La Tour Royale, Zénith.
Mercredi 22 août 2012
Minuit.

Plus tard, Marius, Lixi et elle se mirent en route après quelques échanges houleux avec la Reine et certains membres de la Guilde. Le comportement d’Éléna la hantait encore, l’expression de son visage restait imprimée dans sa mémoire. C’était comme si, en l’espace d’une seconde, Lily s’était transformée en une vermine que l’on devait exterminer aux yeux de l’Elfe. N’était-ce pas un peu exagéré ?
Une chose la ravit et effaça ces tristes moments : l’espoir de retrouver son humanité perdue. Ainsi, ce voyage prenait tout son sens, elle se devait de récupérer le Sablier au plus vite !
— Nous devons traverser la forêt en direction du nord-ouest jusqu’à la plaine, confia-t-elle à ses amis.
La nuit avait plongé les bois dans les ténèbres, même la lueur de la lune ne parvenait pas à percer la canopée. Cette obscurité se révélait idéale pour commencer leur voyage. Ses sens étaient aiguisés comme ceux de Marius, les odeurs exacerbées, ainsi que les sons. Pour le moment, seuls les battements de cœur de Lixi rythmés par ses pas rapides la stimulaient.
Pendant leur course, ils ne croisèrent aucun ennemi, un silence inquiétant régnait aux alentours. Ils auraient entendu les hurlements habituels des Hybrides qui partaient à la chasse. À présent, Sian avait dû les réunir et les convaincre de le rejoindre. Quelques Ténébreuses guettaient à la lisière de la forêt, un peu plus au sud. Du coup, ils demeuraient tous les trois silencieux, chacun plongé dans ses propres pensées, et galopaient à vive allure.
Tout s’enchaînait beaucoup trop vite. Lily s’efforçait de ne pas réfléchir et se contenta de suivre Marius. Ils filèrent ainsi pendant une grande partie de la nuit sans quitter leur cap.

Les Bois de l’Aurore, Zénith.
Mercredi 22 août 2012
3 h.

Ils arrivèrent enfin à la lisière de la forêt, dévalèrent une pente raide et sortirent de l’obscurité des bois. Une vaste plaine s’étendait à l’infini devant eux. Le ciel étoilé et la lune éclairaient leur chemin d’une lumière blafarde.
L’air était sec, pas une brise ne vint aérer leurs poumons — ceux de Lixi en tout cas. Comme Lily l’avait espéré, ils se trouvaient suffisamment au nord pour ne croiser aucun ennemi. La chaîne de montagnes l’indiquait : elle s’achevait à l’horizon et les pics paraissaient nettement plus bas. Si elle se référait à ce qu’Éléna lui avait dit, au-delà de ces plaines désertiques se trouvaient les Marais Hurlants, lieu où se cachait le Sablier.
Lily entendit quelque chose tomber lourdement sur le sol et se retourna aussitôt, fébrile.
— Aïe, ce sac commence déjà à me faire mal aux trapèzes, se plaignit Lixi, sous le regard agacé de son fiancé.
Celui-ci contint sa colère, Marius semblait encore furieux qu’elle les accompagnât.
— Faisons une pause. Cela ne servirait à rien de nous épuiser.
Lixi tiqua, fronça les sourcils et darda son bien-aimé.
— Pardonne-moi, cracha-t-elle. Je ne suis pas aussi endurante qu’un Ombre ! Nous, nous sommes plus…
— Vivants, acheva un intrus.
Ils se retournèrent tous les trois simultanément, en direction de la lisière de la forêt. En réalité, la mystérieuse personne se trouvait loin derrière eux, tapie dans l’ombre. Seulement, leur ouïe particulière leur permettait de l’entendre. Un peu plus tard, un Elfe surgit de nulle part.
— Kaël ! s’écrièrent-ils à l’unisson.
Avec les évènements passés à la Tour Royale, Lily avait complètement oublié que l’Albinos devait les rejoindre en douce.
— Alors comme ça, on part à la chasse sans moi ! persiffla-t-il avec sarcasmes, un sourire coquin au coin des lèvres.
— Qu’est-ce qu’il fait ici celui-là, bon sang ! vociféra l’Ombre.
Ils sursautèrent, c’était la première fois que Marius perdait son sang-froid. Lily avait remarqué depuis leur départ que son comportement semblait inhabituel, il devait être nerveux que Lixi les accompagnât.
— Je viens protéger Lily ! Sale cadavre pourrissant ! cracha Kaël, fou de rage.
Marius se raidit, sembla fournir un effort considérable pour ne pas riposter, ou pire encore, mordre son éternel adversaire. Lily resta silencieuse et baissa la tête. L’Ombre ténébreux parut comprendre leur manège, car il posa ses yeux de prédateur sur Aurora, et s’indigna, l’air furieux :
— Ne me dis pas qu’il vient avec nous lui aussi, et que tu le savais !
— Qui d’autre est avec nous ? demanda Kaël, surpris. Lixi ! Qu’est-ce que tu fais là ? C’est trop dangereux pour…
— Oh, la ferme, l’Albinos ! rugit la princesse. Tu n’as aucun droit sur moi !
— C’est plutôt à toi, Kaël, qu’on devrait te poser la question ! enchaîna Marius.
— STOP ! Taisez-vous, je vous en supplie, TAISEZ-VOUS ! hurla Lily, au bord de la crise de nerfs.
Un silence de mort s’installa aussitôt. Aurora reprit d’un ton plus calme :
— Dois-je vous rappeler que ce voyage sera très éprouvant, devez-vous encore vous engueuler ? Je refuse qu’il règne de la discorde entre nous ! Nous n’avons pas besoin de ça ! D’accord ? Oui, Marius, Kaël vient avec nous. Ce n’était pas prévu, mais j’ai accepté. Kaël, Lixi nous accompagne aussi. Tu la connais… elle est trop têtue pour qu’on l’en empêche, comme toi, soit dit en passant. Maintenant que les choses sont claires, nous allons traverser les épreuves à venir ensemble, tous les quatre, en parfaite harmonie. Faites-moi le plaisir de vous entendre !
— Pardonne-nous, s’excusa Marius d’une voix plus chaude, avec tact. Nous ferons tout notre possible pour te rendre ce voyage plus aisé.
— Lèche-cul, marmonna Kaël dans sa barbe.
Marius n’en tint pas rigueur, il ne cilla pas et resta de marbre. L’Elfe s’approcha de Lily, lui pressa la main avec la sienne, lui témoignant de son soutien, et Lixi lui adressa un sourire désolé. La situation enfin stabilisée, elle annonça à ses camarades :
— Poursuivons notre route vers l’ouest. Profitons de la nuit pour avancer. Demain, la chaleur de cette plaine désertique nous accablera.
Ce fut dans un silence mortuaire qu’ils emboîtèrent le pas, s’efforçant de ne pas songer aux épreuves qui les assailliraient.

La Plaine des Supplices, Zénith.
Mercredi 22 août 2012
5 h.

Il faisait nuit. Pas une brise. Rien. On manquait d’air. Le sol était dur et sec. L’odeur d’herbes irritait ses narines. Elle marchait à un rythme régulier. Elle entendait des pas derrière et à côté d’elle. Ceux de Kaël et Lixi. Marius, lui, demeurait silencieux. Soudain, cette situation lui rappela exactement celle qu’elle avait visionnée après avoir mis l’Anneau. Lixi devrait bientôt trébucher, avant qu’une créature inconnue surgît de nulle part et l’embrochât, la tuant sur le coup. Ce scénario ne pourrait se produire. Paniquée, elle regarda autour d’elle, guetta une quelconque présence animale. Rien. Ils ignoraient tous les trois son état fébrile. Ses jambes flageolaient, ses doigts frémissaient et son cœur se durcissait davantage. Submergée par l’angoisse, elle se courba, se tint le ventre, et se laissa glisser sur le sol desséché. Haletante, elle les supplia de s’arrêter.
— Qu’y a-t-il ? s’affolèrent-ils.
— J’ai… besoin de repos. Je ne me sens pas très bien.
Inquiets, ils s’approchèrent d’elle et s’installèrent. Lixi lui caressait le dos et l’aidait à trouver une position plus confortable. Kaël fouillait dans son sac et sortit une bouteille remplie d’eau ferreuse.
— Merci, mais… je n’ai pas soif. J’aimerais juste… qu’on s’arrête un petit moment.
Lily se tint la tête dans les mains, confondue. Elle avait le sentiment de perdre le contrôle de la situation, la vie de Lixi était menacée. Ici ou plus loin dans le désert, un monstre se cachait dans l’ombre, attendant patiemment qu’une proie approchât. Son amie mourrait si elle ne prévoyait pas cet incident. Était-ce cette nuit ? Lors de leur retour ?
— Es-tu inquiète ? devina l’intéressée, vaguement penaude.
Lily serra les poings et planta ses yeux dans les siens.
— Tu aurais dû rester à Aurora ! Tu n’as pas conscience de mon angoisse. Chaque pas effectué dans ce désert en pleine nuit est une épreuve pour moi. J’ignore si je parviendrais à te sauver !
Son ton fut nuancé de reproche et d’affection. Parfois, la témérité et l’insouciance de la princesse l’exaspéraient. Pendant ce temps, l’Elfe et l’Ombre s’asseyaient près d’elles, conscients du danger qui menaçait Lixi, gardienne de leur cœur à tous les deux.
Bientôt, le ciel s’éclaircissait, le soleil brûlait peu à peu les sommets des montagnes à l’ouest, à l’extrémité de ces plaines. Ce paysage lui rappela un cauchemar qui avait hanté la plupart des nuits de son enfance, jusqu’à découvrir ce monde et ne plus pouvoir rêver.
Tout concordait : le désert s’étendait devant elle, se terminait par une longue chaîne de montagnes, éclairées par une Aurore flamboyante. À ce stade du lever du jour, Lily avait déjà transpercé la poitrine d’un inconnu. Elle ne se souvint pas de son visage. Son sang chaud coulait entre ses doigts, et un homme caché sous une cape noire s’approchait d’elle. Pendant toutes ces années, elle n’avait pas compris pourquoi elle avait rêvé de telles horreurs. C’était clair désormais.
L’individu à qui elle ôtait la vie devait être Victor, l’autre Sian, qui s’avançait vers elle après avoir vaincu son fils. Réussirait-elle ainsi sa terrible mission ? Deviendrait-elle une criminelle ?
— Lily ? dit Marius d’une voix douce. Nous devrions repartir avant que l’étoile ne soit trop haute dans le ciel. Les températures pourraient s’élever à une centaine de degrés.
Ils reprirent leur course, redoutant les rayons nocifs du soleil. Plus ils avançaient dans la matinée, plus leur cadence inhumaine ralentissait. De l’herbe sèche, des gravillons et des cailloux qui parsemaient le sol gênaient leur allure, ils ne s’arrêtaient pas pour autant.

Au milieu de l’après-midi, Kaël et Lixi entamèrent leurs provisions. Marius et elle se contentèrent de quelques gorgées de leur breuvage, puis ils poursuivirent leur route jusqu’au coucher du soleil. Les montagnes leur semblaient plus proches, et ils distinguaient à l’horizon un plateau irrégulier.
— Profitons du Crépuscule pour faire un feu, annonça Kaël. Nous ne pourrons plus user d’Héliogie à la tombée de la nuit.
Pendant qu’il faisait apparaître une flamme dans le creux de sa main et que Lixi rassemblait du bois, Lily caressait instinctivement son Anneau.
— Quel effet cela te fait-il d’être liée à un Trésor du Temps ? lui intima Marius en s’asseyant près d’elle.
La grâce de son visage et la froideur de ses prunelles troublèrent Lily.
— Je me sens plus vivante que jamais.
Elle hésita.
— Je n’en ai jamais parlé à qui que ce soit… Lorsque je pratique l’Héliogie, le lien qui m’unit à mon Trésor se renforce… et parfois, un phénomène étrange se produit.
L’Ombre aux cheveux d’or se redressa et parut vivement intéressé.
— Quel est-il ?
— Mon cœur se met à battre de nouveau… comme si je redevenais humaine pendant un bref instant, et que je guérissais temporairement.
— Humaine ? répéta-t-il, l’air surpris.
— Oui. Noah m’a même confié que le jour où je possèderai les trois Trésors, je me rétablirai complètement de mon infection. Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis déterminée à les retrouver tous rien que pour ça !
Il ricana, d’un rire clair et mélodieux.
— Est-ce si terrible que cela d’être une Ombre ?
Kaël se retourna, les rejoignit, avant d’ajouter :
— Je comprends ton désespoir, Lily. Je réagirais comme toi… Ce doit être si frustrant d’avoir un corps figé comme la pierre.
— Nous sommes moins vulnérables, objecta Marius. Contrairement à ce que tu crois, mon cher, nous sommes des êtres vivants.
— Foutaises ! vociféra l’Elfe. Vous n’êtes même pas capables de vous reproduire naturellement ! Seul votre venin transforme un Humain comme un vulgaire virus ! Vous êtes malades !
— Kaël ! s’indigna Lixi, lui frappant la tête d’un coup vif. Tu es intolérant et borné ! Tu l’as toujours blâmé pour ce qu’il est, alors que lui, au contraire, s’est montré amical envers toi. Son attitude est bien plus honorable que la tienne !
Kaël se renfrogna, darda les mains jointes des deux amoureux et sembla embarrassé.
— Dois-je te rappeler que je suis moi aussi une Ombre ? Tu m’insultes par la même occasion.
Son ton se voulut plaisantin, Lily savait pertinemment qu’il l’acceptait comme elle était. L’ébauche d’un sourire naquit sur ses lèvres afin de le rassurer.
— C’est à lui seulement que je m’adresse, affirma-t-il.
— D’ailleurs, puisqu’on en parle, pourquoi le hais-tu à ce point ? demanda Lixi, brûlante de curiosité.
— Désolé de croire cela, poursuivit Kaël, mais je me suis toujours méfié de lui. Je suis certain qu’il nous trahira, et qu’en réalité, Marius vit chez nous pour nous tromper à l’avenir. C’est un espion.
— Kaël, gronda Lixi, furieuse.
Marius posa sa main froide sur le genou de sa bien-aimée pour la calmer.
— Ne t’inquiète pas, je suis conscient de ses soupçons. Laissons-le croire ce qu’il veut, il verra bien qu’il se trompe.
Là, les yeux de l’Ombre et ceux de l’Elfe se croisèrent. Ils demeuraient silencieux, se dévisageaient et donnaient l’impression qu’ils représentaient des dangers l’un pour l’autre.
— Reposons-nous quelques heures, proposa Marius. Nous repartirons au milieu de la nuit.

Lily ne parvenait pas à fermer l’œil. Le destin de Lixi l’obsédait, le jour où elle devrait combattre Victor la hantait de nouveau. Les images paraissaient si claires : ce sang qui coulait entre ses doigts, l’homme encapuchonné qui s’approchait d’elle. Étaient-ils de simples cauchemars ou de véritables visions ?

La Plaine des Supplices, Zénith.
Jeudi 23 août 2012
4 h.

Ses amis se réveillaient un à un. N’ayant pas fermé l’œil, Lily les observait, assise tranquillement sur un rondin de bois, grattant la terre dure avec un bâton. Ils récupérèrent leurs sacs et repartirent avec toujours cette cadence rapide propre aux êtres immortels.

Une heure, deux heures, trois heures filèrent aussi vite que leur course. Ils se dirigeaient tout droit vers les montagnes, sans rencontrer d’ennemi ni de prédateur. Le paysage changeait. Parfois, ils croisaient des mares plus ou moins profondes. Le terrain devenait moins régulier, moins plat. Une légère pente se faisait sentir alors qu’ils distinguaient de mieux en mieux un plateau surélevé, au loin. L’air paraissait toujours aussi sec et la nuit les enveloppait encore. Le jour ne tarderait pas à se lever. Ils cessèrent de courir et se mirent à marcher, le temps que Kaël prît sa bouteille d’eau dans son sac et bût quelques gorgées. Une petite pause ne se refusait pas.
Sans prévenir, Lily entendit un bruit affreusement familier juste derrière elle : quelqu’un venait de déraper à cause d’un caillou.
— Aïe ! gémit Lixi.
Stupéfiée, Aurora se figea, le monde sembla s’écrouler devant ses yeux. Un puissant jet d’adrénaline jaillit dans ses veines, électrisant chacun de ses nerfs. Paniquée, elle secoua la tête, fonça sur Lixi, lui agrippa le bras et galopa dans une autre direction, les jambes chancelantes.
— COUREZ !
L’instant d’après, une bête féroce surgit de nulle part et se rua vers eux. Lily n’eut pas le temps de l’observer, elle fuit avec ses amis, réfléchissant à un stratagème. La créature réduisait considérablement la distance qui les séparait. Ils distinguèrent un lac quelques mètres plus loin, une idée lui apparut.
— Marius ! Essaie d’attirer son attention et occupe-la en attendant que le jour se lève ! Kaël et Lixi, venez avec moi vers le bassin !
L’Ombre s’arrêta immédiatement alors que les Elfes et Lily continuaient leur course. Inquiète, elle se retourna afin de savoir comment Marius se débrouillerait. Ce dernier fonça vers la créature, à croire que c’était lui à présent le prédateur. Grâce à sa vitesse et à son agilité hors du commun, il parvint à esquiver ses frappes de queue et de griffe que le monstre difforme lui assénait. Un trou béant doté de plusieurs cercles concentriques de dents pointues faisait office de bouche. L’Ombre et la créature entrèrent dans un duel périlleux, où chaque coup pouvait s’avérer mortel si une griffe, longue comme une épée, tranchait la gorge de Marius. Celui-ci se débrouillait à merveille, il parvint à contrer ses attaques, à se défendre et surtout, à mener la danse. Pendant ce temps, Lily expliquait à ses deux amis son idée :
— Écoutez, tous les deux. Dès que la première lueur de la journée apparaîtra dans quelques minutes, Kaël et Marius, vous attirerez la créature dans le lac. Elle devra vous suivre dans le bassin. Ce sera à Lixi et à moi d’agir au bon moment : nous devrons transformer l’eau en glace afin de la piéger, en nous assurant que vous êtes bien sortis. C’est là toute la difficulté. Nous devrons être parfaitement coordonnés. C’est compris ?
— Je vais rejoindre Marius pour lui dire ton plan ! s’écria Kaël en s’éloignant d’elles.
Lixi et elle contournèrent le bassin afin d’exercer au mieux l’Héliogie sur leur proie. Aussitôt après, la première lueur de la journée éclata.
— MAINTENANT !
Marius et Kaël cessèrent d’esquiver les coups, fuirent vers le lac, plongèrent, et s’empressèrent de le traverser à la nage. Le monstre fonça dans leur direction, mais s’arrêta au bord de l’eau de manière impromptue. Soudain, il tourna la tête dans la direction des deux jeunes femmes, abandonnant ses proies inaccessibles.
— Et merde…
— KAËL, FAIS QUELQUE CHOSE ! hurla Lixi, affolée, tandis que monstre s’approchait d’elles.
L’Elfe stoppa net sa nage, fit volteface et lança sur la créature plusieurs salves de flammes qui vinrent s’abattre sur sa solide carapace. Agacée, la bête se retourna et, après quelques secondes d’hésitation, plongea et continua sa course. Pendant ce temps, Marius et Kaël sortirent hâtivement du bassin.
— Lixi… c’est à nous.
Ensemble, elles placèrent leurs mains devant elles, se concentrèrent, captèrent les hélioctrons et agirent. Un spectacle merveilleux se présenta aussitôt sous leurs yeux. L’eau se transforma en des millions de cristaux de glace depuis le bord. Cette métamorphose progressa de proche en proche, avec grâce et rapidité, la proie se débattit sauvagement, en vain. Le lac était devenu une patinoire, empêchant la créature d’effectuer le moindre geste. Enragée, elle rugit jusqu’à froisser leurs tympans.
— As-tu trouvé une bonne méthode pour en finir avec elle ?
Lixi esquissa un sourire coquin de petite fille amusée, qui frôlait le sadisme.
— Oh, oui ! minauda-t-elle d’une voix doucereuse. Mon destin était de mourir entre ses griffes… Observe et admire !
Lixi posa un pied sur la glace, et s’approcha malicieusement de sa proie, le sourire aux lèvres. Son regard sombre fixé sur la créature, elle rôdait près d’elle et savourait cet instant de domination. L’Elfe leva les mains, effectua des mouvements complexes et gracieux avec ses longs bras effilés, pendant qu’elle captait les hélioctrons. Elle dansa autour du monstre avec des gestes amples et souples. Elle accéléra sa cadence et devint presque invisible. Seules les traces de lumière qui émanaient de ses mains formaient des boucles déformées, des ondulations, des spirales harmonieuses. Lixi leur offrait un véritable spectacle. Elle n’était pas une meurtrière, non, mais une artiste.
Désorienté, le monstre hurlait, pendant que ses griffes se transformèrent en une matière rigide et transparente. Ce phénomène progressa le long de ses membres, de son abdomen et de son thorax. Bientôt, la métamorphose entama son cou, sa tête et son trou béant qui lui servait de bouche. Plus aucun bruit n’en sortit. La lumière du jour traversait le bloc, produisant des milliers de raies de toutes les couleurs. Lixi cessa sa danse et contempla son œuvre, satisfaite.
— En quoi l’as-tu transformée ? s’écria Lily depuis le bord.
— En cristal !
Lixi claqua des doigts et des gouttelettes d’eau apparurent simultanément au cœur du monstre, réparties dans tout le corps.
L’instant d’après, la créature explosa en milliers d’éclats qui retombèrent comme une pluie fine. Ils en restaient bouche bée durant plusieurs secondes, avant d’applaudir.
— Wouah ! s’écria Kaël, admiratif.
— Bravo, Lixi, c’est un exploit !
Le visage fendu d’un sourire rayonnant, elle sautilla vers Lily, la frôla et susurra à son oreille :
— Tu as su me sauver le moment venu… Une fois encore, tu as réussi à changer le courant des choses.
L’Elfe et l’Ombre, les deux éternels adversaires, les rejoignirent. Ils rassemblèrent leurs affaires et continuèrent leur route vers l’ouest, le cœur un peu plus léger.

Quelques heures plus tard, le terrain devenait nettement plus pentu et escarpé. L’air était poisseux, le sol de plus en plus marécageux, et une brume sinistre les enveloppait. Ils escaladaient certains murs de roche parfois, afin d’atteindre le sommet du fameux plateau, visible depuis le cœur des plaines.
Bientôt, ils aperçurent au loin l’arcade en pierre que la Reine avait évoquée, délimitant les Marais Hurlants. Ils se trouvaient à une centaine de mètres d’altitude. Des arbres feuillus au tronc tordu avaient poussé dans des directions différentes, procurant au lieu un aspect étrange. Le sol était dur et rocailleux, jonché d’obstacles et d’énormes racines biscornues. Il faisait chaud et l’air était beaucoup trop chargé en humidité, rendant l’atmosphère étouffante.
— Sommes-nous bientôt arrivés à l’endroit où se cache le Trésor ? demanda Kaël.
Ils s’arrêtèrent non loin de la grande arcade en pierre, haute d’une demi-douzaine de mètres. Comme Éléna l’avait précisé, une phrase était gravée sur la clé de voûte :
« Prenez garde à vous-même ».
Anxieuse, Lily révéla à ses amis :
— La partie de ce voyage sera la plus éprouvante.
— Où sommes-nous ?
— Nous nous apprêtons à traverser les Marais Hurlants. Le Sablier est caché dans un vaste cimetière, au fond d’un cratère, à plusieurs jours de marche vers l’ouest.
Elle leur expliqua le danger de cette région. Bien que Marius restât de marbre face à ses sinistres révélations, les deux Elfes peinaient à contenir leurs inquiétudes.
— Vous risquerez de devenir irritables, d’être hantés par vos plus profondes peurs et de voir des choses qui seront en réalité dans votre tête. Surtout, ne paniquez pas, et sachez que ce sont des ondes qui provoquent ce phénomène. C’est de la physique pure et simple, ni plus ni moins.
Silence.
— Éléna m’a révélé que tous ceux qui ont parcouru ces marais sont devenus fous et sont morts, parce qu’ils étaient seuls. Je pense qu’en étant quatre, nous parviendrons à surpasser ces épreuves. Nous devrons nous faire confiance et rester solidaires !
— Ne pouvons-nous pas recourir à l’Héliogie pour éliminer ces êtres vivants ? suggéra Lixi avec espoir.
— Ce sont des microorganismes, précisa-t-elle d’un ton posé. Les marais sont vastes, il doit y en avoir des milliards, et bien au-delà. S’il était possible de s’en débarrasser aussi facilement, ta mère me l’aurait dit. Ce n’est pas le cas. Cette fois-ci, nous ne pourrons pas tricher. Avant de passer l’arcade, nous devons nous restaurer. J’ignore si nous serons en mesure de le faire par la suite…
Marius et Lily burent chacun une bouteille d’un litre d’eau ferreuse alors que leurs amis engloutissaient des féculents, du poisson et des fruits très riches en vitamines. Après avoir repris des forces, ils récupérèrent leurs sacs et se dirigèrent vers la majestueuse arcade surannée, recouverte par endroit de mousse verte. Arrivés sous la voûte, ils retinrent leur souffle.
Le paysage se révéla d’une beauté inquiétante. Un chemin étroit et sinueux taillé dans la roche les menait au pied de cette vertigineuse falaise. En bas, ils distinguaient de l’eau trouble, d’un blanc nacré. Des murs hauts d’une centaine de mètres emprisonnaient les marais.
La végétation luxuriante qui semblait avoir dévoré la région étonna Lily. Des arbres impressionnants avaient poussé dans toutes les directions. Les racines ressortaient des eaux, tels des serpents de mer, et des rideaux épais de lianes sans fleur chutaient depuis la cime jusque dans les marécages. Cet endroit se révélait à la fois lugubre et fascinant, un frisson inattendu galopa le long de son échine. À l’horizon, le soleil se couchait inexorablement derrière les basses montagnes, et une brume épaisse gagnait du terrain.
— Allons-y, suggéra Marius, vaguement impatient.

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