Neil avait beaucoup progressé. Il était passé du statut de cancre à celui d’élève moyen qui manifestait un potentiel d’enchanteur. À la fin de sa première année, il finit par comprendre que tout était lié et que chaque matière avait son importance. Les énormes efforts qu’il avait fournis pour tenir le rythme avaient payé. S’il n’avait pas le talent inné de Zadion, il compensait cela par un travail acharné, aidé de Midan. Malgré ses difficultés, il ne se décourageait pas. Certes, il descendait d’une famille d’agriculteurs et ne possédait pas de don pour le travail intellectuel, mais il voulait réussir à obtenir le statut d’Enchanteur, car il avait la volonté et la passion de la Magie. Sa jalousie lui faisait aller de l’avant et talonner le prodige qui finit par remarquer la motivation de son camarade malgré son manque de brillance. Zadion avait déjà de bonnes notions en Sorcellerie avant de rejoindre l’école, ce qui l’avait aidé, mais le fermier devait commencer tout en bas de l’échelle. Ses progrès étaient donc méritants.
L’imprévisibilité de Neil était surprenante et sa progression, remarquable.
À la fin de cette première année, les sciences avaient permis de découvrir, entre autres, les mécanismes du corps humain. Les apprenants avaient étudié les points vitaux des hommes. En théorie, il existait des canaux spéciaux à travers lesquels la force mystique nourrissait chaque membre ou organe. Tout comme le système sanguin, il existait un système d’énergie spirituelle. Cette irrigation était spécifique à chaque individu, mais avec le temps de grands Mages prophètes avaient manifestés un lien entre leur foi au Dieu unique et leur force spirituelle. Une grande foi impliquait donc de grands pouvoirs pour ces élus. C’est ce que l’école enseignait.
D’autres savants étaient sceptiques et affirmaient que l’optimisation de la circulation de la force mystique dans le corps humain n’était liée qu’à l’expression des émotions. Cette dernière pouvait, de façon exceptionnelle, catalyser les réactions chimiques liées à la circulation de l’énergie spirituelle. En conséquence, cela pouvait renforcer vivement le pouvoir d’un Mage, capable alors d’accomplir des miracles. La foi ne serait donc qu’un aspect des manifestations de l’émotivité humaine qui serait donc l’origine du pouvoir. L’existence de Dieu n’avait pas de place dans cette seconde théorie païenne. En résumé, le besoin de ressentir de fortes émotions avait créé Dieu qui n’était qu’une créature imaginaire. Croire en Dieu serait donc un moyen de devenir un grand magicien; dans ce cas cette croyance devait un moyen et non plus une fin.
Un débat existait entre ces deux principaux courants : les croyants et les autres.
Ce débat pouvait être violent, Neil l’avait bien compris, car ce dernier avait ravagé le pays natal de Zadion.

Les classes littéraires avaient transmis des notions en langue ancienne dont La Langue secrète que seuls les érudits connaissaient. Quant à l’histoire des civilisations, elle avait répertorié de nombreuses espèces d’êtres-vivants qui peuplaient le monde : les trolls, les dragons, les géants, les elfes, les nains…
Mais les récits de ces créatures connaissaient depuis peu une convergence : l’avènement des sorciers. Le monde avait déjà connus plusieurs guerres depuis que les premiers Mages avaient vu le jour et s’il existait des enchanteurs bons, de plus en plus de sorciers malveillants naissaient. Du point de vue de l’académie, ces magiciens étaient non croyants. Pour rester un bon enchanteur, il fallait donc absolument suivre les préceptes de Dieu.
De grimoire en grimoire, Neil et Midan apprirent que la dernière Guerre des Mages fut déclenchée par le Roi du royaume de Mont-sur-feu. Ce monarque cruel voulait s’approprier tous les royaumes en créant un empire. Le sorcier malin avait gravit les échelons jusqu’à devenir un grand Seigneur possédant de grandes terres. Il fut l’unique Roi-mage de l’histoire et à l’apogée de son pouvoir, les royaumes durent faire une trêve temporaire pour le déchoir de son trône. Mais cette alliance ne se fit qu’au prix d’un sacrifice. En ce temps, un prophète était apparu pour prévenir les hommes dont la foi était faible. Ils ne suivirent donc pas l’oracle appelé Ibus qui prêchait la parole de Dieu et rassemblait les hommes pour anéantir un mal naissant. Dans le désespoir, il dût se résigner à affronter seul Le Prince des Ténèbres et y laissa la vie. Son dernier acte eut une répercussion importante dans le monde religieux. Plusieurs hommes se convertirent après sa mort et le monothéisme s’étendit au-delà des frontières. Castel-en-brume était un bon exemple car nombreux furent les convertis dans ce pays. Mais si le sacrifice du prophète fut positif d’un point de vue géopolitique, car sa mort engendra une alliance des royaumes environnants, la naissance de cette nouvelle religion monothéiste était la cause d’autres conflits à venir. Le royaume de Zadion était encore une fois un bon exemple.
Tout cela dit, l’alliance née pour destituer le Sombre Sorcier était imparfaite car les armées des elfes ne prirent part aux combats, estimant qu’il s’agissait de querelles humaines. Jugeant l’homme inapte pour la force mystique, ils avaient décrété qu’ils ne sacrifieraient plus d’autres soldats.
Midan fut intrigué en lisant l’histoire du Roi noir. Quel était donc son origine ? Quel était son parcours et à travers les mains de Neil il dévora livre après livre jusqu’à découvrir ce qu’il cherchait.
– Midan, as-tu trouvé la clef de cette histoire ? Dois-je te rappeler que tu utilises aussi ma tête qui n’est pas habituée à de telles séances de lecture ?
– Elle était là sous nos yeux depuis le début.
– Quoi donc ?
– Le château où nous sommes Neil, il y a quelques temps, il s’agissait du château d’un Roi puissant dont j’étais le Magicien. Tu t’en souviens ?
– Oui, tu me l’as déjà dit.
– Ne vois-tu donc pas ce que dit ce livre, le Roi noir était à l’origine un voyageur du Nord, probablement un nomade vivant dans Le Désert. Après un long voyage, il se présenta ici-même pour devenir le conseiller du Roi. Ce sorcier qui causa ma mort en sabotant ma représentation n’est autre que cet homme sans nom dont parlent les livres d’histoire.
– Vraiment ? Dans ce cas là tu n’as plus à t’en faire Midan. Il connut un sort bien funeste. L’alliance des royaumes envoya ses meilleurs hommes pour le capturer. Cet homme est mort.
Midan, pensif, n’eut pas l’esprit tranquille pour autant.
– M’aurait-il maudit pour que mon âme reste prisonnière éternellement ?
– Ne t’inquiètes pas, on trouvera la clef de l’énigme, je te le promets, compatit Neil. Nous avons bien avancé malgré tout.
*

Les classes de chevalerie étaient animées par Bralvus Bapus qui pensait qu’il fallait forger l’esprit des futures Mages. Ce maître sorcier aimait dire :
– L’esprit peut-être forgé par le corps et le corps peut-être forgé par l’exercice. En première année vous ne forgerez pas votre esprit par l’exercice mystique mais par l’exercice physique.
C’est ainsi qu’ils apprirent à manier l’épée, le bouclier, l’arc et monter à cheval.
Comme toujours, Zadion excellait. En tant que fils de fermier, Neil avait une bonne endurance, mais une piètre technique le désavantageait. Rivaux mais aussi amis, c’est pourquoi ils étaient souvent confrontés l’un à l’autre durant ces joutes à l’épée. Le garçon blond avait une technique déjà avancée qui révélait un jeune chevalier, tandis que Neil et Bratal finissaient le plus souvent à mordre la poussière.
– Où as-tu appris à manier l’épée jeune coq ? Coupa Neil.
– Dans ma famille, on ne peut être un bon élément si on ne s’entraîne pas chaque jour à l’aube. Depuis mon plus jeune âge, j’ai appris avec de grands épéistes. Tandis que toi tu nourrissais probablement tes porcs.
– Il m’énerve Midan, à croire qu’il est venu ici juste pour se pavaner. Sa présence dans cette école n’a pas de sens. Son habileté semble déjà bien avancée.
L’admiration pour Zadion se lisait dans les yeux du fermier, mais ce dernier n’en laissait rien paraître.
À la fin de la première année, il n’y avait pas de laissés pour compte. Même les élèves les moins doués finissaient par atteindre l’année supérieure. Si Bratal figurait dans le bas du classement, Zadion était le premier de sa promotion. Emyse s’en sortait très bien et montrait déjà des signes d’intérêt pour tout ce qui relevait du domaine de la biologie et des sciences médicales. Autant dire que son avenir était tout tracé selon certains professeurs. Elle rejoindrait probablement l’unité médicale des Mages, destinée à prodiguer des soins : les Chloromanciens. Elle se voyait déjà, en tenue verte du corps médicale, à lancer des sorts de guérison.
Quant à Zadion, difficile de deviner à quoi il se destinait. Son génie lui permettait probablement de faire tout ce qu’il voulait. Pour Bratal et Neil, l’orientation restait un mystère étant donné leur année laborieuse. Mais Neil n’était maintenant plus considéré comme un mauvais élève. Il avait arraché son étiquette de « Neil le fou ».
On disait qu’un métier devait être choisie en deuxième année. C’est celle-ci qui déterminait la possibilité à intégrer un corps particulier dans l’ordre des magiciens.
Le dernier jour de classe de la première année éclairerait tous nos amis sur ce choix à faire.
Droridus Saurtam, le doyen de l’école, fit à cette occasion un discours, comme au jour de la rentrée.
– Mes chers petits apprenants.
– Bonjour maître Saurtaaam !
– Pardonnez-moi d’avoir interrompu vos cours, mes enfants, mais la fin de la première année est arrivée et je dois vous faire une annonce. En deuxième année, vous rencontrerez une difficulté supplémentaire. Vous devrez tous choisir une matière en plus. Maintenant que vous avez appris la théorie, vous pouvez commencer à étudier sérieusement la pratique de la Magie. N’oubliez pas, ce cadeau du Créateur est destiné à rendre notre monde meilleur et à en prendre soin. Voici donc les trois disciplines.
La Chloromancie. Elle vous permettra d’approfondir les notions de sciences, vous étudierez toujours avec Beobras Limeth l’art de la guérison ou encore comment convertir l’énergie brute des plantes en énergie bénéfique voire guérisseuse. Un art altruiste qui me tient à cœur.
Emyse fit aussitôt son choix. Mais étudier les sciences étaient hors de portée pour Neil et Bratal.
– La deuxième option que je vous propose est la Nécromancie. Avec Paam Brorsas, votre professeur de Langues, vous pourrez apprendre les incantations qui vous aideront à communiquer avec les esprits. Bon nombre d’exorcistes de renom sont passés par cette spécialité. Elle plaira certainement aux petits curieux qui veulent découvrir les secrets du passé, de la vie et de la mort. Aussi macabre que ça puisse paraître, discuter avec un esprit peut s’avérer très instructif, voir plus qu’avec un vivant.
Des rires se firent entendre parmi les élèves.
Neil fut touché. Il sut qu’il devait choisir cette spécialité pour en apprendre plus sur Midan. Pour l’instant, la Nécromancie devenait son premier choix.
– Enfin, en dernier vient L’Élémentalisme. Becelline Belis, votre professeur d’art, vous aidera dans un premier temps à découvrir votre élément ascendant, puis elle vous enseignera la maîtrise des forces élémentaires. Il s’agit d’une matière compliquée, seuls les élus de Dieu pourront la suivre, puisque ce pouvoir est héréditaire.
Vous serez capable de révéler cet élément prédominant en lui donnant une forme vivante. Cet être sera bien entendu destiné à protéger vos proches : nous les appelons Avatars. Une petite surprise en fin d’année attend ceux qui réussiront à en créer un.
Zadion choisit aussitôt cette spécialité.
– En vérité, il existe bien des types de Mages. Nous avons choisi ces disciplines en fonction du besoin de notre époque. J’espère que cet enseignement vous emmènera sur le chemin du bien, de la vérité et du courage.
Les nains applaudirent, ainsi que les jeunes apprenants.
– Avant de terminer, autant tout vous dire maintenant. Il est évident que plusieurs d’entre vous n’auront pas la chance de faire ce qu’ils auront choisi. Mais il n’y a pas d’échec véritable dans notre école. Les recalés seront rattrapés par la main de Dieu. Si vous échouez pendant la formation, vous serez pris en charge par nos prêtres. Et si vous l’acceptez, votre mission sera alors de répandre la parole de Dieu en entamant un voyage spirituel. Chaque année notre école envoie des centaines de missionnaires ayant échoué à l’académie. Certains sont revenus avec de nouveaux dons, bénis d’avoir répandu la parole du Créateur, d’autres ont rejoint notre corps de prêtres. Je tiens à ajouter que cette exploration de terra incognita se trouve aussi à l’intérieur de chacun de nous.
Je vous revois donc à la rentrée prochaine. Profitez de vos vacances et reposez-vous bien.

*

L’heure de rentrer dans son foyer arriva assez vite. Emyse, Bratal, Neil et Zadion passaient leur dernière soirée ensemble, dans le jardin de l’académie.
– Zadion, à quelle discipline te destines-tu ? demanda Bratal.
– Les invocations d’élémentalistes. C’est ce que je veux apprendre depuis le début. Le reste de l’enseignement est d’un ennui… Qu’il soit théorique ou pratique, comme ces cours d’escrime pour mauviettes. Tu as pu le constater Neil, n’est-ce pas ?
– Très drôle ! Ironisa Neil.
– Mais ta prouesse n’égale pas celle de ta monture en cours d’équitation, reprit- t-il.
– Pourquoi donc ?
– Arriver à porter de telles chevilles relève du miracle.
Les amis éclatèrent de rire.
– Et toi fou ? demanda Zadion. Qu’as-tu donc choisi, est-ce qu’il y a quelque chose que tu sais ou veux faire ? Prêtre te sied à merveille.
– La Nécromancie Môssieur le major de promo.
– Tiens donc ?! Fut étonné le surdoué.
– Je suppose que tu as fait ton choix toi aussi ? ajouta Bratal, curieux du sort d’Emyse.
– Évidemment ! Je veux apprendre les sorts de guérison.
– Comment fais-tu avec toutes ces dissections de grenouilles et autres créatures étranges ? Se moqua Bratal. Bref, en tout cas je suis le seul à ne pas avoir d’idée. Mais je vais suivre Neil cette fois-ci. Il me ressemble plus que vous.
Bratal se doutait bien que son ami Neil lui cachait quelque chose. Son intuition lui disait qu’il en apprendrait plus en classe de Nécromancie.

*

La soirée arriva et les nains raccompagnèrent les petits apprenants chez eux, du moins ceux qui avaient des parents et une terre natale. La diligence repartit une fois de plus belle et Neil, impatient de revoir sa famille, rentra enfin chez lui. Il avait sacrifié la kermesse de fin d’année pour pouvoir la revoir plus tôt. Il embrassa donc son ami nain Dwili qui le quitta à l’entrée du village. Quelle ne fut pas la réaction de l’apprenti quand il revit ses parents. Ils étaient tellement fiers de lui. Une année passée à apprendre pour un enfant de leur village, c’était remarquable. Le jeune magicien passa la soirée à leur raconter toutes sortes d’histoires. Ils l’écoutèrent avec attention. Même Midan ne dérangea point Neil ce soir-là.
Quant à Zadion, il fut raccompagné par son petit tuteur jusqu’à la grande muraille qui entourait un gigantesque domaine dans le royaume de Castel-en-brume. Personne d’autre que sa famille n’était autorisée à y pénétrer. C’est là que s’arrêta le voyage du nain qui rebroussa chemin, surpris par le sinistre domaine de la famille Tugorard et par le fait qu’on ne l’ait jamais invité à y entrer.
Zadion y pénétra par la grande porte et disparut tel un fantôme.

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