La première heure de classe fut celle des sciences. Neil avait bien du mal à garder sa concentration, lui qui venait d’une famille d’agriculteurs, il était plus habitué à des travaux manuels.
Alors c’était ça apprendre la Magie ? Le jeune valet n’était pas vraiment intéressé par tout ce qu’expliquaient les enseignants. D’ailleurs, il n’y comprenait pas grand-chose. Le professeur parlait d’anatomie, de biologie… on était bien loin de la Magie. La nuit, l’apprenti dormait peu au dortoir et faisait souvent des cauchemars. Mais autre chose menait la vie dure à Neil, Zadion et Bratal à l’académie.
Le trio était en proie à un groupe de deuxièmes années qui aimait leur faire subir des humiliations et des moqueries. Parmi eux, ils reconnurent le meneur qui n’était autre que Jecer, connu pour sa cruauté. Si les trois amis restaient soudés devant cette menace, ils avaient du mal à vivre en harmonie avec les autres.
Le cas de Neil empira lorsqu’il convainquit les autres apprenants de sa folie. Pendant une séance de langue étrangère, il vit apparaître par enchantement à ses côtés, le fantôme du château. Ce jour-là, il poussa un cri terrible et traversa toute la salle de classe qui ne voyait pas l’émanation ectoplasmique. Celle-ci se mit à rire de lui. Paam Brorsas qui avait déjà évoqué le cas de Neil au conseil des Mages de l’école n’hésita pas : Neil fut renvoyé de la salle de classe. Il avait été décidé de remonter les bretelles du jeune fermier qui passait beaucoup trop de temps dans la lune.
Cela dit, son séjour dans le couloir, en guise de réprimande, n’arrêta pas ses hallucinations. Le mage spectral suivait toujours Neil qui était le seul à le voir.
– Que me voulez-vous ? dit l’apprenti en accélérant le pas dans le couloir du château.
– Mais rien ! répondit le fantôme en continuant à le talonner.
– Alors pourquoi me poursuivez-vous ?
– J’ai été prisonnier dans cette pièce pendant longtemps et me voilà maintenant enfermé dans ton esprit. Je n’aurai peut-être pas dû essayer de me jeter sur vous pour vous effrayer. Cela m’a joué un mauvais tour, je le crains. Je le regrette.
– Et comment faire pour vous libérer ?
– Aucune idée. J’ai cherché en vain pendant des années à me libérer de cette malédiction.
– Comment vous êtes-vous retrouvé prisonnier ici ?
– C’est une longue histoire mais je crois que tu as le temps pour l’entendre. J’étais autrefois un magicien passionné, tout comme toi. Cette bastille n’était pas encore cette école, mais la demeure d’un roi. À son service, j’exerçais mon métier pour le distraire. Mais un jour, un autre mage vint au château et offrit sa magie à mon seigneur. Malgré mes nombreuses années de dévotion, il décida tout de même que celui qui ferait le meilleur spectacle obtiendrait la fonction officielle de magicien de la cour du roi. Pour garder ma place, je donnai le meilleur de moi-même dans le but de donner une représentation inédite en matière de magie : l’invocation physique de la matière noire. Toutes mes connaissances en Ingénierie magique me permirent de la mettre au point. Autant dire que la cour du roi fut émerveillée comme jamais lorsque je fis apparaître cette petite boule noire donnant sur l’inconnu.
Mais l’enchanteur malveillant avait tout prévu. Voyant mon prodige, il se sentit menacé, il sabota alors ma séance. Cela coûta la vie au plus jeune fils du Seigneur qui fut aspiré pendant l’expérience par mon invocation.
Tout a été très vite. On me garda prisonnier, affamé, torturé et questionné pendant des jours. On m’a tout de suite suspecté d’avoir intenté à la du vie roi, d’appartenir à une confrérie secrète revendiquant le trône. J’étais si triste de cette perte pour le roi que j’acceptai ces châtiments.
Mais grâce à la magie, je m’échappai de ma cellule. En état de convalescence, je ne saurai décrire en détail comment, mais je me retrouvai à l’extérieur du château, à plusieurs lieux. Tout se passa encore brutalement et vite.
Loin de tout ce que j’avais : ma bien-aimée, ma passion, j’errai sans goût pour la vie dans la campagne du royaume de Terrelongue. L’alcool me garda en vie quelques jours jusqu’à ce que je finisse par me donner la mort. Cela, j’en suis sûr car mourir n’a pas été une mince affaire; il faut en avoir du courage pour faire le grand saut. Et puis, rien, ni lumière, ni Dieu…
Je me retrouvai prisonnier ici, de retour sur les lieux de mon plus grand péché, probablement à cause duquel je suis maudis pour l’éternité. La mort de ce pauvre enfant innocent m’a punit. Que ne donnerai-je pas pour revenir en arrière, avoir quitté le royaume au lieu de m’être mesuré à ce Sorcier malveillant qui m’a tout prit.
Le fantôme ne faisait plus peur à Neil qui éprouvait maintenant de la pitié pour cette âme malheureuse.
– Il doit certainement y avoir un moyen de vous délivrer non ? Une incantation ou quelque chose comme ça ?
– Dans ce cas, je ne l’ai pas encore découvert et crois moi la Magie ça me connaît. Mais si je me retrouve coincé dans ton esprit aujourd’hui, peut-être qu’il y a une raison à cela. M’apporteras-tu des réponses ? Après tout, tu fais partie du monde des vivants, tu peux m’être utile. Aide-moi je t’en prie apprenti magicien, sois mon enquêteur dans ton monde qui n’est plus le mien.
Neil sembla perplexe, mais n’hésita pas. Il avait été touché par son histoire.
– Très bien fantôme, je vous aiderai.
– Mille fois merci, jeune mage. Je t’en prie, appelle moi Midan, pour te servir mon jeune seigneur. A qui ai-je l’honneur ?
– Je suis Neil Riscod, simple fermier.
Neil venait de nouer secrètement une nouvelle amitié. A partir de ce jour, on pouvait le voir discuter tout seul ou se disputer avec son ombre. C’est pourquoi à l’académie on le surnomma Neil le fou.
Le temps passait en grande partie à la bibliothèque ou dans la cour du château. Malgré qu’Emyse se fit de nouvelles amies à qui on enseignait comment devenir de pieuses enchanteresses, la jeune fille continuait à revoir ses compagnons de voyage. Si Bratal restait proche du fermier, Zadion, plus mature, fréquentait régulièrement la bibliothèque. Plongé dans ses livres de magie à l’écart de son groupe, il semblait qu’il assimilait de mieux en mieux les enseignements. C’est ce que démontrèrent les premières notes : la maximale pour Zadion et la minimale pour l’habitant de la lune surnommé le fou. En outre, le fantôme de Midan qui possédait ce dernier n’arrangeait rien à son cas. Bratal avait, lui aussi, une note nettement insuffisante. Les deux faisaient la paire de cancres de sa promotion et toujours la risée du groupe de Jecer. Ce dernier ne manquait pas une occasion.
– Tiens voilà donc gros tas et le dingue ? il n’est pas là l’espion du royaume de la foudre ?
Bratal avait du mal à digérer de telles injures, mais Neil restait de marbre, il était beaucoup trop détaché de la vie de l’académie.
Cette fois-ci, lorsque Jecer quitta le jeune Bratal après maintes insultes, l’enveloppé ne décoléra pas.
– Il faut faire quelque chose pour cet imbécile !
– Ne fais donc pas attention à lui, tu ne le verras bientôt plus, sauf s’il décide de rester à l’académie après ses études.
– Non Neil, j’en ai assez qu’il me traite de gros tas !
– Dans ce cas, pourquoi ne pas lui donner une petite leçon ?
Bratal fut surpris, Neil semblait impliqué pour la première fois dans la vie de l’académie.
– Et comment ?
– Seul !
Le lendemain en cours d’art, Jecer crut d’abord à des hallucinations lorsqu’il vit les pinceaux et le matériel scolaire flotter autour de lui. Puis un seau plein de peinture jaune se renversa sur sa tête et il traversa la classe en criant, le crâne enfoncée dans la bassine. Des rires moqueurs emplirent la classe et Jecer devint sur le moment la risée de tous ses camarades. Le malicieux arroseur avait été arrosé.
De bouche à oreille, cette nouvelle circula dans toute l’école. Tous voulurent connaître l’auteur de ce formidable exploit qui vengea bon nombre d’élèves. Neil garda son secret. L’auteur de cet attentat n’était autre que son ange gardien, c’est bien pour cela que personne ne le vit, ni le maître Mage qui faisait cours.
Ainsi il obtint son deuxième surnom : le vengeur invisible.
Bratal fit mine de bien connaître le vengeur et déclara aux curieux qu’il n’hésiterait pas à lui refaire appel. D’après ses dires, ce magicien était le meilleur de tous, un véritable apprenti surdoué qui maîtrisait déjà beaucoup de sorts. On suspecta alors tous les bons élèves dont Zadion qui pour une fois, ne dédaigna pas l’événement.
Tout le monde savait qu’un brave existait parmi les premières années, ce dernier avait osé s’attaquer au plus dure de l’académie. Neil gardait ainsi un œil sur Jecer qui, désormais, craignait qu’on se moque de lui à son tour. Bratal confia tout cela à Zadion et la prouesse de Neil le surprit. Lui qui pensait que le fermier n’avait aucun don pour les sorts. A vrai dire, il pensait même qu’il n’avait pas sa place à l’académie : un brave fermier mais qui n’arriverait jamais à manipuler la Magie, voilà ce qu’il en pensait.

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