Après la bataille, la neige tombait sur la cité et Port-sur-pluie n’en fut que plus beau, tandis que Neil aidait les civils tout en suivant les cris de la créature tombée. Le dragon était toujours dans les parages, pensait-il.
Il arriva ainsi devant la bête fumante. Elle respirait difficilement et n’avait maintenant plus beaucoup de temps devant elle. Le magicien eut pitié et sa sagesse s’exprima : ce n’était pas un monstre, juste un pauvre animal qu’on avait rendu monstrueux et abandonné. Le fermier savait discerner le mal et il ne le sentait pas près de ce dragon.
Il avait lu dans des livres, que le peuple des dragons était très intelligent et il confirma cela en voyant l’énorme œil du lézard qui traduisait tant d’émotions et de pensées. Sans plus attendre Neil enleva sa cape et couvrit sa blessure de l’animal soulagé et délivré de la peur.
À sa grande surprise, le jeune magicien entendit une voix profonde et grave.
– Ton geste me va droit au cœur, il est enfin délivré de l’emprise du Sorcier. Je vais pouvoir rejoindre un monde où je pourrai voler derechef de mes propres ailes.
– Ô puissant Dragon, je suis tellement triste de te voir ainsi. Après tout, tu n’es que l’esclave du véritable monstre. L’homme est parfois si cruel que les mots me manquent. C’est un crime contre une créature de Dieu.
– Je ne partirai pas avec la croyance qui m’a hanté toutes ces décennies. Elle m’a fait croire que les hommes n’étaient pas dignes de vivre en harmonie avec les autres créatures. Je reconnais aujourd’hui qu’il existe des hommes bons, mais ils sont si rares et si différents des hommes de pouvoir.
– Tu as dû endurer beaucoup de souffrances pour penser cela. Si un jour je deviens un grand Mage, je jure solennellement de traiter tous les êtres vivants de la même façon. Avec cette seule pensée, je vivrai. Ma confrérie combat l’injustice et mon maître qui m’accompagne est pieux. Nous condamnerons les actes barbares.
– Nous autres dragons avons perdu notre liberté le jour où le Sorcier m’ensorcela pour que je devienne son esclave. Avant cela j’étais un monarque.
Aujourd’hui j’ai peur qu’il ne soit trop tard, nous avons tenté à plusieurs reprises de nous échapper des cachots de la montagne noire, mais en vain. Les dragons voulaient reprendre leur envol après de nombreuses années de captivité, mais ils tombèrent tous, comme moi aujourd’hui. Un mal nous rongeait, un mal que le Sorcier nous a transmit grâce à sa Magie. Lui désobéir était synonyme de mort. Mais un beau jour il fut vaincu, assassiné par l’un des vôtres. Nous crûmes retrouver notre liberté mais nous avons vite déchanté. Les cachots restèrent fermés et les gobelins continuaient leur œuvre maléfique. Nous vîmes ensuite l’impossible, le Roi Noir revint d’entre les morts. À bout et en désespoir de cause, les dragons encore en vie tentèrent une dernière rébellion. Après cette dernière, le sinistre homme sut qu’il n’avait plus de pouvoir sur nous. Dans le pic sombre, il menait des expériences qui donnèrent naissance à des abominations tandis qu’il accroissait le nombre de ses légions gobelines. Puis, on tua mes frères pour voler leurs cœurs qui représentaient une source d’énergie inépuisable pour l’Ingénieur-mage.
Ainsi notre race fut décimée et remplacée pour alimenter d’affreuses armures géantes et répugnantes, mi-mécaniques et mi-biologiques. Nous fûmes réduit à du simple combustible.
Pour ce qui est de l’origine de ses armures, il m’est avis qu’une portée d’insectes géants nouveaux nés vivait dans le Désert Sans fin, au Nord. Il les recueillit. Une fois adultes, il modifia leur anatomie grâce à sa magie et à sa science, leur enlevant toute intelligence et en leur donnant un aspect humanoïde. Il en fit d’étranges montures. Le magicien ténébreux veut créer des armées plus puissantes que les vôtres et il y parvient grâce à ses connaissances. Il ne respecte aucune règle car il ne croit en rien.
Connaissant la circulation du flux spirituel dans le corps des créatures magiques, l’Ingénieur-mage reproduisit ce système à l’identique dans ces géants qui ne sont que coquilles vides de conscience. Les dracœurs ont ainsi servi à alimenter ces affreuses abominations. Quant à moi je suis le dernier de ma lignée et je servais de monture au Roi Sorcier.
Je lis en toi comme tu as pu lire en moi petit homme. Tu as le pouvoir de sonder le cœur et de sentir la douleur d’autrui. Je te lègue mon pouvoir qui te servira à contrecarrer ses plans.
– Mon Roi, j’en serai honoré. Mais comment pourrai-je l’utiliser ? Je ne suis qu’un petit magicien maladroit, mon maître en fera surement meilleur usage.
– Ton maître est déjà puissant, il a réussit à faire fuir le Sorcier. Il n’en a pas besoin. Tu étais destiné à recevoir mon cadeau. Prends-le en gage de remerciement et garde le précieusement, il faudra que tu utilises ton glaive pour l’arracher de ma poitrine. Au moment venu, tu sauras quoi en faire. Je vais maintenant rejoindre mes ancêtres…. Adieu petit homme et souviens toi de mon nom, Thraar le véritable Roi des Dragons.
Le dragon ferma les yeux et Neil sortit sa lame pour l’enfoncer, les yeux pleins de larmes, dans le corps de la bête pour faire une entaille. Puis il plongea son bras et en sortit une énorme pierre rouge recouverte de sang et brillante comme une lumière divine. Neil l’enroula dans sa cape et prit le chemin du retour.

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