49 jours auparavant

Monsieur Ramirez ne tarda pas à faire son entrée chez nous, sa mallette médicale sous le bras, et mon père le conduisit droit à moi. L’aide soignant me salua avec sa douceur naturelle et se mit immédiatement à me faire la conversation, dans le but évident de me distraire de la douleur, tandis qu’il auscultait mon poignet. Je ne pus retenir un cri de détresse lorsqu’il tenta de le faire pivoter pour s’assurer, à n’en pas douter, que rien n’était cassé. Ma mère se projeta instantanément vers moi pour m’apporter du réconfort et se colla contre mon dos, avant de me caresser le crâne, sur lequel elle déposa un baiser. Mon père, qui s’était figé sur le seuil de la cuisine, avait la mâchoire si comprimée que je craignais qu’il ne se déchausse des dents. Lucas, quant à lui, était juché sur un tabouret et observait la procédure avec une grimace compatissante sur son visage constellé de tâches brunes. Pour tenter de faire abstraction de ma peine, je me concentrais intensément sur ces dernières, démarrant un recensement mental de leur nombre, bien supérieur au mien.

Finalement, après quelques instants de plus à manipuler mon extrémité douloureuse, notre voisin la déposa avec précaution sur mon genou et la recouvrit de la poche de glace qu’il avait retirée plus tôt. Un soulagement immédiat m’envahit lorsque l’engourdissement gagna à nouveau mon poignet, éloignant la pulsation brûlante qui le parcourait.

— Tu as de la chance, déclara mon médecin de fortune avec un sourire bienveillant, rien n’est cassé. Mais tu as une sale entorse. On va bander tout ça pour maintenir l’articulation et je vais te donner des cachets pour la douleur.

— Merci.

J’étais surprise d’entendre à quelle point je semblais à bout de souffle, avant de réaliser que je l’avais retenu durant toute l’auscultation, dans ma tentative malavisée pour masquer ma douleur. Ramirez ne manqua pas mon sursaut d’étonnement, et n’eut aucun mal à en comprendre l’origine, à en voir se dessiner de l’amusement sur ses traits naturellement halés. Il n’en dit rien cependant, et se contenta de débuter le processus fastidieux d’embaumement de mon poignet, à défaut de pouvoir m’offrir une attelle. Il m’offrit un regard d’excuse, lorsqu’il dû pour se faire me retirer ma seule source actuelle de calmant.

— Merci d’être venu. s’exprima ma mère, parlant pour la première fois depuis l’entrée de notre voisin chez nous, alors que celui-ci terminait de nouer autour de ma nuque mon bandage de contention. C’est très sympa de ta part.

— Rah. Tu parles. C’est normal. Il faut s’entraider, surtout par les temps qui courent.

Un soudain malaise se mit à planer dans la pièce suite à cette déclaration et Ramirez, comprenant son erreur, nous zieuta Lucas et moi avant de se racler la gorge avec gêne.

— Enfin, sois rassurée. dévia-t-il la conversation, en s’adressant à moi de nouveau, tout en extirpant une boîte de médicament de sa besace, qu’il déposa sur le bar devant moi. Tu iras mieux dans quelques semaines et avec les anti-douleur tu ne devrais pas trop souffrir en attendant.

— Encore merci d’être passé, le remercia mon père à son tour, lorsque l’aide-soignant se saisit de son paquetage et me dépassa pour quitter la cuisine. En arrivant au niveau de ce dernier, Ramirez empoigna sa paume tendue en offrande et j’assistai à leur poignée de mains virile. Puis, papa déclara qu’il raccompagnait notre invité à la porte. Après leur départ, maman m’embrassa à nouveau le haut du crâne et m’informa qu’elle allait commencer à préparer le dîner. Pour sa part, Lucas décampa, sans aucun doute en direction de sa chambre, non sans m’avoir au préalable lancé un sourire encourageant. Ne souhaitant pas faire tapisserie dans la pièce, avec ma mère en plein préparatifs du repas, et souhaitant m’allonger, je me dirigeai à la suite de Lucas pour rejoindre l’étage. J’emportai avec moi la boîte d’anti-douleur et ma poche de glace. Toutefois, je me stoppai abruptement dans le salon en percevant une conversation tenue à voix basse, en provenance de l’entrée.

— J’accueillerai la réunion ce soir, entendis-je mon père affirmer et, un instant plus tard, Ramirez le questionner.

— Tu es sûr ? Marie ne va pas être ravie.

Un silence suivit cette déclaration, avant que mon voisin ne reprenne la parole, un accent de renoncement dans la voix.

— Bien. Je ferai passer le mot. Même heure que d’habitude ?

— Oui.

Puis, j’ouïs notre porte d’entrée s’ouvrir et se refermer et je m’éloignai à reculons pour éviter d’être surprise à espionner. Il s’avérait que j’étais devenue très douée à ce jeu-là, depuis que j’avais pris conscience des rassemblements secrets tenus dans mon quartier, quelques semaines auparavant.

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