Aujourd’hui

Nous marchions depuis quelques heures maintenant sous un soleil de plomb et chaque pas que nous prenions était un supplice. Nous avions perdu un temps fou en essayant de contourner un col qui nous avait barré la route plus tôt dans la matinée, jusqu’à tomber sur un chemin de randonnée que nous suivions depuis et qui le surplombait. L’eau avait manqué depuis un moment déjà et une migraine cuisante battait derrière mon œil gauche depuis au moins aussi longtemps ; je combattais une violente envie de vomir et un évanouissement. A ma gauche Kimiko avait retiré deux couches de pull qu’elle avait noué autour de sa taille, la laissant en débardeur et dévoilant à ma grande surprise un tatouage discret qui ornait son épaule droite. Une magnifique et très détaillée fleur de cerisier, surmontée de ce qui me semblait s’appeler un kanji*. L’encre noire du tracé délicat de ce dernier contrastait fortement avec la pâleur de la peau de l’asiatique, contrairement au rose pâle dont était colorée la sakura, qui sublimait la carnation lunaire de ma comparse. A ma droite Jordan s’était également débarrassé de sa veste, que je l’avais aidé à fourrer dans son sac à dos tristement vide de vivres, à l’instar des nôtres. Roger quant à lui avait depuis trois jours déjà décidé de se séparer définitivement de la sienne, dans un accès de rage un après-midi de canicule comme celui-ci, et suait à grosses gouttes dans son t-shirt originellement blanc. Il marchait devant à grands pas pesants, comme pour se prouver que contrairement à nous, les conditions climatiques ne l’affectaient pas. Quel abruti.

A l’inverse de mes compagnons d’infortune j’avais choisi de supporter ma propre veste, sachant que si je succombais à la tentation de la retirer je finirai par endurer de vicieux coups de soleil en plus de mon insolation. J’avais malheureusement hérité, au même titre que Lucas, de la peau rousse de notre père, malgré le fait que nous ayons tous été bruns. Jamais de ma vie je n’avais eu le bonheur d’expérimenter le bronzage. J’étais, en revanche, une intime connaisseuse des ravages provoqués par une exposition prolongée à l’astre solaire. Je ne voulais pas risquer de les ajouter à mes peines actuelles.

L’horizon stérile semblait s’étendre à l’infini et une brume de chaleur vacillante barrait la ligne de ce dernier, comme un rappel tangible de la fournaise dans laquelle nous évoluions. A tout instant je pensais pouvoir commencer à percevoir des mirages et je désespérais de voir apparaître la moindre construction humaine au loin. J’essayai instinctivement de m’humecter les lèvres, craquelées et douloureuses, pour me rendre compte que je n’avais plus de salive pour se faire. Nous avions besoin d’ombre, d’eau et de repos mais ne pouvions pas avoir les deux premiers et nous permettre le dernier. S’arrêter maintenant nous condamnerait à coup sûr, nous serions physiquement incapables de reprendre la route.

Je levai les yeux vers le ciel, une main lourde posée au dessus d’eux pour les préserver du rayonnement du soleil, afin d’estimer la position de celui-ci. Il était midi. Plus ou moins, à en juger par l’étirement de mon ombre. Je compris rapidement que nous avions dérivé vers l’ouest de façon inquiétante en essayant de nous distancier des abords de Carlevan, mais j’évitai d’en informer les autres pour ne pas rajouter le poids de cette connaissance à leurs préoccupations actuelles. Par chance cependant, nous avions été bien inspirés de suivre le chemin de terre sur lequel nous progressions car ils nous dirigeait direction plein sud, dans la trajectoire la plus directe pour atteindre Carpiagne, du moins je l’espérais.

L’horizon était toujours si foutrement désertique.

*Signe idéographique de l’écriture japonaise, d’origine chinoise.

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