L’elfe se réveilla dans les branches d’un chêne et il ne sentait plus ses jambes. Il en descendit avec beaucoup de peine et chuta de branche en branche jusqu’à regagner le sol avec fracas. Sa survie était un miracle. Sa rage et sa colère extrêmes l’avaient maudit et il revint d’entre les morts d’une façon inattendue. Lorsqu’il s’en rendit compte, il ria de bon cœur malgré son état déplorable.
Ibus et les elfes l’ayant laissé pour mort, sa haine et sa peur, à leur paroxysme, lui firent tourner le dos à la lumière et aux siens qui pactisaient avec les hommes. Or les hommes étaient une maladie contagieuse sur la terre selon Nérond. Néanmoins, le compte, ou ce qu’il en restait, vivait avec la constante crainte qu’on le cherchait pour l’achever.
Sa phobie le poussa ainsi à partir de plus en plus loin. Les jours qui suivirent, il resta prostré dans l’obscure forêt qui menait vers le Nord, autant dire que sa fuite le menait dans des lieux inhabituels.
Il avait perdit l’usage de ses jambes car la chute avait brisé tous ses os. Malgré tout, il prit l’habitude de voyager en rampant courageusement jusqu’à trouver une grotte qui devint sa nouvelle demeure.
L’elfe ne se nourrissait plus que de charognes et la plupart du temps de rongeurs. Avec le temps, sa nouvelle vie changea son apparence. Désormais, les billes phosphorescentes qui étaient enfoncés dans son crâne pâle, rappelaient les yeux de ceux de son met préféré : la chauve-souris.
Sa demeure en était infestée et il trouva là son bonheur de se nourrir à sa guise. Il devint ainsi le maître de sa profonde et sombre caverne.
L’elfe devenait peu à peu une créature hideuse et répugnante.
Loin des hommes et des siens qui lui voulaient du mal, la bête se plaisait à vivre ainsi. Elle n’avait jamais pensé que ce mode de vie pouvait avoir ses propre plaisirs, la douce brise nocturne en période de forte chaleurs, le bon goût de la chair fraîche, le calme d’une belle nuit étoilée. Il abandonna donc pour toujours sa vie de compte. Après tout, la malédiction avait ramené autre chose qu’un elfe, la créature avait troqué sa nature en guise d’offrande pour revenir à la vie. Pendant un temps elle oublia ce qui l’avait tué et donc son désir de vengeance.
En outre, même cette vie pouvait réserver des surprises et des aventures. En explorant sa grotte et par chance elle tomba un jour sur une étrange pierre taillée. Les glyphes en langue ancienne étaient gravés soigneusement et le temps ne les avait pas complètement altéré malgré l’époque très lointaine de leur gravure.
En rampant la créature pouvait facilement atteindre des endroits inaccessibles, ce qui lui avait permit de se glisser dans le profond trou où elle avait découvert la tablette. Son instinct lui susurrait à l’oreille qu’elle lui était destinée, elle s’attela alors à la déchiffrer. La créature trouve là son prochain passe-temps favori.
Elle dût faire appel à de vieux souvenirs car l’ancien elfe connaissait bien la langue ancienne. Cette dernière racontait une histoire, celle d’un Magicien Noir. L’avertissement décrivait sa résurrection et il fallait surveiller sa tombe car un puissant Nécromancien, que nul n’avait jamais vu, avait le pouvoir de le ramener d’entre les morts. La créature eût là une révélation qui bouleversa son existence. Cette tablette l’attendait et cette découverte avait donné un sens à sa résurrection. Et alors elle se rappela d’un événement marquant avec lequel elle fit le lien : une chauve-souris dont elle buvait le sang s’était par miracle réveillée de la mort. Il avait d’abord pensé qu’elle s’était fourvoyée mais c’était inhabituel, c’est pourquoi ce souvenir ne l’avait jamais quitté.
Pour reproduire le phénomène, elle se remit aussitôt en chasse à la pipistrelle. Rampant comme un animal sur les parois de la caverne, elle tendit ses longs et puissants bras pour attraper les rongeurs. Beaucoup s’envolèrent sauf un ou deux qui finissaient dans ses mains griffus. Elle leur brisa la nuque avec ses longues canines pour s’assurer qu’elles étaient bien mortes. Enfin l’expérience pouvait commencer, mais les premiers essais de la créature savante n’étaient pas concluants. Agacée, elle fit appel à sa mémoire sensuelle. Bon sang ! pensa-t-elle et c’est le cas de le dire, j’avais mal à la main à ce moment-là et mon sang coulait à flot. A force de ramper, une roche coupante lui avait entaillé la paume et la chasse à la pipistrelle avait été quelque peu perturbé. Dans le noir et dans un grognement de douleur, elle décida de se couper derechef et au même endroit. Elle reproduit minutieusement la scène et empoigna de la même façon la tête du rongeur volant. Elle comprit que la première fois son sang avait pénétré dans le corps de la charogne par voie oral.
Cette-fois, la chauve-souris s’anima et s’agrippa subitement à ses épaules avec ses ailes. Elle était faible mais elle vivait bel et bien. La créature démoniaque ria de plus belle car elle avait acquis le pouvoir de rendre la vie sans utiliser la magie.

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