— Je n’y arriverai jamais sans l’une de ces fichues prêtresses Aehk’yi, bon sang ! pesta Jack dès que la porte se referma sur Greeth. Les marques répertoriées sont magiques : je ne parviendrai pas à les lire, à les pister seul. Greeth ne m’autorisera pas à poursuivre.

— Il y a toujours cette demoiselle, hasarda Samuel.

Ses yeux brillèrent de malice.

— Leila Von Dieter, se douta son maître. Je ne suis pas un goujat.

— Séduisez-la, monsieur. Elle se pliera en quatre pour vous.

— Je ne suis pas un…

— Certes, mais vous n’accepterez pas non plus que l’on vous considère faible.

— Tout bien considéré…, se résigna Jack.

— Ça tombe bien. Son père donne une réception au palais, ce soir. L’occasion pour vous de renouer quelques précieux contacts.

— Je vous savais futé, mais vous m’étonneriez toujours, Samuel. Leila est un excellent parti.

— Une future Aehk’yi, pensez-vous !

Le domestique débarrassa les tasses de thé sous l’œil affûté de Jack.

— Vous m’accompagnerez, annonça ce dernier. Qui serais-je si je me présentais sans majordome ?

— Naturellement, même si votre réputation n’est plus à faire. Si je puis me permettre, Monsieur, votre père constitue l’une des plus grosses fortunes de Vhaly.

— Et je vis dans un taudis à cause de son obsession ! enragea Jack en frappant sa paume du poing. Ne me parle plus de lui avec cette espèce de… de fierté ! Cet homme est un inconnu, un vaurien. Nous le sommes tous quand on réalise ce qui attend les vivants.

— Le trafic des âmes ?

— Leur parcage. Mais là n’est pas mon problème. Il y aura du monde au palais Von Dieter.

Jack recentrait enfin le sujet sur lui et ses craintes quant à une foule agglutinée dans un bâtiment peu propice à une évacuation.

— Cessez de vous tourmenter, Monsieur. Les autorités ne prévoient aucune attaque, émeute ou révolte.

— La population devient trop sage à mon goût. Il se trame quelque chose. Souvenez-vous de Latan.

— Vous étiez presque un enfant ; ce pan de l’Histoire vous aura marqué, voilà tout. Je m’occupe de votre sortie, Monsieur.

Jack acquiesça, mais ses inquiétudes demeurèrent. Latan avait aussi connu une longue période faste et calme avant que les Noon missent le feu au château, obligeant la reine et sa bâtarde à fuir. La première avait péri aux abords du mont des évadés d’Ihkr. Certains supposaient qu’elle vivait désormais cachée, auquel cas, elle aurait abandonné sa fille Youna et le demi-frère de cette dernière, le roi Màlek. Celle qui incarnait un modèle de respect et de morale représentait au mieux l’hypocrisie parfaite.

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Le brouillard hivernal montait à mesure que la nuit tombait, envahissant les rues de la petite ville.

En arrivant, son fidèle homme à tout faire à ses côtés, Jack aperçut une dizaine de fiacres garés devant le palais, illuminé de partout. L’édifice s’imposait à l’extrémité d’une large allée interminable que gardaient des arbres tous plus majestueux les uns que les autres. Des fleurs d’hiver perçaient le verglas naissant au pied de haies basses parfaitement taillées.

Jack passa entre deux des colonnes qui soutenaient le fronton à volutes, avant d’entrer. La réception se déroulait sous la rotonde, peinte d’une scène qui représentait une chasse aux cygnes, sport préféré de monsieur Von Dieter. Cet homme avait du goût pour l’architecture, mais aucun pour le reste.

Le passeur se faufilait entre les invités regroupés dans le vestibule pour parler affaires quand une main se posa sur son épaule.

— Quelle surprise de vous trouver ici, glissa Greeth.

Jack se retourna. L’officier arborait un sourire plutôt moqueur, mais mesuré, comme en témoignaient ses lèvres pincées.

— C’est donc que vous me connaissez mal, que voulez-vous ? répliqua Jack. Ça arrive même aux meilleurs. Veuillez m’excuser, à présent.

Il abandonna Greeth à côté d’une statue de pleureuse, puis pénétra dans la salle de bal. Des serveurs écumaient les lieux afin de proposer amuse-bouches et boissons fraîches. Jack ne prêta pas attention à leur tenue ridicule, constituée d’une simple toge rouge et de sandales. L’ensemble faisait très antique et le jeune homme se dit que monsieur Von Dieter avait vraiment un problème avec l’accoutrement de ses domestiques. Des mauvaises langues racontaient qu’il essayait de rivaliser avec l’excentrique marquis de Ranzal. Jack voulait bien le croire !

— Jack…, retentit une voix dans le dos du passeur.

Familière, elle exhalait la douceur et les bonnes manières.

Il fit volte-face. Leila Von Dieter se tenait devant lui qui, happé par la beauté de la jeune femme, apparut perdu. Obnubilé par les grands yeux verts de la future Aehk’yi, impossible pour lui d’en détacher le regard. Comment était-ce possible ? Il s’était pourtant juré de ne pas commettre deux fois la même erreur ! Qu’adviendrait-il de Leila s’il cédait ? Qu’adviendrait-il d’eux ? Il secoua vivement la tête sans trop s’en apercevoir.

— Monsieur.

Le timbre rassurant de Samuel l’arracha à sa torpeur. Son sourire confiant lui rappela son objectif de la soirée. Séduire Leila, oui, mais comment procéder pour ne pas replonger dans la destruction ? Pour faire abstraction de ses sentiments ?

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