31 jours auparavant

Après une heure passée à observer l’état de ma mère se dégrader à vue d’œil, tout en essayant de faire abstraction des cris, pleurs et autres éclats d’affliction qui résonnaient dans les couloirs, j’avais entraîné Lucas hors de la chambre pour une promenade. Il m’était impossible de le préserver de ce qu’il se passait, non seulement au sein de notre famille mais également autour de lui, mais ça ne m’empêchait pas d’essayer. Je l’avais attiré dans la première cage d’escalier déserte que j’avais pu trouver pour nous isoler de l’agitation morbide autant que possible et nous nous étions contentés de rester là, assis sur la première marche, plongés dans nos pensées respectives durant un long moment. C’était probablement la plus longue durée durant laquelle j’avais jamais vu mon frère rester calme et muet, lui qui avait toujours été un moulin à paroles infatigable. Un rappel de plus de la souillure que les récents événements avaient fait naître dans nos cœurs ; une emprunte que je devinai -avec de plus en plus de clarté- indélébile.

— Alex, m’interpella soudain le pré-adolescent sans me regarder et je sursautai légèrement, arrachée à ma psyché, avant de me tourner vers lui.

— Oui ?

Il laissa planer un instant de silence, les sourcils froncés, le regard focalisé sur le béton entre ses pieds et une moue étrangère sur son adorable visage moucheté, avant de reprendre la parole, un accent grave dans sa voix d’enfant qui ne lui saillait pas.

— Est-ce que je vais mourir ?

Je gelai, choquée au delà de toute mesure par cette question qui scellait l’agonie de l’innocence -de son innocence. N’obtenant pas de réponse de ma part après une minute entière, Lucas se redressa pour me regarder et je vis ses beaux yeux multicolores s’écarquiller, tandis qu’il portait une main mal-assurée sur mon visage pour en essuyer une larme silencieuse. Je ne m’étais même pas rendue compte que je m’étais mise à pleurer.

— Alex, ça va ? Pourquoi tu pleures ?

Je secouai la tête, incapable de répondre, tout en avalant le flot de salive et d’angoisse qui m’entravait la gorge avant de grossièrement essuyer l’eau salée qui dévalait mes joues, pour venir me saisir de ses paumes afin de les emprisonner dans celle que j’avais de valide. Je plongeai mon regard dans le sien, presque avec fièvre, habitée d’un besoin brûlant de le convaincre. Au point de la déraison.

— Tu ne vas pas mourir tu m’entends ? Je ne le permettrai pas. Tant que je serai là pour te protéger tu n’auras rien à craindre, d’accord ?

— Mais si tu n’es pas là, com-

— Je serai toujours là pour toi, je l’interrompis incapable de supporter une objection, je resterai toujours avec toi. Rien ne pourra nous séparer, je te le promets.

Il hocha la tête en assentiment, pas vraiment convaincu mais légèrement rassuré et je ne pouvais pas en demander beaucoup plus. Je l’attirai contre moi et le serrai fort, enfonçant mon visage dans le nid d’oiseau qu’était sa crinière pour m’imprégner de son odeur, comme si à tout moment on pouvait venir et me l’arracher.

Et je me promis à cet instant que c’était quelque chose que je ne laisserai jamais se produire.

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