49 jours auparavant

Assise sur une marche à mi-hauteur dans l’escalier, cachée dans la pénombre, j’écoutais les discussions qui se déroulaient à la table de ma cuisine. Je n’éprouvais aucune difficulté à percevoir la conversation, bien qu’elle avait lieue dans la pièce d’à côté. Le mur sur lequel était adossé l’escalier et qui séparait mon entrée de ma salle à manger était, par chance, percé d’une grande arche – comme tous ceux du rez-de-chaussée. L’été, une telle aération était particulièrement appréciable. Mais quoiqu’il en soit, je n’avais jamais autant affectionné l’architecture provençale que depuis que j’avais découvert, par hasard, une nuit que j’avais voulu aller me chercher un verre d’eau, que des réunions secrètes se tenaient parfois sous mon toit. Il s’avérait que mon père, ainsi que quelques-uns de nos voisins, avaient pris pour habitude de se réunir deux fois par semaine, chez les uns et les autres, afin de se tenir informés de ce qu’il se passait à l’extérieur de l’enceinte de notre village. Des nouvelles dont j’avais besoin de prendre connaissance, bien que mes parents jugeassent vraisemblablement que ce n’était pas le cas, étant donné qu’ils attendaient toujours de croire à mon endormissement avant d’accueillir leurs invités.

— Il paraît qu’ils ont perdu tout contrôle en Île-de-France. Il y aurait plus d’infectés que de gens sains là-bas maintenant, entendis-je s’exprimer monsieur Martin, qui habitait au numéro 25.

— Pareil à Lyon. enchaîna un autre voisin que je ne reconnu pas. Ils ont beau avoir bombardé ces saloperies, plus encore sont apparues après ça et les autorités ont pas pu faire face.

— Le gouvernement se serait retranché à Amiens. Aux dernières nouvelles le Président serait en vie. Pas que ça nous aide, poursuivit monsieur Dubois, dont la maison se trouvait au numéro 28.

— J’ai entendu des rumeurs. Un copain a écouté aux portes et ça a payé. Il m’a dit que le ravitaillement allait bientôt s’arrêter. Ils veulent regrouper la population dans des structures protégées pour mieux gérer les ressources et contrôler les cas d’infections. Il paraît qu’ils viendront nous chercher en camions pour nous emmener là-bas. intervint monsieur Ramirez et le calme se fit durant quelques instants.

— Et c’est où, là-bas ? interrogea mon père, s’exprimant pour la première fois depuis une dizaine de minutes.

— Aucune idée.

— Je peux pas attendre qu’ils se bougent le cul et risquer la vie de ma famille. s’emporta soudain un autre homme, monsieur Richaud il me semblait bien. On a décidé de quitter la ville pour aller au camp de réfugiés, au sud-ouest de Berre-L’étang. Il paraît qu’ils ont des armes là-bas. Au moins on sera en sécurité le temps que l’armée se décide à nous évacuer.

— Pareil, renchérit monsieur Dubois et il y eut un concert de « ouais » d’approbation.

— Et toi Jérôme ? Marie reste inflexible ? demanda Ramirez et je songeai que la concernée avait bien failli me griller un peu plus tôt, lorsqu’elle était partie se coucher, vaincue par la fatigue. Et, je le soupçonnais fortement, ne souhaitant pas s’attarder plus avant à ce conseil de voisinage qu’elle ne semblait pas approuver. Par chance, j’avais eu le temps d’aller me planquer avant qu’elle ne monte l’escalier.

— Elle est terrorisée. Et elle refuse d’abandonner la maison, de peur qu’elle soit pillée en notre absence. Comme si il y avait un retour possible. Je crois qu’elle ne réalise pas la gravité de la situation.

— Ah ! piaffa l’habitant du numéro 25. Ça se comprend. Personne veut s’avouer que cette situation de merde va durer. On veut tous croire à un retour à la normale.

— Et tes gosses, ils tiennent le coup ? s’enquit un autre voisin et je tendis l’oreille avec attention.

— Je crois, ouais. Lucas n’a pas l’air de trop comprendre ce qu’il se passe et Alex.. elle fait de son mieux pour gérer. Elle veut aider.

— C’est une bonne gamine. me complimenta Ramirez et je souris, étonnamment touchée par le compliment.

— En tout cas, nous on part cette semaine. Si vous voulez vous joindre à nous, vous êtes les bienvenus. conclut monsieur Richaud avec une chaleur qui ne fut pas reflétée par la réponse de mon père, que je sentis quelque peu vaincu.

— Merci … je vais y penser.

Suite à quoi la conversation sa tarit rapidement, jusqu’à mourir, et les hommes convinrent d’un commun accord qu’il était temps d’ajourner la rencontre. Mon père les raccompagna à la porte et j’avais déjà disparu à l’étage lorsqu’ils l’atteignirent.

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