— Jack…, articula Leila.
Elle se résigna cependant dès qu’il la regarda dans le fond des yeux. Une foule de questions lui venait en tête, mais elle ne pouvait décemment pas interroger le jeune homme. Elle sentit une certaine tension naître entre eux.
Elle observa Jack longuement. Les traits de son visage, ses prunelles, la douceur de sa peau… Elle avait l’impression de connaître tout ceci de lui. Il s’agissait d’une sensation étrange et frustrante. Elle était presque certaine de l’avoir côtoyé davantage que le laissaient entendre ses souvenirs. Pourquoi ne s’en rappelait-elle pas ? Et lui, n’avait-il rien à lui dire ? Ce qu’elle éprouvait, cette souffrance inavouable, n’était-elle pas réciproque ?
La future Aehk’yi crut discerner une larme au coin de son œil. Un silence pesant s’installa entre les deux jeunes gens, puis un autre homme intervint auprès de Jack. Après un vague bonsoir, ils prirent congé.
À son tour, Leila quitta la réception, prétextant un malaise auprès de son père.

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Elle se laissa aller au gré des insomnies, assise derrière la fenêtre de sa chambre. Le vent soufflait fort depuis une heure et dehors, le Crieur déplorait plusieurs victimes au son de sa cloche.
Depuis le troisième étage du palais, Leila apercevait quelques courageux habitants encore dans les rues et qui se précipitaient à l’abri. Elle, là-haut, aurait tout donné pour sortir un peu, flâner un instant près des balançoires, juste au-delà de la propriété. Poussées par les bourrasques, elles grinçaient. Leila avait passé l’âge d’y jouer et son père ne l’y poussait plus depuis longtemps. Quelque chose la rattachait néanmoins à ce petit parc, à cette dernière balançoire, isolée des autres. Plus qu’une impression, elle en avait la certitude. Comme le fait que Jack avait tenu un rôle important dans sa vie. Il s’agissait d’une conviction un peu ténue, certes, mais de quels souvenirs disposait-elle réellement, en fin de compte ? Aucun. Que des bribes, des morceaux éparpillés aux quatre vents.
L’amnésie partielle dont elle pensait souffrir la troublait. Pourquoi restait-elle à ce point obsédée par la présence de Jack ? Que représentait-il dans son existence ?
Elle savait qu’il y avait eu quelqu’un, un jour, pour veiller sur elle, et elle sur lui, mais il était parti. À présent, il n’y avait plus qu’elle. Pourquoi avait-elle ainsi oublié ?

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Un nouveau jour se levait sur Vhaly. Leila profitait d’un bain trop chaud, y noyant ses déceptions. La mélancolie hantait le palais.
Au lendemain de sa tentative de dialogue avec Jack, elle commençait à éprouver un vide, un pincement au cœur. Peut-être ne le reverrait-elle jamais ? Cette pensée fourbe l’effraya un peu, bien qu’il y eût encore un espoir. Même minuscule, infime, un semblant de rien, un peu de poussière, elle s’y accrocherait encore. S’attendre au début d’un rêve… sauf qu’elle ne rêvait plus. Elle faisait des cauchemars dans lesquels on volait une part d’elle-même. Chaque réveil était une torture, piqué au vif.
Une douleur absolue.

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