Notes d’auteur : Je suis de retour enfin ! Encore une fois, je suis débordée en ce moment et j’écris moins. Mais je n’abandonne pas cette histoire. J’espérais la finir cette année, mais pour le moment c’est mal parti. Désolée pour ces attentes interminables. Voici enfin le chapitre 26. Je vous souhaite à tous une bonne lecture !
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On approche de la Mer Naweline. C’est l’endroit où y aura le plus de bateaux marchands à cette époque de l’année. Même si l’Armada doit être très présente aussi, on a trop besoin de liquidité pour se monter trop prudents. Le butin qu’il nous reste, on l’écoulera à Thalopolis. Au moins, là-bas, on se retrouvera pas dans les emmerdes comme à Blaisois.

En route, on a attaqué un port mesrin. C’était l’occasion de tester les nouveaux. Ils n’utilisent pas des masses d’armes, mais ils sont hargneux. Ça pourrait devenir de bons pirates quand ils maîtriseront quelques armes et seront organisés. Jia-Li se montre redoutable avec des couteaux. C’est même elle qui a fait le plus de dégâts. Jiro est nerveux et rapide. Je crois que Shad veut l’entraîner personnellement. Il a du potentiel.

C’est encore un peu tendu sur le bateau. Je dois toujours me montrer gentille et patiente. Ça me soûle. Je ne suis pas leur amie, mais leur capitaine. Vivement que l’épisode du détroit de Mim soit oublié. Les pirates oublient vite.

Journal de bord du Léviathan
Cap. Mac Alistair

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Chapitre XXVI : L’Armée de l’Ombre

Cyaxare fut assez rapide pour retrouver son cheval avant qu’une dizaine de soldats ne le retrouve. L’ancien pirate sauta en selle et mit aussitôt sa monture au galop. La bête se rua sous le rigoureux coup de talon. Ses sabots avant manquèrent de peu un soldat qui avait avancé sa lance. Il dut reculer précipitamment et renoncer à embrocher l’animal. Cyaxare en profita pour se frayer un chemin et fuir vers le centre-ville. La quantité de badauds et de stands devraient gêner ses poursuivants. À cheval, c’était plus aisé de passer. On s’écartait devant lui. Il s’élança dans les rues étroites. Rapidement, il dut ralentir, car le chemin était trop encombré et le sol trop instable pour exploiter la pleine vitesse du cheval. Heureusement, les rues n’étaient pas pavées à Herval, évitant que les sabots glissent dessus ou ne se prennent dans un pavé mal enfoncé.
Une partie des soldats le suivit en courant. D’autres repartirent vers le palais ; chercher des renforts ou pire des montures. Cyaxare grinça des dents. C’était mauvais. Leurs chevaux seraient frais et taillés pour la course. Tout le contraire du sien. Il devait quitter la ville avant qu’ils ne reviennent et faire en sorte qu’ils ne retrouvent pas sa trace. Ce dernier point serait le plus ardu ; surtout s’ils avaient des chiens. Le fugitif ne se faisait pas d’illusion ; ils en avaient certainement. Quel seigneur digne de ce nom ne possédait pas de limier pour la chasse ? Le roi devait avoir un chenil impressionnant. Le genre de bestiole qui vous arrachait la gorge en un coup de dents. Cyaxare se refusa d’y penser. Il devait se concentrer sur sa fuite.

Il arrivait sur la place du marché. On criait et on se bousculait à son passage. Il reçut des insultes et des menaces dont il n’eut cure. Il parvint à se frayer un chemin sans frapper quelqu’un. Non pas qu’il y eut quelques scrupules, mais ça l’aurait ralenti et le cheval aurait pu être blessé. La panique qu’il occasionna gêna ses poursuivants qui disparurent, emportés par la foule. Cyaxare en profita pour étendre son avance.
Les rues étaient bondées et il dut rapidement mettre sa monture au pas. Alors qu’il serpentait entre les passants, il ne cessait de guetter autour de lui le retour des soldats ou un signe de danger. Il devait davantage ressembler à un animal.

Le danger se fit vite entendre. Des cloches résonnèrent à travers toute la ville. On sonnait l’alerte. Il aurait bientôt tout Herval à ses trousses. Ça puait pour lui. Ses doigts se crispèrent sur ses rênes. Autour de lui, les gens s’agitaient, se demandant ce qu’il se passait. Cyaxare conserva un visage neutre pour ne pas attirer l’attention. Les personnes qui le voyaient arriver avaient tendance à s’écarter de son chemin, l’air craintif. Il se demanda s’il n’avait pas été démasqué avant de se rappeler qu’il portait l’uniforme de l’armée de Valerius. Avec l’alerte, tous ceux qui avaient quelque chose à se reprocher ou qui craignaient de faire ralentir un homme du roi par sa présence devaient vouloir ne pas se faire repérer.
L’atmosphère était tendue en ville. Chacun se demandant ce qui se passait. Certains craignaient une attaque. La guerre n’était pas finie depuis assez longtemps pour balayer ce genre de peur qui les avait gangrenés pendant presque vingt ans. Il pouvait voir les femmes faire rentrer précipitamment les enfants dans les maisons. Les hommes étaient tendus et hésitaient aussi à se mettre à l’abri. Une vieille dame se permit même d’essayer de l’arrêter en lui demandant ce qu’il se passait. Agacé, il l’écarta vivement de son chemin. Il ne se prit pas la peine de se retourner pour vérifier si elle s’était fait mal ou pas. Ce n’était pas son affaire. La ville s’agitait et bouillonnait. Il allait devoir se hâter. Avec l’alarme qui ne s’était toujours pas tu, personne ne s’étonnerait de voir un soldat traverser la ville en vitesse. Ce serait même plutôt l’inverse qui attirerait les questions. Déjà que sa monture était loin d’être réglementaire. Même s’il devait pas avoir beaucoup de connaisseurs en chevaux parmi la populace.

L’étroitesse des rues et la hauteur des maisons à étage et colombages lui donnaient une impression d’oppression, d’enfermement. Comme si Herval elle-même le faisait prisonnier. Il fit accélérer son cheval. La bête se mit au trot, mais n’avait pas l’amplitude et le pied assez sûr pour aller au galop. Cyaxare fouilla les environs des yeux. Il avait largement dépassé la place principale. Cependant, dans sa hâte et plus concentré sur ses poursuivants puis par l’alerte, il n’avait pas porté attention à la route qu’il prenait. Il grinça des dents en se rendant compte qu’il ne reconnaissait pas du tout ce quartier. Quelques silhouettes disparaissaient devant lui en se dissimulant le visage. Il ralentit son cheval et observa plus attentivement les façades. Bien que les bâtiments étaient hauts et larges, certainement fallait-il avoir les moyens pour les faire bâtir, ils étaient mal entretenus, sales ; certaines vitres brisées avaient été laissé comme ça ou condamné par des planches. La malchance le poursuivait. Il avait atterri dans les quartiers mal famés. Autrefois riches et opulents, les notaires étaient partis et les voleurs et autres rebuts de la société les avaient investis. Cyaxare découvrit ouvertement son épée, montrant qu’il était armé et qu’il savait se défendre. Il n’avait pas le temps de jouer avec des criminels de petite envergure. Cependant, sa tunique pouvait autant les éloigner que d’attirer leurs ressentiments et désirs de vengeance. Il ne les craignait pas, mais ne voulait pas déclencher une bagarre. S’ils lui montaient un guet-apens, Cyaxare ne doutait pas de l’emporter s’ils n’étaient pas trop nombreux. Mais s’ils s’y mettaient à plus dix, cela allait devenir compliqué. Il remit son cheval au trot pour devenir une cible moins facile. Il se mit encore plus ses gardes que dans le centre-ville. Cette rue était trop calme et trop déserte pour que ce soit naturel. Ça puait le piège. Sa main ne lâcha pas son pommeau.

Comme toujours son instinct eut raison. Dans un virage, cinq hommes sortirent de l’ombre. Leurs armes étaient sommaires – barres de fer, gourdins, couteaux longs, frondes – mais efficaces. Cyaxare n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qu’autant voir même un peu plus surgissaient dans son dos. Il les entendait, leurs pas lourds et leur souffle court. Il n’eut pas de mise en garde ni d’échange. La situation était claire. Ils étaient là pour tuer. L’ancien pirate tira son épée. Cela, il savait le faire aussi. Et certainement bien mieux qu’eux. Les petits malfrats s’élancèrent dans un grondement de rage. Leur proie fit cabrer son cheval. Les sabots défoncèrent le crâne des deux premiers. Les autres eurent le bon sens de se reculer. Nightingal fit volte face et balaya l’air de sa lame, parant l’attaque qui venait de derrière. Ils étaient huit. Enfin, avaient été huit. Son geste à l’aveugle avait touché l’un d’entre eux à la gorge. L’homme s’était écroulé au sol en tenant sa blessure sanguinolente et convulsait. Il ne survivrait pas. Ses camarades le savaient et le laissèrent agoniser à terre. Il n’y avait pas plus d’empathie chez les truands que chez les pirates. Cyaxare donna un second coup d’épée qu’ils évitèrent. Il se tourna que de moitié pour avoir les deux groupes en visuel et tourner le dos au mur. S’il voulait se sortir de ce guêpier, il allait devoir ouvrir un passage et donc décimer l’un des deux groupes.

Profitant que l’ennemi soit contre un mur, les bandits se rapprochèrent, l’acculant. L’un tendit la main pour s’emparer des rênes du cheval. Vivement, Cyaxare dégaina, lui coupa la main. Il était en hauteur, son arme était plus longue. Il devait conserver et jouer de ces deux atouts. Il fallait à tous prix qu’il les empêche de s’en prendre à sa monture. S’ils la blessaient ou pire la tuer, il était fichu. Il ne pourrait pas fuir Herval et se retrouverait en position de faiblesse face à ses vauriens. Quitte à se faire tuer autant que ce soit face à des soldats plutôt que face à des clochards armés de bâtons. Question d’honneur. Il trancha et entailla les gourdins qui se levaient, repoussa les barres de fer. Ceux qui possédaient un couteau n’osaient pas encore s’approcher. Il était hors de portée juché sur sa selle. Cyaxare songeait à forcer le passage et à prendre des risques car rester ici et subir leur harcèlement allait finir par l’épuiser. De plus, il perdait un temps précieux. Il fit à nouveau cabrer son cheval qui hennit sous la force qu’il mit dans les rênes. Le mors devait lui faire mal. Un type voulut plonger son couteau dans le poitrail de la bête, mais un coup de sabot lui brisa l’avant-bras. À nouveau, le groupe s’écarta. Cyaxare en profita pour lancer sa monture. Il bouscula les hommes et tailla dans le vif au passage. Il en toucha plusieurs. Il ne sut pas s’il s’agissait de plaies sérieuses ou superficielles. Il profita que son coup de Trafalgar marcha pour s’éloigner en vitesse. Quelques-uns lui coururent brièvement après avant d’abandonner la poursuite. À présent, il fallait quitter ce quartier et retourner en terrain connu.

Des cris lui parvinrent en avant. Il n’y prêta pas attention. Il n’avait plus le temps de faire dans la prudence. Il prit un nouveau virage. Cette fois, c’était des soldats. Un capitaine les guidaient à grand renfort d’ordres gueulés. Ses hommes entraient, armés jusqu’aux dents dans les maisons en défonçant les portes.

« Fouillez chaque recoin ! criait le gradé. Il doit être dans le coin. »

Cyaxare arrêta en urgence son cheval. Son regard croisa celui du militaire. Il eut un instant de flottement. Le pirate s’élança et traversa la rue. Il restait peu de soldats dehors et ils ne réagiraient pas sans ordres de leur chef. De toute façon, ils ne connaissaient certainement pas son visage. Mais le capitaine, si. Il se reprit et hurla à ses hommes de le poursuivre. Quelques chevaux étaient vaguement attachés non loin. Les soldats grimpèrent dessus. Cyaxare avait déjà pris une bonne avance. Il en profita pour prendre plusieurs carrefours et virages sinueux pour perdre ses poursuivants. Mais les soldats connaissaient mieux la basse-ville que lui. Le bruit assourdissant de leurs sabots le talonnait et semblait l’encercler. Malgré la saison, le sol était sec et la course soulevait de la poussière, l’aveuglant, lui faisant perdre ses repères.
Il tourna dans une ruelle en priant que ce ne soit pas un cul de sac. Fort heureusement non, mais des soldats l’attendaient au bout. Seul un était à cheval, les autres à pied. Cyaxare ne fit pas ralentir sa monture. Ils n’avaient pas de lance et ne pouvaient donc pas riposter face à un étalon au galop. Comme l’espérait Nightingal, ils s’écartèrent, lui libérant le passage. Celui qui était monté, par contre, se lança à sa poursuite. Son cheval était plus rapide et moins fatigué que le sien. Il le rattrapa avec aisance. Le pirate n’avait pas rengainé son épée depuis son bref combat contre les truands. Aucun obstacle ne lui faisait face. Il en profita pour se tourner et fendit l’air derrière lui. Le soldat n’eut pas le temps de prendre sa propre épée. La lame frappa directement son cheval qui s’écroula, lui en dessous. Cyaxare reporta alors son attention devant lui. Le bout de son épée raclait contre le mur, il ramena son arme vers lui. Cette ville n’était vraiment pas pratique pour se battre. Trop murs et pas assez d’espace. Il fallait qu’il en sorte rapidement. Il n’allait pas tenir longtemps comme ça.

Il força son cheval à monter un escalier aux marches basses. Il déboula dans une rue plus dégagée. Il crut reconnaître l’une des rues commerçante qui longeaient la grande artère reliant le centre-ville aux portes de l’est.

L’Est d’Eminghal était nettement plus désertique que l’ouest. Le climat y était plus sec et les points d’eau se raréfiaient, dû à leur proximité avec les déserts d’Ædan. Seules deux citadelles près de la frontière s’étaient enrichies grâce au commerce avec les nomades, faisant fi de la fermeture des frontières exigée par la couronne. En dehors de cela, simplement quelques villages subsistaient, souvent très pauvres. Au sud-est quelques montagnes et plateaux peu élevés à l’aspect austère offrait l’un des seuls reliefs de cette région terriblement plate. Ce n’était pas l’idéal pour se cacher, mais les lieues n’étaient pas très connues. Les gens l’évitant, sauf les natifs qui ne quittaient jamais leurs terres ; exceptés les marchands. Mais Cyaxare ne pouvait pas se permettre de retraverser Herval. Il allait devoir fuir par l’est. Il avait déjà voyagé là-bas en temps de campagne et pour combattre Valerius. Il avait même assiégé la cité de Doranas. Il espérait que sa mémoire ne lui joue pas de tour. Il suivit la rue et prit la direction des portes. Avec l’alerte, on avait dû les fermer et les faire garder. Il valait peut-être mieux tenter les passages secrets. Il y avait un tunnel à un ou deux kilomètres de la porte. Les soldats devaient s’attendre à ce qu’il veuille fuir Herval et l’attendront aux sorties officielles. Ils ne penseront peut-être pas aux souterrains de la famille royale. Valerius pourrait y penser, mais il n’avait pas trop le choix.

Des éclats de voix le firent ralentir. Il reconnut celle de Balian. Il s’arrêta et se dissimula dans l’ombre d’une échoppe. La silhouette massive du garde du corps du roi dominait les autres soldats qui l’entouraient, recevant visiblement des ordres. Le géant n’hésita pas à gifler l’un d’entre eux qui venait de le contrarier de son gantelet de fer. Étourdi, le militaire eut du mal à se relever. Cyaxare l’avait combattu plusieurs fois et il savait à quel point cette brute pouvait être forte. Balian était les muscles et Valerius le cerveau du duo. S’il voulait un jour atteindre le roi, il devait se débarrasser de son chien de garde. Mais ce n’était pas le bon moment. Même s’il parvenait à tuer Balian d’une flèche, toute la garde de Herval le repérerait.
Enfin, les soldats se séparèrent en hâte. Balian partit seul vers les portes de l’est. Cyaxare s’en réjouit. Si Valerius avait voulu l’arrêter aux souterrains, cela aurait été Balian qu’il y aurait posté. Peut-être le souverain ignorait qu’il les connaissait ou lui-même n’avait pas connaissance de leur existence ou de leur localisation. Dès que Balian eut disparut, Cyaxare attendit un peu afin d’être sûr de ne pas être vu. Il revérifia que la voie était libre et fit avancer son cheval. Il ne le fit pas courir pour faire moins de bruit. Si quelques hommes se trouvaient dans une rue à côté, ils pourraient entendre les sabots sur le sol. Il traversa la rue et s’enfonça dans quelques ruelles. Enfin, il fit face au mur. Au-dessus, quelques soldats tournaient sur le chemin de ronde de la citadelle. Ils ne semblaient pas s’intéresser à lui. Doucement, il frôla le mur. Ses doigts rencontrèrent une faille entre deux pierres. Il sourit. Il avait retrouvé l’entrée du souterrain malgré ses années d’absence. Il vérifia en quelques coups d’œil que personne ne le regardait. Les alentours étaient déserts. Même les soldats sur le chemin de ronde semblaient partis. De ses doigts, il dégagea les contours de quelques pierres. Il retrouva celle qui l’intéressait. Il la saisit comme il put et tira dessus. Il dut s’y reprendre à trois fois, le mécanisme étant visiblement un peu grippé et sa prise pas assez assurée. Enfin, il parvint à la dégager de moitié du mur. Un grondement résonna dans le mur. De la poussière s’écoula. Petit à petit, une porte invisible coulissa délivrant un passage suffisamment grand pour laisser passer un cheval sans cavalier. Cyaxare saisit les rênes du sien et entra, le tirant derrière lui. Une fois les deux à l’intérieur du tunnel, il attrapa une torche à côté de l’ouverture. Elle était toujours en état de fonctionnement. Il tira sur une longue chaîne qui pendait à côté et lentement le passage se referma. À tâtons, il entreprit d’allumer la torche avec des silex. Après plusieurs minutes de patience, quelques étincelles brillèrent et la torche s’alluma enfin. Le cheval n’avait pas bougé, mais eut un sursaut quand la flamme apparut. De quelques caresses dans le cou, Cyaxare le calma. Le flambeau en avant, guidant la bête, il avança dans les entrailles de Herval.

Le tunnel puait l’humidité et la terre. Le sol était boueux par endroit et même quelques flaques d’eau stagnaient par endroit. Les murs étaient grossiers en terre battue et en torchis comme les maisonnées des paysans. Parfois, on entendait des battements d’ailes. Des chauves-souris qui avaient trouvé dans ce lieu sombre, humide et désert un abri à leur goût. Cyaxare se souvenait que le souterrain débouchait à une vingtaine de kilomètres à l’est de Herval. N’ayant pas la place pour être en selle, il allait devoir les faire à pied. Mais ce serait toujours vingt kilomètres durant lesquels il serait en sécurité avec aucun soldat à sa poursuite. Il pouvait enfin souffler. Il se permit même le luxe de s’arrêter et de manger un peu. Il nourrit aussi sa monture qui ne fit pas la fine bouche devant les quignons de pain mous. Cyaxare dut changer plusieurs fois de torche. Heureusement, ceux qui avaient construit et aménagé ce souterrain avaient pensé à tout et plusieurs flambeaux de rechange étaient accrochés à intervalle régulier de un ou deux kilomètres. L’ancien pirate crevait d’envie de dormir, mais ne voulait pas traîner. S’il ne quittait pas rapidement le périmètre de la capitale, les soldats l’auraient quadrillé et il ne pourrait pas passer entre les mailles du filet. De plus, l’idée de se retrouver dans le noir complet et la boue au réveil ne l’enthousiasmait guère.

La route paraissait interminable et la monotonie du paysage n’aidait pas. Cyaxare ne se souvenait pas que ce tunnel fût long à ce point. Il ne l’avait jamais emprunté celui-là, il n’en avait vu que des plans sommaires et vu le mécanisme pour l’ouvrir et le fermer. Il avait fui une fois par un souterrain, celui près du palais qui menait au nord. Il lui avait semblé moins long. Peut-être était-ce parce qu’il n’était pas seul à ce moment-là. Cette fois, il avait son cheval pour unique compagnie et il n’offrait pas une grande distraction. Enfin, il sentit une légère montée sous ses pieds. Il devait approcher du bout. Effectivement la porte fermée lui fit face. Comme à Herval, il tira sur la chaîne. Le même grondement, plus sourd, lui parvint et la porte coulissa. Le soleil levant l’éblouit violemment. Il avait passé trop de temps dans le noir. Toute la soirée et toute la nuit. Au moins, il n’avait pas lambiné. Il avait toujours eu une bonne allure. Il avait retrouvé sa forme rapidement malgré les années à piétiner sur le pont d’un bateau. Il sortit du tunnel, l’animal à sa suite. La pente était raide, mais il parvint à s’extraire sans trop de soucis. Il était sur le flan d’une colline au beau milieu d’une plaine. À part quelques arbustes et des herbes hautes, il n’y avait aucune végétation. C’était une plaine comme il y en avait partout à Eminghal et surtout à l’est. Cela ne l’aidait en rien à se repérer. Il tenta de se souvenir plus précisément des cartes qu’il avait vu. S’il ne se trompait pas, le tunnel faisait une vingtaine de kilomètres. Et il était toujours droit. Il devait être plein est. S’il continuait dans la même direction, il devrait atteindre la frontière avec les déserts.

Les jambes douloureuses, il sauta en selle. L’animal gémit, mais avança docilement. Il marchait mollement et semblait fatigué de cette nuit et soirée sans interruption. Son cavalier aussi fatiguait, mais il fallait s’éloigner de Herval.

La vallée s’étendait à perte de vue. Derrière, il distinguait parfois une vague forme sombre qui devait être les murs de la capitale. Aucun autre cavalier à l’horizon. Les soldats étaient-ils toujours en train de le chercher à Herval ou avaient-ils pris d’autres directions ? Peut-être avaient-ils déjà fouillé ici et se trouvaient-ils plus loin.

La plaine prit peu à peu quelques formes et des petits monts apparaissaient de plus en plus nombreux. Le fugitif serpentait entre eux, soucieux de ne plus avoir une aussi bonne vue sur les alentours. L’herbe autrefois verdoyante prenait des teintes jaunâtres. Le vent se levait, sec et chaud, soufflant vers l’ouest. La journée était interminable. Pas une seule habitation à l’horizon. Le silence était pesant et le moindre bruit semblait assourdissant.

Derrière, des sabots résonnèrent. Cyaxare serra les dents. Des cavaliers, soldats certainement. On l’avait retrouvé. Un peu plus tôt dans la journée, il avait fait une pause. Son cheval avait brouté et bu dans un vieux puits. C’était une chance. Il le mit au galop. Il évita soigneusement de le faire monter sur une colline. En restant en contrebas, il était plus discret. Il ne s’en éloigna pas non plus pour demeurer dissimulé dans leurs ombres. Il serra les cuisses autour de sa monture et lâcha les rênes. Il se saisit de son arc et encocha une flèche. Il était prêt à tirer si l’un des soldats apparaissait. Ses yeux balayaient frénétiquement autour de lui, tel un oiseau de proie.

L’occasion se présenta quand un homme portant la tunique bleue et les armes de Valerius surgit du sommet d’un mont. Aussitôt, il appela ses camarades en montrant la silhouette de Cyaxare du doigt. Le fugitif se retourna sèchement et décocha sa flèche. Il vit l’homme tomber. Il l’avait touché, mais ne pouvait pas dire où ni s’il se relèverait. Il changea de direction avant que les autres n’arrivent. Il entendit leurs chevaux, mais ne les vit pas. Comme lui, ils devaient être en contrebas. Le sort funeste de leur camarade qui s’était dévoilé devait leur avoir servi de leçon pour ne pas l’imiter. Cyaxare espéra qu’ils ne le prendraient pas en tenaille. Il se demanda combien ils étaient. Il en compta trois ou quatre, six grand maximum d’après le bruit que faisaient leurs chevaux.

Malheureusement, le terrain ne lui resta pas favorable. Les collines se firent plus rare et le sol redevint plat. Bientôt, il serait à découvert. Ne connaissant pas la position exacte de ses ennemis, il ne pouvait pas retourner en arrière. Les galops se rapprochaient. Bien sûr, leurs bêtes étaient plus rapides. La sienne était un animal de trait à la base, pas de course.

Un soldat quitta les vallons étroits, arrivant en terrain dégagé. Cyaxare n’hésita pas et tira à nouveau. Il le rata. L’homme accéléra. L’ancien pirate garda un calme olympien malgré la situation et prit une nouvelle flèche dans son carquois. Il encocha, visa et lâcha la corde. Cette fois, il fit mouche. Blessé au bras, le soldat ralentit jusqu’à faire demi-tour. Le fugitif profita qu’il ait le dos tourné pour l’achever. Il utilisait trop de flèches à cette allure. Du bout des doigts, il compta celles qui lui restaient. Une dizaine. Suffisant pour abattre ses poursuivants actuels, trop peu si d’autres débarquaient. Pour le moment, il devait se concentrer sur ceux qui arrivaient. Voyant un gros rocher, il dissimula son cheval derrière. Il grimpa dessus et s’allongea à plat ventre. De là, il voyait tout sans être vu ; sauf quand on savait où chercher. De cette manière, il tua les trois autres qui arrivaient. Il attendit de longues minutes. Un quatrième qui semblait perdu sortit d’un autre endroit avant de recevoir la flèche qui lui était réservée. Le temps s’écoula. Silence. C’était à nouveau désert. Il rangea ses armes et remonta en selle. Il poursuivit sa fuite vers l’est à un rythme moins soutenu.

Deux heures s’étaient écoulée depuis la dernière attaque. Cyaxare avançait péniblement dans un vallon quelconque. La nuit n’allait pas tarder à tomber. Plus aucun bruit ne lui parvenait. Il avait réussi à semer ses poursuivants. Il était temps. Le cheval écumait et se traînait sous lui. Ce n’était pas une bête de course et Cyaxare l’avait poussé dans ses limites. S’il avait dû encore insister, il l’aurait crevé. Le cavalier se décida à épargner l’animal épuisé. Il descendit de son dos. Il le fit avancer par la bride le temps de quitter la route. Comme souvent en Eminghal, il n’y avait pas de forêt. Pour se cacher, il dut se contenter d’une colline. Il attacha le cheval à un buisson et le laissa brouter à sa guise. Il n’y avait pas d’eau pour le désaltérer. Il devrait attendre. Cyaxare doutait qu’il puisse aller encore bien loin, même en marchant. Ne voulant pas perdre son unique monture, il ne prit aucun risque. Il espérait juste que les soldats ne retrouvent pas sa trace dans ce laps de temps. Lui-même fatigué, il s’écroula à terre. Dormir un peu, ne serait-ce qu’une heure, lui aurait fait du bien. Mails il ne pouvait se le permettre. Trop dangereux. Dès que le cheval aurait récupéré, il reprendrait doucement la route jusqu’à un point d’eau. Puis continuer vers l’Est, quitte à rester quelque temps dans les déserts d’Ædan. Valerius ne le laisserait pas s’échapper comme ça. Il le poursuivrait à travers tout le pays. Peut-être avait-il mis sa tête à prix. Son ennemi était tout Eminghal et son souverain. Il n’avait aucun allié, personne à qui se fier. Dès que le peuple saurait qu’il était encore en vie et de retour au pays, tout le monde voudrait sa tête. Il serait la personne à abattre. Il ne se posait aucunement en victime. Si tous le voulaient morts, c’était pour de bonnes raisons. Simplement, il devait trouver une solution rapidement.

Durant la guerre, Cyaxare avait fait des choses horribles. Oh, il n’était pas le seul ! Tous l’avaient fait, dans les deux camps. La guerre transformait n’importe qui en monstre, développait les pires instincts humains. Seulement, lui, avait été du côté des perdants. Il doutait que les autres soient encore en vie ou alors ils étaient exilés définitivement loin d’ici. Il en aurait fait autant s’il n’y avait pas eu Myriem. Il ne pouvait pas l’abandonner. Elle avait déjà trop attendu. Il ne quitterait Eminghal que lorsqu’il l’aurait retrouvée et arrachée à ses geôliers.

La rage bouillonnait en lui. Valerius Sutherland ne possédait vraiment aucun honneur. Cyaxare avait rempli sa part du marché. Il avait ramené en or clinquant son million d’écus. Le roi lui avait juré qu’il libérerait Myriem. Il l’avait trahi et manipulé. Cyaxare ne supportait pas de s’être fait avoir aussi facilement. Quelle humiliation ! Et sa sœur ? Où était-elle ? Il avait prétendu qu’elle était chez l’un de ses vassaux. Mais Cyaxare ne pouvait plus se fier à sa parole de parjure. Il priait pour qu’elle soit toujours vivante.

Pour le moment, il devait échapper à Valerius. Ensuite, il partirait à la recherche de sa sœur. Mais comment y parvenir sans se faire capturer par l’ennemi ?

Il se redressa et guetta l’horizon. Personne. Le cheval semblait plus calme et broutait mollement. Cyaxare se souvenait qu’il y avait une rivière à quelques kilomètres au Sud. Sa monture avait besoin de boire. Lui aussi. Il détacha la bête et reprit la route à pied. Il ne tenta pas de remonter en selle. L’animal ne le supporterait pas. Déjà, il se faisait désirer pour avancer ; s’arrêtant souvent. Cyaxare devait tirer à chaque fois plus fort et plus longtemps pour qu’il se décide à lui obéir à nouveau. Il mit trois heures à atteindre la rivière au lieu d’une. Le cheval reprit vie et s’élança, de l’eau jusqu’aux genoux, et but à grandes gorgées. Cyaxare se servit lui-même généreusement. Elle était fraîche et pure. Il en avait rarement bu d’aussi bonne depuis des années. Rien à voir avec celle des cales du Léviathan, coupée au rhum pour éviter qu’elle croupisse.

La nuit était tombée depuis longtemps maintenant. Les rapaces nocturnes hululaient et planaient au-dessus de lui. Les températures chutaient et Cyaxare se mit vite à grelotter. Le ciel semblait menaçant. Il allait certainement pleuvoir. Toutes ses traces s’effaceraient et même avec des chiens, le retrouver se serait plus chose aisée. Il passerait une partie de la nuit de l’autre côté, afin de brouiller davantage la piste. Que ce soit lui ou son cheval, ils avaient besoin de repos. Comme il devait aussi avoir les idées claires et toutes ses forces demain. Il fallait qu’il retrouve Myriem le plus vite possible et il ne savait pas encore comment trouver les informations à son sujet.

Il rattacha le cheval et lui fit traverser la rivière qui n’était pas très profonde. Ils s’endormirent vite sur l’autre rive, même si Cyaxare gardait l’oreille aux aguets. Mais pas suffisamment. Car le lendemain, ce fut la pointe d’une lance lui titillant les côtes qui le réveilla. Il s’éveilla en sursaut et tira son épée. Mais une lame sur sa gorge le stoppa dans son élan. Une dizaine d’hommes aux visages dissimulés sous des turbans l’entouraient et pointaient leurs armes sur lui. Celui qui menaçait sa gorge le dévisagea et prit la parole :

« Nous avons entendu d’étranges rumeurs. Finalement, elles étaient vraies. Cyaxare Nightingal est non seulement en vie, mais aussi en Eminghal. Debout, Lord », ajouta-t-il d’un ton grinçant.

Lentement, le fusillant du regard, Cyaxare obtempéra. Les armes, épées et lances, suivirent chacun de ses mouvements. Du coin de l’œil, il remarqua qu’on s’était déjà emparé de sa monture.

« Qui êtes-vous ? questionna-t-il.

— La question n’est pas de savoir qui nous sommes, mais ce que tu vas devenir. Ton épée. »

L’homme tendit la main. Les dents serrées, Cyaxare le laissa la lui enlever. Rapidement, comme répondant à un signal invisible, les autres lui lièrent les poings.
« Hâtons-nous », siffla celui qui avait l’arme du pirate.
Il regardait autour de lui, nerveux. Cyaxare n’était pas le seul à être poursuivi visiblement. Vivement, on tira Cyaxare comme sur les rênes d’un cheval pour le faire avancer. À part le sien, il ne remarqua aucun canasson. Il perçut du mouvement derrière lui et un froissement de tissus. Soudain, sa tête fut recouverte d’une cagoule de lin grossier. Bien qu’il tenta de rester concentrer sur la direction qu’ils prirent, dénué de sa vue, il fut rapidement perdu, alors que ces inconnus continuaient de le faire avancer. Tout ce qu’il sut, c’était qu’ils ne passèrent pas la rivière. Ses ravisseurs restaient muets comme des tombes. En un sens, le pirate était légèrement rassuré. De toute évidence, ce n’étaient pas des soldats de Valerius. Et au vu de leur discrétion, ils devaient aussi être recherchés. Peut-être parviendraient-ils à trouver un terrain d’entente ? Déjà, ils ne le tueraient pas sinon ils l’auraient exécuté immédiatement. En vérité, les augures semblaient favorables à Cyaxare malgré la situation dans laquelle il se trouvait.

Le sol inégal sous lui manqua de le faire trébucher plusieurs fois. Heureusement, ses geôliers avaient de bons réflexes et le rattrapèrent à chaque fois. Cyaxare perdit aussi la notion du temps, mais il imagina qu’ils marchèrent deux ou trois heures. C’était long et pénible dans le noir complet. Pas une seule fois les hommes qui l’entouraient ne desserrèrent les dents. Sur son visage, l’ancien pirate sentait le soleil chauffer de plus en plus au fur et à mesure qu’il devait atteindre son zénith. Ils allaient vers l’est puisqu’ils faisaient face à l’astre. Enfin, soudain, une vague de fraîcheur l’envahit. Il sentait le sol changer sous lui, plus glissant, plus lisse. De la pierre. Il sentit l’humidité et le renfermé. Ils devaient être dans une grotte. D’après ses souvenirs, seules les montagnes non loin de la frontière de l’est en possédaient. À moins que ce ne soient des galeries souterraines. Mais il n’avait pas eu l’impression de descendre. Et maintenant, il sentait clairement qu’ils montaient une pente. Il en était sûr à présent : ils étaient dans les galeries et les grottes des montagnes Kardélacres au sud-est d’Eminghal. Il n’avait pas remarqué qu’il était allé aussi loin dans sa fuite.

Enfin, on ralentit et on le stoppa. Une main rude empoigna le sac et tira, lui arrachant quelques cheveux au passage. Il grimaça et cligna des yeux. Les maigres torches suffisaient à l’aveugler après tant de temps passé dans le noir complet. Il reconnut l’homme en face de lui. C’était le même qui l’avait désarmé. Il avait toujours son épée accrochée dans le dos. Cyaxare observa autour de lui. La grotte était haute, mais peu profonde. Derrière lui, il y avait un long tunnel. Ils l’avaient entraîné dans un réseau. Aucune lumière du jour ne perçait. L’odeur de la graisse des torches en train de brûler le fit tousser. L’air était tellement humide qu’il devina la présence de nappes phréatiques sous les montagnes. Il remarqua que l’entrée de la cavité possédait des barreaux plantés à même dans la roche. Une prison.

« Tu vas rester tranquillement ici, fit le chef de la procession, le visage toujours derrière son foulard. Le chef va venir t’interroger. »

D’un geste, il ordonna aux autres de l’attacher à un cerceau ancré dans le mur. Cyaxare s’en sentait encore plus humilié. On le traitait comme un vulgaire canasson. Le sien avait d’ailleurs disparu. Quelque chose lui disait qu’il n’était pas prêt de le revoir. Sans ajouter un mot, le groupe quitta la grotte en refermant soigneusement les grilles derrière eux.

Cyaxare s’assit, résolu. Il ignorait combien de temps encore il devrait attendre. L’air était frais et humide, complètement opposé à celui qu’il avait subi durant toute la matinée. Il frissonna. Il ne manquerait plus qu’il ne tombe malade. On lui avait laissé une torche juste derrière les barreaux, lui offrant une lumière. Mais, outre les ombres, il n’y avait rien à voir. Personne ne vint. Il se demanda combien de temps il passa à observer les murs. Il perdit la notion du temps. Il lui semblait des heures qu’il était là, mais cela ne faisait que deux qu’il était enfermé. S’il était faible, il se serait endormi, mais il se savait sur le fil du rasoir. Il ne devait pas baisser sa garde.

Enfin, il entendit des pas se rapprocher. Trois hommes s’avancèrent vers sa cellule et s’arrêtèrent devant. De toute évidence, celui du centre commandait et les autres lui servaient de protection. Ce devait être le fameux chef dont parlait l’individu au turban. Il ne prit pas la peine de faire ouvrir la prison. On n’allait pas l’emmener quelque part. Juste parler. Cyaxare se redressa et se remit sur ses pieds. Heureusement, les liens étaient assez longs pour lui permettre de tenir debout et droit. Il put même faire un pas en avant. Il refusa de baisser les yeux et fixa intensément l’homme en face de lui. Il sentait que c’était une force de la nature. L’homme portait de longs cheveux châtains en bataille. Ses yeux noirs et perçants détaillaient Cyaxare sans ciller. Les traits de son visage semblaient taillés à la serpe, mais il n’y avait aucune vulgarité. Il devait avoir une quarantaine d’années. Peut-être un peu plus, il semblait sans âge. Sa posture était droite et fière, quoiqu’un peu raide dévoilant sa tension. Aussitôt, le prisonnier le soupçonna d’être un ancien militaire. Peut-être même un noble. Son visage ne lui était pas inconnu, mais il ne parvenait pas à se rappeler où il l’avait vu.

« Lord Cyaxare Nightingal, parla-t-il lentement. Je n’aurais jamais cru vous revoir un jour. »

Ainsi, ils s’étaient déjà bel et bien croisés. Durant la guerre certainement.

« Je suis Arabalde Cyrus. Je dirige l’armée rebelle, se présenta-t-il d’un ton neutre. Mais cela vous devez déjà le savoir. »

Cyaxare leva un sourcil, seule manifestation de son étonnement. Il connaissait le nom de Cyrus. C’était une famille de petits barons du sud. Il savait que son père avait eu un chevalier à ses ordres de ce nom-là. Ce devait être cet Arabalde ; d’où la familiarité de ses traits. Mais c’était la mention d’une armée rebelle qui l’étonnait. Que voulait dire cela ?

« À dire vrai, votre visage ne m’était pas inconnu, révéla Cyaxare d’une voix posée. Cependant, j’ignorais l’existence d’une armée rebelle. Je ne suis rentré au pays que depuis quelques jours.

— Et où étiez-vous durant toutes ces années ? Qu’avez-vous donc bien pu faire ?

— Cela ne vous regarde en rien. »

Le ton était sec et sans appel. Cyrus n’insista pas. Cyaxare ne tenait pas à se rajouter l’étiquette de pirate en plus de tous ses autres crimes.

« Comme il vous plaira, abdiqua l’ancien chevalier. Quant à l’armée rebelle, sachez que vous n’êtes pas le seul que Valerius veut voir mort. Ni le seul à le désirer hors du trône d’Eminghal.

— La guerre n’est donc pas finie, devina Cyaxare.

— Officiellement, seulement. Nous continuons de combattre l’usurpateur. Cependant, notre nombre est bien trop inférieur pour l’attaquer de front et mener une vraie campagne militaire. Du moins, pour le moment. Nous nous contentons de frapper quelques points stratégiques afin de l’affaiblir. Quand le moment sera propice, nous frapperons d’estoc et le mettrons à bas du trône.

— Et à qui échouera la couronne quand vous vaincrez ? questionna Cyaxare. Zamariah III n’avait pas d’héritier direct. C’est terrible à dire, mais Valerius, étant son cousin, était le seul candidat légitime.

— Valerius a obtenu la couronne de la pire des manières, siffla Arabalde avec rage et haine. Il a fait tuer son propre sang pour l’avoir. Le fratricide est un crime devant les dieux et les hommes. Le tout dans la trahison la plus abjecte.

— Nous sommes d’accord sur ce point. »

Ainsi, malgré les apparences, la guerre n’était pas finie. Après la mort de Zamariah III et la fuite de Cyaxare, d’autres épées s’étaient soulevées contre Valerius. Mais elle ne semblait pas faire beaucoup d’effet. Personne dans les villages qu’il avait traversés ne semblait au courant de leur existence. Le roi, peut-être, cachait ce fait au peuple, mais il n’aurait pu faire taire les rumeurs. Il y en avait aucune. Les rebelles n’étaient pas assez actifs, ni assez puissants pour représenter une véritable menace. Malgré ce que pouvait en dire Cyrus et ses ambitieux projets. En attendant, il n’avait pas répondu à la question de Cyaxare. Soit il désirait garder le trône pour lui et ne voulait pas que ça se sache, soit il n’avait aucune idée de ce qu’il adviendrait s’il l’emportait. Arabalde reprit sans lui laisser le temps de formuler ses réflexions :

« Même si nous avons un ennemi et des avis communs, ne songez pas que nous soyons amis.

— Je m’étais déjà fait cette réflexion, se moqua Cyaxare. Je suis enfermé après tout. »

Arabalde Cyrus sourit à la pique. À ses côtés, les deux gardes conservaient un visage neutre comme s’ils n’entendaient pas leur conversation. Depuis le début, ils n’avaient pas esquissé un mouvement.

« Je suis un homme de justice, vous savez, poursuivit le chef rebelle. Il faut faire payer Valerius Sutherland pour ses crimes. Mais il n’est pas le seul à en avoir commis. Les vôtres ne sont pas plus glorieux ni moindres.

— Vous allez m’exécuter ?

— Cette décision ne m’appartient pas. Vous aurez droit à un procès durant lequel vous pourrez vous défendre face à vos accusateurs.

— Valerius aussi aura droit à un tel traitement ?

— Idéalement, oui. Le vôtre aura lieu demain à midi. »

Arabalde lui tourna le dos, prêt à partir. Mais au dernier moment, il sembla se raviser. Il jeta un regard par-dessus son épaule. Sa voix était basse et lente.

« J’ai connu votre père et combattu à ses côtés durant des années. C’était un grand chef militaire et un homme avec des principes. Il était fidèle et juste, bien que sévère. Cependant » Il fit une pause avant de reprendre de ce même ton grave. « Il n’était pas un homme de bien.

— Je n’ai jamais prétendu qu’il l’était, sourit amèrement Cyaxare dévoilant ses canines pointues. Ni même que moi-même j’en étais un.

— Encore un point où nous sommes en accord visiblement. »

Cette fois, Cyrus s’en alla pour de bon avec ses chiens aux talons, laissant Cyaxare à nouveau dans sa solitude et ses réflexions.

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Durant les heures qui suivirent, on lui apporta deux fois de la nourriture. Peu de temps après son second repas, quelques hommes armés se présentèrent devant sa cellule. Ils l’ouvrirent et lui ordonnèrent de se lever. C’était l’heure de son procès. Il fut guidé rudement à travers les galeries. Si certaines étaient restées naturelles et d’origine naturelles, d’autres avaient été emménagé et construites de la main de l’homme. Ils avaient accompli un travail de titan pour s’abriter dans un tel endroit. Ils étaient bien cachés et avaient beaucoup de place. Ils n’avaient qu’à emmener ce dont ils avaient besoin. Cependant, si leur cache était découverte, cela tournerait en massacre. Dans des cavernes immenses, plusieurs maisons artisanales avaient été élevé. Des braques flottaient sur des étangs souterrains et il y avait beaucoup d’allées et venues d’hommes armés d’épée ou d’outils. Cyaxare aperçut même des femmes et des enfants. Une vie en communauté s’était crée en marge de la société et du royaume. Pour vivre hors de la portée de Valerius, ils avaient cependant dû renoncer au soleil et à l’air libre. En grand habitué des immenses plaines d’Eminghal ou de l’océan à perte de vue, Cyaxare ne comprenait pas comment on pouvait vivre en se terrant ainsi comme des chauves-souris.

Ils débouchèrent finalement dans une caverne immense qui elle-même donnait sur une clairière prisonnière des roches et des montagnes. À son sommet entre les pics rocheux, le ciel apparaissait. Quelques herbes et autres plantes offraient un peu de verdures entre les cailloux. Plusieurs maisons en torchis et chaume avaient été bâti. Au centre, une demeure en plein pied, mais très longue, dominait les autres. Une porte double surplombée d’un bouclier aux armes de Zamariah composait l’entrée. Un des hommes ouvrit la porte et on traîna Cyaxare à l’intérieur. Une centaine de chaises avait été disposé en cercle. Elles étaient toutes occupées. Au centre, une longue table sur une estrade faisait face au vide.
Un silence de plomb s’abattit sur la salle quand Cyaxare parut. Il n’y avait que des hommes et ils le fixaient comme on regarde un démon. Sans qu’aucun ne bouge ou ne détourne le regard, le prisonnier et son escorte traversèrent la pièce jusqu’au centre. On laissa Nightingal debout face à l’estrade. Quatre hommes étaient installés à la table des juges. Comme l’avait prédit Arabalde, il n’était pas parmi eux. Cyaxare finit par le repérer au fond de la salle, debout, adossé au mur. Il n’était pas le seul. Une vingtaine d’individus était restée debout aussi. Pas assez de chaises pour tous ces spectateurs assoiffés d’une soi-disant justice. Il dut arrêter là ses observations de la foule. Un juge demanda le silence d’une voix de stentor. Une fois les rumeurs tues, il commença sa plaidoirie :

« Cyaxare Nightingal, vous comparaissez aujourd’hui devant cette cour pour répondre aux accusations qui pèsent sur vous. Vous êtes accusés de crimes de guerre. Alors que vous étiez général des armées du roi, vous avez, de vos propres mains et par l’intermédiaire de vos subalternes, tué des civils, commis des meurtres avec tortures, physiques et psychologiques, des viols et des vols. Vous avez abusé de vos pouvoirs et de vos dérogations sur le peuple et les soldats. Vous avez de plus déserté votre poste au milieu d’un siège avant de disparaître pour échapper à la justice. Reconnaissez-vous les faits ? »

Cyaxare s’empêcha de sourire devant ces paroles. Ils s’étaient bien renseignés. Il se demanda s’ils se seraient montrés si véhéments s’il n’avait pas fui Eminghal, mais entré directement dans leur parodie d’armée vengeresse. Peut-être était-ce sa désertion qui les chagrinait le plus. Voyant qu’on attendait avec impatience sa réponse, il parla.

« Oui », affirma-t-il d’une voix ferme et sans ciller.

Il n’y avait pas de honte ou de doute à avoir. Tout était vrai et il ne se l’était jamais caché. Il assumait ses actes et ne reniait pas son passé. Il y eut quelques murmures hostiles ou choqués autour lui. S’attendaient-ils à ce qu’il réponde négativement ou tente de leur mentir ? Cela aurait été certainement une réaction plus normale. Ou alors était-ce son visage neutre et cette lueur amusée dans le regard plus que ses mots qui créaient cette agitation.

« Vous ne niez pas les faits ? s’étonna le même juge, les autres restant profondément muets.

— Aucunement.

— Plusieurs personnes dans l’assemblée ont été témoins de vos crimes. »

Ils avaient bien préparé leur petit procès. Ils avaient même dégoté des témoins. Mais il plaidait coupable sans résistance et cela devait mettre en l’air leur mise en scène. Pourquoi faire intervenir des personnes pour mettre sous les yeux de l’accusé des faits qu’il acceptait sans eux ? Même Arabalde Cyrus, dans son coin, semblait décontenancé par le comportement de Cyaxare. Pourtant, il avait fréquenté son père et connaissait les Nightingal. Il ne devrait pas être surpris. On ne mentait pas chez les Nightingal.

« Que vos témoins viennent donc parler s’ils tiennent tellement à conter leurs souvenirs », concéda Cyaxare, ironique.

Son ton ne parut guère plaire aux quatre juges, mais on fit quand même signe d’approcher à quelqu’un derrière lui. Cyaxare sentit la présence plus qu’il ne l’entendit. Un homme passa à côté de lui et fit face au juge. Il était de dos et l’accusé ne pouvait distinguer son visage.

« Votre nom ? » questionna le juge.

Cyaxare émit un sifflement de mépris. Ce juge de pacotille connaissait parfaitement le témoin, mais dans le souci de vouloir se croire impartial, il faisait semblant. C’était d’un ridicule !

« Scorron Moran. »

Oui, Cyaxare connaissait cet homme. Il s’agissait de l’un des capitaines qui avaient servi dans son armée. La voix lui titilla les souvenirs sans qu’il ne puisse mettre la main dessus.

« J’étais capitaine de la troisième cohorte sous les ordres de Cyaxare Nightingal. »

Il avait déjà entendu cette voix. Soudain, Cyaxare comprit. C’était l’homme qui l’avait capturé. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il avait conservé son turban jusqu’au bout. Il ne voulait pas être reconnu par son ancien supérieur. Il avait toujours été lâche sur les bords.

« Que pouvez-vous dire sur les accusations qui pèsent sur Cyaxare Nightingal ? »

Déclare-moi coupable directement. C’est ce que tu veux, ce qui se fera et on arrêtera cette comédie stupide, songea Cyaxare, acide.

« Elles sont vraies, j’y ai assisté plusieurs fois, avoua Moran qui eut l’honneur de baisser les yeux.

— Développez, je vous prie. »

Le rebelle pâlit et se crispa. Il n’eut même pas le courage de regarder Cyaxare qui affichait un sourire carnassier. Tu y as assisté et participé.

« Plusieurs villages ont été dévasté et pillé. Ceux qui résistaient étaient massacrés. Souvent, il en crucifiait le long de la route pour… pour servir d’avertissement, bredouilla Moran qui suait à grandes gouttes. Il a même fait subir ce châtiment à des enfants. Il abattait les soldats qui ne lui obéissaient pas en disant qu’ils étaient coupables d’insubordination. Il utilisait la torture à outrance pour faire interroger les prisonniers ; qu’ils soient soldats ennemis ou simples civils. »

Il se tut, ne pouvant visiblement pas en dire plus. Il semblait culpabilisait, même si ses paroles le distançaient de ces actes. Cyaxare se souvint de lui en train de clouer les pieds de l’un des fils de Lord Théoxane sur une croix quand ils avaient repris Doranas. Avant de la reperdre quelques semaines plus tard.

« Qu’avez-vous à dire sur ces faits, Cyaxare Nightingal ?

— J’obéissais aux ordres de mon roi et servais ses intérêts. C’était la guerre et la guerre réclame des actes extrêmes.

— La guerre, répéta amèrement un second juge qui parlait pour la première fois. La guerre justifie donc toutes les horreurs ? Vous avez commis des crimes, même si c’était en temps de guerre. Le massacre des civils ne devrait pas avoir lieu, même durant une guerre. Tout comme la torture et le viol.

— J’avais besoin d’informations rapidement et c’était le seul moyen de faire parler l’ennemi. Quant aux viols, cela se produit toujours durant les guerres alors que les hommes laissent parler leurs plus bas instincts. Je ne les cautionne pas, mais ne les nie pas. Il y en a toujours eu et en aura toujours. Ce n’est qu’un dégât collatéral parmi tant d’autres. La mort de civils également.

— Tu ne connais pas la culpabilité ou le regret, connard ? » clama une voix dans la foule.

Un brouhaha furieux s’éleva et envahit la salle. Le juge dut frapper plusieurs fois la table et leur gueula de se taire.

« Silence ! Ceci est un procès, messieurs, pas une foire ! »

Cela n’en est guère différent.

« Reprenons où nous en étions, reprit le juge une fois que le silence se fit. Merci Scorron Moran pour votre précieux témoignage. »

Moran fut congédié et retourna s’asseoir en évitant soigneusement le regard de Cyaxare. Tu étais plus courageux le visage voilé, eut-il envie de lui siffler au passage.

« J’appelle un nouveau témoin. »

En tout, une dizaine de personnes vint raconter les méfaits de Cyaxare durant la guerre. La plupart étaient de simples spectateurs arrivés sur les lieux par hasard. Quelques-uns avaient survécu à l’attaque d’un village ravagé. Un vieil homme au visage brûlé prétendit avoir été torturé et laissé pour mort par Cyaxare et deux de ses hommes. L’accusé ne saurait dire si cela était vrai ou pas. Il n’avait pas retenu les visages de ses victimes, sa mémoire était trop précieuse pour être encombrée par de tels détails. Moran était le seul à avoir servi sous ses ordres ; même s’il s’était bien gardé de parler de ses propres crimes. De toutes les accusations et de tous les témoignages, Cyaxare y répondit coupable sans hésitation et en toute sincérité. Il avait toujours su que ses actions passées ne seraient pas oubliées facilement et que personne ne serait prêt à les lui pardonner. Non pas qu’il quémandait le pardon. De leur avis et jugement, il en avait cure. Il savait qui il était et ce qu’il avait fait, cela lui suffisait amplement. Cela restait entre lui et sa conscience. Il n’avait pas plus que les autres à se reprocher et le contexte avait fait qu’il en était arrivé là. Il ne se sentait pas plus coupable qu’un autre. Il était un être humain avec ses erreurs, ses failles, ses forces et ses réussites. Qu’espéraient-ils en le jugeant ? La vengeance ? Ils avaient été dans le même camp. C’était d’un ridicule tout ce cirque ! Il était prêt à mettre sa main à couper que Moran n’était pas le seul ancien militaire à avoir agi sous ses ordres et donc à avoir accompli également ce dont il était accusé. Sans compter tous les autres soldats qui s’étaient à cœur joie également durant ces temps troublés. Profiter de la guerre et d’une position de force pour faire du mal aux autres était terriblement humain. Sa nourrice disait que la guerre faisait ressortir les extrêmes chez l’homme, le meilleur comme le pire. Cyaxare n’y avait rencontré que le pire. Il n’avait pas fait exception à la règle.

« Cyaxare Nightingal vous avez reconnu les crimes qui vous sont imputés. Avez-vous autre chose à dire avant que le jury délibère ?

— Certes, souffla Cyaxare de sa voix grave. Je me demande une chose à propos de ce procès. Que faites-vous là à juger une seule personne, alors que vous avez un usurpateur à arracher au trône ? Pourquoi vous restez terrer là à faire de beaux projets plutôt que d’être sur le champ de bataille à combattre pour votre avenir et celui de vos proches ?

— Là n’est pas la question, grinça le juge, mais Cyaxare l’empêcha de poursuivre.

— Chevalier Arabalde Cyrus, ne sommes-nous point du même avis encore sur ce point ? Une guerre ne se gagne pas tapi dans des montagnes. Valerius ne vous prend pas au sérieux, voir vous méprise. Profitez-en. Attaquez-le par surprise. Vous n’êtes pas assez nombreux pour mener une guerre ? Vainquez en une seule attaque. Prenez Herval et battez Valerius Sutherland. »

Cyrus ne répondit pas. Il semblait songeur, mais ne dit rien. Un brouhaha enveloppa la salle et presque tous se levèrent, certains brandissant le poing vers Cyaxare. Malgré ce capharnaüm, il parvenait toujours à distinguer de temps à autre la silhouette adossée du chevalier.

« Silence ! Silence ! » s’époumonaient les juges sans effet.

Quelques hommes armés durent entourer l’accusé pour que la foule ne soit pas tentée de le lyncher. Mais la majorité ne lui portait même plus attention. Ils se disputaient entre eux. Visiblement, l’armée rebelle n’était pas aussi soudée qu’elle voudrait le croire. Il ne fallait vraiment pas grand-chose pour que les tensions éclatent.

« Et comment pourrions-nous avoir un quelconque avantage face à la citadelle de Herval ? »

C’était la voix de Cyrus qui avait fait taire les autres en quelques mots. Il avait une autorité naturelle et un charisme qui devait tenir l’armée unifiée. D’où le fait que tous se turent sans qu’il n’ait eu besoin de hausser le ton. Cyaxare s’empressa de répondre à son interrogation.

« De la même façon que j’ai pu fuir sans dommage sous le nez des soldats. Il existe des souterrains, des passages secrets si vous préférez. Ils n’étaient connus que de la famille royale. Zamariah III a partagé ce secret avec mon père puis avec moi. Il en existe quatre. Un à chaque point cardinal de la ville. Ils font une vingtaine de kilomètres chacun. Valerius ne les surveille pas. Sans doute n’en a-t-il pas connaissance. Il serait aisé d’envahir la ville en pleine nuit. »

Arabalde semblait songeur. Il observa les hommes autour de lui puis Cyaxare et revint vers ses hommes. Chacun se taisait et regardait leur chef, attendant le fruit de ses réflexions.

« Tout le monde quitte le bâtiment. Excepté les généraux et les juges. Kwendrith, fais ramener Nightingal dans sa cellule. »

Cinq hommes en plus des juges rejoignirent Cyrus. L’un des gardes de Cyaxare fit signe aux autres de l’entourer. Une fois la foule éparpillée en dehors de la maison, ils l’emmenèrent dehors et lui firent refaire le chemin inverse. Ils ne dirent pas un mot. Quelque chose d’important se déroulait en ce moment même et peut-être l’avenir de l’armée rebelle était en jeu. Et tout était lié à un criminel de guerre qu’ils s’apprêtaient à faire pendre.

Cyaxare ne prit pas vraiment confiance. Peut-être les généraux de Cyrus ne le croiraient pas et voudraient le voir payer pour ses crimes. Il avait cependant bien vu quel genre d’homme était l’ancien chevalier. L’idée des souterrains était peut-être leur seule chance de l’emporter sur Valerius. Certes quelques mots jetés au hasard ne suffiraient pas. Cyaxare devrait donner de plus amples détails et des preuves. Mais pour le moment, on voulait débattre du principe et si on pouvait accorder leur confiance à un Nightingal. Ou s’il ne faisait cela que pour être sauvé et faire cesser le procès.

Cyaxare n’avait pas peur de la mort. Ce procès l’indifférait. Mais il ne pouvait pas quitter ce monde d’aucune manière tant qu’il n’aurait pas délivré Myriem et qu’il ne l’aurait pas mise à l’abri. Faire une alliance avec Cyrus pouvait se révéler efficace. Dans le pire des cas, cela lui ferait gagner du temps et détournerait l’attention de Valerius. Il n’avait pas d’autre option.

Dans sa cellule, il attendit le verdict avec une impatience qui ne lui était pas familière. À présent, son sort était lié à celui d’Eminghal, de Valerius, de Cyrus et de ses hommes. Mais celui de sa petite sœur, Myriem, était aussi dans la balance. Il ne pouvait pas se permettre d’échouer ou de faire une erreur.

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J’ignore quand arrivera le suivant. Ce sera un intermède, La Main de la Terreur. À bientôt !

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