Chapitre 6 :

-Mort ? Moi ?

Marco regardait Aaron et Koldrim comme si ils étaient des créatures venues d’ailleurs. C’était trop farfelu pour qu’il puisse croire ça. Mort…MORT. S’il était mort, il aurait remarqué ce petit détail, non ? La personne qu’il était bougeait, parlait, interagissait avec le monde et les hommes autour de lui. Ce ne pouvait pas être simplement concevable…Si ?

Mais le noble-loup et l’imposant inquisiteur lui jetèrent un regard un peu embarrassé, mettant suffisamment Marco inconfortable pour l’empêcher de rire comme si c’était une blague.

-Mais…Messieurs. Je ne peux pas être mort. Vous ne pouvez pas parler sérieusement.

-Je comprends votre incapacité à y croire, lui répondit Koldrim, d’une voix posée. Vais vous devez nous croire.

-Vous croire ? Sur le fait que je sois mort ? Donnez-moi une raison de croire à ça !

-Nécromancie.

Marco regarda l’imposant barbu, intrigué. Il ne s’y connaissait pas vraiment en magie. Ce n’était pas un savoir très répandu parmi ceux qui n’ont pas de pouvoirs. Tout le monde connaissait l’existence de la magie sans savoir exactement comment cela fonctionnait. C’est bien par ce manque de savoir que les jeunes individus découvrant la magie commettent des accidents avant de savoir les contrôler. Très vite la magie a eu une mauvaise réputation dans la plupart des pays.

-La nécromancie, repris Koldrim, est une forme de magie basée sur le contrôle des âmes et l’animation des corps. Cet art sombre et macabre est interdit, et rare sont les mages utilisant les sorts malsains liés à ce domaine. Mais certains succombent à l’envie de manipuler les êtres vivants et mort, et ceux qui apprennent à s’en servir peuvent capturer votre âme, les enfermer dans d’autre corps ou même parfois des objets…

-C’est bien beau tout ça, interrompit Marco, mais je ne vois toujours pas quel est le rapport avec moi.

-Quelqu’un a remis votre âme dans votre corps. Vous avez été ressuscité.

-Mais comment prouver toute cette théorie ? Vous avez la moindre preuve ?!

-Votre épaule.

Suite à ses paroles, le blessé se rappela de l’existence d’un bandage qu’il possédait sur lui depuis bien trop longtemps.

-Un ressuscité retrouve son corps dans l’état où il est, et celui-ci ne change plus : il garde les même blessures, sans que ça ne guérisse jamais de lui-même.

Un silence s’en suivit dans cette auberge presque vide, que seule la pluie battante à l’extérieur ne perturbait.

Tout cela prenait sens. D’une certaine manière, Marco pouvait le croire, mais ne voulait pas non plus le croire. Son amnésie lui avait fait perdre la notion de beaucoup de choses et il devait constamment de fier aux paroles de parfaits inconnus pour mieux comprendre le monde qui l’entourait. Il n’était pas dans les bonnes conditions pour définir ce qui était réel de ce qui ne l’était pas mais…Pour lui, la mort était la mort. Après la mort, l’inconnu, un au-delà, pourquoi pas la réincarnation, mais certainement pas de résurrection pure et dure. C’était une question de bon sens selon-lui, il ne pouvait pas y croire. Peut-être que les deux hommes se payaient sa tête, qu’ils profitaient tous les deux de son manque de savoir pour se moquer de lui. Non, non et non. Un mort reste mort, il n’a jamais été mort un seul instant…

…Bien qu’il se sentait comme un enfant refusant d’admettre la vérité. Il se sentait mal à l’aise de laisser cette théorie de côté, ne pas se confronter à la possible réalité des choses. Ce monde lui réservait encore beaucoup de surprise, après tout.

-Bon… Partons du principe que je suis mort. Où voulez-vous en venir ?

-Si vous avez été réanimé, alors nous savons qu’un nécromancien est quelque part dans la région. Il y a eu une boucherie il y a quelque temps à l’est du pays : les Valéniens contre le peuple au-delà de la mer. L’empire Valénien a pu repousser les envahisseurs, mais le nombre de perte était phénoménal, à ce qu’il parait. Un nécromancien a pu en profiter pour user de ses pouvoirs.

Un détail troublait Marco dans cette histoire : Pourquoi ? Il ne comprenait pas pourquoi un magicien utiliserait ses dons sans raison. Même lorsqu’il s’agit de se servir d’un pouvoir, magique, politique, d’orateur ou autre…on n’agit pas simplement pour agir, on agit avec une seconde pensée derrière la tête, qu’elle soit consciente ou inconsciente, non ?

-Ce nécromancien…demanda-t-il, il doit bien avoir un but, une raison de faire tout ça.

-Exactement ! C’est bien pour cette raison que je suis là. En tant qu’inquisiteur, j’ai été envoyé pour enquêter sur l’affaire. Aaron ici présent a décidé de m’assister pour une raison personnelle.

Le noble-loup, lui, dressa légèrement les oreilles à l’appel de son nom et regarda son collègue. Cela faisait un bon bout de temps qu’il semblait rêvasser en regardant par une fenêtre. De retour à la réalité, il brisa son silence :

-Oui…Mon frère a récemment disparu et mon père m’a chargé d’aider Koldrim. Les activités néoromantiques ont débuté dans notre royaume et il se peut que cette histoire soit liée à sa disparition soudaine. Je participais aux recherches, mais j’ai décidé de laisser ça de côté et m’allier avec l’inquisition. On ne sait jamais.

-Et je continue à dire, interrompit Koldrim, que l’héritier d’un trône n’a rien à faire dans un pays en guerre, de plus sans escorte, et surtout lorsque l’autre prétendant est porté disparu.

-De mon côté, je continuerais à vous dire que c’est tout simplement en mon devoir de frère de le rechercher. Maintenant que je suis là, et après tout ce voyage, ne pensez pas pouvoir vous débarrasser de moi.

Koldrim poussa un léger soupir résigné. Marco ne voyait pas ce qui était si dérangeant dans la présence d’Aaron à ses côtés. Toute aide est bonne à prendre. A moins que l’inquisiteur était habitué à travailler en solitaire. Ou alors il ne voulait pas voir quelqu’un d’important se mettre en danger par sa faute, comme il venait de le dire. Celui-ci revint d’ailleurs à Marco :

-Savez-vous quelque chose de la personne qui vous a réanimé ? Ne serait-ce que si c’était un homme ? Une femme ? Humain ? Ses habits ?

-Non, désolé, répondit-t-il après un instant d’hésitation. Je suis atteint d’amnésie, je ne peux pas me rendre très utile pour vous.

Un nouveau silence, quoique plus léger que le premier, s’abattit sur les trois hommes autour de la table. Après un temps, Aaron releva les yeux, l’air d’avoir trouvé une idée :

-Vous pouvez nous aider dans nos recherches. Nous commençons un peu à désespérer et malgré l’amnésie, vous êtes celui qui connaît le mieux les environs.

-Il serait mieux, soutins Koldrim, de rester en petit effectif. On ne sait pas si la personne que nous cherchons possède des oreilles dans la ville, alors mieux vaudrait éviter d’enrôler n’importe qui.

-Ce n’est pas n’importe qui. Il est autant concerné par cette histoire que nous.

-Pardon ? Demanda Marco avec un ton perplexe.

-Vous avez été réanimé par ce nécromancien. Vous êtes reliés à tout ça. N’avez-vous pas envie de savoir qui est celui qui vous a redonné votre souffle ? Pourquoi l’a –t-il ou l’a-t-elle fait ?

Voilà une manière de voir les choses intéressante. Il donnait des raisons à Marco de s’impliquer personnellement dans cette affaire. Restait tout de même un détail qui l’empêchait de s’engager officiellement : le danger. Etait-t-il prêt à se mettre en danger pour si peu que ça ? Il n’était de plus pas fait pour ce genre « d’aventures ». Pas fait pour se confronter à des menaces avec la promesse d’un trésor à la clé, de l’or, de la renommée, ou alors tout simplement une bonne histoire à raconter à qui voudra l’entendre.

Il y eu un moment d’hésitation de sa part. Un moment où il était attiré tel un aimant vers la proposition d’Aaron et Koldrim, et en même temps se méfiait, son instinct lui hurlant « danger, danger ». Il y avait une confrontation intérieure entre la peur et l’excitation. Il ne savait pas quoi choisir…

-…Non…Non, désolé, je ne veux pas m’impliquer dans cette enquête.

Et sans rien dire d’autre, il se leva et commença à partir vers les escaliers du bâtiment.

-Mais…Attendez un peu, s’exclama Aaron qui le rattrapa aussitôt.

-Quoi ?

-Vous êtes sûr de vous ? Laisser passer cette opportunité, certainement unique dans votre vie ?

-Oui, la preuve : j’en aurais fini avec tout ça au moment où j’aurais rejoint ma chambre.

-Etrange…De la part de la personne qui est venu de lui-même me soutirer les raisons de ma présence ici en se moquant des conséquences.

Marco le foudroya du regard. Pour qui se prenait-t-il ? Il ne savait rien de lui et il se permettait de le juger ?

-Ne commencez pas à jouer avec moi, finit-t-il par répondre à Aaron, avant de monter les escaliers sans plus se retourner.

Marco s’arrêta un instant au premier étage. Il entendait toujours les deux hommes parler entre eux, sans pouvoir entendre précisément leur propos. Il soupira, et marcha en direction de la chambre que la patronne de l’auberge lui avait offerte. Une salle qui ressemblait à toutes les autres chambres et ne possédait rien d’unique en son genre. Malgré le fait qu’elle appartenait à Marco, il n’avait aucune affaire véritablement personnelle à lui. Aucune autre que les habits qu’il portait le jour où il s’est réveillé dans un champ de bataille morbide, ainsi qu’une épée dans son fourreau. C’était les deux seules affaires qui possédaient une histoire, rien d’autre n’était plus ancien, plus personnel que cet attirail qu’il n’osait même ne pas toucher, et qu’il gardait dans un coin.

Marco s’approcha du lit et se laissa mollement tomber dedans. Ce soir-là, il n’y avait plus rien à faire. Plus de clients, plus de tâches, juste un temps libre pour lui. Un moment où il pouvait réfléchir à tout ce qui s’est passé durant sa journée. Les journées se ressemblaient toutes.

Du moins, ce soir-là, ses pensées fusionnèrent avec des questions. Alors qu’il utilisait son cerveau pour récapituler sa journée, pour penser au passé et au présent, il pensa au futur, pour la première fois depuis longtemps.

Quel sera mon avenir ?

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