Il l’avait repérée au début de la semaine. Toutes les nuits, elle sortait de ce grand immeuble blanc. Un hôtel particulier propre et luxueux. Mais elle dénotait avec la décoration. Elle était belle sans aucun doute, mais elle n’était pas de ce genre de personnes qui portaient sur elles la richesse et le mépris qui l’accompagnent souvent. Non, elle, elle était différente. Discrète, timide presque, elle cherchait à passer inaperçue. Et avec ses cheveux blancs comme la neige et ses yeux d’un mauve profond, il avait d’abord cru cela impossible. Mais force était d’avouer qu’elle savait comment s’y prendre.
Il l’observait, la capuche relevée et les yeux baissés, serpenter entre les passants noctambules de la grande avenue. Elle s’excusait à mi-voix pour se frayer un chemin parmi la foule sans que personne ne se rende compte qu’ils avaient face à eux une jeune femme albinos d’une beauté à couper le souffle. Lui l’avait vue et son esprit n’avait alors plus connu le repos. Elle était frêle et svelte, mais chacun de ses déplacements lui rappelait l’attitude d’un chat au pas assuré et gracieux. Il avait croisé son regard une fois. Il s’était senti emporté dans un autre monde, un monde où le plus intime de ses songes pouvait devenir réalité.
Cette fille… cette femme le tuait à petit feu. Chaque soir, c’était la même chose. Elle sortait, parcourait les rues, passait une heure à l’hôpital le plus proche pour en ressortir un peu plus solide, mais toujours aussi pâle puis elle allait prendre un café en compagnie d’un enfant d’une douzaine d’années. Et elle rentrait. Chaque nuit depuis une semaine, il la suivait, jalousant ceux à qui elle adressait la parole. Et lorsqu’elle retournait s’enfermer dans cet hôtel qui ne lui correspondait pas du tout, il sentait son cœur se flétrir. Avant de la voir, il n’aurait jamais cru en avoir un. Mais voilà, cette femme avait réveillé quelque chose en lui.
Pas que ses bas instincts ne s’étaient enfin tus, non, il pensait sincèrement que c’était chose impossible désormais. Mais au-delà du désir physique qu’il ressentait pour elle, il éprouvait aussi ce besoin insidieux de la posséder, de la faire sienne et de tout lui prendre. Sa beauté, sa vie, son mystère, tout, il voulait tout d’elle pour les mettre en bouteille et pouvoir les chérir à l’infini.
Mais tous les soirs, elle disparaissait derrière la grande grille de fer et elle lui ravissait tout. Elle emportait avec elle cette chose innommable qu’il voulait lui voler sans savoir réellement ce que c’était.
Alors, il avait pris sa décision.
Ce soir, il la volerait. Tout entière. Il attendit qu’elle sorte. Quand il la vit enfin, il dut retenir un hoquet. Elle avait changé. Mais c’était elle. Elle portait une longue robe noire très près du corps. Il se dit que sans le savoir, elle honorait cette nuit où il la ferait sienne. Une nuit particulière. Sa nuit à elle. Il ne put retenir un sourire satisfait.
Ce soir-là, tous la remarquèrent. Autant pour sa beauté fragile que pour son apparence étrange. Les hommes se retournaient sur son passage, n’osant pas la siffler et les femmes lui lançaient des regards envieux. Ce soir, elle s’offrait au monde avant qu’il ne la prenne. Et elle les ignorait, la tête haute et le regard perdu au loin. Il la suivit jusqu’à l’hôpital. Il l’attendit, trouvant le temps bien long. Il souffrait. C’était atroce. À chaque seconde qui passait, il se sentait mourir un peu plus, mais cela était aussi délicieux. Il avait le temps de penser à ce qu’il allait faire. Il imaginait…
Son souffle contre son cou, ses mains, tremblantes d’appréhension, qui glissaient sous sa robe pour remonter entre ses cuisses, ses doigts jouant avec la courbe de sa poitrine, sa langue…
Il secoua la tête. Elle sortait plus tôt que prévu. Étonné, il reprit sa traque. Elle ne se dirigeait pas vers le café. Et l’évidence lui frappa l’esprit. Elle avait un rendez-vous. Elle allait voir un homme. Un autre que lui. Non ! Non ! Non ! Et Non ! Ce n’était pas possible. Elle lui appartenait. Il ne la laisserait pas faire.
Elle s’enfonça rapidement dans une rue mal éclairée. Il connaissait cet endroit. Elle devait vouloir couper par le parc. Parfait. À cette heure, l’endroit serait désert. Il la suivit, telle une ombre silencieuse et attendit qu’elle soit engagée depuis un moment sur le chemin de terre pour se rapprocher. Elle avait dû sentir sa présence derrière elle, car elle accéléra le pas. Il rit silencieusement, ce qui la fit frissonner. Excellent. Il adorait instiller lentement la peur chez ses victimes.
Numéro 5. Il se dit un moment qu’à elle, il lui demanderait bien son nom. Cela le désolait de se dire qu’elle ne serait qu’un numéro dans sa collection. La cinquième de sa liste, mais la première sur son podium. Et il doutait qu’une autre puisse l’égaler. Mais pour en être sûr, il devait d’abord goûter à son hospitalité.
Il la vit bifurquer vers les sous-bois et il sortit de ses rêveries. Elle se condamnait elle-même. Parfait. Il accéléra le pas, il n’était pas question de la laisser lui échapper. Elle courait presque maintenant, mais en talons, il savait qu’elle n’avait aucune chance. Il joua un moment avec elle. Il savait que cette forêt était assez vaste pour se le permettre. Il filait entre les arbres, l’obligeant à obliquer pour lui échapper. Dès qu’elle l’apercevait, elle retenait un cri d’effroi. Ses réactions étaient délicieuses. Puis il décida qu’il avait assez joué. Il était temps de mettre fin à son agonie. Tel un chat fondant sur une souris, il se plaqua derrière elle, la lame froide de son arme fermement posée sur la gorge de la fille. Il lui souffla qu’elle vivrait si elle était gentille. Un beau mensonge. Il prendrait un malin plaisir à la voir se vider de son sang une fois qu’il en aurait fini.
D’un coup dans le dos, il l’obligea à se retourner. Elle avait les yeux grands ouverts par la peur. Il s’y perdit un instant, flottant dans le vide. Puis, il lui ordonna de s’allonger. Elle hésitait. Une fois par terre, il lui serait difficile de fuir… Il eut un geste sauvage, faisant tournoyer sa lame. De terreur, elle s’agenouilla et il la poussa du pied pour qu’elle se couche. Sur le dos, elle le fixait, tétanisée et le souffle court. Il sourit et lui écarta les jambes d’un coup léger du pied.
Il se laissa tomber à genoux entre ses cuisses. Elle gémit de peur. Il était aux anges. Il voulait la terrifier jusqu’à lui en faire exploser le cœur. Du bout de sa lame, il entailla la robe sur tout le long de la jambe. Il aimait les robes fendues, cela en dévoilait juste assez pour donner envie et garder une part de mystère. Il fit glisser la pointe de son couteau sur la peau blanche comme l’ivoire de la femme. Elle était parfaite, comme sculptée par les plus grands maîtres de l’Histoire. Il finit par s’allonger sur elle, la lame à nouveau collée à sa gorge pour qu’elle ne hurle pas et ses doigts remontant sous sa robe. Il lui écrasait la poitrine, il la sentait respirer trop vite contre lui. Il trouva sa culotte et entreprit de la baisser pour laisser libre cours à ses besoins primaires.
Ce fut ce moment que sa victime choisit pour passer ses bras autour de lui et l’attirer à elle. Elle lui souffla qu’elle serait gentille. Il sourit et l’embrassa. Oui, décidément, elle était particulière. Cela ne l’empêcherait pas de mourir. Mais il allait prendre le temps de jouer avec elle, de la faire souffrir. Il allait profiter à fond d’elle, il allait lui offrir une agonie douce et savoureuse. Alors que leurs langues s’entremêlaient dans un ballet sans fin, il alla malaxer ses seins avec passion. Elle laissa échapper un léger râle de douleur quand il lui pinça un téton. Il en profita pour aller mordiller le lobe de son oreille avec la ferme intention de la mordre jusqu’au sang.
Il ne le fit pas. Au lieu de cela, il profita de l’étrange sensation que lui procurèrent les lèvres de la jeune femme lorsqu’elles se posèrent sur son cou avec douceur. C’était assez déconcertant. Aucune femme ne l’avait jamais touché de cette manière. En fait, aucune femme ne l’avait jamais touché tout court. Il ne le leur avait jamais laissé l’opportunité. Il se fit la réflexion qu’il était surement passé à côté de quelque chose juste avant de sentir les crocs de sa victime s’enfoncer sous sa peau.
Ce n’était pas douloureux, et il n’avait pas vraiment peur. Il savait que quelque chose avait déraillé. Il n’était pas le prédateur. Il n’avait pas joué avec elle et elle ne mourrait pas. Ce qu’elle lui faisait était doux, porteur d’un pardon qu’il ne savait pas pouvoir demander. Elle tuait, elle allait le tuer, mais sans le faire souffrir. Elle avait joué, pour le plaisir de la chasse. Mais contrairement à lui, la mort et la douleur ne l’attiraient pas. Ça ne la comblait pas. Quant au sang, il sentait qu’elle en avait juste besoin pour survivre. Il savait aussi, car elle le lui murmurait à travers le sang, que si elle avait passé si peu de temps à l’hôpital ce soir-là, c’est qu’elle savait qu’elle aurait son sang à lui. Depuis le premier soir, elle savait qu’il la suivait. À travers des images qui envahirent son esprit, elle lui fit revivre sa traque à elle. L’amener à penser qu’il était tout puissant, qu’il pourrait se l’approprier, faire ce qu’il voulait avec elle. Et le pousser à agir. Il appréciait. Il venait d’être battu par plus fort que lui et il admirait la tactique de l’ennemi.
C’était la douce agonie qu’elle lui offrait. Et il ne se sentit pas partir. Pourtant, quand elle le fit rouler sur le côté pour se dégager, il n’était plus qu’un corps sans vie.
Dans l’obscurité du parc, un rire retentit doucement entre les arbres alors qu’elle s’époussetait.
– Je pensais que j’allais devoir intervenir, lança la voix restant cachée dans la nuit.
– Ne sois pas ridicule, je ne l’aurais pas laissé aller plus loin.
La voix ne répondit pas. La femme regarda sa robe déchirée.
– Ça va faire désordre au bal.
– Je t’en ai réservée une bien plus seyante, commenta la voix.
Il y eut un moment de silence et la femme rit dans un murmure. Elle s’éloigna sans un regard en arrière, elle avait une soirée qui l’attendait, avec un amant qu’elle avait choisi cette fois… un gentleman, lui !

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