Aujourd’hui

Nous appréciâmes notre repas bien mérité dans le mutisme le plus complet, plongés les uns et les autres dans notre for intérieur. J’essayai toutefois de ne pas m’immerger trop profondément dans le mien, consciente des horreurs que j’y avais enterrées. C’était bien suffisant qu’elles viennent me tourmenter lorsque le sommeil -si rare ces jours-ci- parvenait à me revendiquer. Ça en était venu à un point où fermer les yeux me terrorisait et que je faisais en sorte d’avoir à l’éviter, jusqu’à ce que mon corps ne puisse plus le supporter. Aucun de mes compagnons de voyage n’avait jamais évoqué mes terreurs nocturnes et je leur en étais reconnaissante. Mais là encore, j’avais soigneusement évité de reconnaître les leurs. Nous étions, semblait-il, une joyeuse compagnie d’adeptes de la dénégation. Ça me convenait.

Nous laissâmes s’écouler un temps indéfinissable ainsi, bien après que nos estomacs aient été remplis, à demeurer immobiles autour de la table de la cuisine jusqu’à ce que, par la vitre brisée de celle-ci, nous vîmes le soleil commencer à décliner, nous nimbant d’une chaleureuse lueur dorée. Lorsque ses derniers rayons de la journée vinrent se poser sur mon épiderme je frissonnai, emprunte d’une poignante nostalgie qui s’évapora aussi vite qu’elle s’était manifestée. L’apogée du crépuscule était un spectacle magnifique à regarder, saisissant de beauté. Auparavant, c’était mon moment préféré de la journée. J’aimais, lorsque je trouvais le temps, m’arrêter pour l’admirer. Et ce depuis plus d’années que je n’aurais pu me rappeler. A présent, ça ne m’évoquait plus que les prémices d’une obscurité hantée.

Sur mon corps tout entier, ma pilosité se dressa.

Je frissonnai. Glacée.

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