’est perdu encore. Nous nous battrons jusqu’au bout. Je suis convaincu qu’on trouvera une solution. En attendant, profitons de ces dernières heures de paix pour se rétablir, et oublier ces drames atroces…
Les joues de Kaël rougirent. Lily se sentait bien, près de lui, en paix et en sécurité. Elle savait qu’il ne pourrait jamais lui faire de mal.
Jamais.
— Tu as encore eu des visions de l’Inconnu ? demanda-t-il d’une voix neutre, d’un air faussement désinvolte.
Ses yeux clairs étaient rivés sur elle. Il était pendu à ses lèvres, attendant impatiemment sa réponse, comme si sa vie en dépendait. Soudain, Lily oublia ce qu’il y avait autour. Elle se remémora la fois où elle avait repoussé Kaël pour de futiles visions ; pour un homme qui n’existait pas, ou qui n’existait plus ; pour un homme d’une autre époque, d’une autre dimension, voire d’un autre monde ; pour un homme dont elle se fichait pas mal au final, et qui n’était pas réel.
Kaël, lui, était bien réel. Il était là, en face d’elle, en train de la lorgner d’une telle manière, que toutes les femmes s’empourpreraient de jalousie.
L’instant d’après, l’Elfe approcha son visage de l’Ombre et attrapa ses lèvres avec les siennes. Il plaqua aussitôt sa main droite sur sa nuque froide, et l’autre au creux de ses reins. Lily fut d’abord surprise par ce soudain contact. Mais très vite, elle lui rendit son baiser. Kaël s’écarta un peu pour reprendre son souffle et la contempler.
Au moment où il approcha de nouveau son visage pour l’embrasser, une douleur atroce assomma Lily. Elle se tint fermement le crâne en fermant solidement les yeux. Quelques secondes plus tard, elle ne put retenir un cri de douleur. Un filet de sang coula de son nez et Kaël s’écarta immédiatement, terrorisé. Il créa une compresse d’un geste de la main et la posa fermement sur le nez de son amie.
— Bon sang ! Ce qu’il t’arrive me rend fou ! s’égosilla-t-il d’un air paniqué.
Lily se mit à pleurer tellement elle se sentait démunie face à la situation.
— Pourtant, tu ne portes pas les Trésors ! insista-t-il.
Silence.
— La seule façon pour que je survive, c’est de trouver le Sablier, dit-elle entre deux gémissements. On n’a plus le choix ! Il faut trouver une solution !
— Mais il peut être n’importe où sur Zénith ! s’emporta-t-il, fou de rage.
La jeune femme baissa la tête et se massa les tempes avec énergie. Elle tremblait de toute part rien qu’à l’idée de remettre ses Trésors, et redoutait de perdre la raison.
— Je crains… je crains que les Trésors du Temps soient aussi maudits que les Trésors de l’Âme, avoua-t-elle d’une petite voix hésitante. Tout le monde les vénère mais… Plus j’y réfléchis, et plus je suis convaincue qu’ils n’auraient jamais dû exister.
— Je le crains, oui, admit-il. Mais en attendant, l’un de ces Trésors est le seul qui pourra sauver les Elfes, les Terriens, ainsi que ta propre vie.

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