Un nouveau jour se levait et nos compagnons avaient levé leur camp de fortune à l’aube. D’après Naltya et Pirma, il restait entre un et trois jours de marche. Les deux rivales ne parvenant pas à se mettre d’accord, Jehim n’avait pas réussi à obtenir d’estimation plus précise. Mais il savait au fond de lui-même qu’il approchait de chez lui.

Chaque heure qui passait, les trois petits êtres avaient une nouvelle occasion de se rendre compte de la façon dont les Grandes Gens traitaient le reste du monde. Et à chaque trace laissée dans la nature, ils ressentaient une indignation mêlée d’impuissance.

Cependant, lorsque le jeune gobelin croisa le regard de cet ours en peluche malodorant, ce fut un autre sentiment qui le saisit, et il s’arrêta pour l’observer fixement.

— Jehim… ? Tu n’es pas sérieusement en train de verser une larme pour cette malheureuse peluche ?

Le ton employé par Pirma pour poser la question était à la fois condescendant et inquiet. Le concerné haussa une épaule puis sourit tristement. Du bout des doigts, il vint réajuster le ruban rose saumon qui était noué autour du cou du jouet.

— C’est idiot. Elle a le même regard que Cyrcléa…

— Ta femme ?

— Ma taupe.

Une vague de culpabilité envahit l’esprit de Jehim. Depuis le début de son aventure, il pensait plus souvent à sa taupe domestique qu’à sa chère et tendre Bielme. Mais Bielme devait être en sécurité dans la cité, alors que Cyrcléa s’était retrouvée seule, affamée, abandonnée, dans un lieu dont elle ne connaissait rien…

— Ta taupe.

Cette fois-ci, le ton de Pirma ne laissait aucun doute sur l’idée qu’elle avait en tête : elle le prenait pour un fou.

— Tu n’es pas marié alors ? demanda doucement Naltya. Pourtant tu parles dans ton sommeil.

— Je suis marié. Mais ma femme n’a vraiment pas les mêmes yeux que cet ourson.

Jehim avait tenté une plaisanterie pour essayer d’alléger un peu la morne ambiance qu’il avait amenée, sans trop de succès. Ce fut tout juste si les moustaches de Naltya frétillèrent d’amusement.

— A la place de ta femme, je me sentirais clairement offensée qu’un animal passe avant moi.

— Oh, elle est jalouse. Ou en tout cas elle l’a énormément été au début. Cyrcléa est plus une amie qu’un simple animal.

Les explications de Jehim étaient maladroites, et il sentit qu’au lieu de clarifier les choses, il s’enfonçait. Il finit par hausser une nouvelle fois les épaules et tourna le dos à l’ourson.

— Allons-y. Ce n’est qu’un déchet de plus laissé à l’abandon par les Grandes Gens.

— Mais qui a les yeux de ta taupe.

Le jeune gobelin serra les dents face à la mesquinerie de la fée, mais ne dit rien. Il savait bien qu’elle était comme ça, parfois, elle devait cesser d’être gentille pour laisser place à un peu de sournoiserie. Cela ne l’empêchait pas d’avoir un bon fond.

Au dernier moment, Jehim changea brusquement d’avis et alla décrocher le ruban. Cela irait très bien à Cyrcléa s’il la retrouvait.

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