L’Agricole est le troisième vaisseau de la Résistance, car il comprend l’équipage le plus restreint. Pourtant, cet immense vaisseau, le plus grand constituant l’Arche, est de loin le plus important. Il est la source de toute vie dans l’espace. Il est indispensable : non seulement il fournit nourritures et vivres à l’ensemble des exilés, mais en plus il permet le commerce avec les différentes galaxies.
La population résidente est nombreuse, en comptant les animaux et autres espèces vivantes. Du vivarium géant à la serre tropicale, rien ne manque. La fierté de ce vaisseau, lent et lourd, est son aquarium.

Le personnel du navire Agricole est surtout constitué de pêcheurs, de jardiniers, d’agriculteurs et de nombreux artisans exerçant leur métier au service de la communauté. Les soieries et autres vieilleries datant de la vie sur terre, sont encore fabriquées à bord. Ces breloques permettent de faire des échanges avec certains peuples découverts au fil des explorations intergalactiques.
Ce n’est pas le seul moyen de commerce que possède la Résistance. Les denrées alimentaires, provenant des champs de l’Agricole, sont mises en conserve au niveau des cales. Les différentes usines répartissent les réserves de façon équitable entre tous les vaisseaux de la flotte.
Le surplus est vendu comme produit de luxe dans bon nombre de galaxies.

Les pilotes et autres membres de l’armée sont ici en minorité. La plupart ne sont pas conscients qu’ils ont été choisis pour leurs capacités, souvent exceptionnelles. Peu nombreux, ils sont responsables de la sécurité du bien le plus précieux de la Résistance. Uniquement ceux qui renoncent à leur carrière pour servir l’Agricole sont mis au courant de la teneur exacte de leur mission. Ceux-là finissent promus et sont les seuls, à l’exception de quelques conseillers, à connaître le secret de ce vaisseau si spécial.

À part eux, personne ne sait quel est le trésor caché de l’aquarium. Certains disent qu’il s’agit de ces baleines à bosse, d’autres des poissons-clowns du lagon. En réalité, plus profond encore se dissimule l’œuf. Bleu, à la surface parfaitement lisse, cette capsule ovoïde est la source de tout pouvoir.
Il est la raison même de l’exil volontaire, loin de leur planète mère, de cette poignée d’hommes et de femmes qui se sont nommés, la Résistance.
En réalité, cet œuf translucide, qui ne dépasse pas deux mètres de diamètre et trois de haut, contient le génome complet de la Terre, le génome originel. Grâce à lui, les rhinocéros blancs pourraient par exemple, encore exister.

La Résistance cherche une planète vierge où elle pourrait réimplanter tout ce qui a disparu. Quelques utopistes surveillent, au cas où la Terre serait un jour de nouveau habitable.

Les navigants et gradés de l’Agricole s’assurent que sa température reste constante. Ils veillent à ce que la luminosité et l’humidité ne fluctuent pas plus que nécessaire dans le bassin de pêche au fond duquel l’œuf attend.

Les pilotes en formation, qui ne rêvent que de prendre les commandes d’un des trois vaisseaux que comprend la flotte de l’Arche, en sont ignorants. Souvent jeunes, ils bénéficient cependant d’une certaine aura auprès des autres membres d’équipage.
Les jeunes filles, en particulier, se pâment facilement devant un uniforme. Elles désirent devenir navigatrices ou radio sur le Sextant, ou l’Amiral. Beaucoup de personnes nées à bord du vaisseau nourricier de la flotte souffrent d’un syndrome d’infériorité, les poussant à vouloir partir.
L’Espérance a un peu les même problèmes que l’Agricole, pour garder ses natifs. Il possède à son bord : l’hôpital, l’université et la maison de retraite nommée « Havre de Paix ». Son personnel est majoritairement féminin. C’est ici que beaucoup de pilotes, sortant de l’académie, demandent leur première affectation. Ils souhaitent se marier avant de partir pour des postes plus prestigieux, comme ceux que l’on trouve à bord du vaisseau amiral.

Le Sextant dont la forme rappelle étrangement celle de l’appareil maritime est la tête pensante de l’Arche. L’école militaire y est localisée. Les conseillers et autres ingénieurs y résident. Il correspond à ce que les humains ont connu autrefois et qu’ils nommaient des mégalopoles. Ce vaisseau est le plus petit de tous. Les gens y vivent les uns sur les autres dans une frénésie absolue Il est toujours suivi du Canonnier.

Ce dernier navire est le second par la taille. Fer-de-lance de la Résistance, il explore les galaxies et répertorie les planètes amies. Il est responsable de la protection de l’ensemble des habitants de l’Arche.

L’Arche dont la superficie est l’égale de celle d’un continent correspond à l’assemblage de ces quatre vaisseaux en un seul et unique appareil. Capable de se déplacer à la vitesse de la lumière, il est de forme oblongue. Extérieurement, il ne laisse pas deviner qu’il correspond à un assemblage de quatre parties distinctes.
En temps de paix avec les autres galaxies, l’Arche est dissociée et disséminée dans les anneaux de Saturne. Cela lui permet de surveiller régulièrement l’évolution du Pouvoir Central encore en place sur Terre.

La Résistance sait que les systèmes des conseillers refusent toute avancée technologique importante et que le Pouvoir Central se repose sur le dogme des Pures. Il effraie la population et la maintient en vie grâce à la mise en esclavage de quelques âmes innocentes.

Cela fait cinq cents ans qu’ils ont quitté la Terre. Si la Résistance est une vraie démocratie, où chacun a une voix et peut se faire entendre. Cependant, elle possède des règles strictes que certains assimilent volontiers à la loi martiale. Les habitants de l’Arche sont devenus des nomades. La plupart d’entre eux n’ont pas l’intention de revenir sur Terre. Ils ont découvert de nombreuses autres galaxies. La planète bleue ne les intéresse qu’à cause de ses vers géants.

Indispensables au renouvellement du terreau des zones agraires, ils sont pourtant une anomalie. Ils ne font pas partie des espèces embarquées lors du décollage de l’Arche. Ils n’avaient pas encore été découverts. Ils sont une aberration génétique. Leur rôle a été mis en évidence par hasard. Volés au Pouvoir Central en même temps qu’une cargaison d’or, ils ont d’abord été sujets à controverse. Maintenant que leur fonction est bien établie, ils sont l’enjeu d’une guerre sans merci.

Les hommes vivant dans l’espace, ces résistants, sont des pirates ou des commerçants en fonction de la république avec laquelle ils traitent.
Leur point fort est leur culture, leur point faible : leurs sols.

Patrick O’Comara est conscient de tout cela, ou de presque tout. Il est pilote sur l’Agricole. Né à bord, orphelin depuis ses dix ans, il n’a pas l’intention de moisir ici. Cette décision, il l’a prise lorsqu’il est revenu de l’académie militaire avec son diplôme en poche.
Il a entrevu quatre années durant les possibilités infinies que l’univers mettait à sa disposition.

Il souhaite rejoindre les Galactics, un groupe de mercenaires qui défend la veuve et l’orphelin aux quatre coins de l’espace. Le capitaine O’Comara en plus d’être le plus jeune pilote, à peine dix-neuf ans, est sans aucun doute le plus charismatique.

Il serait promu à un brillant avenir s’il n’avait pas si mauvais caractère. Arrogant et fier, il peut se flatter de n’avoir que peu d’amis. En fait, il n’a confiance qu’en une seule personne, à part luimême, Daniella, sa navigatrice. Elle est l’une des rares femmes à ne pas succomber à ses charmes.

Menue, ses cheveux noirs coupé très court mettent en valeur son teint clair et ses grands yeux bleus. Le capitaine O’Comara trouve toujours plus agréable de passer ses journées aux côtés d’une jolie femme plutôt qu’avec n’importe quel autre navigateur de sexe masculin.
En réalité, il n’a pas eu le choix. Leur amitié est née du fait que personne ne veuille travailler avec une femme aussi têtue, d’un côté, et que naviguer pour O’Comara est trop dangereux pour bon nombre de navigateurs, de l’autre. Le plus jeune des capitaines est le plus intrépide et le moins raisonnable.

Obligés de faire équipe, ils ont dans un premier temps fait contre mauvaise fortune bon cœur. Cependant, leur grand professionnalisme les a rapprochés.
Et même si Daniella a, au moins une fois par jour, envie de l’étrangler ; elle respecte le pilote d’exception qu’est le capitaine O’Comara.
Heureusement qu’il en est ainsi, car lorsqu’ils sont en désaccord aucun d’eux ne cède. Cela les fait entrer dans des périodes de mutisme qui peuvent durer plusieurs jours.

Ce qui étonne toujours lorsqu’on les croise, c’est leur différence de taille.
Lui, grand, est bien bâti. Elle est vraiment petite et fine. Cette opposition les rend reconnaissables aux yeux de tous, et cela même de loin.
Par contre, leur démarche décontractée, tout en étant volontaires, leur est communes. Elle les distingue, à coup sûr, des autres équipages. Ces dernières avancent au pas cadencé de l’armée. Quoiqu’ils fassent et où qu’ils soient, ensemble ou séparément, ces deux-là se différencient.

Leur équipe, pour être complète, doit compter un mécanicien. Marcel, le plus ancien de la profession, leur a été affecté, malgré sa mauvaise vue et son arthrose grandissante. À vrai dire, c’est bien le seul à se moquer du caractère difficile de ses coéquipiers, étant donné qu’absolument rien n’a d’emprise sur lui.
De plus, une fausse surdité lui permet de se tenir loin des disputes et autres réflexions qui fusent dans le vaisseau lors des missions.

Une fois rentré sur le navire Agricole, il part dans sa cabine et n’en sort que rarement. Peu lui importe de savoir que son pilote est un bourreau des cœurs et sa navigatrice une fervente adepte des paris clandestins.
Il a lui-même ses petits secrets et ne tient pas à les partager. À eux trois, ils forment l’équipe la plus atypique et la plus efficace, présente à bord de l’Agricole.

Patrick pense n’avoir besoin de personne. Il a cette détestable habitude de tout ramener à lui-même. Allongé sur la couchette de sa cabine, il se prépare, mentalement, à affronter sa prochaine mission. Il l’a mise au point seul. Il la connaît par cœur et s’il réussit, son transfert pour le Canonnier est assuré. Dans le pire des cas, il sera muté sur l’Espérance, à cause de son âge. Cependant, cela sera toujours mieux que de croupir ici à bord de l’Agricole où la seule chose intéressante est la marée montante.

Il aime particulièrement lorsqu’une fois par mois, les eaux du grand bassin s’agitent. Elles changent de couleur. Prenant ce bleu presque fluorescent qui n’est visible que là et encore pendant une poignée de minutes.
Il n’est pas le seul à apprécier ce moment, plusieurs officiers en faction à bord depuis des années se déplacent pour assister au spectacle. Il s’agit de la preuve, pour le capitaine O’Comara, qu’il n’y a rien d’autre à faire ici.

Pourtant, sans même en être conscient, il admire Marcel. Il aurait secrètement aimé que son père lui ressemble. De même, il n’endurerait pas que quiconque fasse du mal à Daniella. Cependant,Patrick ne supporte pas l’idée d’être lié à quelqu’un. Cela provoque chez lui nausées et malaise.
Il préfère être un solitaire. Il est déjà trop intime avec les autres à son goût.

Il aime être libre, manger des conserves et jouer aux cartes avec les pilotes. S’il a le temps de séduire deux, trois filles entre deux missions, il n’est pas contre. Il adore sa vie.
Il attend les ordres, comme un enfant désire une friandise, avec envie et sans aucune patience. De nombreux vols ne servent pas à grand-chose, beaucoup d’observation et peu de risque, mais O’Comara accepte volontiers cette routine, sachant que cela permet à sa carrière d’avancer.

Cependant, cette fois, les choses sont différentes.

Les ordres tombent généralement début mai. L’équipe de Daniella, de Marcel et du capitaine O’Comara est pressentie pour la mission « suicide » de l’année. Chaque année, le même objectif pour le mois de juin et personne n’a, jusqu’à présent, réussi.

Mais cette fois-ci, le jeune pilote n’a pas été désigné par le hasard. Il a proposé un plan.
Pour l’instant, aucune cellule n’est revenue victorieuse. Malgré cela, le peu qui sont rentrés de cette destination, ont toujours été promus.
L’équipe est consciente de la responsabilité qui leur est confiée. Ils sont honorés et espèrent s’en montrer dignes.

Ils passent beaucoup de temps ensemble. Marcel doit, à son grand désarroi, sortir de sa cabine. Daniella a dû stopper les paris illicites, elle n’a plus le temps de se renseigner sur les cotes et perd plus que de raison.
Le capitaine O’Comara se socialise et tisse de plus en plus de connexions avec son équipage. Cela commence à lui peser. Il se demande si les nombreuses heures passées dans le simulateur de vol seront vraiment utiles ? Cela ne sera-t-il pas pire, s’il se lie à eux ? Ou alors, peut-être que cet attachement est plus bénéfique qu’il ne le pense.

Patrick O’Comara attend. Allongé sur sa couchette, il regarde Jupiter et les étoiles. Il rêve d’infinis et d’aventures où il serait le Capitaine d’un vaisseau sans équipage. Mais la réalité est bien différente. Il va falloir qu’il brise certaines idées reçues qu’il a depuis longtemps, s’il veut réussir un tel coup !

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