L’alerte fut donnée et la précipitation gagna les rangs des gardes, mais la rapidité de Zadion était sans précédente.
Le sommet des Rois se tenait encore lorsque les Dominateurs envahirent les tunnels, tuant tous les gardes sur leur passage. L’éclair Zadion passait aisément à travers les soldats, faisant couler à flot leur sang avec la lame de son sceptre, tandis que les deux Dominateurs reptiliens, rampant sur les parois du tunnel, exécutaient dans l’ombre. Le meneur se rendit très vite devant la salle de la grande réunion. De l’intérieur, un cri de douleur retentit. Pris de panique, les Rois se levèrent de leur table. Heureusement pour eux, la présence d’un des cinq légendaires était rassurante. Une énorme détonation créa une brèche dans la porte et Zadion accéda à la salle. Eronnon allait se mettre en transe, mais à ce moment précis, deux reptiles tombèrent du plafond et chacune d’elles saisit le magicien.
– Je suis venu pour toi ! lança Zadion en désignant le Roi engraissé de Moulin-sous-brume.
Le comploteur grimaça de terreur, puis il fut pris par une immense colère.
– Vous, les Dominateurs, n’êtes que des félons, des assassins sans scrupule ! Cracha-t-il.
– Infâme comploteur. C’est toi qui m’a créé, je viens demander justice pour tous ceux que tu as trahis. L’heure est venu de t’acquitter de ta dette.
– J’ai toujours accompli le devoir d’un souverain, me jugeras-tu pour cela ? répondit le menteur en connaissance des ignominies qu’il avait fait subir.
– Tu feins l’ignorance. Je suis Zadion Tugorard fils de Thoor Tugorard, celui que tu as retourné contre son clan en lui promettant la paix. Je suis le fils de celui qui fit le sacrifice de devenir un traître pour les siens, alors qu’il ne voulait que les sauver. Le fils de celui que tu as trahi en exterminant son clan juste pour assurer ta souveraineté. Le fils de celui qui se donna la mort ensuite… tu en es responsable et pourtant tu as gardé ton titre de monarque, tu aurais dû être jugé depuis longtemps pour tous tes péchés.
La colère se lisait à présent sur le visage de Zadion.
Tous contemplaient l’accusé, le conseil était devenu un tribunal muet. Après tout Zadion était le résultat des actions du Roi.
– Enfin la maison Elca va pouvoir prendre sa revanche sur Fengel. Celui qui osera le défendre subira le même sort ! cria Zadion, puis il envoya mille éclairs sur le Seigneur qui cria de douleur pendant son châtiment. Eronnon détourna son regard en voyant le cadavre calciné du feu Roi.
Toute la salle fut emplie d’une odeur pestilentielle.
– L’ère des Rois est révolue, je vais m’assurer que plus jamais aucun tyran ne commette d’atrocités. Vous autres hommes de pouvoir êtes aveuglés au point de devenir des meurtriers. On nous a affublés du surnom de Dominateur. N’est-ce pas le Roi le plus grand des Dominateurs ? Nos prêtres et magiciens élisent des Rois au nom de Dieu pour guider nos pas et ces mêmes monarques jouent de nous pour s’engraisser. Ils jouent à un jeu où seuls le pouvoir et la richesse les intéressent, ils se moquent bien du peuple qui meurt de faim.
– Mais tous les Rois n’agissent pas de concert, beaucoup croient en Dieu, lança le Roi Aldwil de Terrelongue.
– Il ne suffit pas d’y croire, pour être exonéré de la sale besogne d’un monarque, qui au fond, n’est que domination, tuerie, tromperie et diplomatie en vue d’étendre son territoire. Tant que les Rois existeront l’histoire se répétera. Aujourd’hui je m’en vais changer la face du monde qui n’a nul besoin de vous, ni de magiciens. La révolution est en marche, je vais créer un mouvement aujourd’hui qui sera suivi par beaucoup d’hommes…
– Mais ce Sommet a déjà allié tous les royaumes, lança Eronnon. Nous entrons dans une nouvelle ère de paix, le sacrifice d’Ibus a enfin porté ses fruits. Sa prophétie s’accomplit, les royaumes reconnaissent aujourd’hui sa sainte parole, alors rejoins la lumière de Dieu, car nous combattons le même ennemi.
La sage parole d’Eronnon fit réfléchir le prodige.
Mais, la paume de sa main s’alluma encore.
– Il est trop tard Maître Eronnon. J’ai choisi, il y a longtemps, de quitter la lumière car je n’ai pas eu d’autre choix. Elle a toujours été faible en ce qui me concerne et elle n’a jamais condamné cet homme. Le noir complet est parfois préférable à une torche qui n’éclaire pas, car quand on s’habitue aux ténèbres, la vue devient perçante.
Zadion pensait comme le Roi noir.
Les Rois reculèrent et écarquillèrent les yeux tandis qu’Eronnon assistait impuissant au massacre. Zadion lança son bras au moment où il sentit une puissante main se poser sur son épaule. Le régicide disparut aussitôt. Les Rois, dans une grande interrogation pleine de doutes et de peur, cherchaient toujours à comprendre.
*
De l’autre côté, la matière noire vomit deux hommes. L’un d’eux lança, en vain, mille éclairs dans un endroit désert, sauvage et inconnu. L’exécuteur voyait flou et avait perdu de vue ses cibles.
Zadion sentit sa tête tourner, il était maintenant à plusieurs lieux du haut conseil. En face de lui, deux arbres gigantesques déchiraient le ciel et un lac s’étendait au milieu de la forêt. Le calme plat régnait.
– Il y a des milliers d’années deux magiciens se donnèrent la mort à cet endroit. Deux frères jumeaux qui ne voulaient pas être séparés par la mort, décidèrent de se rejoindre dans l’au-delà.
Zadion écarquilla les yeux, il reconnut cette façon de parler, c’était Neil, son ancien camarade de l’Académie. L’imprévisible magicien à la peau mat venait d’enlever le prodige en usant d’un pouvoir inhabituel. Le fermier semblait maintenant descendre d’une haute lignée de magiciens et la sagesse se lisait sur son visage. Il reprit son discours.
– Pour cela, les deux frères se mirent en transe et moururent en position de méditation. On raconte qu’ils étaient tellement puissants, qu’à leur mort, leurs corps donnèrent naissance à ces deux arbres immenses. Cette terre est pure et fertile. La magie est dense en ce lieu qui sert aussi au pèlerinage. On raconte que l’âme des jumeaux seraient encore présents dans ces arbres, ils se sont liés de cette façon pour l’éternité.
– Neil ?
– Oui mon frère, toi et moi sommes liés de la même manière. Je suis venu te sauver du délit que tu allais commettre.
– Que m’as-tu fait, où suis-je ?
– Je t’ai enlevé grâce à la magie, tu es bien loin du conseil à présent. Ceci grâce à un nouveau pouvoir qui me permet de voyager très loin et instantanément. Je l’ai acquis grâce à deux grands magiciens, maître Midan et maître Ataen. Ce don de Dieu m’a permis d’arriver à temps.
– Je comprends mieux maintenant. Ainsi donc tu as été le disciple d’un Légendaire. Tu ne cesseras de m’étonner, la chance t’accompagne comme une ombre. Je travaille depuis tant d’années à obtenir un grand pouvoir et voilà que tu apparais comme un prophète, avec tes croyances et ton nouveau sortilège. Ta sagesse a toujours été grande et je t’ai même envié à dire vrai, mais ce que tu viens de faire est vain. Si tu crois me convaincre, tu te fourvoies, ma décision est prise.
– Tu viens d’accomplir ta vengeance Zadion, que veux-tu de plus ? Reviens du bon côté, il est encore temps.
– Ce n’était qu’une étape pour changer la face du monde. Ne vois-tu donc pas ce qu’il devient ? Les signes de la fin selon la prophétie sont irréfutables; il faut agir en mettant fin à l’ère des Rois. Je le tiens d’une source sûr.
– Ton pouvoir et ton désir de vengeance t’ont bien consumé. Les Dominateurs sont le véritable mal de notre monde et tu en es devenu un. Tu me parles de fin des temps, mais ceux qui te poussent à agir en leur nom sont ceux qui veulent le chaos.
L’Académie a pourtant été claire, elle existe pour un but altruiste et pour perpétuer l’idée d’aider notre prochain et non intervenir par la violence, comme un bourreau.
– Ne me juge pas ! Tu te crois bon ? Crois-tu vraiment tout savoir ? Ne me parle pas de cette académie dont tu ne vois que la façade.
– Dis-moi le fond de ta pensée.
– Ce pouvoir qui t’habites. Crois-tu que je ne me sois renseigné à son sujet. Ne t’es-tu jamais interrogé sur l’auteur du sort qui retenait prisonnier l’esprit qui te hante. Ne t’es-tu jamais demandé si ce n’était pas lui qu’on avait ensorcelé, mais toi ?
– Pour quelle raison on aurait fait cela ?
– On a délibérément emprisonné cet esprit en toi, Neil. L’académie des Mages ne fait pas seulement ce qu’elle t’a fait croire. Elle manipule aussi les jeunes recrues comme toi, pour en faire des armes dans une guerre qui se déroule depuis bien longtemps. Tu as participé sans le savoir à une expérience de Nécromancie. J’ai longtemps ignoré le lien qui existait entre cette nuit où Jecer nous a entraînés dans cette pièce hantée et ce pouvoir inhabituel que tu détiens. À travers mes voyages, je suis un jour tombé, par hasard, sur cet affreux Jecer. Il errait comme un vagabond après son exil de l’école. Lorsque je le menaçais, il leva le rideau sur ce qu’il se tramait à l’Académie. Il m’a alors apprit que cette nuit, il avait reçu une consigne directement du directeur Saurtam.
Cet ordre était de nous attirer dans cette pièce hantée, après quoi le spectre devait être emprisonné dans l’esprit d’une des nouvelles recrues. Plus précisément celle marquée par un sceau qui se situe en général à la base du cou. Ce symbole est un sort d’emprisonnement. Regarde par toi-même.
Zadion tendit son bâton à Neil qui vit dans le reflet de la lame un sceau en langue ancienne à la base de son cou. Tout s’effondra en lui et ceci fit vaciller la foi que l’académie lui avait transmise.
– Le monde n’est qu’une grande farce, Neil. Chacun agit par intérêt et cela s’applique aussi à l’école des magiciens.
– Mais pourquoi ?
– Pourquoi ? Pourquoi suis-je né sans père ? Pourquoi ma famille a été marginalisée ? Autant de questions qui n’ont qu’une réponse. Le monde est cruel mon ami. Tu étais destiné à devenir un sorcier important au service de l’académie. N’ayant aucun pouvoir héréditaire, probablement que tu devais en acquérir un. Croyais-tu qu’une école puisse t’instruire à la magie aussi vite ? Non, c’est pourquoi ceux qui n’ont aucun pouvoir inné deviennent des sujets d’expériences pour des implants magiques. En d’autres termes, ils sont ensorcelés.
Il n’y a d’ailleurs probablement pas de Dieu, cette croyance inventée de toute pièce ne leur sert qu’à asservir.
– Neil, je suis désolé, nous avons été trompés tous les deux, résonna la voix de Midan.
Le garçon désemparé, sentit une colère monter en lui. Si l’Académie agissait ainsi, pensa-t-il, elle attisait cette guerre en fabriquant des mages corvéables à merci. Une pensée alla vers sa famille qu’il avait abandonné tout ce temps à cause de son dévouement à l’école, une autre alla vers son maître Ataen et une autre vers son aimée, Emyse.
À cet instant le subconscient de Neil se fissura en deux et une partie fut touchée par le mal-être qui rongeait les Dominateurs. Seuls les souvenirs de sa famille et de ses amis gardèrent l’autre partie intacte.
– Zadion. Quand bien même, tu ne peux assassiner tout le monde de sang-froid. Dieu existe et il n’aimerait pas. En tant qu’être-humain tu ne peux pas cautionner cela.
– Inconscient ! Tu ne pipes rien. Le sacrifice est inexorable. Crois-tu qu’on m’ait demandé mon avis pour la mort des miens. Maintenant écarte toi de mon chemin car je ne souhaite pas ta mort.
– Tu avais raison ce jour-là mon vieil ami, dans l’arène à l’Académie, notre combat n’était pas terminé.
– C’est vraiment ce que tu veux, te dresser contre moi ? Rappelles-toi comment se terminaient nos joutes. Sauf qu’aujourd’hui ce sera un duel à mort.
– Mon Dieu, pardonnez-moi pour ce qui va se passer.
Fort blessé par la tournure que prenaient les événements, Neil récita une incantation pour demander l’aide de Dieu. Il réutilisa ensuite le premier sort qu’il avait appris à l’Académie, fusionnant son esprit avec celui de Midan. Malgré le sceau d’Ataen l’immunisant contre le démon du spectre, Neil sentait bien que l’utilisation de la transe mélangeait les deux esprits. Mais maintenant les risques qu’il encourrait importaient peu. Quelque part Zadion était prêt à se sacrifier, cela ramènerai peut-être son ami des ténèbres.
Son bâton fit un mouvement et une aura de lumière traversa son corps, après quoi un Neil plus âgé apparût et un esprit puissant le guidait à présent, né de l’essence de deux âmes. L’imprévisible Enchanteur avait abandonné son allure de jeune garçon pour reprendre son apparence de noble magicien. Certes, la transformation était plus surprenante quand il avait la taille d’un enfant, mais cette dernière était différente car Neil avait acquis la connaissance de l’Ether. La cape de Neil s’était allongée comme l’encre qui coule sur du papier. Le voile surnaturel flottait dans les airs, tel sur un navire pirate.
Quant à Zadion, il choisit un sort amélioré toutes ces dernières années. Une armure de lumière apparût, entourée d’éclairs, au dessus de lui. Elle éclata en plusieurs pièces et chacune d’elle habilla le prodige dans un éclat lumineux. Elle recouvrait à présent tout son corps. Le surdoué ne déméritait pas sa réputation.
On ne voyait plus son visage et celui de Neil était plus dure. Les deux oiseaux s’élancèrent dans un bruit de tonnerre.

*

L’Académie surveillait Neil de près et Drauridus Saurtam avait anticipé la rencontre entre Neil le sage et Zadion le rebelle. Il avait dépêché deux magiciens pour les ramener car il craignait une confrontation comme ce fut le cas autrefois pour les cinq. L’école souhaitait repêcher les magiciens exilés et dans ce contexte, Emyse et Thesion s’étaient portés volontaires pour Zadion.
Le Mage au pinceau enchanté qui avait remplacé Zadion au sein de la guilde, avait développé ses sorts pour dompter ses familiers. Les voyages avec lui étaient ainsi devenus plus rapides et confortables au bonheur d’Emyse.
Pendant ce temps une combat entre deux magiciens faisait rage. Le choc était tel que les Mages de Terrelongue sentirent d’énormes forces à l’œuvre.
Emyse et Thesion, sur un aigle géant, surveillaient le royaume depuis les cieux. De très haut, ils virent au loin des éclairs éblouissants et de longues ombres s’étirer entre les deux conifères colossaux. Le cœur d’Emyse battait fort la chamade. Elle avait un mauvais pressentiment. Sa rencontre avec Zadion arrivait. Elle le sentait, et elle le craignait. Elle avait personnellement demandé à maître Saurtam de la choisir pour cette mission. Elle se voyait en princesse et son chevalier servant s’était égaré. Dans ce cas la princesse devenait guerrière selon Emyse. Elle avait bravé maints dangers pour retrouver celui à qui elle avait donné son cœur. Cela dit, Emyse craignait qu’il soit trop tard car l’Académie lui avait décrit son aimé comme un Dominateur. Ce dernier agissait dans l’ombre pour commettre un régicide. L’école lui avait permit d’avoir une nouvelle famille, elle ne pouvait donc s’en détourner et si tout cela s’avérait vrai, il faudrait y terme à tout prix.
Lorsque le familier de Thésion arriva à proximité des arbres géants, l’Enchanteresse utilisa la transe et sauta de l’oiseau en plein vol. Elle atterrit avec grâce dans la forêt et commença une course véloce vers la cible. Elle finit par se cacher derrière un arbre à l’orée de la forêt. La confrontation entre les deux se déroulait dans les parages. Des éclairs et des grondements de tonnerre détruisaient le paysage. Si les duellistes étaient à proximité, on ne les voyait pas pour autant car ils avaient atteint un stade avancé. Leur combat se déroulait pour ainsi dire, dans une autre dimension.

*
Le pouvoir des deux magiciens avait atteint son paroxysme et leurs mouvements étaient trop rapides pour être suivis par un homme.
Des éclairs déviés ou aspirés dans des trous noirs, étaient recrachés plus loin. La foudre et l’Ether s’entrechoquaient, chacun des deux éléments voulait annihiler l’autre.
Thesion atterrit plus loin avec son aigle géant, quant à sa sœur d’arme, au cœur de la tempête, elle avait peur d’être arrivée trop tard.
Elle reprit sa course effréné et se retrouva dans une position inattendue. Pendant un instant, les deux mages étaient réapparus dans ce monde et Emyse les vit au loin.
Dans leur dernier élan, chacun des deux désirait la mort de l’autre. Elle eut le cœur lourd à cette pensée.
La Chloromancienne qui voyait un autre malheur arriver, comprit qu’un seul sortirait vivant de cette dernière charge. Tout ce temps passé à attendre Zadion n’aurait servi à rien. Les souvenirs avec ses deux camarades passèrent très vite dans sa tête. D’un côté, Neil qui ne l’avait jamais abandonné. L’ami avait tenu sa promesse jusqu’au bout et il se battait pour elle. Mais l’aimé ne voulait pas être ramené. Pire que ça, il était devenu un Dominateur. Le destin ne voulait pas de lui vivant, comme il n’avait pas épargné le clan du prodige ou bien le village d’Emyse. A cet instant elle devenait la balance qui devait peser leur âme. Qui méritait de survivre ? Le dilemme était cruel et le destin impitoyable envers Emyse.
La jeune fille avait rejoint les Chloromanciens car son village avait été décimée par une épidémie. Elle voulait aider les gens et non faire la guerre. Mais la magie l’avait mené sur le champ de bataille. Son talent était finalement devenue une malédiction.
Voyant la scène au ralenti, elle prit néanmoins sa décision. Son pouvoir de Chloromancienne répondit en un instant et régula l’énergie spirituelle de l’Elémentaliste pour augmenter celui du Nécromancien qui toucha mortellement Zadion. Il avait suffi d’une pichenette pour fixer l’issue du combat. Le sol se déroba sous les pieds de Neil lorsqu’il reprit ses esprits, façon de parler.
Le Dominateur était tombé et l’ancien berger lâcha aussitôt son bâton pour prendre son ami dans les bras. Le blessé vomissait du sang.
– Je ne pensais pas perdre comme ça…
– Pardonne-moi, mon frère.
– Tu as fait ce que tu devais faire… c’est moi qui te demande pardon, si je vois Dieu j’espère qu’il sera indulgent avec moi.
– Ta repentance sera appréciée par le miséricordieux. Tu es tout pardonné mon frère. Au nom du tout-puissant, j’entends ta confession…
Puis Neil sortit sa gourde et nettoya le visage de son ami.
– Par cette eau je te purifie de tous tes actes répréhensibles et de tes péchés, ton exil est terminé… nous sommes à nouveau frères, dit-il en pleurant. Ne me laisse pas, sinon que dirai-je Emyse ?
– Je vous ai fait du mal à vous deux. C’était pas mon intention. Dieu… Si j’étais dans le péché, pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé ? Pourquoi n’ai-je jamais entendu sa voix ? Pourquoi ne m’a-t-il jamais aimé ?
– Dieu aime toutes ses créatures mon frère, il t’aime, n’en doute pas. Et grâce à lui, nous autres t’aimons. Nous t’avons cherché et attendu tout ce temps.
Le mourant fut soulagé d’entendre cela.
Puis son visage se pétrifia et la vie s’évapora de son corps. Les larmes de Neil ne cessèrent de couler ce jour-là. Les deux magiciens avaient été pris dans un tourbillon qui les avait séparés puis les avait réunis ici. On appelait cela le destin.
Les dernières paroles de son ami furent au combien difficile à entendre pour le Nécromancien qui, pris de remords, ne fut plus jamais le même. Neil ne se considérait plus comme un Sage.
Tous les souvenirs avec son défunt compagnon défilèrent dans son esprit, dont ce fameux jour où il avait pris sa défense à l’Académie. Du bon existait en lui, mais on avait cruellement corrompu son âme et son passé, ce qui l’avait détourné du droit chemin. Malgré sa promesse, Neil n’avait su le défendre, il n’était vraiment pas un héros, ni un sauveur, seulement un mage perdu dans les méandres du destin. Un mage maladroit qui avait tué son ami.
Emyse, au loin, pleurait de son côté, cachée derrière un chêne, elle n’oserait plus jamais se montrer. Elle avait ôté la vie de son aimé.
Thesion observait la scène dans les bois, le cœur lourd. L’échec de leur mission était sans appel et ce que l’Académie redoutait arriva.
Le destin continuait de s’acharner sur ce monde et Neil ne pouvait l’empêcher. Son amertume était grande car il pensait pouvoir changer l’avenir. Il se trompait. Certaines tristesses sont inévitables.
D’un simple regard, le courroux de Neil creusa une tombe. Il y enterra son ami avec son sceptre. Il méritait de reposer ici, aux pieds des arbres géants. Puis il arracha l’emblème de l‘école cousue sur sa tenue et la jeta sur la terre qui recouvrait son ami. Neil ne sut jamais qu’Emyse l’avait finalement choisit, lui l’ami fidèle. Et donc plus rien ne le retenait dans ce monde. Il commençait à comprendre le point de vue de son défunt ami qui en mourant, lui léguait sa pensée. Nous changeons lorsque nous perdons un être proche et au bord du précipice nous sommes capables d’obtenir un grand pouvoir. Mais ce pouvoir peut faire resurgir notre noirceur. S’il avait eu la même vie que Zadion, peut-être serait-il enterré à sa place aujourd’hui, en tant que Dominateur. Toujours est-il qu‘il venait de mettre fin à ses jours. Et à cette pensée, le fermier vomit.
Il avait l’impression d’être passé de l’autre côté. La peur de ne plus être aimé de Dieu le saisit. Par ailleurs, il n’avait pas sur tenir la promesse faite à son amie. Il ne pourrait plus jamais la regarder en face, ou se regarder dans une glace.
Neil s’était évanouit dans les airs grâce à l’Ether, le cœur piétiné, brisé en morceaux et consumé en partie par les paroles de Zadion. Son subconscient était fissuré à jamais. Tel Midan autrefois.

1