Durant la traversée jusqu’à l’académie, un jeune garçon, enveloppé assis en face de lui, le dévisageait.
– Puis-je te demander ton nom, ami ?
– Je suis Neil de la famille Riscod.
– Je suis Bratal fils de Libus. Comment as-tu connu l’école Neil ?
– Ce sont mes parents qui m’y ont inscrit.
Les nains interrompirent, avec leur grosse voix, les discussions des jeunes recrues qui finirent par écouter le nain orateur appelé Brelim.
– Mes enfants, nous allons faire un petit jeu. Chacun va se présenter et raconter comment il a connu l’école; moi je me nomme Brelim, c’est mon cousin Dwili qui m’a fait découvrir l’école. À vous maintenant.
Une voix ferme prit la parole.
– Je m’appelle Zadion Tugorard, fils de Thoor Tugorard. Ma famille vit au royaume de Castel-en-brume et j’ai été envoyé pour parfaire mes techniques d’enchanteur. J’ai appris l’existence de l’école par mon professeur particulier de Magie.
Ce récent royaume, dont l’emblème était la foudre, faisait toujours comme un effet de surprise pour ceux qui entendait son nom. Le pays était connu pour ces nombreux problèmes d’ordre politique et religieux. Cette contrée n’avait pas seulement des difficultés internes, ses relations diplomatiques avec les autres royaumes étaient aussi très instables. C’est pourquoi, les ressortissants de cette région étaient, le plus souvent, vus comme des espions. Le plus souvent, ils étaient victime de préjugés.
– Ainsi donc tu connais déjà la Magie, dit un nain en rompant le silence, impressionnant, moi c’est Gimlur.
Zadion était un jeune garçon blond qui fascinait déjà ses camarades avec son éloquence. Il semblait descendre d’une noble famille.
Les autres apprentis, pris au jeu, continuèrent. Parmi eux se trouvait une jeune fille brune et discrète qui attira l’attention de Neil, lui qui n’avait encore jamais eu de petite amie.
– Emyse Ranler, fille de Luis Ranler. Elle préféra rester réservée et ne dit pas un mot de plus, ce qui attisa encore plus la curiosité de Neil.
Néanmoins, l’ambiance s’améliora grandement dans la voiture et d’autres sujets de discussion suivirent entres nains et jeunes apprentis. C’est ainsi que se passa plus rapidement le temps du voyage et que nos futurs apprenants arrivèrent à bon port.
Au crépuscule, ils virent, par les fenêtres, le château de l’académie qui prenait forme, où ils allaient tous séjourner plusieurs mois. Ils furent éblouis par sa splendeur car il devenait un brillant monument la nuit.
L’arrêt fut aussi mouvementé que le démarrage. A la sortie de la diligence, les petits tuteurs et leur recrue se mirent en marche en file indienne en direction de la bastille. Chaque nain avec son protégé formait un binôme. Ils rejoignirent ainsi une queue qui avait déjà commencé depuis plusieurs minutes. D’autres diligences avaient amené d’autres jeunes avant eux. Cette année, ils seraient vingt-trois élèves en première année.
Chaque duo entra dans le manoir en suivant un tapis rouge au centre duquel figurait l’emblème de l‘académie : une feuille de bouleau. Les nouveaux étaient tous attendus et beaucoup d’autres jeunes apprentis, en tenue d’enchanteur, les accueillirent chaleureusement de part et d’autre de la tapisserie pourpre. Neil en fut surpris. Dans le hall du château, toutes les promotions étaient présentes. Devant une estrade, un vieil homme avec une longue barbe blanche les attendait. Derrière lui, des escaliers menaient aux étages supérieurs.
Lorsque les nouvelles recrues apparurent devant lui, le vieux mage blanc bienveillant prit la parole.
– Venez, venez mes chers enfants, vous vous demandez surement pourquoi tout ceci. Et bien c’est une tradition que de souhaiter la bienvenue à nos nouveaux élèves. Je suis le directeur de cette grande école et je me nomme Droridus Saurtam.
Pour la plupart, vous venez d’horizons lointains et avez connu les vraies difficultés de la vie. Nous, les mages, avons créé cette académie pour vous, mes enfants. Pour que l’apprentissage de la Magie soit accessible à tous. Notre école a pour vocation de dénicher les talents de demain qui ne sont pas forcément issus de l’élite des magiciens. Parfois l’œil de Dieu peut se porter sur un simple berger et se détourner du Roi. C’est pourquoi, vous êtes importants pour Le Créateur et donc pour nous. Mais tout cela, nous l’expliquerons en dernière année.
Plusieurs rois, conseillers politiques et de grands hommes sont passés par notre académie de renom. Soyez donc fiers d’être là. Notre école enseigne maintes disciplines, l’histoire des civilisations qui peuplent ou ont peuplé notre monde et beaucoup d’autres. Autant dire que nous allons construire votre avenir comme il faut.
Bon… pour ce premier jour je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Maintenant voici venir le défilé de vos futurs professeurs.
Ils étaient debout en tenue d’enchanteur, aux côtés du doyen.
– Voici votre professeur d’histoire des civilisations : Adus Lumas – il s’agissait d’un homme à lunettes qui avait du ventre – le savoir de grands explorateurs Mages vous sera transmis grâce à lui. Vous aurez ce privilège.
– Les langues étrangères seront enseignées par Paam Brorsas. Il vous apprendra vos incantations et invocations, mais en vous enseignant d’abord les langues dont elles sont issues. – Un autre binoclard aux longs cheveux et châtains – Inutile de vous dire que ces classes vous apprendront aussi à communiquer lorsque vous serez en expédition à l’étranger.
– Beobras Limeth, il vous expliquera la science dans la Magie – Un professeur ténébreux qui avait l’air plutôt strict mais qui se distinguait des autres par son physique raffiné. Il portait un monocle à son œil droit. Ce dernier prit la parole.
– La Magie est une science qu’il convient d’étudier soigneusement avant son utilisation. Il existe d’ailleurs une théorie elfique à ce sujet. Selon elle, l’homme serait trop jeune pour le mysticisme. La Magie mènerait l’homme à sa perte. Toujours est-il qu’elle fait partie intégrante de l’homme aujourd’hui et j’attends de vous, avant tout, de la sagesse. C’est elle qui fera de vous de bons apprenants. En ce qui me concerne, ma tâche est de développer votre esprit savant.
– Merci Beobras pour cette sage parole, continua le directeur.
Qu’est ce que la magie si ce n’est de l’art ? Vous verrez cela avec un Maître artiste : Becelline Belis – la seule femme, la quarantaine, cheveux courts grisonnants.
Quand vous serez passés Maître en la Magie, vous aurez certainement à concevoir des formes pour vos sortilèges. C’est à ce moment là que son enseignement prendra tout son sens. Becelline, quelques mots ?
– Bienvenue à tous. Merci Maître Saurtam, vous avez bien résumé le contenu de mes séances. J’aimerai juste ajouter que l’histoire des enchanteurs est jalonnée par l’apparition de grands Prophètes. Par où ils passaient, ils étaient acclamés et aimés. Ils étaient sublimés grâce à leur grand art. Mais la fibre artistique n’est pas tout pour devenir un bon enchanteur, leur pouvoir était, en vérité, intimement lié à leur foi. Long est le chemin qui mène à la sagesse. Soyez savant, créatif, mais si vous êtes reconnaissant au Créateur qui nous a fait don de la Magie, vous progresserez d’autant plus vite.
Neil remarqua que cette référence à la foi en un Dieu unique était très présente.
– Et enfin, votre professeur de chevalerie mais aussi votre surveillant, Bralvus Bapus. Vous pourrez lui poser toutes les questions pendant votre scolarité. Ne vous inquiétez pas, il ne mord pas.
Les anciens élèves rirent discrètement et Bapus guetta les moqueurs avec les yeux grands ouverts. C’était un vieux sorcier velu qui avait une musculature impressionnante. Comment un vieux mage, dont l’activité majeure devait se résumer à tourner les pages d’un vieux grimoire, pouvait avoir l’air aussi costaud ? Il était professeur des activités physiques après tout.
– C’est tout pour aujourd’hui. Maintenant on passe tous à dîner puis au dortoir, une rude journée nous attend demain. J’espère, mes chers nouveaux élèves, que vous apprendrez avec passion tout en vous amusant. Bon courage et que Dieu vous garde.
Le vieil homme quitta l’estrade et tout le monde l’applaudit chaleureusement. Neil vit alors qu’une assez bonne ambiance régnait dans l’école et il apprécia cela. Une certaine discipline assez stricte était instaurée malgré tout. Et puis il y avait cette référence à un Dieu, c’était inhabituel pour Neil. Dans sa famille, on était plutôt polythéiste et c’est sa mère qui lui avait transmis quelques croyances sur l’existence d’esprits qui supervisaient la nature.
Le repas frugale fut prit dans une énorme salle qui faisait office de cantine. Les tables étaient pleines de nourriture comme à un banquet. Ce soir-là, Neil resta avec ses compagnons de voyage.
– Impressionnante cette école ! dit Neil à Zadion.
– Oui, c’est sûr que je ne m’attendais pas à ça.
Neil qui voulait mettre tout le monde à l’aise dans son groupe se présenta à Emyse qui semblait encore réservée. Quant à son compagnon enveloppé Bratal, il l’appréciait déjà, car ce dernier semblait, à première vue, gentil et sociable. Ils dînèrent ensemble puis certains anciens leur dirent bienvenue. L’un d’eux leur annonça qu’ils feraient ensuite la visite guidée de l’école avec l’effrayant Bralvus Bapus. Et effectivement le concierge vint les chercher après le souper.
Pendant la promenade, ils virent la bibliothèque, la plus grande qu’ils n’avaient jamais vue. Des milliers d’ouvrages dans une pièce immense ainsi que de nombreux documents et archives feraient le bonheur de n’importe quel érudit. Des bancs et des tables étaient mis à disposition des apprenants.
Ils traversèrent la cour de l’école où ils passeraient beaucoup de temps entre les heures de classe. Puis, vint le tour du dortoir. Bralvus leur montra leur quartier dans un long couloir du château qui faisait office de chambrée. Les nouveaux étaient en général mis ensembles. Neil remarqua encore, sous ses pieds, ce même tapis rouge marqué de la feuille de bouleau. L’appartenance au royaume de la feuille de bouleau était donc forte.
Bapus leur montra aussi l’infirmerie, au cas où. Enfin, le surveillant leur fit découvrir maintes pièces inhabitées du château. Y figuraient des portraits d’anciens mages, mais aussi des objets tels que sceptres, armures… Ils étaient tous disposés là comme dans un musée.
– Cette pièce est interdite mais si vous voulez un jour y entrer pour visiter, vous me demanderez l’autorisation.
Puis Bralvus leur présenta les autres salles défendues de la bastille, telle que la pièce du conseil des professeurs : la porte entrouverte laissa voir une table ronde autour de laquelle les enchanteurs enseignants se réunissaient pour organiser les cours. Parmi les salles inaccessibles, on avait aussi les quartiers des professeurs et ceux du directeur de l’école.
– Vous devez être fatigués, c’est pourquoi je vous conseillerai d’aller vous reposer. Avant cela, voici vos emplois du temps de la semaine. Il leur donna à chacun un parchemin et les accompagna jusqu’au dortoir : le long couloir tapissé donnait accès à des pièces séparées. Emyse serait à l’étage supérieur, au dortoir des filles. Après la visite, Bapus les laissa s’installer. Zadion, Bratal et Neil étaient maintenant ensemble dans une des chambre de la bastille.
Avant qu’ils ne finissent pas s’endormir, exténués du long voyage, un jeune élève d’une classe supérieure vint frapper à la porte.
– Salutation, je suis en deuxième année, je vous souhaite la bienvenue. Est-ce que Bralvus vous a montré l’emplacement de la pièce secrète du château ?
– Quelle pièce secrète ? demanda Neil.
– Et bien celle du mage fantôme, ne me dites pas que vous ne saviez pas cela. Tous les élèves l’ont vu au moins une fois.
– Et bien je dois dire que non, répondit Neil réticent.
– Alors préparez-vous pour votre cadeau de bienvenue les amis. Venez avec moi, nous allons combler l’erreur du concierge.
Le deuxième année qui s’appelait Jecer guida ainsi Neil, Bratal, Zadion, et quelques autres jeunes recrues parmi les nouveaux encore debout. Ils prirent les couloirs pour éviter Bralvus le surveillant et finirent par arriver devant une pièce, à un étage supérieur interdit aux élèves. Ils étaient à présent dans une des tours du château. Le guide sortit une clef et ouvrit la porte avant d’entrer dans la salle défendue, entraînant les nouveaux. Il s’agissait d’une vieille salle abandonnée où étaient disposées, sous des toiles d’araignées, des fioles et autres babioles sur des étagères poussiéreuses. Il y avait aussi quelques livres et parchemins. On aurait dit un ancien laboratoire. À cet instant, Neil le vit et écarquilla les yeux. Un spectre lisait un volume dans un rayon de la bibliothèque. Il était complètement plongé dans sa lecture. Vêtu d’une tenue d’enchanteur : longue toge et grand chapeau pointu sur lequel étaient brodées des étoiles, le fantôme tourna sa tête vers les apprentis. Bratal mit la main sur sa bouche pour ne pas crier mais ne put contenir sa vessie.
En voyant le jeune et beau visage ectoplasmique du défunt, se changer en un hideux visage cadavérique de vieillard décrépit, les nouveaux prirent aussitôt la poudre d’escampette vers la sortie. Le revenant, en colère d’avoir été dérangé, était à leur trousse. Arrivés à la porte, ils ne purent l’ouvrir. Jecer était sorti le premier et venait de les enfermer de l’extérieur. Une mauvaise blague de bienvenue de la part du deuxième année qu’on appelait aussi Jecer le terrible. Á force de frapper hystériquement la porte, elle finit par s’ouvrir et une main agrippa les élèves terriblement effrayés. Elle les entraîna à l’extérieur, dans le couloir, les sauvant in-extremis de l’ectoplasme lumineux. L’esprit n’était plus qu’à quelques centimètres de Neil lorsqu’il fut tiré en dernier du laboratoire hanté. Le concierge Bralvus Bapus venait de les délivrer.
– Je ne m’attendais pas à autre chose de la part des deuxièmes années. Je suppose que vous ne reconnaîtrez pas l’auteur de la blague, il se garde bien à chaque fois de donner son identité. Allez-vous recoucher maintenant, dit le vieux barbu en colère. Que je ne vous y reprenne plus.
Lorsque Bratal, Neil et Zadion rejoignirent leur chambre, Bratal jura de prendre sa revanche car il venait d’avoir la peur de sa vie. Quant à Zadion il semblait indifférent à cette mauvaise farce.

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