Maître Saurtam savait Neil doté d’un bon talent d’orateur malgré son manque d’assurance qui le rendait maladroit. Neil sondait les âmes et touchait le cœur. Lui et ses amis étaient donc les mieux placés pour repêcher les laissés pour compte de l’académie. La convocations de la guilde des Protecteurs, issue de la dernière promotion, était officiellement annoncée à la criée dans le hall du château. Un nain était chargé des proclamations.
De petits groupes de trois à quatre Mages étaient ainsi composés pour partir en mission.
Neil avait pour compagnons Emyse et un petit nouveau : le major des classes d’art de deuxième année, Thesion Jetis. À court de magiciens, Saurtam envoyait même des deuxièmes années en mission. Le chef de leur ordre était le sombre professeur de sciences, Beobras Limeth.
Le jour du départ arriva bien vite et Neil attendait dans le hall du château quand Bratal vint à sa rencontre.
– Alors ca y est, qui l’eût cru ! Neil le fou, Neil le vengeur et maintenant Maître Neil…
– Félicitations à toi aussi, tu seras un grand prêcheur et un bon architecte. Qui aurait cru qu’un bon à rien comme toi finirait magicien.
– Je le prends comme un compliment. Mais c’est l’hôpital qui se moque de la charité.
J’aiderai les constructions des maisons et cités. Mon père est architecte. Je suppose que je suis le même chemin.
Je vais prochainement rejoindre une ancienne mine de nains et aider à sa rénovation. Autant dire que je vais voir du pays, tout comme toi. Au fait, quel est ta première tâche ?
– Une sorte de mission d’escorte.
– Comme un vrai petit soldat on dirait… tu as intérêt à bretter aussi bien que Z…, oublie cela.
– Pour te dire la vérité Bratal, Saurtam m’a demandé de m’occuper d’une autre mission. Je te demande juste de le garder secret.
– Nous sommes amis non ?
– Je dois repêcher des Mages exilés. Cela inclut Zadion et les cinq.
– Les cinq… ? Tu veux parler de la guilde des cinq ?
– En personne.
– Je ne savais rien de leur exil. Comment comptes-tu les retrouver ? Si tu réussis, tu deviendras peut-être l’apprenti de l’un d’eux, encore faut-il les retrouver.
– Maître Saurtam semble convaincu de son choix : selon lui, des temps obscurs approchent et il nous faut recruter plus d’Enchanteurs. C’est là que j’interviens. J’ai quand même quelques doutes sur ma réussite.
Emyse vint à leur rencontre.
– Te voilà très chère, dit Bratal, dis-donc Neil, j’ai maintenant devant moi une puissante Sorcière…
– Fais attention si tu ne veux pas finir en crapaud !
– N’ai je pas raison Neil ? Cette fois-ci j’étais sérieux…
– Je dois dire que tu es resplendissante en enchanteresse ? Bratal n’a pas tort.
– Merci, où est notre guide ?
Vint à leur rencontre un garçon mince, les cheveux longs et châtains, le teint pâle et les traits fins. C’était leur nouveau confrère. Il était le seul Mage à ne pas avoir de sceptre.
– Salutations à vous chers confrères !
– Salutations, répondit Neil, bienvenue dans l’ordre.
– Merci.
– Tu es en deuxième année n’est-ce-pas ?
– C’est exact, Je m’appelle Thesion.
Le disciple se tut. Il semblait effacé et un peu intimidé.
Bratal continua.
– Je ne voudrai pas te paraître rude Thesion, mais je crois bien que tu as oublié ton sceptre. Détends-toi et ne sois pas intimidé par Neil, il fut un piètre deuxième année. Je ne le prendrai même pas comme écuyer.
– Tu cherches à rendre plus facile nos adieux et à détendre Thésion, odieux baleine. Ton intention est respectable mais tu as réussis à m’agacer. Tu as bien réussi ton coup, tires-toi !
– Bon les amis, je vous laisse. Revoyons-nous bientôt. Prenez-soin de vous.
– Au revoir fidèle ami !
Ils furent ensuite rejoints par leur professeur en retard.
– Veuillez m’excuser pour ce contretemps, mais j’ai dû préparer toutes nos affaires. Comme c’est votre première mission, je doute que vous ayez pensé à tout. Bien, alors bienvenue au sein de mon ordre, j’espère que vous vous épanouirez et deviendrez de grands Protecteurs. Je vais rentrer dans le vif du sujet, nous n’avons pas le luxe d’attendre plus longtemps. Nous allons tout de suite rejoindre notre itinérant. Il s’agit d’un habitant du Nord. C’est donc là un long voyage qui nous attend. Le Nordien habite le village du sable qui est le dernier lieu habité. Il se trouve au commencement du Désert Sans Fin et au Bout du Monde peuplé. Si vous avez bien suivi les cours d’histoire, vous saurez que les menaces les plus grandes sont venues du Nord. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de dossiers ouverts dans cette lointaine contrée. Le Nord est devenu la plus grande préoccupation de l’Académie.
– Le Roi Noir était lui aussi aussi originaire du Nord n’est-ce pas ? remarqua Neil.
– C’est très juste, le Roi noir, selon la légende, serait un ancien voyageur, venu du Désert Sans Fin. D’où sa peau basanée comme celle des Nordiens. Ce qu’on peut voir dans les peintures… mais revenons à nos moutons. Son village qui compte de plus en plus de victimes est en proie à une bête. Ne soyez pas effrayés quand je la décrirai : c’est un scorpion géant du désert. La mission est de le capturer. Il s’en est pris aux troupeaux et il dévore les habitants. Je vous en dirai plus en chemin. Nous partons sur le champ.
Le groupe terrifié à l’idée d’affronter un insecte géant, sortit du château pour retrouver un homme habillé en tenue traditionnelle Nordienne : il était vêtu d’une robe de tissu blanc. Une coiffe de la même matière enturbannait sa tête et son visage.
– Salutations ô Mages, je vous suis reconnaissant au nom de tout mon village.
– Si vous voulez bien Taha, mettons nous en route.

*

Le voyage fut long et éprouvant. Franchissant des pics embrumés, des forêts sombres, franchissant le cours des rivières et lacs, suivant des sentiers battus en pleine jungle, escaladant escarpements montagneux et diverses plaines, ils allèrent droit vers le Nord.
Les pauses ne se faisaient que pour le déjeuner et pour le souper du soir. Les jeunes magiciens n’étaient pas habitués à de telles marches. Lors des haltes,
Beobras et Taha se chargeaient de dresser le camp. Quant aux jeunes disciples, il s’écroulaient à bout de force.
Le plus souvent, les nuits étaient fraîches, c’est pourquoi chaque soir Taha allumait habilement un feu. À le voir, il aimait cela.
À l’aube, lorsqu’il ne restait que de petites braises, ils reprenaient leur route.
Leur marche infinie finit un matin où ils eurent tous l’impression d’être arrivé au bout du monde. A leur réveil, une longue étendue désertique les entourait. Ils n’eurent pas à marcher bien longtemps avant d’arriver au dernier village habité. Au-delà, aucune carte ne décrivait cette contrée.
Les constructions étaient anciennes et faites de briques ou de pierres de la même couleur que la terre aride.
– Les maisons sont construites en terre ? S’interrogea Emyse.
– Elles ont en partie été bâties par des élémentalistes de notre académie, répondit Beobras.
– Bienvenue à Mutnodjmet, mon village, ajouta Taha.
– C’est prodigieux, continua Emyse. Ce village est une fabuleuse construction.
– Le Sorcier sans nom serait originaire de ce fameux village ? demanda discrètement Neil à son ange gardien.
– Oui mais pas de ce village en particulier. On dit de lui qu’il vient du Nord. C’est tout.
– Quoi, tu insinues qu’il vient d’encore plus loin ?
– C’est bien possible.
– Qu’y a-t-il là-bas ?
– Personne ne le sait. Nombreux Mages et aventuriers ont tenté la grande traversée. Mais personne n’en est jamais revenu. C’est bien pour cela qu’on appelle cet endroit Le Bout du Monde.
– Beobras, pourquoi est-ce que l’académie n’a encore jamais exploré au-delà de ce désert ? La curiosité de Thésion s’ajouta à celle de Neil.
– L’académie a bien créé une guilde pour cette entreprise une fois. Elle était chargée d’explorer cette contrée. En même temps, cette guilde étudiait les écritures et prophéties anciennes. En les interprétant, elle pensait pouvoir prédire l’avenir. C’est pourquoi, on la baptisa « la Guilde du Futur ». Avec le temps, la guilde fut dissoute, et leur croyance devint une hérésie.

Le groupe arriva enfin au village du sable et les habitants leur souhaitèrent la bienvenue dans la langue locale. Les hôtes, habillés de toges et de turbans, installèrent les voyageurs dans une des petites maisons à l’orée du village. Il y faisait beaucoup moins chaud et pour cause, la construction ne semblait pas avoir été réalisée au hasard, puisqu’elle préservait ingénieusement la fraîcheur. Une des femmes leur apporta du thé et de petits biscuits. Ils en mangèrent et se sentirent revigorés dans la pénombre du petit lotissement. C’est alors que le chef du village entra en compagnie de Taha. Il était habillé comme son compagnon et possédait une courte barbe grise. Son turban multicolore semblait désigner son statut.
Ne parlant pas la langue des royaumes environnants, il s’adressa à Taha qui faisait la traduction.
– Notre doyen vous souhaite la bienvenue, il vous est gré de votre si long voyage.
– Nous sommes ravis d’être ici. Nous souhaitons ramener la paix rapidement dans votre village, avec l’aide de Dieu, répondit Beobras.
Taha fit la traduction et le doyen fit un signe d’approbation avant de continuer la discussion.
– Le doyen souhaite que vous vous reposiez maintenant. Le déjeuner vous sera servi dans très peu de temps, puis si vous le voulez bien, nous nous reverrons en fin de la journée.
– Nous acceptons son invitation avec grand plaisir.
Emyse, Neil et Thesion n’osaient prendre la parole. Mais lorsque les hommes du Nord sortirent de la petite maison de sable. Beobras expliqua la situation.
– Cette mission vous enseigne comment les Mages combattent les créatures du Nord. Il est vrai que notre majeure partie du temps se passe à voyager, c’est une vie difficile. Mais regardez tout le bien que vous pouvez faire à une communauté. Pour cette tâche, vous resterez en retrait et je me chargerai de la grosse bête. Soyez rassurés jeunes disciples.
La peur ne les avait pas quitté pour autant.
En fin de journée, l’ambiance était bien sinistre sur ces plaines de sable. Pas un bruit et pas âme qui vive dans les plaines environnantes. Cela ne rassurait en rien les trois magiciens.
Après le dîner et un peu de repos, Taha et le doyen rentrèrent de nouveau dans la maison.
– Le doyen espère que vous avez bien mangé et que vous êtes repus.
Taha semblait préoccupé cette fois.
– C’est bien le cas, je vous remercie !
– Si vous le voulez bien nous allons vous parler de nos maux. Comme vous le savez notre peuple vit ici depuis des générations. Nous vivons essentiellement d’élevage. Mais depuis quelques lunes, nos troupeaux disparaissent dans la nuit. Ils sont attaqués par une grosse bête qui ressemble étrangement à un scorpion. Il a tué plusieurs fermiers qui voulaient défendre leur ferme. Ils ont été découverts gisant dans le sable.
Si cela continue nous ne pourrons bientôt plus nous nous nourrir et nous protéger.
– Nous lui tendrons un piège, à quel moment attaque-t-elle ?
– Elle n’a pas d’heure pour manger. Elle rôde tout autour du village. Les villageois n’osent d’ailleurs plus s’y aventurer. Mais elle rôde davantage la nuit.
– C’est un petit village. Il faut demander à tous ces habitants de guetter sa prochaine chasse. Dés qu’elle refera surface, donnez l’alerte et nous interviendrons.
– Le doyen préfère vous prévenir, de robustes guerriers y ont laissé leur vie. La bête est extrêmement puissante.
– Nous ne partirons pas avant de l’avoir vu. Rassurez-vous, nous ne somme pas venus si loin pour repartir bredouille cher ami.
– Merci. Nous allons donner vos consignes aux habitants.
*
Peu de temps après l’alerte fut donnée. La bête rôdait dans les parages et chaque villageois était sur le qui vive. Taha entra dans la maison, pris de panique.
– Mes Seigneurs, la bête est revenue. Elle se trouve vers l’Ouest du village.
Les magiciens accompagnés de Taha prirent des chevaux montèrent la grande dune pour s’arrêter au sommet. De là, ils eurent une vue d’ensemble sur toute l’agglomération. Dans la lumière des torches, ils virent au loin le sable bouger. L’insecte se déplaçait déformant l’étendue sableuse. Son déplacement était irrégulier comme ceux des insectes.
Les compagnons ordonnèrent ensuite à leurs chevaux de s’approcher de la bête. Taha sortit un sabre, tandis que les Enchanteurs serrèrent fort leur bâton. Thesion qui n’avait toujours pas son sceptre n’inquiéta pas Beobras pour autant.
Ce dernier récita une incantation et un mur de sable se dressa devant la créature qui arrêta sa course sur le champ. Son sixième sens d’insecte l’avertit d’une menace. Elle resta immobile, dissimulée sous le sable. Beobras continua alors son incantation et la bête fut entourée par quatre murs de pierre dressés par l’enchantement. Enfin, ils s’approchèrent du gigantesque carré de sable sur la pointe des pieds. Ils furent surpris par l’horreur incarnée quand le scorpion géant daigna se montrer. Il escalada d’une traite les mûrs de sa prison pour atterrir devant eux.
Les disciples furent tétanisés de peur par l’horreur qui se dressait devant eux. Ils n’avaient jamais imaginé une bête aussi immonde.
– Concentrez-vous et combattez votre peur ! cria Beobras.
Taha et Beobras s’approchèrent courageusement du monstre armé de deux énormes pinces et d’un énorme dard empoisonné. Le professeur planta alors violemment son bâton dans le sol, ce qui forma une sphère de protection. Mais Beobras se demandait combien de temps il pourrait tenir sa barrière. Le scorpion craignait la magie, alors il attendait intelligemment que la barrière se dissipe.
Neil était hypnotisé par l’horrible monstre, sa gueule dégoulinante et ses horribles yeux d’insecte l’horrifiaient. Ivre de peur, ses forces le lâchèrent. Il prit donc la fuite, les larmes aux yeux.
Mais il ne put aller bien loin. Il se cogna violemment à la barrière et fut projeté en arrière pour finir au sol, la tête enfoncée dans le sable.
– Je t’ai déjà vu sous un meilleur jour, ironisait Midan.
À cet instant, le discret Thesion prit curieusement les devant.
– N’aie crainte Neil, je viens te sauver. Emyse, désespéré de voir les disciples aussi inutiles, prêta main forte à son professeur.
C’est là que Thesion sortit de sa cape un pinceau en bois et que Neil se demanda ce qu’il manigançait.
– N’ayez crainte, bientôt il ne restera plus rien de ce monstre ! dit-il confiant.
Il sortit un rouleau de parchemin de son sac qu’il déroula et commença à y peindre à grands coups de pinceaux. Il récita une incantation et les rayures du tigre se matérialisèrent dans l’espace. Il venait d’invoquer un animal d’une étrange façon. Le tigre enchantée poussa un rugissement qui fut bien réel. Ses rayures de peinture lui donnaient une forme distincte. Il traversa la barrière magique avant de se jeter sur le scorpion. En donnant des coups de pattes le gros chat fit reculer l’hideuse créature. Emyse et Neil écarquillèrent les yeux en voyant la scène improbable. Le malhabile magicien, le visage plein de sable, était impressionné par la bravoure de Thesion. Il se sentit alors humilié.
– Quel couard ! Et tout ça devant Emyse…
– Relève-toi, sois digne et montre ce dont tu es capables, Midan encourageait son disciple.
En pensant à la bravoure de Zadion, Neil décida de ne plus rester en retrait. Il voulait montrer son courage à Emyse et alors il se sentit pousser des ailes. Il se concentra et récita des incantations. A travers la barrière et à l’aide de son bâton, Neil catapulta de petites boules de feu sur le monstre.
– Un scorpion ça craint le soleil ! cria Neil.
Beobras ne s’attendait pas à avoir autant d’aide de ses disciples. A bout de forces, il en profita pour lever sa barrière. Il concentra ensuite toute sa magie pour invoquer, à son tour, un soleil enchanté.
Le monstre se débattait avec le tigre enchanté et Neil lançait ses éclats de feu enchantés. Quant à Emyse, son bâton enfoncé dans le sable, optimisait la circulation de l’énergie spirituelle dans le corps des magiciens. Cela marchait si bien que Neil et Beobras sentaient leur puissance magique augmenter. Lorsque Beobras eut finit son astre solaire, il le fit chuter sur la bête d’un geste brusque.
Dés qu’elle toucha l’étoile ardente, elle prit feu et la gravité du petit soleil eût raison de la créature. L’effroyable insecte fut broyé, laissant gicler un liquide visqueux noir. Le scorpion inerte et calciné, gisait sur le sable. Pour s’en assurer, Taha découpa à l’aide de son sabre, les pinces et la queue. Les fluides noirâtres sortirent de plus belle. Une odeur putride se répandait dans l’air.
– Vous ferez tous de grands Mages, conclut Beobras, je suis très fiers de vous.
Les nouveaux magiciens étaient nés.

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