Peu de temps s’est écoulé après le régicide. Non loin, dans une taverne se rencontrent deux magiciens.
– Maître Eronnon, je me nomme Bratal, j’ai travaillé au sein de votre ordre. J’ai dépoussiéré bon nombre d’ artefacts dans vos projets de recherche.
J’ai appris la nouvelle sur Le Sommet Secret des Rois et je me suis empressé de venir à votre rencontre.
– Parlez frère Bratal. Que pouvez-vous m’apprendre ?
– J’ai la chance de rencontrer un Légendaire aujourd’hui et j’en suis honoré. Ainsi mes deux camarades ne seront pas les seuls à avoir discutaillé avec de grands magiciens. J’ai connu Zadion Le Régicide et Neil Le Pèlerin à l’Académie de Terrelongue. Nous avons été des amis proches et nous avons lutté ensemble pendant l’épreuve de la forêt maudite.
Mais je viens vous apporter une nouvelle de la plus haute importance.
– Je vous écoute.
– Je vous ai choisi car vous êtes le plus sage et votre science est sans égal. Voici un parchemin, j’y ai reproduis les glyphes que des nains ont découvert dans une caverne, il y a des années de cela. Maître Neil me les avait adressé. Je les ai d’abord laissé de côté, à mon grand regret je n’ai pas pris Neil au sérieux. Puis les récentes histoires m’ont replongé le nez dedans. Le bruit court que Neil maîtrise un sort qui lui a permit d’apparaître et disparaître au Sommet des Rois.
– Ce n’est plus une rumeur, j’y étais et je l’ai vu de mes yeux. Rarement j’ai assisté à un tel prodige. Ton ami discret est bien imprévisible. Son nom fera écho longtemps dans les livres d’histoire. Ainsi que celui de Zadion, mais pas pour les même raisons.
– Déjà à l’école Neil avait ce secret : une connaissance accrue de la magie malgré son piètre niveau. Je crois qu’il a découvert quelque chose ou quelqu’un qui est à l’origine de son pouvoir. Il s’était acoquiné avec ce fantôme et j’imagine que son curieux ami sait invoquer l’Ether ou était-il un descendant de la plus noble lignée de magiciens. A vrai dire je n’en sais rien.
– Vous avez bien dit Ether ?
– Oui et de de toute évidence, son « fantôme » est lié à ce pouvoir secret. Revenons maintenant à ces peintures qui figuraient dans cette crevasse et que Neil a trouvées. Elles désignent le premier Enchanteur, vous serez d’accord en les contemplant. Mon expérience en archéologie me permet de dire avec certitude que la peinture est très ancienne. Par chance, les nains avaient laissé l’excavation intacte et j’ai pu le vérifier à maintes reprises.
Et ce glyphe en forme de spiral n’est répertorié nul part dans nos archives, il désigne probablement l’Ether. Dans l’histoire cet élément est apparut deux fois. La première avec le père des magiciens, la seconde avec Neil et son secret.
– Tu as bien vu jeune Mestre. Mais le compte n’y est pas. Je soupçonne le Roi Noir d’allées et venues suspectes. Même si je n’arrive pas détacher les faits authentiques de sa légende, je suis prêt à parier qu’il enchante ses déplacements. Sinon comment expliquer son invisibilité. Quant à son immortalité, elle reste un mystère.
Par ailleurs, soyez certain Maître Bratal que votre épreuve académique de survie a gagné l’attention de tout le monde. D’abord parce que le Roi Noir y a fait irruption et ses invocations posthumes étaient empruntes de la matière noire que vous évoquez. Oui l’Ether est bien réel et Maître Neil y semble lié de la même manière que le Roi Noir. Pourtant c’est Zadion qui s’est acoquiné avec le Sorcier ce jour-là.
Je reste persuadé aussi que Neil est la clef pour lever le mystère, mais il est déjà très loin. De toute façon il a prêté serment et il ne s’arrêtera pas avant d’atteindre le bout du monde.
– Maître Eronnon, notre monde moribond n’en a plus pour longtemps d’après la prophétie. Neil s’est perdu autrefois et je l’ai aidé à retrouver son chemin dans la pénombre de la forêt maudite. Aujourd’hui on raconte que Zadion est mort en régicide et j’ai peur de perdre l’ultime ami qui me reste. Qui sait quel effet cette matière noire peut avoir sur lui.
Je dois rejoindre la guilde du future au plus vite. Au nom de l’Académie, donnez-moi l’autorisation. Donnez-moi la chance de sauver Neil ! J’essaierai de le ramener en vie et alors on aura une chance de percer ce mystère.
– Malgré ce qu’en déciderait l’Académie, je vous nomme gardien de la guilde du future. Protégez votre ami comme vous le pourrez. Quant à moi je vais rejoindre l’Alliance car je n’ai plus le luxe d’attendre. Que Dieu vous protège Maître Bratal. C’est peut-être vous qui nous sauverez.

*
Grâce à son pouvoir, Neil s’était rendu chez lui. Sa souffrance était grande et sa tristesse le guida naturellement vers sa mère.
Quand elle lui ouvrit la porte, elle trouva d’abord un jeune homme triste. Elle n’attendit pas pour l’enlacer.
– Mon fils chéri, tu es parti trop longtemps !
– Je suis désolé mère, j’ai été pris dans une tempête. L’Académie m’a prit sous son aile et je suis devenu leur faire-valoir. Pour finir, j’ai perdu un ami qui s’est égaré dans l’obscurité. J’ai le cœur tellement lourd car j’ai essayé en vain de le sauver.
– Tu n’es qu’un jeune garçon alors ne sois pas accablé par des événements qui sont hors de ta portée. Comment est-ce arrivé ?
– C’était un grand magicien que j’ai rencontré à l’Académie. Mais il avait soif de vengeance, alors il s’est rallié au Mage Noir au milieu de son apprentissage. J’ai essayé de l’en empêcher au nom de d’Académie, nous nous sommes battus et…
La voix de Neil s’enroua et des larmes coulèrent.
Alors sa mère le serra dans ses bras.
– Tu as fait ce qui te semblait juste. Ce n’est pas de ta faute mais celle de l’Académie qui a failli pour ton jeune ami. Nous avons commis une erreur en t’y envoyant. Tu as grandi jusqu’à devenir mage mais tu n’étais pas destiné vivre de tels événements. Je suis désolé.
– Ne le sois pas mère. Peut-être que Dieu avait écrit d’avance ma rencontre avec Zadion.
– Tu as toujours su sonder le cœur des gens alors je ne douterai jamais de toi Neil. Si tu es arrivé à ce dénouement tragique c’est qu’il n’y avait pas d’autre moyen. Maintenant sois fort car tu ne peux pas pêcher tous les hommes dans le filet de ta nouvelle religion.
Laisse-moi te dire autre chose. Je t’ai élevé avec des croyances différentes et je t’ai toujours laissé la liberté de choisir ton héritage spirituel.
J’entends bien les rumeurs qui courent au sujet de cette école, alors ne tombe jamais dans le piège des hommes qui croient être guidés par leur Dieu quand ils ne le sont que par leur folie.
– Merci mère, tes paroles m’ont toujours remit debout. Tu as deviné, j’ai bien changé, j’ai donné ma foi à un Dieu unique.
– Je crois en toi mon enfant, plus qu’en ce Dieu alors si c’est ta voie, sois un bon croyant.
– C’est ce que j’essaye d’être mère. Pieux et brave. Un autre ami m’attend aujourd’hui et c’est un grand magicien du nom d’Ataen. Un des plus grands magiciens de notre contrée.
Il n’est pas très pieux, mais j’ai vu en lui quelque chose. C’est un homme différent de tout ce qu’on lit ou entend à son propos. Il a l’air d’un troubadour avec un brin de folie, mais c’est un saint homme qui ne pense qu’au bien d’autrui.
Nous sommes sur le point d’explorer le Désert Sans Fin pour une mission de la plus haute importance, alors souhaite-moi bonne chance.
– Quelle nouvelle m’annonces-tu là ? Étais-tu venu me dire Adieu ?
Puis Neil lança un sort d’Éther et réapparut dans le fauteuil de son père.
– Sois rassuré mère, ton fils est devenu un grand Mestre célèbre dans de nombreuses contrées. Ce don de Dieu me rend invulnérable.
Par ailleurs, je voyagerai avec le légendaire Ataen. Ne t’inquiète pas c’est une mission de reconnaissance. J’ai été nommé commissaire académique et notre but est trouver la source du mal.
Neil ne voulait pas inquiéter sa mère.
– J’espère que tu as raison, notre demeure attendra ta prochaine visite.
– Je ne peux attendre plus longtemps mère. Tu raconteras tout cela à père. J’espère que vous serez fiers de moi.
La mère embrassa tendrement son fils.
– Nous l’avons toujours été Neil et nous le serons toujours.

*

Neil s’était rendu au point de ralliement. Les retrouvailles avec sa mère et son maître le consolaient et sa douleur en fut atténué.
Ataen chevauchait une monture imposante et était vêtu de son heaume elfique. Il était désormais accompagné de Cemendur le forestier.
– Alors fils, viendras-tu avec nous ? lança Ataen à son disciple.
Neil ne reconnut pas Ataen tout de suite. Il lui semblait à présent être en face d’un guerrier elfe d’une haute lignée, tout comme son nouveau compagnon.
– Maître Ataen, est-ce bien vous ? Qui vous accompagne ?
– Un seigneur elfe nous accompagnera au Nord. Désormais la guilde du futur compte un membre de plus, je te présente Cemendur.
– Un elfe ? Comment est-ce possible ?
– Tout est possible pour un elfe qui sait jouer l’Ode de l’Appel avec l’Ocarina d’Elril-Gariand, répondit Cemendur. Je suis là pour vous escorter, peu importe votre destination.
– L’Ode ? l’Ocarina ? je ne comprends rien.
– C’est sans importance Neil. Où est ton ami ? Je m’attendais à rassembler plus de membres à notre communauté.
– Il ne viendra pas car j’ai échoué lamentablement. Changer le destin n’est pas chose aisé maître. Je viens d’enterrer mon meilleur ami. Maintenant, il nous faut nous hâter vers le Nord, c’est la seule chose que je puisse faire. Il est mort par ma main et dans mes bras.
Neil sanglota.
– Toi aussi ? Alors nous sommes deux à être en deuil.
C’est ce qui arrive en temps de guerre.
Ataen prit pour la première fois son apprenti dans ses bras. Cela réchauffa le cœur du jeune garçon.
Ils chevauchèrent ensuite maintes heures et Neil reconnut le pays désertique où ils entraient.

*

– Je suppose que nous n’entrerons pas dans le désert avec nos chevaux, j’ai un ami dans ce village, nous pourrions les lui donner.
Neil et ses amis entrèrent à Mutnodjmet, le village de sable qui se trouvait en amont du désert sacré. Il se souvint, comme si c’était hier, de sa première mission au sein d’une guilde de mages.
La compagnie y entra en fanfare, les villageois chantèrent et des tambours résonnèrent pour les accueillir.
Lorsque Taha retrouva Neil dans la foule, il le serra fort mais la joie de son visage perdit de son éclat quand il comprit que son jeune ami avait entamé un pèlerinage vers le Nord. Le chagrin l’avait envahi et à présent il faisait ses adieux car son cœur lui disait qu’il voyait le jeune magicien pour la dernière fois.
– On parle d’un jeune berger qui a sauvé des Rois, je n’ai eu aucun doute sur l’identité de ce magicien, dit Taha avec son accent. Après tout, tu es maintenant l’élève du magicien aux cheveux de feu. J’ai appris cela d’un messager il n’y a pas si longtemps. Ce dernier m’a délivré un parchemin qui demandait de l’aide à tous les pays pour constituer la plus grande armée de tous les temps. L’Alliance est en marche à nouveau vers la tour noir du puissant Sorcier, je pensais que nous combattrions ensemble, encore une fois…
Neil lança un regard à son maître.
– Mon combat se passera sur un autre front, mais qui sait, peut-être que tu me reverras une dernière fois sur un champ de bataille, répondit le jeune magicien.
Neil pensa à son nouveau pouvoir, pouvait-il répondre à l’appel et y jouer un rôle avant de commencer son pèlerinage ?
– Si vous décidez de nous rejoindre, j’ai donné ma parole pour rencontrer ce messager de Terrelongue à cet endroit précis dans 3 jours.
Taha déroula une carte sous une tente et posa son index à un endroit précis près de Noirpic.
– Les portes noires ? demanda Cemendur. Décidément… vous voulez tous mourir. Le Désert Sans Fin ou La Montagne Du Roi Sorcier. J’ai quand même une préférence pour Noirpic. Mon péché mignon c’est la décapitation de gobelins.
– Nous avons prêté serment mes agneaux, interrompit Ataen. J’aimerai beaucoup moi aussi, mais cette route n’est pas la notre Taha.
– Maître, c’est sur notre chemin. C’est un signe de Dieu. Et puis notre propre royaume réclame de l’aide, rétorqua Neil.
– L’alliance s’est reformée, elle est plus grande que jamais et elle a lancé un appel à l’aide à Mortebutte. Ils vont enfin remarcher sur Noirpic… ajouta Taha.
À cette annonce, Ataen gronda de colère.
– Dans ce cas nos chemins se séparent ici !
Encore un signe du destin pensa-t-il. Ce même choix s’était offert à son défunt père qui avait choisit la guerre au lieu de rentrer auprès de sa famille. Quelque part, Ataen haïssait son père pour ça et d’autre fois, il détestait le monde de le lui avoir prit pour en faire son martyre. Mais au fond, un Mage Prophète était forcément un homme bon, alors pourquoi avait-il le sentiment du contraire ? Sa foi vacillait dans ses moments et il en souffrait. Ce genre de sentiments aurait pu l’amener du côté des Dominateurs, mais il avait toujours combattu les ténèbres à l’intérieur de son cœur.
Cemendur posa sa main sur l’épaule d’Ataen.
– J’ai connu Ibus, il était quelqu’un de simple et sa sagesse valait celle d’un elfe. C’est pourquoi Elril-Gariand s’était éprit de lui. Ton père avait ses croyances et ses idées, tout comme le peuple elfe a les siens. Si tu cherches une réponse à son sujet, sache que le peuple elfe lui doit beaucoup. Il nous a ouvert les yeux sur les hommes. Ces deux peuples se réuniront un jour, grâce à lui.
Et il n’a pas abandonné ta famille, il voulait seulement vous offrir le plus beau cadeau, le monde de ses rêves, c’est pour cela qu’il est mort.
La gorge d’Ataen se serra et ses larmes allaient couler à flot sur son visage quand il les retint avec ses doigts.
– Maître ? ajouta Neil bouleversé.
– Voyez la belle brochette de pleurnichards que nous sommes, conclut Ataen.
Cemendur mit un genou à terre auprès d’Ataen. L’elfe était d’une beauté divine, ses longs cheveux blonds flottaient dans la brise qui soufflait sur le pays et ses paroles justes avait délivré le cœur d’Ataen emprisonné toutes ces années.
– Regagnez votre trône et votre couronne prince Ataen. Le monde en a besoin. Je suis votre serviteur.
– Je lui en ai voulu toutes ces années et je n’ai jamais vraiment cru à toute ces sornettes jusqu’ici. Merci Cemendur, votre flèche a atteint tout droit mon cœur. Maintenant relevez-vous.
Neil observait la scène et comprit que son maître n’était autre que le fils du Mage Ibus.
– Maintenant avant d’aller mourir dans ce désert sans vie, j’aimerai une dernière fois pouvoir user de mon épée, termina Ataen. Ainsi j’accomplirai la volonté de mon défunt père.
Neil à son tour se mit à genoux.
– Vous m’avez traité comme un Roi alors que vous l’êtes, vous êtes trop bon. Pardonnez-moi et remettons les choses dans l’ordre. Vous n’avez plus à demander qu’on vous accompagne car nous sommes dans l’obligation de vous suivre.
– Vais-je pouvoir utiliser mon hachoir à gobelins à vos côtés ? interrogea Taha.
– J’aime mieux ça, ajouta Cemendur.
– Préparez votre hachoir Taha, nous continuerons notre pèlerinage vers le Nord… mais avant cela, faisons un petit détour par Noirpic.

*

Ainsi la compagnie quitta le village parmi les les chants de départ des Nordiens. Neil appréciait les us et coutumes de ce village et la compagnie de ce peuple fier et courageux qui descendait en ligne droite des premiers hommes d’après les on-dit. La compagnie commença ainsi sa longue marche vers l’inconnu. Ils partirent le cœur lourd prêts à affronter les épreuves.

*

Grâce au pouvoir de Neil, la guilde avait prestement pénétré dans le sombre royaume de Mont-sur-feu. Taha dirigeait la compagnie d’encapuchonnés qui voyageait à la rencontre du messager de Terrelongue. Non loin de Mortebutte, ils entrèrent de nuit dans un petit village appelé Terre-sur-embrum. En ce lieu, la peur du Roi Noir était oppressante, c’est pourquoi il n’existait que très peu de résistants dans cette contrée. Tous avaient soit rejoint le Sorcier, soit quitté la région. Sauf peut-être une poignée d’espions.
Taha s’arrêta dans une petite ruelle de trois tavernes fermées : Chez Avygael, Le tonneau et le bouclier et Le sanglier hurlant.
– Et maitenant demanda Cemendur ?
– Et bien maintenant, c’est l’heure d’une devinette, annonça Taha avec son accent. Une goutte de sueur coulant sur sa joue montra la gêne du Nordien.
Cemendur pouffa de rire.
– Ce n’est pas très rassurant, dit Ataen. Dis-nous, tu es perdu ? On ne t’en voudrait pas.
– Avec tout votre respect maître Ataen, vous-ai je déjà mal guidé ? Le messager de Terrelongue ne doutait pas de votre venue et il a passé les derniers mois à organiser cette rencontre. Neil regardez donc les noms de ces tavernes et vous saurez à quelle porte nous devons toquer.
L’attention de Neil fut alors porté par « Le sanglier hurlant ». Ce nom le renvoyait à son épreuve académique où il avait fait hurler maints porcs. Mais seul un petit nombre de personnes pouvaient y faire référence. La mystérieuse personne était donc liée au Rite.
– Allons toquer au Sanglier Hurlant, décida Neil.
– Avant tout, soyez sûr de ce que vous avancez, si vous frappez à la mauvaise porte nous risquons l’alerte et notre capture. Soyez sûr jeune Neil, que ce n’est pas votre estomac qui guide vos pas. Cemendur ironisait. Le jeune elfe moqueur n’en ratait pas une.
– Ne vous inquiétez pas, dit Taha, frapper à la mauvaise porte n’aura aucune incidence. Une seule est habitée.
Neil saisit l’heurtoir et frappa trois grands coups sur la porte en bois. La trappe s’ouvrit et un vieil homme jeta un œil à travers le judas.
– Qui va là ?
– Nous cherchons un Seigneur mage, répondit Ataen. Il nous a donné rendez-vous.
– Vous vous êtes trompé, ici on ne sert que du sanglier et de la bière. Pour se faire trucider par un Sorcier veuillez suivre la direction du pic.
– Nous sommes attendus par un érudit venu de très loin, ajouta Taha avec son accent Nordien.
A la vue de ce dernier, le vieillard dévisagea les visiteurs et referma violemment la trappe.
La porte s’ouvrit et le bossu encapuchonné invita la compagnie à entrer dans l’obscurité de la taverne. Ils suivirent tous la lumière du chandelier.
– Suivez-moi et attention à vos pattes !
Le vieillard déposa la torche au milieu d’une grande table. Les compagnons y prirent tous place.
– Vous prendrez bien un peu de viande séchée et une chope de bière en attendant. A cette heure si tardive on ne sert plus notre fameux ragoût.
– Tout ce que vous voulez, je meurs de faim, répondit Ataen.
L’hôte posa deux paniers au centre de la table, l’un contenait du jambon et l’autre du pain. Enfin il remplit à chacun une chope de bière bien fraîche.
Dans la faible lumière les compagnons se délectèrent.
– Merci vieil homme, lança Neil. Cette viande exquise est revigorante.
Neil s’arrêta de mâcher et tous les regards ciblèrent le mystérieux hôte dans le noir.
– J’espère que ce n’est pas une ruse pour nous faire poireauter, lança Cemendur dont le regard perçant foudroyait l’aubergiste.
Ataen s’arrêta de manger.
– Qui est tu étranger ? où est notre homme ? lança-t-il.
C’est alors que l’aubergiste qui se tenait derrière son comptoir saisit un bâton qui avait tout l’air d’un sceptre de magicien.
La compagnie se leva aussitôt dans la panique.
– Doucement, soyez rassuré. Je ne vous veux aucun mal. Je veux seulement vous révéler celui que vous attendez.
Lorsqu’il enleva sa capuche, l’homme se redressa. Sa voix et son apparence factices de vieil homme laissèrent place à Bratal. Un sort de dissimulation lui avait servit.
– Bratal ? vieille canaille, j’aurai du m’en douter, lança Neil, ça alors quelle surprise ! Alors c’est toi notre messager ?
Neil se leva de table pour aller embrasser son meilleur ami.
Taha confirma l’identité du messager avec un signe de tête et les pèlerins se rassirent tranquillement.
– Il n’était pas aisé de te trouver. Enfin je te retrouve, j’avais si peur de perdre ta trace. Je m’excuse auprès de ta guilde pour tout ce mystère. Les espions sont nombreux et je devais garder mon identité secrète.
– Evidemment, je comprends. Je te présente Ataen, Cemendur et Taha. Ils sont mes amis et mes compagnons de route.
– Je connais votre entreprise et je me joins à votre pèlerinage. J’ai eu la bénédiction de maître Eronnon lui-même. La mort de Zadion me hante Neil, c’est pourquoi je ne te laisserai pas continuer seul. Comme autrefois pendant l’épreuve de l’Académie, laisse moi te suivre.
Neil sourit et des larmes de joie remplirent ses yeux.
– Dans la douleur nous serons plus forts ensemble. Tu es toujours là dans les moments difficiles. Tu es le bienvenue et ta venue me réchauffe le cœur.
Puis la joie emplit le cœur de nos amis et les chopes se remplirent de plus en plus vite. Ataen sortit sa vièle et se mit à jouer un autre morceau de musique.
Un air de fête entraîna nos amis qui en avaient bien besoin. Taha commença alors une danse Nordienne bien exotique.
– Oh mon Dieu, dit Bratal, une danse Nordienne. Taha vous êtes un petit cachottier.
Neil fut saoul pour la première fois ce jour-là et ses paroles furent encore plus sincères.
– Maître Ataen, abuser de la boisson va à l’encontre des règles saintes de l’Académie. De plus n’est-il pas déplacé alors que l’heure est grave. Une fois de plus, vous montrez votre…
Sans qu’il put terminer sa phrase, Neil tomba pitoyablement de sa chaise et la compagnie ria en cœur.
– C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Quand cesseras-tu de me critiquer jeune rabat-joie ? Je chante et je bois à ma guise. Je dis que cela fait partie de notre pèlerinage. Moi le grand Ataen, je vous somme de danser à ma musique. Avant le grand air de la guerre, voici l’air de la paix. Qu’elle signe notre union, entre un elfe, un homme de Terrolongue et un Nordien. Nous représentons de grandes contrées et nous sommes amis et liés par les liens sacrés du pèlerinage. Fêtons cela !
– Vous n’en ratez pas une pour sortir votre vièle démoniaque. Mais vous avez raison, conclut Neil.
Ce dernier continua de souper tandis que Taha amusait la galerie. En un instant, il apparut avec son turban déplié sur la tête. Il singeait maintenant une femme Nordienne couverte d’un voile et éprise de l’elfe. Ce dernier riait de plus belle.
– Attendez pour voir, ajouta Bratal. Ce dernier lança son sort de dissimulation et alors il apparut en femme.
– Ceci est un péché, ajouta Ataen en arrêtant sa musique et en prenant un air grave.
– Ses rondeurs que tu acquières avec ta sorcellerie, qu’en fais-tu lorsque tu es tout seul ? Est-ce la solution que tu as trouvé pour perdre ton pucelage ?
Tous rièrent à la question de l’elfe.
– Bratal, je comprends maintenant comment tu passes inaperçu à travers les royaumes. Tu es passé maître dans l’art de la dissimulation. Et puis, avec cette apparence tu dois faire fuir tous les hommes.
– Vous êtes injustes ! cria Taha. Nous on aime les femmes bien en chair, tu me plais comme ça tu sais, dit le Nordien en touchant délicatement la joue du magicien. Ce dernier rougit de plus le pucelage n’était pas un sujet facile à évoquer même pour Bratal.
– Maître Neil, raconte nous tes aventures, tu as fait hurler ce sanglier. Est-ce un souvenir de ton dépucelage ? insista Cemendur.
Neil voulait paraître agacé mais il ne put résister aux fous rires. Le jeune elfe pouvait paraître rustre mais tous avaient finalement compris que c’était une manière de faire naître de la gaieté dans le cœur si sombre des pèlerins.

*

Sur les collines de Mortebutte, les armées de l’Alliance attendaient la sonnerie du cor. Les royaumes étaient côte à côte comme le montraient les drapeaux représentant les emblèmes des différentes maisons. Les nuages gris dans le ciel présageaient la tempête tandis que Noirpic se dressait toujours aussi menaçante. Sa couronne métallique abritait le seigneur ténébreux, serviteur du mal. Le Roi Dominateur préparait sa défense de l’intérieur de sa forteresse. Il avait ordonné aux hommes de Mont-sur-feu de se tenir prêt pour la première vague. Au milieu des fantassins de l’alliance, des catapultes et des archers attendaient de pied ferme les ennemis volants.
Puis l’alerte fut donnée, le cor sonna et la première vague de l’alliance marcha vers le pic. En réponse, les portes de la forteresse noire s’ouvrirent et l’armée des hommes habillés de noir sortirent. Les humains corrompus portaient tous la marque du Sorcier sur le front de leur heaume : la flamme noire du Sorcier. Armés d’épée et de bouclier, ils descendirent la montagne tels des fantômes.
L’alliance en fut troublée et elle arrêta sa marche, la scène était effrayante car l’ennemi sombre était impitoyable.
Parmi les soldats de l’Alliance, un homme brave continua l’ascension sans s’arrêter, son cri résonna dans l’oreille de chaque soldat. Le Roi Aldwil de Terrelongue mena ainsi la première charge et une volonté de feu se propagea parmi les troupes.
Les armées des deux côtés se mélangèrent et les épées et les boucliers s’entrechoquèrent. Une cacophonie métallique envahit la racine de Noirpic, parmi les cris des hommes en colère. Mais le Seigneur Ténébreux était un stratège redoutable, c’est pourquoi sur le flanc droit de sa montagne, le premier bataillon de l’Alliance prit de plein fouet l’armée des gobelins qui sortait des entrailles de la montagne par divers orifices cachés. À cet instant, l’Alliance riposta avec sa propre stratégie, car parmi les soldats se cachaient de grands mages dont ceux de l’Académie. Vêtus comme des soldats, ils avaient dissimulé leur identité et lorsque les gobelins frappèrent, des éclairs enchantés s’abattirent sur eux tandis qu’un déluge noya une bonne partie des hommes noirs à la marque noire. Ainsi combattaient Beobras Limeth, le sombre professeur de sciences et le professeur d’histoire bedonnant Adus Lumas. Priant de toute leur force, ils jetaient des sorts, amenuisant l’armée des ténèbres. Grâce à la magie, l’Alliance reprit le dessus et l’armée des hommes noirs fut pratiquement décimée. Ainsi elle continua son ascension sur la montagne. À ce moment précis, un roulement de tambours effroyable résonna sur le roc et toutes les armées se pétrifièrent sur le champ de bataille. Les créatures verdâtres et visqueuses ricanèrent. Parmi elles, un répugnant gobelin aux dents acérés et à la peau écaillé annonça l’attaque suivante, le sourire aux lèvres :
– Les orques, ils arrivent !
Le sombre sorcier utilisait à son tour la magie. En conséquence, une sphère noire étoilée déchira l’espace en haut du pic, elle ouvrait une porte sur un autre monde. La matière noire vomit ensuite une kyrielle de créatures encore plus féroces que les gobelins. Immenses et puissantes, les orques dévalaient la montagne en proie de chair fraîche. Redoutables guerriers géants en armure, ils semblaient ne pas craindre la magie. Le sang gicla à flot lorsqu’ils frappèrent les premiers hommes, tandis que des sorts furent jetés en vain pour les arrêter. Les enchantements ne pouvaient venir à bout des monstrueux colosses en armure. Ils étaient beaucoup plus puissants que les gobelins et leur commandant était sans pitié. Dépourvu de lèvres, sa bouche n’était que dents, deux ridicules orifices remplaçaient un nez sur un crâne énorme recouvert d’un casque sur lequel pointait une lame. Deux épaulières recouvertes de pics faisait de lui une machine de guerre très efficace. D’un simple geste il pouvait balayer plusieurs hommes avec une énorme hache. L’Alliance répondit avec d’autres bataillons envoyés à la rescousse, mais les orques marchaient sur leurs cadavres. Il ne leur fallait pas beaucoup pour faire tomber les soldats de l’Alliance qui, pris de peur, reculaient devant les puissantes statues sombres des invincibles orques.
À présent les magiciens priaient Dieu d’envoyer des secours tandis que les hommes s’avouèrent vaincus, une fois de plus, sur le sombre pic.
C’est alors qu’un autre miracle se produisit et les prieurs s’arrêtèrent pour le contempler. Des êtres de lumière descendaient Mortebutte au soleil couchant : les elfes avaient décidé de leur venir en aide. A leur tête Elril-Gariand menait la charge.
Coiffés de longs cheveux blonds qui dépassaient de leurs heaumes, les cavaliers elfes vinrent tels des sauveurs sur le champ de bataille et on cria leurs louanges. Dignes de leur réputation, ils ne mirent pas longtemps à entrer dans la danse pour tuer les premiers orques. D’une rapidité surhumaine, leurs lames elfiques traversèrent aisément les corps des orques qui tombaient. Habiles au maniement de l’épée, les meilleurs combattants tranchèrent bon nombre de têtes et de membres. Ils gravirent ainsi la montagne réduisant l’armée des orques. Magiciens, elfes et hommes affrontaient l’armée des ténèbres côte à côte, mais le Sorcier n’en avait pas terminé; il envoya d’autres créatures défendre Noirpic. De l’intérieur de la forteresse, de gigantesques armures biomécaniques munis d’ailes de dragon prirent leur envol. Les insectes humanoïdes atterrirent près du sommet et crachèrent le feu par un orifice contenu dans leur avant-bras métallique. Les elfes se protégèrent avec leur bouclier, mais bon nombre furent brûlés. Les créatures sautaient et atterrissaient au milieu des hommes et des elfes telles des sauterelles géantes, avant de les enflammer. L’armée de l’Alliance reculait encore. Hommes, soldats ou magiciens tombèrent à genoux en voyant les elfes faillir. Ils pleurèrent les morts et prièrent Dieu de leur donner une mort douce car ils virent cette fois leur dernière heure arriver. Les larmes aux yeux, ils contemplaient le sommet de Noirpic qu’ils ne pourraient jamais atteindre. En outre, le reste de l’armée orque reprit le dessus et acheva beaucoup d’elfes. Le brave seigneur de Terrelongue observait la scène impuissant, il avait conduit les hommes aussi loin qu’il pouvait mais cette montagne était maudite et infranchissable. Il les avait conduit à la mort et eût le cœur lourd pour toute ces pertes. Son front était ouvert et ses yeux baignaient dans le sang, il ne voyait plus clairement. Son épée enfoncé dans le sol, il attendait la lame qui viendrait lui ôter la tête. Le commandant des orques l’avait compris et ce dernier s’approchait tranquillement comme pour savourer ce moment. Puis la vue trouble du Roi Aldwil aperçut un autre phénomène extraordinaire, pourtant il pensait avoir tout vu sur ce champ de bataille. Une autre déchirure de l’espace créa trou noir, il ressemblait fortement au portail qui avait permis aux orques d’entrer, à ceci près que cette dernière distorsion de matière noire prit la forme d’énormes ailes sombres. Ces dernières prirent ensuite la forme d’une gigantesque cape d’où surgirent deux silhouettes. La cape elle-même disparut pour laisser place à un homme muni d’un bâton. Tout cela se passa derrière le général orque qui avait levé sa lame pour faire tomber la guillotine. Mais son élan fut coupé par un une flèche qui traversa son cou dans une giclée de sang. Il s’effondra bruyamment dans un fracas métallique et derrière lui les silhouettes avaient disparus.

*

Cemendur était entré dans la danse, l’elfe qui aimait décapiter des gobelins avait commencé par tirer dans la tête du commandant orque qui allait achever un vieil homme. Ensuite, lui, Ataen, Taha et Bratal s’étaient cachés derrière un amoncellement de cadavres.
Le pouvoir miraculeux de Neil les avait amenés directement sur Noirpic. Le jeune Mage providentiel était maintenant attendu pour la suite de leur stratagème. Ils avaient observé les géants mécaniques dont ils avaient saisit la sorcellerie.
Si Neil l’avait compris si vite, c’était grâce à la parole du Roi dragon. Il fallait frapper le cœur des armures, muni d’une épée forgée par les haut-elfes.
– Ces géants, ils ne sont pas si rapides. Comme à la bonne l’époque, à l’Académie. Souviens-toi, je ferai diversion, ainsi parla Bratal en évoquant le Rite pendant lequel il avait dansé nu comme un ver.
Il n’attendit pas plus et se mit à découvert sur le champ de bataille, la première armure géante le vit et vira.
Neil déploya ainsi ses ailes noires avant d’atterrir sur les épaules de la première armure. Il remarque aussitôt un bruit mécanique après chaque mouvement du géant. Il s’approcha alors de l’énorme casque intégral métallique qui surplombait le géant de fer et il y vit une écoutille. Il la tourna, l’ouvra, puis se glissa à l’intérieur de la machine. Il arriva dans un endroit confiné, entouré d’engrenages en mouvement, un tableau de bord faisait face à un gobelin sur un trône de fer. L’immonde créature tenait des manches et gouvernait le géant. Neil poussa alors un cri de guerre et se jeta en avant la lame la première, le gobelin tourna la tête, écarquilla les yeux et ouvrit la bouche en grand, surpris qu’on ait découvert sa cachette. Neil enfonça la lame dans la poitrine de l’hideuse créature qui s’effondra en toussant dans une mare de sang. En tombant, le gobelin avait entraîné le manche avec lui, c’est pourquoi la machine fut en chute libre. À l’extérieur Bratal, malgré son poids, courrait de toute ses forces pour s’en éloigner et l’Alliance vit le premier géant tomber sur Noirpic dans un bruit terrible qui fit vibrer la terre et s’envoler la poussière.

*
Ataen et Cemendur furent rassurés et embrasés par la fougue des deux jeunes amis magiciens. Les jeunes magiciens avait accompli plusieurs miracles. Tout les prédestinait à devenir de sages magiciens. Grâce à son nouveau pouvoir, Neil avait vaincu un monstre métallique. C’est pourquoi Cemendur sortit de son terrier pour continuer l’œuvre du jeune Mage. Il s’approcha d’un autre géant de fer et y grimpa d’une façon qu’aucun homme pouvait suivre. Sautant d’articulation en articulation, le forestier arriva sur l’épaule de la machine, ouvra l’écoutille et s’engouffra à son tour dans l’armure. Dedans, un autre gobelin manipulait des manches dans une cacophonie mécanique. Cemendur tira une flèche qui transperça le crâne verdâtre aux oreilles pointues et reprit prestement le chemin de la sortie. Vu de l’extérieur, l’elfe glissait et courait le long de l’épine dorsale du monstre en chute libre. Virevoltant, l’acrobate s’accrocha ensuite à l’énorme patte pour atterrir en même temps que l’immense véhicule de fer. Ainsi ils vainquirent le bataillon des géants.
Pendant ce temps, Ataen faisait appel à sa foi pour augmenter l’intensité de ses prochains enchantements. Sa chevelure ardente était intense à l’intérieur de son heaume et une aura lumineuse émanait du magicien qui se préparait à combattre les orques. Sur le pic, on le vit arriver tel un sauveur car sa majesté et sa magie étaient perceptible sur de longues distances. Il récita une incantation et des lianes géantes sortirent de la montagne pour s’enrouler autour des orques tandis que l’enchanteur marchait sans hâte, achevant d’un coup de lame prompt et imperceptible chaque orque emprisonné dans sa forêt enchantée. Cette dernière avait recouvert une partie de Noirpic. Voyant le fils du prophète Ibus à l’œuvre, hommes et elfes avaient commencé à se ranger derrière le magicien pour s’en remettre à lui corps et âme. Le magicien en fut ému, des larmes coulèrent sur ses joues et il pensa à son père.
– Ibus, tu serais fier de moi aujourd’hui, les hommes me suivent enfin. Sans le savoir ils te suivent toi, car je suis ton fils.
Puis on entendit battre des ailes de dragon et une dernière machine de guerre métallique apparût en volant et par surprise, en contournant, la montagne. Un rire démoniaque en sortit et des flammes vinrent brûler les soldats en marche derrière Ataen. C’est ainsi que beaucoup d’hommes et d’elfes périrent sur le mont ténébreux. Le magicien fut bouleversé en voyant toutes ces vies sacrifiées, sa foi et son pouvoir s’amenuisèrent. Aussitôt Neil pénétra grâce à son enchantement dans la carapace de fer et constata à sa grande surprise que ce rire lui était familier. Il avait connu autrefois l’homme qui la pilotait.
– Ainsi donc tu es revenu en serviteur du Roi Noir.
Jecer le monstrueux élève de l’Académie n’avait pas terminé son oeuvre de destruction.
– Tu as osé pénétré dans mon antre, misérable !
Le malicieux était maintenant à découvert.
– Tu n’as donc retenu aucune leçon de l’Académie, la folie t’a toujours habité en vérité.
– Toi non plus plouc. La leçon je te l’ai faite pendant le Rite, en t’expliquant que les magiciens chassent les plus faibles, telle est leur destinée. L’homme aime guerroyer sinon pourquoi nous retrouvons nous aujourd’hui sur le champ de bataille. Nous jouons tous au même jeu. Seulement nous ne serons jamais dans le même camp.
– Mon ordre combat le mal sur cette terre…
– Vous avez contribué à le nourrir. En bannissant des apprentis comme moi vous avez fabriqué ceux qui vous hantent aujourd’hui. Là où il y a de la lumière il y aura toujours de l’ombre, les Dominateurs sont les bannis du monde des magiciens. Tout comme ton ami régicide.
Avec ce discours, Jecer paraissait sain d’esprit à Neil et à cet instant il eut une pensée pour Zadion. C’est pourquoi il baissa sa garde et le malicieux lança son enchantement venteux par surprise. Neil flottait dans les airs. Les yeux écarquillés et impuissant, il devint une marionnette, tandis que Jecer se levait de son trône avec son bâton dirigé vers son ennemi. Il avança vers Neil avant de lui lancer une dernière palabre :
– Mais ici, tu es sur mon domaine et c’est toi qui seras exilé !
Neil sentit ensuite une douleur terrible dans son dos. Jecer n’avait pas changé. Il aimait toujours déverser le sang et il venait de le poignarder.
Le mage s’éleva, entraîné par le vent, il fut projeté dans les airs depuis le sommet de la montagne métallique mobile. En chute libre, il ne pouvait se concentrer pour reprendre son envol grâce à ses ailes noires. Sa plaie transperça de douleur tout son corps. A présent, il lui était impossible d’y survivre, c’est pourquoi il contempla le ciel une dernière fois. Neil perdit connaissance.
En bas, un cavalier de l’Alliance en armure se tenait debout sur sa monture et son élan fut grand quand il sauta comme un elfe pour attraper, dans un tourbillon, Neil au vol. Il atterrit avec grâce pour déposer le blessé. Le mystérieux magicien, en déguisement de soldat, pausa sa paume sur la blessure du blessé et un enchantement referma la plaie. Quand Neil reprit connaissance, son sauveur avait disparu. Le mystérieux chevalier était maintenant au pied de la machine de guerre de Jecer. Il s’élança, grimpant sur le dernier géant de fer. Etait-ce un elfe, un magicien ? Personne ne le sut, mais il était aussi brave que dix hommes.
Il finit par s’engouffrer difficilement à l’intérieur du monstre. Jecer commandait toujours sa bête et lorsqu’il vit le chevalier, son visage se crispa de colère.
– On ne peut plus travailler en paix ici, tu ne comprends pas, nul homme ne peut battre un serviteur du Roi Noir !
Avant que Jecer n’ait pu jeter son sort de vent, la main du chevalier s’était levée comme s’il étranglait son ennemi à distance. Jecer sentit alors sa gorge se serrer, la circulation du flux de l’énergie spirituel fut interrompue dans son corps. Lorsque le soldat enleva son heaume, le visage fin et la longue chevelure d’une femme surprirent Jecer. Emyse avait pris part à la guerre en se faisant passer pour un homme de l’Alliance. Elle n’avait plus besoin d’être sauvée et elle n’avait plus rien de la jeune fille faible de l’Académie. Elle semblait maintenant descendre d’une haute lignée d’amazones. L’enchanteresse serra le poing et le visage de Jecer devint pâle et cadavérique. Emyse lançait son enchantement chloromancien pour attaquer le traître, mais pour cela elle avait brisé son serment fait à l’Académie.
– Je vois enfin le visage de l’épidémie qui a ravagé mon monde, le visage de la traîtrise et de la mort, conclut-elle.
La langue de serpent cracha ses derniers mots.
– Sorcière, Dominatrice, bienvenue dans nos rangs…
La dernière armure géante s’effondra.

*

La fumée, les cendres et la poussière avaient envahi l’air devenu toxique. Des vapeurs empoisonnés s’élevaient de Noirpic et les survivants assistaient à l’effondrement du dernier géant. Pour les protéger, Ataen avait enchanté un mur de lianes géantes.
Neil se réveilla. Mis à l’abri dans une crevasse, il n’avait pas saisi qu’un miracle l’avait sauvé. Dieu était-il intervenu ? Toujours est-il que la forteresse noire était encore loin de l’Alliance. Le jeune Mage avait à présent une vue sur la tour noire et il vit une silhouette. L’homme en noir contemplait sa défaite. L’ennemi invisible n’avait pu venir à bout de l’armée constituée d’elfes et de magiciens. Le sinistre Sorcier quitta alors son balcon et Neil qui avait retrouvé ses forces décida de le suivre grâce à sa magie. Ses ailes de corbeau furent déployées et il arriva en un instant sur la terrasse. De là-haut il eût une vue imprenable sur la bataille.
Discrètement et sans plus attendre, il emboîta le pas de l’ennemi. L’escalier du donjon descendait en tourbillonnant à l’intérieur de la tour et Neil se retrouva dans un dédale. L’endroit était froid et sombre, l’enchanteur eût l’impression de descendre dans les entrailles de la terre. Il finit par arriver dans une énorme forge, c’était l’antre du Roi Sorcier. Nombreux babioles et grimoires étaient éparpillés sur des étagères au milieu de la caverne. Le Sorcier était un homme de sciences et de magie, c’est pourquoi son autre surnom était l’Ingénieur-mage. Un fratras d’engrenages et de pièces détachés s’amoncelaient en plusieurs tas. Au fond de la salle, Neil discerna une statue géante. C’était une sombre armure de chevalier dont les bras dessinaient un signe de croix. Ses mains noires et gigantesques étaient celles qui avaient autrefois combattu Zadion durant l’épreuve de l’Académie. Le Prince Ténébreux n’avançait plus, une capuche sombre encadrait son visage. L’ennemi tant redouté était tout proche de Neil et il avait cette fois l’allure d’un homme.
– Tu es le premier à arriver jusqu’ici, c’est tout à ton honneur jeune magicien. Mais ce n’est pas étonnant venant d’un sorcier qui a compris l’éther. Excepté mon maître, tu es le premier détenteur du secret de la matière noire. Je t’attendais.
Neil en fut surprit, à son tour il décida de sortir de l’ombre. Son cœur battait la chamade mais il avait bien l’intention d’en venir à bout. C’est alors que Midan reconnut le Sorcier du Désert et dans notre histoire le fantôme agissait ici pour la dernière fois.
– Neil, je me réveille pour te dire que je reconnais cet homme, c’est bien celui qui m’a tué. Je te laisse décider de son sort. Quant à moi j’ai trouvé un moyen de ne pas voler ton corps. Je vais voyager très loin car à l’intérieur du puits j’ai vu une autre sortie. A l’intérieur de l’homme il existe un autre monde dont je viens de faire la découverte. Je quitte définitivement le monde des vivants. Je cesserai d’exister.
Sans le savoir Midan parlait de se fondre dans l’esprit de Neil.
– Midan, non ne pars pas comme ça, je t’ai promis de te délivrer.
– Il n’existe pas d’autre solution. Nous sommes arrivés dans la tour noire, maintenant le temps presse et je ne peux plus rester. Si je me manifeste encore, tu mourras Neil et je ne puis le permettre car nous avons partagé quelque chose d’incomparable. Le lien qui nous unit va plus loin que celui l’amitié ou même de la fraternité. Nos deux âmes s’aiment à tel point que nous ne laisserons jamais nos démons respectifs nuire à l’autre. Au revoir Neil…
Une larme coula sur la joue du magicien qui se mit en colère.
– Sorcier, tu as autrefois entraîné la mort d’un innocent magicien, en sabotant son spectacle tu l’as fait condamner à mort. Mais tu as commis bien d’autres crimes. Tu m’a privé de maintes vies humaines et amis.
Je suis un représentant de Dieu qui vient mettre un terme à ton noir dessein. Ton unique sentence sera la mort, fut-ce là une transgression à la loi académique.
– Rend-toi à l’évidence, toi qui maîtrises l’éther. Tu sais qu’on ne peut, nous qui sommes des oiseaux aux ailes noires, nous mettre en cage. Nous nous sommes libérés des contraintes des lois physiques qui régissent ce monde, pour maîtriser tous les sorts possibles. Un jour tu en feras autant. Je suis destiné à sauvegarder la connaissance du monde pour accéder au savoir ultime, dans le domaine de la magie ou de la science. Ces deux disciplines réunies peuvent nous amener à un grand pouvoir, l’éther en est un parmi d’autres. Ainsi et seulement de cette manière nous pourrons améliorer la condition humaine, mais cela implique de prendre le contrôle de tout ce qui existe pour bâtir des cités à perte de vue. Imagine un monde sans limites, un monde sans l’inconnu d’un désert infranchissable ou d’une mer indomptable. Je ne fais qu’obéir à la nature de l’homme.
Neil remarqua une fois de plus que la passion pouvait allait de pair avec la folie et il n’entra pas dans le jeu du Sorcier.
– C’est Dieu qui façonne le monde et non toi, toutes ces vies que tu as prises ne t’appartenaient pas.
L’alliance était sur le point d’envahir la forteresse.
– C’est terminé, rends-toi !
– Ce ne sera jamais terminé, tu me reverras un jour et nous serons amis, crois-moi. Puis le magicien disparut dans un manteau noir qui s’enfonça dans l’espace par enchantement. Son rire résonna encore après sa disparition.
L’éther, c’était l’élément que Neil maîtrisait sans le savoir. Il se souvint de ses classes de sciences, une théorie d’alchimiste expliquait qu’elle était la substance qui remplissait l’espace au-delà du ciel. Son utilisation sur terre paraissait donc inimaginable. Son ange-gardien et génie Midan avait résolu cette énigme depuis des lustres et la symbiose avait transmis ce savoir au magicien.
*

Ainsi fut prise la forteresse du sorcier noir.
Hommes, magiciens et elfes pénétrèrent, pour la première fois, ensemble dans la cité noire depuis la dernière chute du tyran. De nombreuses pertes étaient à déplorer mais la victoire semblait acquise car le bras du mal avait été amputé. Neil qui avait failli, était toujours dans le sous-terrain sombre. Le jeune magicien contemplait la statue noire qui se dressait telle un monument. Le sorcier aimait être représenté comme un dieu, mais il n’en était pas un. Il s’était enfuit laissant Neil derrière lui, mais quelque chose retenait encore le jeune magicien en ce lieu. Soudain, il eût un éclair de génie, cette statue qui était une autre invention démoniaque du sorcier pouvait lui être utile. Il y entra grâce à l’éther. Comme les géants qu’il avait déjà combattus, l’armure géante du chevalier contenait un poste de commandement. On n’y distinguait pas grand-chose à cause du manque de lumière, tout ce qu’on pouvait apercevoir était des manches disposés devant un trône de fer noir. Neil repensa aux paroles du dragon. Les armures étaient alimentées par des cœurs de cracheur de feu. Il trouva un creux au-dessus du gouvernail, sortit de sa besace le cœur du défunt roi et l’y encastra. L’organe s’alluma comme un diamant et des lignes de lumière rouge s’y échappèrent géométriquement pour parcourir toute l’intérieur de l’armure. La machinerie était en marche. Neil s’assit alors sur le siège de métal et sentit ne faire plus qu’un avec l’armure quand il saisit les manches. Tel l’esprit de Midan prenant le contrôle du corps de Neil, le jeune magicien fusionna avec l’armure. Il sentit alors l’éther s’amplifier à travers la statue mobile, le cœur du dragon était le moteur qui produisait ce miracle. Le système de l’énergie spirituelle étant en marche et l’armure étant doté d’une conscience, elle pouvait se mouvoir.
Ainsi Neil vola l’armure de l’Ingénieur-mage.

*

Sur le champ de bataille, Ataen épuisé et allongé sur le sol contemplait avec joie la prise de la bastille. Il était désormais seul sur le pic.
L’attention du magicien fut soudain détourné par un autre phénomène. Un spectre de lumière bleue se tenait debout au-dessus de lui et lui souriait au milieu du sol jonché de cadavres. Le fantôme paraissait bienveillant et inoffensif. Ataen ressentit une chaleur étrange et un frisson parcourut tout son corps. Il tomba à genoux quand il reconnut l’émanation.
– Père ?
Il ne put distinguer que quelques mots avant la disparition définitive du fantôme d’Ibus.
– Pardonne-moi mon fils…

*

Cemendur, Ataen, Taha et Bratal se matérialisèrent sur une montagne via une sphère d’éther. Un vide vertigineux les entourait. Ils comprirent alors qu’ils se trouvaient sur une paume géante et ils se mirent en garde, dos à dos pour affronter le Sorcier de la montagne.
Le roc sur laquelle ils avaient atterrit se terminait par un énorme casque métallique. Neil fit son apparition sur l’épaule du géant, le sourire aux lèvres.
– Je nous ai trouvé un moyen de locomotion pour notre voyage vers le Nord. Ce pèlerinage sera différent et je vous jure mes amis, je vous ramènerai vivants.
– As-tu tué le Roi sans nom pour lui voler cette monstruosité ? demanda Ataen.
– Il s’est enfuit, nous ne le rattraperons jamais car il détient le secret de l’éther.
– Alors c’est bien vrai, demanda Bratal, le Sorcier utilise ce sort, maître Eronnon me l’avait bien dit.
– Oui frère Bratal. Maintenant laissons l’Alliance faire son oeuvre, nous avons gagné cette bataille. Le pic est détruit ainsi que l’armée du main que j’ai rencontré. Il détient le même pouvoir que moi. On ne pourra jamais le mettre en cage. Son pouvoir est absolu.
Ne perdons pas de temps, avec cette armure nous traverserons peut-être plus prestement le Désert Sans Fin. Sauvons maintenant notre monde de la prophétie d’Ibus. Les confins du monde sont notre destination.
Ataen repensa alors à sa vision sur Noirpic. Il croyait plus que jamais dans la prophétie de son père.
– Une fois de plus la sagesse te fait parler. En avant !
Les membres de la guilde du future levèrent leur épée au ciel avant d’entamer le grand voyage.

*

Le géant de fer avait entamé la traversée du Désert, à son bord l’équipage avançait vers l’horizon inconnu. La bête enjambait aisément les dunes comme si elles étaient insignifiantes. La cape au vent, le chevalier colossal avait atteint une partie de l’étendue désertique jamais explorée. Lorsqu’ils croisèrent la première créature vivante qui était un insecte géant, le chevalier en vint à bout en un temps record. Mais l’armure avançait de plus en plus lentement car elle n’arrivait plus à drainer l’énergie de Neil épuisé. Elle s’arrêta au bout d’un certain temps. Après quoi, l’équipage dû abandonner le véhicule. Neil avait brûlé toute son énergie spirituelle. Ils continuèrent donc le voyage à pied, en portant Neil, croyant la fin du monde toute proche.
Il faisait de plus en plus chaud, voilà plusieurs jours que les amis marchaient. Les nuits étaient fraîches et des tempêtes de sable occupaient la majorité du temps le jour. Le néant s’étendait à l’infini, devant eux on ne distinguait qu’un désert sans vie, avec des dunes à perte de vue et une chaleur à donner le tournis. Du sable, ils en avaient maintenant dans leurs bottes et dans leurs vêtements. La situation était intenable, malgré cela ils avançaient encore et toujours car telle était la tâche de la guilde du future. Cemendur, grâce à son agilité elfique, guidait ses compagnons, jusqu’au jour où les explorateurs firent leur seconde découverte. Ils traversaient alors une grosse tempête de sable, enveloppés dans leur cape, quand ils virent un autre signe de vie. Rien n’était vraiment visible, mais lorsqu’ils entendirent un énorme bruit animal, ils virent en même temps des piliers colossaux bouger autour d’eux. Les compagnons comprirent qu’ils se trouvaient sous un mastodonte dont ils ne connaissaient l’espèce. Un dragon serait insignifiant face à la bête qui donna des frissons aux explorateurs car elle semblait s’étendre à l’infini. Heureusement pour eux, l’animal qui avait un nombre de pattes indéterminé, était trop gros pour les voir. Toujours est-il qu’ils furent tétanisés en comprenant de dont il retournait. Ils se posèrent alors tous la même question, où étaient-ils ?
Le soir, les tempêtes de sable se calmèrent et nos amis purent enfin faire un halte. Neil en tant que nécromancien émit une hypothèse sur l’endroit où ils se trouvaient : l’au-delà, là où chaque âme allait après avoir quitté son corps.
Haletant, Neil émit sa conclusion.
– Des créatures inimaginables et des morts qui se lèvent de leur tombe, et tout ça a un lien avec le Nord d’après les livres. Pour moi cela ne fait plus aucun doute, nous avons quitté le monde des vivants.
– C’est une terre inconnue que même les elfes n’ont pu atteindre. Sais-tu pourquoi Cemendur ? demanda Ataen.
– Tout ce que je sais est que cet endroit est dépourvu de vie, dans aucun récit elfique il n’est fait mention de cette contrée. Ce territoire est resté inexploré par aucun des peuples d’aucun royaume.
– Il faut croire que seul Dieu connaît cette partie du monde, conclut Ataen. Mais encore faut-il croire en Dieu. Fidèle Cemendur, quel divinité vénères-tu ?
– Je suis monothéiste tout comme toi, je crois en un être supérieur qui créa le Grand Royaume sur lequel nous marchons. Dont cette partie…
– Mais alors nous croyons au même Dieu…
– Nous croyons que le royaume de la Terre a été créé à travers la musique du Créateur…
– Un Dieu musicien ? Votre Dieu est à votre image…
La musique nous l’avons dans le sang après tout.
Peut-être que nos divinités ne font qu’un, nos différents peuples ayant chacun vu une de ses facettes.
– Seulement, je doute que les hommes qui sont fanatiques et obstinés puissent un jour l’envisager. Contrairement aux elfes qui sont plus ouverts d’esprit…
– Mon côté elfe ne te contredira pas Cemendur.
– Vous êtes deux elfes et pourtant vos croyances divergent. Ne blâmez donc pas les hommes qui comptent maints peuples, maintes religions et maints pays, rétorqua Neil.
– Bien dit ! ajouta Bratal.
– Je voulais savoir… de quel instrument a-t-il joué, votre Dieu, pour vous faire. Malgré le ton humoristique, Taha posait une question pertinente.
– Il y a parfois des questions sans réponses Nordien, ajouta Cemendur. Sais-tu par exemple de quel instrument a joué ton père pour te concevoir ?
Les amis rirent à la remarque rustre de Cemendur, une fois de plus.
– Oui.
A cette réponse la compagnie resta bouche béé.
– C’était de la rhétorique Taha, cela dit passons… Bratal voulut couper court à la discussion mais Taha avait décidé de continuer.
– Selon la tradition, nous jouons d’un instrument à cordes avant et pendant la nuit de noces. Nous aussi comme vous les elfes, aimons la musique. En général, c’est une manière de faire danser nos femmes, c’est très important.
– Bigre ! c’était donc une danse cérémonial que tu nous as fait l’autre jour à la taverne, dit Cemendur.
– Oui celle des femmes.
– Et pourquoi pas celle des hommes ?
– Contrairement à vous les elfes, nous avons des choses réservées aux femmes, les danses, la cuisine… les hommes c’est plus la chasse… C’est pas comme vous qui faites les même choses, on ne vous distingue plus les femmes elfes des hommes elfes, vous faites la même chose. Et même physiquement..
– Continue un peu pour voir ! l’elfe approcha son poignard du Nordien pris à son propre jeu.
– Je dis ça, je dis rien…
– Trève de plaisanteries. Je veux en avoir le cœur net, répondit Neil, et il est évident que nous ne pouvons plus rebrousser chemin à ce stade donc je pense que vous serez tous d’accord pour continuer.
Les courageux aventuriers reprirent ainsi la route après leur pause.
La nuit suivante, le voyage était moins difficile car les tempêtes de sables étaient moins fortes.
– Si seulement je pouvais traverser ce désert avec mon pouvoir, mais je ne vois rien devant moi. On risquerait de tomber dans un trou ou pire.
– Se déplacer avec la magie dans un endroit pareil représente un vrai suicide. Nous l’avons déjà fait avec l’armure, tu as suffisamment nourrit ta machine démoniaque. N’utilise plus ton pouvoir ou nous devrons encore te porter.
Nous devons arpenter le chemin et économiser notre énergie spirituelle, comme le faisaient les anciens pèlerins.
Nos amis vécurent ainsi dans le désert durant plusieurs semaines. Lorsqu’ils s’arrêtaient, ils s’abritaient sous des pics de bois qu’ils recouvraient d’une longue couverture. Ne leur restant plus aucune nourriture, ni eau, ils ne survécurent que difficilement et leur marche ressemblât à celle de morts-vivants. Leurs pauses devinrent de plus en plus longues et ils finirent par plus dormir que marcher. Leur réserve d’énergie spirituelle s’était elle aussi complètement amenuisée.
– Ainsi donc nous finirons comme les anciens membres de la guilde du futur, conclut Ataen à bout de forces.
– Ce désert maudit n’a donc pas de fin, y chercher la source du mal qui dévore notre monde était une erreur car de toute évidence, ce désert n’est que pure maléfice, répondit l’elfe. Votre croyance était fausse et cela va seulement nous coûter la vie.
Quant à Neil, il sentit leur fin arriver. Ils voyagèrent encore longtemps à bout de force jusqu’au jour où Neil s’endormit en marche. Quand il tomba, le sable lui sembla aussi doux que le lit de sa chambre qu’il revit pour la dernière fois en rêve.

*

Au réveil, Neil fut étonné d’être encore en vie. Sa vue trouble lui révéla petit à petit le retour à la réalité et une scène effrayante. Cemendur luttait contre un gigantesque lézard. La relique vivante du passé semblait disposer d’une mâchoire béante qui claquait sans cesse, essayant d’engloutir l’elfe qui esquivait agilement. En tirant ses flèches, Cemendur put l’affaiblir. Après un long et intense combat, l’étrange dragon tomba transpercé. L’elfe, épuisé, mis un genou à terre et Neil se remit debout pour le rejoindre, quand dans un dernier claquement de dents, le monstre avala Cemendur. Neil écarquilla des yeux et la colère et la tristesse l’envahirent. Il comprit alors que sa compagnie l’avait porté jusqu’ici avant de tomber sur la bête. Il imagina alors la scène, tous ses amis engloutis dans l’estomac du terrible reptile.
Un chagrin immense l’envahit et il cria de toute ses forces avant de déployer son pouvoir. L’Ether réagit de façon inattendue et le chevalier colossal qui avait été abandonné dans le Désert loin derrière, entra en résonance avec Neil. Le géant de métal apparût dans une bulle géante d’Ether et ouvrit avec ses gants de fer la gueule menaçante du monstre jusqu’à la disloquer. Neil, le visage dure et plein de larmes, ressentit un profond apaisement en contemplant ce carnage. Mais cela ne ramena pas ses amis. Le magicien voulait, en vain et désespéramment, les extirper de l’énorme ventre sur pattes.
Un sursaut d’espoir le fit regarder au loin. Peut-être qu’ils s’étaient enfuis excepté Cemendur. Mais Neil ne voyait que le sable à perte de vue, aucun signe de vie n’était visible. De plus ses amis n’étaient pas des lâches alors pourquoi se serait-ils enfuis ?
Ainsi arriva la fin tragique de la guilde du future dont l’unique survivant devint un grain de sable dans un Désert.
– Si la fin du monde est arrivée, je dois moi aussi périr !
Il ne voulait pas être l’unique survivant de la guilde, c’est pourquoi la peur et le chagrin le firent tomber.
Pris de panique Neil avait néanmoins négligé un phénomène étrange. Lorsqu’il grimpa derechef la plus haute dune pour regarder l’horizon, il vit au loin qu’il était inhabituel, comme si un dôme de mosaïque entourait, comme une coupole, l’endroit d’où il venait.
Son monde vivait dans une cloche infiniment grande.
Tel le plafond de verre d’un temple, la magnifique barrière enchantée était trouée de nombreux orifices. Alors Neil comprit que le pèlerinage était un succès. Il était arrivé au bout et il se trouvait face à un dôme protecteur qui préservait son monde minuscule dans un monde encore plus vaste peuplé de géants. Le royaume de la Terre était en vérité si grand qu’aucun homme ne pourrait le parcourir jusqu’au bout. Il était arrivé ici à la frontière de sa civilisation.
Le pèlerinage avait pour but initial de restaurer le mûr magique mais avec l’interprétation subjective des hommes et le temps, ce savoir avait été perdu, réduisant le pèlerinage à un simple voyage. C’est pourquoi son monde mourrait car la magie qui avait créé ce dôme avait besoin d’être réinjectée. Malheureusement il n’avait aucun moyen de réparer ce mûr de l’infini alors le magicien resta seul, perdu dans l’infiniment grand.
Ayant perdu tous les êtres qu’il avait aimés, il vit à travers ses souvenirs le visage de tous ses proches pour la dernière fois : Emyse, Zadion, Cemendur, Ataen, Bratal, ses parents…
C’est à cet instant précis que son chagrin profond brisa le sceau posé autrefois par Ataen. Le sort qui empêchait le démon de Midan de prendre possession du corps expira. Lorsque l’esprit de Neil, corrompu par les paroles de Zadion et la mort de ses proches, s’était entièrement fissuré, la version maléfique de Midan fut libéré. Les démons de Midan et Neil se mélangèrent et dans le chaos une nouvelle essence voyait le jour.
Naquit alors un nouveau personnage hybride qui devint aussi puissant que sombre. La créature poussa un cri de douleur aigu et inhumain. Tout son corps se recouvra aussitôt d’une carapace blanchâtre. Le bouclier osseux recouvrit aussi son visage qui ressemblait maintenant davantage à un crâne cadavérique. Ses yeux étaient rouge sang et l’être s’éleva dans les airs en déployant ses ailes d’éther. Puis la bête s’engouffra dans l’armure géante. Elle et la machine fusionnèrent.
Dans une tempête sans nom, une onde de choc se forma autour du colosse. Un Dominateur puissant naissait et il commandait un géant démoniaque de fer. Le nouveau-né comprit que les Sorciers de l’ombre s’étaient laissés corrompre par leur magie, tout comme lui. Ce côté sombre prenait parfois le dessus, soit à cause d’un choc émotionnel, soit à cause d’une utilisation excessive de la transe. Les Dominateurs n’étaient rien de plus que des magiciens perdus et Neil en était devenu un. Le mal s’était développée en un virus qui contaminait les mages. Parfois ce mal était inhérent aux humains, c’était le cas de Jecer. La magie ne faisait que révéler le mal dormant. La théorie elfique disait donc vrai : l’humanité était trop jeune pour vivre de la magie.
Les pensées se succédaient à une vitesse vertigineuse dans le nouvel esprit. Ce dernier comprit l’existence de ce Désert et tout semblait évident maintenant. Une malédiction l’avait poussé à aller vers le Nord.
Tout ce qu’il avait vécu, lui et ses amis, était écrit par un sort ancien. Sa vie n’était qu’une longue musique qui avait bien un chef d’orchestre.
Le sort condamnait l’histoire à se répéter en boucle infini. Lors du cycle original, Neil avait dû arriver jusqu’ici dans les mêmes circonstances et en perdant tout, il avait inconsciemment jeté un sort, celui qu’il était en ce moment-même entrain de conjurer. Ayant acquis les connaissances de Midan, il avait percé les secrets de l’Ether et grâce à la machine du Sorcier, il avait trouvé un moyen de sauver son monde. Car si l’Ether pouvait manipuler l’espace, il pouvait aussi modifier le cours du temps. En l’espace d’un instant, le sombre apprenti conçut une copie de son monde à cet endroit du Désert. Cependant, en ressuscitant son monde, il le condamnait à revivre sans cesse son extinction, ou sa renaissance dans un nouveau cycle. Comme le pouvoir du temps et de l’espace ne pouvait être contrôlé de façon parfaite, le nouveau monde qu’il créait à chaque cycle, était encore à l’état primitif. Il revivait les mêmes événements, dans les grandes lignes, jusqu’à sa fin.
Le début de chaque nouveau cycle était ce moment présent et Neil était, dans un sens, à l’origine de ce qu’on appelait le destin. En quelque sorte, Dieu était tout cela : à l’origine le néant, puis le chaos, enfin le destin, et Neil…
La renaissance du monde était marquée par ce moment fatidique où Neil faisait le choix de sauver sa civilisation, en la recyclant grâce à la magie. Pendant une période indéterminée, le présent agonisant et le nouveau monde, coexistaient. L’extinction de son ancien monde lui permettait d’en recréer un autre grâce à une règle canonique de la magie : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C’est ce principe de base qu’il avait appris à l’Académie et qu’il appliquait.
Pendant que le présent était aspiré dans les limbes du temps, un passé vieux de plusieurs milliers d’années resurgissait au-delà du mûr enchanté. Le monde qui venait de s’éteindre deviendrait avec le temps une partie du Désert Sans Fin. Le Mage Créateur ne savait pas combien de recyclages avaient connus son monde, mais à chaque renaissance, sa civilisation était déplacée vers le Nord. Peut-être avait-elle déjà effectué un tour complet autour de l’étoile sur laquelle son monde tournait, tout comme certains étoiles tournent autour d’elles-même.
En conclusion, le mal qui pesait sur sa terre n’avait pas d’origine unique, sinon qu’un sort ancien l’amenait périodiquement à sa fin pour qu’il renaisse. Et cette barrière magique qui s’effritait était l’oeuvre de son prédécesseur.
La résurrection des Mages était un signe associé à cette fin du monde, mais s’il n’y avait pas de lien entre ces deux phénomènes qui se produisaient à la même époque. Neil en avait maintenant conscience. S’il pouvait faire revenir son monde en arrière, il ne le faisait probablement pas pour la première fois.
Toutes ses pensées défilaient dans son esprit, tandis que son corps était comme dans un œuf au milieu d’un grand chambardement qu’on peut appeler le Grand Bang.
Ainsi naîtrait plus tard une nouvelle civilisation à partir d’un oasis primitif. À sa frontière se dresserait un colosse qui deviendrait un monument pour ses habitants. Nul ne se douterait que la statue avait un jour marché et voyagé à travers des âges.

*

Le dominateur nouveau-né, encore dans sa carcasse métallique, était sur le point de naître dans un nouveau monde. Il y était si bien, mais le cocon qui l’avait protégé tout ce temps était épuisé et le contraignait à sortir. Alors le magicien obéit, affaibli lui aussi. Un monde plus hostile l’attendait à sa sortie et ses sens furent agressés par autant de bruits et de lumière. Il ne put le supporter longtemps, alors il s’endormit vite, sans savoir où il était.
À son réveil, l’homme constata que sa carapace s’était désagrégée. Il était à présent dans une caverne, allongé sur un lit de paille où il avait été soigné par des étrangers. La grotte avait une ouverture qui donnait sur un monde sauvage peuplé d’arbres et de montagnes, un monde normal en somme mais primitif.
Il avait réussit à quitter le Désert de désolation grâce à sa machine de guerre, mais il n’avait aucun souvenir d’avoir été secouru. L’homme à la peau mat retrouvant peu à peu ses forces, se mit debout difficilement. Une curieuse vieille femme vêtue de peaux de bêtes entra. La crasse recouvrait la peau de la femme qui essayait de communiquer avec des mots étrangers, en vain. L’homme décida de sortir de la caverne et constata qu’à l’extérieur d’autres personnes en guenilles le fixaient. Les habitants avaient l’air d’avoir peur du voyageur. Ce dernier avait seulement le souvenir d’avoir fait un long voyage.

*

Les montagnes crachaient de la lave et des animaux gigantesques peuplaient la terre aride. Tout ceci contraignait les humains à vivre cachés dans des grottes.
L’homme sans nom vécu ainsi plusieurs années parmi ces sauvageons. Il apprit vite leur langue et devint l’un d’entre eux. L’homme avait une intelligence supérieure c’est pourquoi il leur apporta l’art de survivre en inventant de nouveaux outils et alors les sauvageons purent se défendre contre les mangeurs de chair géants. Ainsi, sa petite civilisation primitive put survivre. L’homme leur enseigna ensuite bien d’autres choses pour améliorer leur quotidien. Il transmit ainsi son savoir à son clan et on peignit son histoire dans des cavernes. Rappelez-vous, sa descendance tomberait dans plusieurs milliers d’années sur une de ses peintures murales dans une mine de nains.
Dans ce lointain futur, des prêtres puissants se demanderaient comment un monde aussi primitif et jeune avait un savoir si avancé sur son temps. L’explication était cet homme : un magicien érudit était perdu dans le temps.
Sur des tablettes, Neil grava des avertissements pour mettre en garde son peuple de la fin du monde. Il y énuméra les premiers signes : la résurrection du Sombre Sorcier, la libération de l’armée des ténèbres. Plusieurs milliers d’années plus tard, ces tablettes seraient déchiffrées par le magicien Eronnon, qui viendrait un beau jour mettre en garde tous les royaumes, ainsi que Bratal avec sa théorie de l’Ether.

*

Les proches compagnons de Neil qui étaient aussi devenus ses apprentis, commençaient maintenant à se vêtir d’ossements en imitant le « garçon squelette » comme on aimait l’appeler dans la langue locale. On le surnommait ainsi depuis sa rencontre alors qu’il était encore inconscient et recouvert de carapace osseuse.
Une fois ses premiers disciples devenus de vrais magiciens, la horde de Neil devint célèbre. Parmi ses apprentis, son favori était un jeune garçon à la peau mat, au nez aquilin, aux cheveux frisés et roux. Ce dernier aimait rester en compagnie de son professeur qui lui montrait toute sorte de nouveaux procédés dans le domaine des sciences. L’homme avait aménagé un véritable laboratoire dans sa grotte et il y présentait son expérience en cours, notamment au jeune roux rieur, impressionné mais surtout satisfait d’avoir étanché sa grande curiosité.
Tous avaient un nom sauf ces deux et cela les rapprocha davantage.

*

Extraits des tablettes de Neil.
Quel régal. Aujourd’hui mon ami rouquin à la peau mat m’a fait découvrir un nouveau plat.
Ça ressemble à de la volaille sans en être. Il semblerait que le volatile en question soit un ancêtre du poulet. Quoi qu’il en soit, c’était exquis. Ce délice m’avait manqué, surtout que nous n’avons pas toujours de quoi manger à notre faim. Il semblerait que les personnes de cette tribu vivent dans une peur constante. Leur plus grande crainte vient de la forêt qui nous entoure. Les rares chasseurs de notre petite communauté n’y vont qu’en cas d’extrême nécessité. Le reste du temps ces personnes se nourrissent de plantes cuisinées en consommés. L’eau est aussi un problème dans cette contrée. Je n’ai jamais vécu ça, une telle misère me fait réfléchir sur le sens de la vie. L’époque d’où je viens connaissait des querelles bien futiles comparées à ce que je vis ici. Des souvenirs qui ne m’appartiennent pas me viennent parfois en rêve.
Toutes mes croyances ont été remises en question. Ici notre but est simple : la survie.

Mon jeune ami rouquin à la peau noir est proche de moi, j’ai essayé de lui demander ce qui était arrivé à ses parents, son nom. Il m’a répondu qu’ils n’avaient pas vécu assez longtemps pour lui en donner un. Je me demande comment ce fils des âges farouches a pu survivre. A croire qu’il survécu seul en tant que nourrisson, ce qui me paraît impossible vu ce pays sauvage. Il a bien dû être élevé par quelqu’un bon sang. Peut-être par un animal s’il n’a pas de nom d’homme, en tout cas c’est un miracle.

Aujourd’hui j’ai vu l’événement qui allait corrompre l’humanité : la rencontre avec d’autres tribus.
Notre survie dépend de l’endroit où mon clan s’est réfugié, j’y ai d’ailleurs construit mon laboratoire. La caverne est ce qui nous permet de survivre car cet abri nous protège et tout autour d’elle nous pouvons trouver de quoi nous garder en vie. Cette grotte constitue donc un objet de convoitise pour les autres clans nomades. C’est pourquoi nous avons été attaqués plusieurs fois depuis mon arrivé. Pendant ces affrontements, des guerriers de mon clan y ont laissé la vie et des femmes de ma horde ont été enlevées.
Je dois absolument protéger ma horde, je dois donc essayer de leur enseigner des sorts qui leur permettront de se défendre. Je commencerai par ce petit groupe de jeunes garçons dont mon ami rouquin à la peau mat semble être l’aîné. J’ai vu beaucoup d’intelligence dans les yeux de mon jeune ami, je vais commencer par faire de lui un meneur, ainsi il pourra défendre la horde après moi.

Ces jeunes orphelins que je fréquente semblent être des marginaux. Tout porte à croire que leurs parents ont été victime de cette extrême misère ou alors des créatures démoniaques de la forêt. Ces enfants perdus ne vivent pas dans la caverne avec les adultes de ma tribu. Cependant ils viennent me rendre visite, par curiosité de tout ce que je peux leur apprendre. Ces gamins ont l’air solides et on survécut tout ce temps seuls dans ce monde sauvage. Je pense de plus en plus qu’ils feront de bonne recrues pour la guilde de protecteurs que je vais fonder.

Les créatures de cette forêt semblent extrêmement menaçantes, elles me font toutes penser à ce dragon sans aile dans le Désert. Elles sont de toutes taille, immenses ou minuscules pourtant toutes aussi redoutables. Les plus petites le sont encore plus car elles chassent en meute.

J’ai commencé à enseigner la magie à mes jeunes amis, je suis impressionné par la vitesse avec laquelle ils apprennent. Ils sont si doués, je pense qu’ils deviendront de grands magiciens. Vivre des événements traumatisants ouvre-t-il une porte de l’esprit facilitant ainsi l’apprentissage de la magie ? Je me rappelle que nous avions émis, dans un autre âge, l’hypothèse qu’un grand pouvoir était lié à une foi solide ou aux facultés de l’esprit.

Aujourd’hui, nous avons combattu ensemble avec mes jeunes amis. Un petit peu d’artifice nous a suffi pour faire fuir l’envahisseur qui ne reviendra pas de sitôt. Notre clan n’a subi aucune perte.
Mes jeunes élèves ont connu leur première victoire. Ainsi ils deviendront les futurs grands Mages protecteurs de leur génération.

*

L’homme appréciait la compagnie de son nouvel ami.
Il lui rappelait, dans une autre vie, Bratal qui le mettait toujours de bonne humeur.
Mais le reste du temps, il avait du mal à dormir et faisait des cauchemars qui se passaient dans son ancienne vie. Ses rêves se passaient au-dessus de Noirpic, des images de gobelins le hantaient et le faisaient se réveiller en sursaut. Avec le temps, ça ne s’améliorait pas, il arriva donc à la conclusion suivante : il était malade. Le mal qui le rongeait était le même que celui qui rongeait les Dominateurs. Dans le corps de l’homme, un démon puissant, rassemblait les pensées les plus noires de Neil et du fantôme de Midan. Il était encore possédé et le démon semblait vouloir se libérer de sa prison de chair. L’homme commença alors une nouvelle expérience pour mettre au point un sort inverse à celui d’Ataen. Le sort qu’il mettait au point libérerait le mal de son corps, tel était le corollaire chloromancien à partir duquel le scientifique commença son équation. Sans le savoir, il commença ses recherches avec le souvenir du sort de guérison d’Emyse.
Les compétences de Midan dans le domaine de la recherche lui permirent d’avancer promptement. Et une nuit, à cause d’une de ses nombreuses insomnies, il s’éloigna de la caverne pour se retrouver en pleine forêt malgré le danger qu’elle représentait. Là, au milieu des feuillages qui bruissaient dans le vent, il récita l’incantation qu’il avait mise au point. S’en suivit un cri de douleur terrible. L’homme tomba à genoux en tenant son ventre, puis il vomit une étrange fumée noire. L’émanation semblait vivante et émettait des sons étranges, puis elle disparut subitement. Elle retourna dans la grotte chercher un nouvel hôte et pris possession du jeune orphelin roux à la peau mat. Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme, même le mal.
Les jours qui suivirent, le jeune orphelin ne fut plus le même car il possédait des souvenirs qu’il n’avait jamais vécu. Peu de temps après, on apprit sa disparition et Neil eût le cœur lourd pendant longtemps, mais on finit par l’oublier. Le clan pensait qu’il avait probablement été victime de la forêt.
Mais en vérité, le jeune garçon possédait les pouvoirs, la volonté et le démon de l’homme. Il traversa la forêt et se rendit seul dans le Désert, à la limite de son monde, pour aller là où sa pensée le guidait. Il était animé d’une seule et unique volonté dictée par son subconscient. Même s’il ne le comprenait pas, il avait l’impression qu’une puissante entité lui avait transmis un message. Ou alors une révélation guidait à présent ses pas, car il avait aussi le souvenir d’un être omniscient et omnipotent qui parlait à ses préférés. Il avait bien entendu hérité de la croyance de Neil mais comment allait-il l’interpréter, cette dernière réponse lui appartenait.
Il devait se rendre dans cet autre monde. Par miracle, on lui avait montré le chemin pour s’y rendre dans un rêve. Cette vision était, pour l’orphelin, destinée à éviter que la grande catastrophe détruise ce monde imaginaire. Pour cela, il fallait détruire tous les royaumes pour faire entrer les hommes dans un nouvel âge, sans rois, ni magiciens.
Quand Zadion avait transmis cette idée à Neil, elle avait été refoulée, contrairement au jeune garçon qui l’embrassait.
Le jeune rouquin était bien plus puissant que Neil, car son cœur d’orphelin était bien plus solide. Il trouva en plein désert la statue géante à voyager dans le temps et au lieu de courber l’espace-temps comme l’avait fait Neil, il entreprit un dessein différent : celui de se projeter lui-même dans le futur, à le rencontre du monde de ses rêves. Il déploya alors ses ailes d’éther tel Neil autrefois et entra dans l’armure colossale.
Il voyagea ensuite vers ce futur grâce au pouvoir de l’Ether. Une fois arrivé, il abandonna le géant dans l’étendue désertique, avant de pénétrer dans le monde de ses rêves, enveloppé d’une cape noire. Le voyageur n’avait plus l’allure d’un orphelin. À l’instar de Neil autrefois, il avait allongé son corps en vieillissant subitement, un effet secondaire de l’Ether. À présent, il apparaissait comme un puissant homme noir venu du Désert.
Comme dans le cycle précédent, il se rendit d’abord au royaume de Terrelongue où il prit la place d’un magicien de scène en sabordant son spectacle. Avec le temps, l’étranger à la peau sombre, malin et déterminé, gagna du galon et conquis le royaume de Mont-sur-feu. Il instaura la peur dans le cœur de ses ennemis et s’installa dans une forteresse au sommet d’un pic sombre.

*

L’homme était guéri. Son mal avait bien disparut. Il décida alors de commencer une nouvelle vie. Son attention fut ainsi portée sur une jeune femme qui aimait rire de lui. Elle était belle et avait la peau plus claire que les autres. Son sourire était enivrant et l’homme tomba vite amoureux. En fin de compte il n’y avait pas que la science, l’amour était un autre mystère à percer.
Lui qui était devenu le sage de son clan, put finir ses jours heureux et obtint facilement la main de celle qu’il désirait.
Tout d’abord elle donna un nom à son mari : Noa et enfin, trois enfants et il oublia tout de son ancienne vie. Mais lorsque ses enfants grandirent, il eût dans l’idée d’améliorer son monde avant de le leur léguer. Il travailla donc d’arrache-pied une fois de plus. Pour cela, il fonda l’institution de l’école pour éviter aux jeunes pousses d’errer dans un monde sauvage sans protection. Il leur apprit la magie mais aussi une discipline nouvelle : la science. Avant chaque classe, il évoquait l’importance des liens, comme s’il avait lui-même perdu quelque chose.
– Restez unis et gardez des liens solides avec vos proches. Ramenez les des ténèbres lorsqu’ils s’égarent car les hommes sont faibles mais ils sont innocents lorsqu’ils naissent, du bon a donc existé en chacun d’eux.
Les royaumes n’existaient pas encore et il n’avait pas encore eu l’occasion de découvrir les autres races qui peuplaient la terre. Il décida donc de les répertorier en tant qu’homme de science et explorateur, essayant de comprendre l’origine de chaque espèce. Pour cela, il parcourut en long, en large et en travers son monde primitif. À chaque découverte, il dédiait une classe spéciale aux enfants. Ainsi il apprit que son étoile n’était pas vivable pour les être-vivants de son espèce. Sa plus grande géographie était déserte avec un climat défavorable à la vie. Dans son ancienne vie, on appelait cela le Désert sans fin. À dire vrai, son ancien monde n’avait jamais été envahi par le Nord. Il n’était qu’un point minuscule de civilisation que les magiciens avaient pu conserver à travers le âges. Le dôme invisible qui enveloppait sa civilisation, protégeait des créatures géantes qui coexistaient avec sa civilisation. Un souvenir resurgit alors, comme un tiroir qu’on avait longtemps laissé fermé. Il se rappela alors qu’un sceau s’était brisé et qu’il avait jeté un sort d’Ether, il était donc à l’origine de ce mûr magique. Mais peu à peu cette magie s’amenuiserait et la barrière s’affaiblirait avec le temps, en commençant par le Nord. La coupole enchantée, invisible et friable laisserait ainsi passer des créatures maléfiques. Ce phénomène serait aussi interprété comme la fin du monde. Dans un certain sens, c’était le cas car on soit on réparait le mûr s’avérant à priori hors de portée pour les magiciens, soit on laissait l’élu recycler la civilisation.
En tout cas avec ce souvenir, l’idée de la fin des temps devint une obsession pour Noa. Comment mettre en garde les hommes qu’un jour le ciel et la terre seraient aspirés dans les limbes du temps. Il grava alors maintes tablettes racontant, dans l’ancienne langue, les premiers signes de la fin du monde. Elles seraient retrouvées dans des milliers d’années, mais n’oublions pas que le temps efface bien des choses.

*

C’est là que se termine cette histoire. J’ai essayé d’être au plus près de la vérité pendant mon récit et je vous assure que lorsque je comble les trous de mémoires et ceux de l’histoire, je le fais avec des bouchons que je pense être au plus proches de la réalité.
L‘histoire que je vous ai raconté n’a aujourd’hui aucun sens et reste difficile à comprendre et à transmettre aux gens de ma communauté. Après tout, je décris un monde qui n’existera que dans plusieurs milliers d’année. C’est pourquoi, les élucubrations d’un vieillard disparaîtront avec le temps.
Aujourd’hui je ne suis qu’un grand-père qui aime raconter des histoires fantaisistes à ses petits enfants, en fumant sa pipe au coin du feu. J’aime leur raconter les aventures de Neil, un jeune fermier malhabile qui voulait devenir magicien. Il a une place importante dans mon cœur car je garde en moi les souvenirs de ce brave petit qui ne voulait qu’épater la galerie, mais malheureusement un beau jour il cessa d’exister. Dans un sens il est mort, j’ai le cœur lourd en imaginant tout ce qu’il a enduré.
En tout cas, mes enfants et petits-enfants garderont un bon souvenir de mes histoires. Mais n’oubliez pas, le récit que je viens de dérouler aura un jour une utilité cruciale : celui de la préservation de notre civilisation. Ainsi j’ai transmis oralement ces histoires à ma descendance. Grâce au par cœur, la transmission se fera plus facilement de génération en génération. Par ailleurs, j’ai caché, durant mes voyages, des tablettes avec ma révélation. J’espère que les hommes en feront bon usage.

*

Dernière tablette de Neil jamais retrouvée.

Une énigme reste entière, la résurrection du Roi Sorcier. J’ai toujours pensé qu’un Nécromancien en était à l’origine. Mais si ce dernier existe, il ne s’est jamais montré. Surveillez donc le tombeau du Prince Ténébreux après sa mort.
Mais une autre chose me préoccupe, ma maladresse ne m’a jamais quitté et j’ai oublié que j’avais égaré ma machine à voyager dans le temps dans le Désert. Je suis allé la rechercher mais je ne la vois nulle part, pourtant je suis presque sûr de l’endroit. J’y vois d’ailleurs d’énorme traces de pas. Et alors il m’est venu une pensée effrayante. Le mal aurait-il retrouvé son chemin après m’avoir quitté ?

2