Loup s’éveilla en sursaut un goût de mort dans la bouche. Il n’avait dormi que quelques heures. Ils avaient trouvé refuge dans une vieille cabane abandonnée à l’orée de la forêt des larmes.
Son fils était encore assoupi. Il fallait qu’il lui trouve un refuge et un seul lieu lui venait à l’esprit. Le Mont Noir par de là les collines de Gravisse.
Il réveilla son fils aussi tendrement que le faisait Dwenn. L’enfant ouvrit les yeux sur un nouveau monde, un monde sans sa mère et sa petite sœur. Un monde sombre, qu’il n’aurait pas dû découvrir aussi tôt.
– On part Arcis. Nous avons de la route.
Sans un mot, l’enfant se leva et après un petit déjeuner frugal fait de baies rouges acides, prépara son sac.
Le ciel était encore noir de nuit mais on devinait les nuages bouffis de pluie qui martèleraient la terre plus tard dans la journée. Les monts se dressaient devant eux, sombres et menaçants.
Les deux voyageurs arpentèrent pendant plusieurs heures de petits chemins qui serpentait entre les collines de Gravisse. Loup connaissait bien les environs. Peu de végétation et d’animaux, beaucoup de rochers plantés dans la terre comme s’ils étaient tombés du ciel. Un paysage où la mélancolie suintait du sol et s’insinuait dans votre esprit. Un endroit peu propice au deuil. Arcis était toujours muet, les mots étaient trop pesants pour qu’ils puissent les prononcer. Son père l’avait compris.
Ils s’arrêtèrent quelques minutes pour manger un repas sans saveur à l’abri d’un gros rocher.
Loup leva les yeux, le Mont Noir était visible, cerné de brume, son sommet jaillissait vers le ciel à la recherche de la lumière. Des siècles de légendes lugubres avaient fini de faire de ce lieu un endroit maudit. Mais Loup savait ce que cachait cette montagne, et cela n’avait rien de maléfique.
Le chemin se fit de plus en plus tortueux et la végétation plus dense. Au détour d’une colline, ils firent face, dans une petite vallée, à un bosquet de dizaines d’arbres gigantesques. Une bruine glacée commençait à fouetter leurs visages déjà rougis par le froid. La nuit baissait son rideau. Fourbus, ils décidèrent de camper à l’ombre de ces sentinelles de bois. Leurs branches, comme des bras, et leur feuillage dense et persistant même l’hiver leur offriraient une protection naturelle. Loup les reconnut.
– Ce sont des arbres de Gravisse Arcis.
Devant le regard interrogateur de son fils, Loup lui expliqua.
– Certains anciens, même s’ils n’étaient pas tous d’accord, racontaient qu’ils furent les premiers habitants des royaumes de Milsden, ils parlaient et marchaient comme nous. Ils vivaient dans d’immenses cités de terre dont les vestiges étaient devenus les collines où nous sommes. Apparemment ils avaient cohabité un temps avec les premiers hommes et s’étaient enracinés pour je ne sais quelle raison. C’est très rare d’en voir encore. D’ailleurs c’est étrange, je ne me souviens pas qu’il y en ait eu par ici.
Ils s’installèrent au milieu du bosquet. Loup fit un feu, la chaleur était apaisante. Arcis fixait les flammes assis sur son sac.
– Je reviens fiston, je vais chercher le souper. Quelques minutes plus tard le chasseur revint avec un lièvre famélique. Son fils pencha la tête en grimaçant.
– Je sais mais c’est tout ce que j’ai pu trouver. Il le dépeça et le mit à cuire sur l’âtre brûlant. Ils mangèrent sans mots dire.
Après le repas, père et fils s’étaient allongés, la lumière du feu, vacillante, allongeait les ombres des longues branches.
– Tu entends? De légers murmures dans une langue inconnue flottaient au dessus d’eux. Arcis se tourna vers lui.
– Ce sont les arbres. On dit qu’à la nuit tombée, ils racontent leur histoire dans les vents. Beaucoup ont été abattus il y a des centaines d’années. Leur bois est plus dur que le plus dur des aciers. Des armes devenus des légendes ont été construites dans leur écorce. Mais plus personne ne sait comment le forger aujourd’hui. Encore un savoir perdu.
Il regarda son enfant, il s’était endormi bercé par les chuchotements. Loup ne parvint pas à dormir immédiatement. Il pensait à Dwenn et Tili. Il ferma son esprit à leurs images. Il devait être concentré. Le chagrin attendrait. Il finit par se laisser aller aux sons des histoires ondoyant dans le vent, il lui sembla, un instant, comprendre quelques mots et s’endormit.
Le lendemain fut semblable au jour d’avant. Pluvieux, morose et silencieux. Les arbres de Gravisse s’étaient tus et seuls quelques oiseaux brisaient de temps à autre le silence pesant.
En début d’après-midi, ils étaient arrivés au Mont Noir. Ils ne voyaient pas à un mètre, une brume vivante, rampait autour d’eux. Arcis frissonna.
-Ne t’inquiète pas. Il mit sa main sur l’épaule de son fils. Je connais bien cet endroit, tu n’as rien à craindre.
– Enfin je crois, pensa t-il.
Loup laissa sa main sur la garde de son épée. Il siffla. Un son strident. Ses yeux parcouraient la brume semblant attendre une réponse qui ne venait pas.
Il siffla à nouveau et soudain le brouillard sembla s’éclaircir.
Une voix rocailleuse retentit et un vieil homme trébuchant apparu. Les yeux vifs, une longue barbe, vêtu d’un pantalon de toile brun et d’un pull gris grossièrement tricoté, recouvert d’une cape noire. Il s’appuyait sur un long bâton sculpté.
– Il s’est passé bien des hivers depuis la dernière fois que j’ai entendu ce sifflement.
– J’imagine que les visiteurs se font rare ici grand-père.
Les yeux du jeune Arcis s’écarquillèrent.
– Et tu n’es pas venu seul. Qui est ce petit homme?
– Ton arrière petit-fils, Arcis.
Un rire tonitruant emplit l’air.
– Mon petit-fils s’est reproduit! Il regarda l’enfant. Bonjour jeune homme!
Arcis inclina la tête en guise de salut.
– Il a perdu sa langue ton rejeton?!
– Non c’est sa mère et sa petite soeur qu’il a perdu.
Il se tourna vers Loup.
– Et tu étais où quand c’est arrivé?!
– Peu importe!
– Toujours dans les problèmes et les mauvaises fréquentations, maugréa t-il.
– Père m’a bien enseigné.
– Un peu de respect pour mon fils!
– J’étais à son enterrement et toi?
– Etre père ne t’a pas changé tu es toujours aussi arrogant!
– Je te retourne le compliment grand-père.
– Assez! Il agita la main en guise d’agacement.
– Que viens tu faire ici?
– J’aimerais qu’ Arcis reste ici quelques temps.
– Je suis trop vieux pour m’occuper d’un enfant.
– Et tu étais trop jeune pour t’en occuper avant. Arrêtes ta comédie vieil homme! J’ai besoin de le savoir en sécurité.
Le vieillard râla quelques secondes en tournant en rond.
– C’est d’accord! Laisse l’enfant.
– Merci.
– Pas de merci, je ne le fais pas pour toi. Tu restes quelques jours?
– Non, juste cette nuit. J’ai déjà perdu trop de temps.
– Arf! Allez suivez moi. On a un peu de route encore.
Ils suivirent le vieillard voûté par les hivers rudes de la région. Le brouillard se dissipait au fur et à mesure qu’ils montaient les marches et il se reconstituait derrière eux.
Une heure de marche pendant laquelle le vieillard grogna dans sa barbe.
– Nous voici arrivés!
Une grande clairière à fleur du mont. Une grande maison semblant sculptée dans la pierre s’élevait contre la falaise.
Devant la grande porte d’entrée, le vieillard prononça quelques mots dans une langue gutturale.
Les murs tremblèrent, Arcis recula. Une autre entrée venait de s’ouvrir à gauche du petit groupe.
– Allez, entrez!
Les trois silhouettes disparurent dans la maison et la porte se referma.

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