Neil était devenu un jeune homme. S’il gardait sa même allure mince, sa mâchoire carrée et des épaules larges lui donnait donnait une allure virile. Sa chevelure mi longue et brune lui donnait l’aspect d’un prince. Seul le sceptre révélait l’être mystique qu’il était. Sous sa robe, il était vêtu d’une tenue traditionnelle et protectrice brodée. Ses avant bras étaient incrustées de pierres précieuses, cadeaux de tous les villages qu’il avait sauvé.
Emyse, gracieuse et raffinée, était devenue une belle jeune femme. Quant à Thesion, il avait gagné plus d’assurance. Le voyage était devenu leur pain quotidien.
La prochaine exigeait la présence d‘un Nécromancien. L’équipe de Neil fut positionnée en tête de liste. Il s’agissait de capturer un fantôme hantant des mines des nains en chantier. Neil avait oublié le repêchage des Mages exilés depuis longtemps. Il se concentrait davantage sur ces missions. Toutefois, Emyse et Neil espéraient toujours revoir un jour leur ancien ami.

Neil avait été dépêché seule sur cette dernière mission. Il avait préparé un sortilège pour la capture du spectre. Une mission en vérité d’une faible difficulté pour Neil qui avait affronté des créatures plus dangereuses.
– Tu es sûr de vouloir le capturer ? Et s’il était juste prisonnier comme moi, le pauvre ? questionna Midan.
– Tout dépendra de lui, s’il se montre hostile, alors mon bâton le fera prisonnier. Sinon on trouvera un compromis.
Lorsque Neil arriva aux mines, les nains faisaient la tête. A l’extérieur des mines, ils attendaient le magicien. L’un d’eux s’avança vers Neil qui le reconnut aussitôt.
– Dwili ?
– Bonjour mon vieil ami.
– Quel joie de te revoir, tu n’as pas changé vieille branche !
– C’est normal je suis nain, les nains ne changent pas, toi par contre tu es plus haut qu’avant.
– Ainsi c’est toi qui fait appel à mes services.
– Oui, il nous fallait un Nécromancien pour exorciser cet endroit, j’ai pensé à toi.
– Raconte-moi tout.
– C’est quand on a creusé cette maudite excavation. On y trouva un temple habité certainement par d’anciens hommes. Enfin, suis-moi, le voir sera plus simple que de te raconter.
Dwili devança Neil jusqu’à descendre dans des tunnels sombres à l’aide d’une lampe à l’huile. Même si Neil connaissait le talent des nains pour creuses des mines, il n’en revenait toujours pas de voir un travail monumental accompli par des êtres aussi petits. Il se passait parfois plusieurs décennies avant qu’ils ne finissent leur œuvre. L’intérieure ressemblait à un véritable palais d’une hauteur extraordinaire. Le plafond était à peine visible.
Plus Neil descendait, plus la mine donnait l’aspect d’un simple tunnel. Il semblait qu’on avait creusé à cet endroit pour une seule raison : les peintures découvertes dans cette grotte qui continuaient jusqu’au fond d’un embranchement non terminé et toujours en chantier. On y discernait des dessins de chevaux, un dragon sans ailes et des hommes. Puis de plus petits hommes, probablement des nains, des hommes mais aussi des géants. Neil se rappela alors ses cours d’histoire des civilisations. Il trouva cela passionnant.
– On dirait que ça raconte une histoire, dit le nain.
– Ça m’en a tout l’air répondit Neil. J’en parlerai à l’Académie qui enverra un spécialiste pour décrypter et restaurer tout ça. Encore mieux, je t’enverrai mon vieil ami Bratal passé maître dans l’art de l’archéologie.
Il se peut qu’on y trouve des éléments intéressants pour compléter l’histoire des hommes.
Neil continua à descendre et remarqua que les mêmes motifs se répétaient. À force de les revoir maintes fois, il commença à voir le message. Un message caché se trouvait dans ce long tunnel. Neil s’arrêta alors au motif qui revenait sans cesse : un groupe d’hommes morts. Puis un autre groupe d’hommes debout. Il fut frappé de stupeur quand il saisit que ces hommes debout tenaient tous un bâton. Au centre des magiciens, une silhouette filiforme tenait un bâton encore plus grand, sûrement leur chef.
– Tu l’as compris toi aussi Neil ? demanda Midan.
– Oui.
– La peinture raconte la légende du premier Mage et de ses apôtres. Le premier groupe de magiciens de notre monde. J’ai l’impression que ça raconte comment ils survécurent à travers les âges.
Dwili stoppa sa marche lorsqu’il entendit Neil discuter tout seul. Il n’avait jamais pu s’habituer à ses monologues et ne savait jamais à qui il s’adressait.
Puis une voix grave et étrangère vint des profondeurs de la caverne.
– Qui va là ? lança Neil.
Un fantôme luisant d‘une lumière bleuâtre arriva tout droit du fond du tunnel. Il avait l’allure d’un cadavre décomposé.
Dwili tomba dans les pommes et Neil, pris de panique, tenta une approche. Mais la peur se lisait toujours sur son visage.
– Je suis Neil Riscod, ô spectre de la mine, je suis venu te demander d’arrêter de déranger mes amis nains.
– Qui dérange qui ? Je suis ici depuis bien longtemps !
– Très bien, alors pourquoi n’irais-tu pas t’installer ailleurs. Tu n’es plus vivant et tu n’appartiens plus à ce monde. Tu dois t’en aller d’ici et cesser d’importuner les vivants.
– Je ne connais ni la paix, ni la vie alors pourquoi devrais-je me soucier de celle des autres.
– Parce que tu es bon et que tu sais au combien il est difficile d’être maudit.
– Maudit ? Oui, ça je le suis.
– Je suis un magicien et probablement que celui qui t’as maudis est un de mes lointains confrères. Je peux te délivrer de ta malédiction mais tu devras t’en aller.
– Tout ce que tu veux, rends-moi ma liberté !
– Moi Neil, Mage parmi les vivants et sage parmi les morts, je te délivre de ta malédiction. Ta dette est acquitté.
Dwili avait reprit ses esprits, il émit ensuite de petits sons apeurés pour prendre la poudre d’escampette. en voyant le fantôme disparaître, il interrompit sa fuite.
– C’est fini ?
– C’est terminé cher ami, il est bel et bien parti. Il n’était pas méchant.
– Bien sûr qu’il ne l’était pas, les fantômes sont juste de pauvres âmes perdues, ajouta Midan.
– Si seulement tu pouvais faire pareil pour moi.
– Le sort qui te retiens prisonnier est plus puissant, je ne peux rien pour toi.
Les nains reprirent leur travail dans la mine et remercièrent chaleureusement le magicien qui avait terminé son travail.
– Mon ami, je te dois une fière chandelle. Et au fait, comment vont tes parents ?
– Cela fait maintenant un bout de temps que je ne les ai vus.
– Tu devrais aller les voir alors.
– Merci du conseil Dwili. Je crois que j’ai besoin de vacances. Maintenant je vais rentrer à l’Académie et je rentrerai avec des sous pour mes chers parents.
– Au revoir Neil.
Le magicien embrassa son vieil ami chaleureusement.
– Au revoir mon ami. Avant de partir, puis-je jeter un dernier coup d’œil à ces peintures.
– Fais comme chez toi !
Neil termina alors l’examen de la découverte. Les symboles semblaient désigner les éléments naturels. L’un d’entre eux retint son attention : une spirale. Il n’en connaissait pas la signification. Il reconnaissait l’eau, le feu, l’air, la foudre et la terre mais ce tourbillon était inconnu du tableau périodique de Magie. La spirale figurait au dessus du grand magicien filiforme. Avait-il un rapport avec ce symbole ?
Il décida de rentrer avec cette interrogation. Sur le chemin, il avait sorti sa plume dans une auberge. Il écrivit ainsi les premières lignes de son rapport : « J’ai le sentiment que nous allons à l’avant d’une grande découverte… ».

*

Neil ne se doutait pas que ses congés attendraient. Il était sur le point d’annoncer sa demande de repos quand il fut convoqué par le directeur Saurtam.
– Maître Neil, merci d’avoir répondu aussi vite. Il y a quelques années nous avons eu une discussion sur les Mages exilés.
– Je ne l’ai pas oublié.
– Le moment que tu attendais est enfin arrivé. Maître Ataen est réapparu.
– Le Maître Ataen ? membre des Légendaires ?
– Il n’y en a pas deux. Si tu es d’accord, je vais te dépêcher pour aller à sa rencontre. Mais en vérité, il s’agit de lui envoyer de l’aide.
– De l’aide ?
– Il semblerait que comme à son accoutumé, Ataen se soit mit dans le pétrin. Au royaume de Mont-sur-feu il s’est rendu, il y a plusieurs lunes de cela, pour mener une enquête à son propre compte.
Il y fut capturé par une horde d’affreux gobelins, c’est ce qu’on avait conclu. On le pensait captif de ces affreux lézards, dans l’ancienne forteresse du Sorcier et je doutais de pouvoir le revoir un jour.
Il semblerait donc l’ouvrage posthume du Mage Noir soit une réalité.
J’ai reçu un message d’un fidèle ami ailé de la forêt : Maître Ataen a pu s’échapper de la horde et il attend, caché dans la forêt maudite. Dieu lui vienne en aide !

Il s’agissait d’une mission de haut rang et son urgence précipita les événements. Saurtam donna à Neil les instructions pour se rendre au lieu-dit où le captif avait été vu pour la dernière fois. Affecté à une autre tâche importante, Adus Lumas ne put la superviser. Neil était donc le seul à diriger.
– Si tu ne trouves rien, rentre sur le champ. L’endroit où tu te rends est maudit. Tu seras assez proches de la forteresse noire où les hordes de gobelins rôdent. Ces derniers vivent cachés dans la montagne près des collines de Mortebutte. Tu seras aussi sur une terre sacrée puisque l’oracle Ibus s’y est sacrifié.
Neil, prend bien soin de tes confrères que je te charge de choisir pertinemment.
Neil, Emyse et Thesion commencèrent ainsi le premier voyage sans un professeur de l’Académie. Mais pas tout à fait, car ils eurent un compagnon bien inattendu : Dwili apprenant la nouvelle s’était empressé de prêter main forte à son filleul.
– Dwili, je ne sais comment te remercier d’être là.
– Je n’allais pas te laisser partir seul avec tes camarades dans cet endroit maudit. Et puis je vous guiderai, je connais les raccourcis.
Ils n’eurent donc pas à se soucier de trouver leur chemin quand ils commencèrent leur longue route. Comme toujours, Dwili passait par de petits sentiers battus, pour la plupart, par lui-même.
Le voyage fut malgré tout long et éprouvant, mais au bout de plusieurs jours de marche, Dwili eût l’idée d’acheter une carriole à un fermier, passant près d’un petit village. Ils continuèrent ainsi leur chemin sur la route. A bride abattue Dwili avait accéléré leur marche. Les jeunes magiciens avaient pris place à l’arrière, sur des bottes de pailles.
– C’est mieux ainsi n’est-ce pas ? demanda Dwili qui tenait la bride.
Emyse faisait l’effort de ne pas apparaître désagréable dans l’inconfort de tous ces voyages. Elle pensait davantage à son avenir et avait suffisamment rendu service à l’académie. Il était temps de s’installer quelque part, mais quelque chose l’en empêchait : son éternel espoir de croiser un jour Zadion.
Quand ils ne purent continuer sur la route sous peine d’être découvert, ils durent abandonner leur carriole. Ils prirent alors pour cible les hautes collines de Mortebutte. La pénible marche reprit alors son cours.
Le temps devenu pluvieux, comme si l’endroit se cachait du soleil, le pays avait une allure maussade. Pendant longtemps on avait pensé que c’était l’œuvre du Roi Sorcier, mais le climat ne changea pas même après sa mort. Alors on préféra raconter que le pays pleurait ses nombreux morts et batailles. Au nord, derrière les majestueuses collines, se dressait le colossal pic noir, un ancien volcan éteint et ancien territoire du Sorcier. Considéré comme un dieu cruel, il était craint de tous dans ce pays. Des statues à son effigie se dressaient dans tout le royaume de Mont-sur-feu, dans lequel l’équipe de Neil avait réussit à pénétrer. Beaucoup d’hommes avaient quitté cette région mais d’autres corrompus, qui avaient rejoints Le Sorcier, y vivaient encore. Mais les plus nombreux à peupler cette terre noire étaient les gobelins. Ils avaient élus domicile à l’intérieure de la montagne depuis fort longtemps.
La pluie battait son plein et les jeunes Mages portaient leur capuche. Ils marchaient de plus en plus vite. Trempés et boueux, ils cherchaient un abri.
Au milieu du bruit de la pluie, Dwili eut un sursaut avant de se cacher au bord de la route, derrière des buissons. Il fit signe à ses compagnons qui le suivirent. Ils entendirent au loin des bruits métalliques et des cris inhumains qui s’approchaient avant de passer derrière eux. Des gobelins, chargés de surveiller le royaume, faisaient des rondes. La horde semblait être passée mais elle n’était pas assez loin quand la maladresse de Neil l’écarta du groupe. Attiré par une silhouette immobile dans les feuillages, il sauta par-dessus un tronc d’arbre et arriva devant un buisson de ronces bien étrange. Il avança et vit en son centre un homme étendu sur le sol qui en semblait prisonnier. Des racines entouraient l’homme. Était-il encore vivant ? cela il ne pouvait le dire.
Neil fit là une erreur qui mit en péril tout son groupe car il avait manqué de prudence. Un des gobelins avait senti sa présence. Le traqueur, en flairant Neil, avait quitté la horde pour se diriger dans sa direction. La créature reniflait de plus en plus. L’homme lézard hideux ouvrait une gueule qui ne possédait que des crocs acérés. Un tissu bandait ses yeux, comme si on l’avait privé de ses autres sens pour aiguiser son odorat, c’était un pisteur redoutable. Un gobelin siffla dans un objet qui émit un son strident alertant la horde qui fit aussitôt volte-face à grandes foulées.
Neil comprit là son erreur et reprit ses esprits en entendant la horde revenir. Il décida alors de rejoindre son groupe dissimulé au bord de la route. Entendant l’alerte, les compagnons s’enfuirent dans les bois. Mais en vain car les gobelins étaient beaucoup trop rapides et connaissaient bien mieux ces terres. Les humanoïdes encerclèrent aussitôt de tous les côtés Dwili et ses magiciens. Le nain, jurant, sortit un énorme marteau qu’il avait préparé pour l’occasion. Quant à Emyse et Thesion, ils n’avaient jamais été confrontés à ce genre de situation. Il était bien dangereux d’affronter une horde de gobelins. Les lézards aux yeux globuleux grognaient, crachaient et ils ne leur donneraient pas le temps de réciter des incantations. Les magiciens étaient paralysés de peur.
– Tiens donc, des Mages aux rabais ! dit la voix animale de celui qui semblait diriger la meute. Ce dernier était plus grand et plus gros.
– Justement nous sommes à cours de viande ! dit un autre.
– Oh oui ! Faisons un bon ragoût avec de la bonne chair fraîche.
– C’est ça ! répondit Dwili, venez d’abord tâter de mon marteau, je me demande bien qui d’entre vous gagnerait à un concours de mocheté ?
Les gobelins répondirent en rigolant vivement.
– Toi le nain, crois-tu nous effrayer ? Tu n’as pas assez poussé pour cela. Nous allons te renfoncer dans la terre et avec ta propre hache. Et nous verrons bien qui rira le dernier !
Un homme que personne n’avait remarqué jusque là, avançait dans la lumière. Un vieux Mage s’était réveillé et Neil reconnut l’homme du buisson de ronces. Tenant difficilement debout, il avait l’allure d’un vieillard. Les gobelins, surpris, le reconnurent aussitôt.
– Toi ? Tu ne nous échapperas pas cette fois, dit le capitaine de la horde gobeline.
– Trois jours à te cacher comme un rat pour retomber dans nos filets.
Le ressuscité se tenait, les yeux fermés. Il méditait avec les deux paumes de sa main sur sa modeste canne en bois.
Lorsque les gobelins chargèrent, tout se passa très vite. Un changement s’opéra et une aura de lumineuse entoura subitement le mystérieux magicien. Le vieillard avait laissé place à un baroudeur avide de combats. Pris dans une tempête dégagée par sa propre personne, sa chevelure brune dégageait une lumière aveuglante. Elle brûlait ardemment d’une couleur dorée, lui donnant l’allure d’un magicien elfe.
Son bâton de mage s’allongea ensuite pour former un long fouet couvert d’épines. Le tournoyant dans les airs à une vitesse vertigineuse, sa dextérité eut raison de la première rangée de gobelins. Au grand étonnement de la compagnie de Neil, il se déplaçait si vite qu’on le perdait de vue. Quand il réapparaissait furtivement, les gobelins tombaient. Neil et ses amis écarquillaient les yeux en voyant ce Mage hors du commun. Neil comprit qu’ils étaient en présence du Légendaire qu’ils étaient venu chercher : Ataen, qu’on appelait également Loxëurwa en langue elfique.
La fougue gagna le cœur des sauveteurs qui entrèrent dans la bataille. Dwili frappait du marteau sur les membres inférieurs des lézards. En roulant sur le sol tel un boulet de canon, le petit bûcheron attaquait les horribles troncs des hommes lézards à la racine. Ces derniers se tordaient, se pliaient et tombaient avec un hideuse grimace. Derrière lui, Emyse, Neil et Thesion portaient le coup d’épée final.
Ainsi ils purent occire bon nombre de gobelins tandis que le rôdeur avait entassé nombreux cadavres autour de lui. Seul un petit nombre de gobelins put s’en échapper ce jour-là.
*

Ataen tomba à bout de forces et sa chevelure ardente s’était éteinte. Neil comprit qu’elle révélait son niveau de Magie.
Le légendaire se trouvait dans un état critique et Emyse lui transmit la force nécessaire pour reprendre le chemin de la vie grâce un sortilège de guérison. Elle appliqua la paume de ses mains sur sa poitrine et les plus grosses plaies de torture disparurent. Ataen échappa ainsi à une mort certaine.
Les jeunes sauveteurs durent ensuite trouver un moyen de locomotion. Thesion au sang-froid eut l’idée d’invoquer une licorne avec son pinceau magique.
Neil ancien fermier savait y faire avec les animaux et il calma la créature magique agitée d’un seul geste. Dwili, dans les bois, cherchait du bois et des branchages pour la confection d’un petit radeau. Neil et Emyse s’attelèrent à l’attacher au familier de Thesion. Pour cela, ils se servirent de pans de tissus arrachés de leurs habits. Ils installèrent Ataen avant de prendre le chemin du retour. Lorsque l’enchantement de Thésion expira, ils durent trouver une alternative. Par chance, la carriole abandonnée était toujours là où ils l’avaient laissée.
Lorsqu’ils quittèrent le royaume de Mont-sur-feu, Ataen était toujours inconscient. Pendant sa convalescence, il ouvrit les yeux plusieurs fois pour apercevoir un ou deux visages, mais ses moments de lucidité étaient éphémères.
Son sommeil dura tout le trajet et lorsque nos amis regagnèrent le château de l’Académie, Ataen était sous-alimenté et épuisé. Il ne donnait aucun signe de vie. Dès leur arrivée, l’unité médicale de l’école le prit en charge.
*

La convalescence dura plusieurs jours. Le magicien cauchemardait, c’est pourquoi son sommeil était agité.
Ataen était retourné dans son enfance avec le même rêve qui le hantait sans cesse. Il revit le visage de son père. S’il avait l’allure d’un vagabond, beaucoup de mysticisme émanait de lui. Dieu lui parlait souvent d’après ses dires.
– Le mal gangrène ton monde, en es-tu conscient ? Accepteras-tu de m’écouter quel qu’en soit l’ordre donné ? ainsi parlait Dieu à son père.
– Ordonne et j’obéirai mon Seigneur.
Beaucoup l’avaient traité de fou, mais ce dernier était convaincu par sa foi. Le tout-puissant existait et il lui parlait.
– Prends ton fils unique, celui que tu aimes tellement, offre le en holocauste sur la montagne que je te montrerai.
Son père l’emmena de bon matin sur son cheval, prétextant une partie de chasse à sa mère. Arrivé en bas de la montagne choisie par son Dieu, il attacha son cheval, puis grimpa avec Ataen pendant plusieurs heures. Jamais son fils n’avait autant marché.
Arrivé au sommet, son père découvrit l’autel sur lequel du bois devait servir à l’holocauste. Il le fit asseoir en lui bandant les yeux. Ataen croyait à un jeu. Non loin de l’autel, une torche enflammée était posée sur une pierre sculptée qui était entourée d’une gravure en langue ancienne. Son père eût un doute. Et s’il était vraiment devenu fou ? Était-il sur le point de brûler vivant son fils unique ?
– Mon Dieu, quel sort réserves-tu à mon fils ?
– Pourquoi doutes-tu ? Regarde au fond de toi, la vraie question est quel avenir tu lui réserves.
Son père saisit la nuance. La véritable interrogation était : qu’est-ce qu’il voulait pour son fils en tant que père ? Voulait-il lui offrir une vie comme la sienne, jalonnée de sacrifices, ou alors lui épargner cela pour une vie normale ? Dieu testait sa foi à travers ce choix symbolique, mais la réponse, son père la détenait depuis longtemps. Il avait choisi de faire le bien en apportant la parole de Dieu car c’est sa foi qui le guidait. Sa récompense était que le tout-puissant s’adressait directement à lui. Il voulait donc la même chose pour son héritier et il choisit de le sacrifier au nom de Dieu. Ainsi il choisit le baptême du feu pour Ataen.
Son père mit le feu à l’autel et s’enfuit en pleurant. Dans sa course, il s’effondra. Prit de peur de perdre la chair de sa chair, il fit demi-tour pour sauver son enfant des flammes, mais il arriva trop tard. Le bûcher brûlait déjà d’un feu vif; puis le ciel s’assombrit et un feu divin tomba tout droit sur l’autel en déchirant le ciel. La ligne enflammée était visible de plusieurs lieux. Une voix dans cette lumière résonna.
– Ainsi donc tu as choisis la même voie pour ton fils, après toi il connaîtra une vie difficile et parsemée d’épreuves. Comme tu le souhaites, il portera un lourd fardeau. S’il le veut, il pourra sauver la terre du mal car je lui donnerai un grand pouvoir, en contrepartie il devra me servir.
Son père vit la silhouette déformée de son enfant à travers le feu du bûcher, la flamme divine trouvait racine dans sa chevelure.
Terrifié et fiévreux, Ataen se réveilla en criant.

*

Neil et ses amis eurent le privilège de suivre l’amélioration de l’état de santé du mage rôdeur. Quelques jours plus tard, durant un conseil d’urgence, les jeunes sauveteurs se retrouvèrent en compagnie de tous les autres professeurs. A la grande surprise de tout le monde, Ataen fit son entrée. Rasé, lavé et habillé avec un habit de magicien propre. Il avait fière allure.
– Maître Saurtam…, Ataen salua l’assemblée.
– Mon vieil ami quel joie de vous revoir sain et sauf !
– Je vous suis gré de m’avoir envoyé vos magiciens.
La compagnie de Neil répondit à son tour avec un signe de respect.

– Entendez ma mésaventure. J’errais dans le royaume de Mont-sur-feu. De plus en plus de créatures nous envahissent par cette région, alors je me suis approché de la tanière du Sorcier pour mener une enquête.
Les gobelins continuent de se déplacer, comme si le Mage Noir les commandait d’outre-tombe. Ces créatures démoniaques se sont multipliées autour de Noirpic et les hordes sont plus nombreuses que jamais.
Pour ce qui est du pays, tout n’est que mort et désolation. L’air qu’on y respire est nauséabonde, cette terre est maudite. La gangrène qui se propage à nos portes trouve sa source à cet endroit, je l’ai senti.
Si le Roi Noir n’est plus, son maléfice perdure par je ne sais quel enchantement. Ma raison me demande si quelqu’un d’autre a pu continuer ses sombres desseins.
C’est ce que j’essayais de découvrir. Je tombai ainsi sur une des légions gobelines. Je me souviens d’avoir regretté agir de la sorte, car ces gobelins ne me laissèrent aucun répit. Ils avaient l’air de très bien savoir comment inhiber la Magie. Le Roi-Mage les a bien formés. Après ma capture, ils me forcèrent à boire des breuvages infects qui me paralysaient. Ils me bâillonnèrent et m’infligeaient les pires souffrances pendant ma captivité. Je ne les ressentais que lorsque l’effet du breuvage s’estompait. Ces tortures étaient menées des mains d’un chirurgien gobelin impitoyablement efficace. Je me souviens vouloir mourir.
Puis la horde se remit en marche car sa mission était la surveillance du royaume. Je fus attaché et traîné sur plusieurs lieux. Lors d’une halte, je repris mes esprits et put parler à un oiseau qui parlait la langue de la Magie. Cet ami originaire de la forêt du royaume de Terrelongue, était aussi le votre maître Saurtam. Il comprit ma souffrance et s’en alla quérir de l’aide. Vous connaissez la suite.
– Quel rapport entre les attaques démoniaques du Nord et ces ballades gobelines ? ironisa Saurtam qui doutait encore de la lucidité d’Ataen.
– Ma théorie est qu’ils sont l’œuvre d’une seule et même personne. Dans les écrits anciens, ces signes de la fin du monde sont liés et arrivent en même temps.
A cette annonce, le bureau de Saurtam fut emplit d’un brouhaha confus. Les théories sur les prophéties étaient toujours très discutées à cause de leur ésotérisme. Neil prit alors l’initiative d’intervenir sous l’étonnement de ses amis qui voulurent s’effacer de honte devant tant de maladresse.
– Il faut rétablir la guilde du futur ! objecta-t-il.
Même le spectre de Midan disparut de peur aux yeux de Neil qui déglutit après un regard foudroyant de l’assemblée.
– Sais-tu seulement la signification de ta palabre ? dit le professeur Brorsas. De nombreux Enchanteurs sont restés en tentant la traversée de ce maudit désert.

Et pour cause, personne n’était pour la restauration de cette guilde.

– Je sais, mais notre pèlerinage a perdu de sa valeur. Autrefois il désignait un voyage vers une réalité différente, non profane. La guilde du future avait clairement pour but de se sacrifier au Désert. Et Dieu nous répondait en nous accordant du temps et sa protection. Notre monde arrivait ainsi a prolonger sa vie.
Par peur de l’inconnu, le Désert Sacré a été renommé en Désert Sans Fin et interdit, enfin le lieu du pèlerinage délocalisé.
Or il nous fallait garder notre lien avec le sacré, ce qui donnait un sens aux pèlerinages. Rétablissons la guilde du future et le vieux pèlerinage.
Et nous trouverons les réponses à nos questions, grâce à notre foi. Nous devons chercher Dieu là où il se trouve.
Pendant longtemps nous avons fait abstraction de ce qui se trouve de l’autre côté. Je vous le demande, par oisiveté ou par peur ?
Aujourd’hui nous devons découvrir ce qui menace notre monde. Sans quoi nous ne saurons jamais comment agir. Maître Ataen a été clair.
Finalement, on constata que la maladresse de Neil contenait beaucoup de sagesse.
– La bravoure est avec toi jeune homme, répondit Ataen. Je pense aussi que notre salut réside dans un long voyage d’exploration vers le Nord. Pendant ce voyage il sera question de retrouver notre rapport au divin. Il a été perdu à cause de la peur. La peur de l’inconnu, peur du Sorcier, peur de perdre son chemin. Mais si notre foi était sans faille, toutes ses peurs n’existeraient pas. Seul Dieu serait dans notre cœur.
C’est pourquoi nous connaissons ce temps maussade aujourd’hui. Si nous voulons voir le ciel s’éclaircir, nous avons le devoir de faire un pèlerinage comme dans les temps anciens car c’est grâce au sacrifice de nos pèlerins que notre monde a perduré.
– Puisqu’il en est ainsi, je dis qu’au plus deux magiciens volontaires pourront s’y aventurer. Je ne forcerai personne, je suppose que vous êtes volontaire maître Ataen ?
– Je le suis aussi ajouta Neil.
– Quand je te disais que tu pourrais devenir l’apprenti d’un Légendaire, je n’y croyais pas vraiment. En tout cas tu as impressionné, ajouta Midan.
– Nous sommes deux, la guilde est donc restauré Maître Saurtam, conclut Ataen.
– Et ce n’est pas pour me plaire malgré la sagesse dans vos paroles ! Vous répondrez au titre d’émissaire académique. Faites votre pèlerinage et enquêtez en explorant les confins du monde. Et si possible, revenez-nous vivants.
Saurtam frappa son bâton par terre pour officialiser la proclamation.
Ainsi ce termina ce conseil inattendu.
Dans les heures qui suivirent, le chagrin avait gagné Emyse. Seul Bratal, toujours en déplacement à travers le monde, ignorait la nouvelle.

*

Neil était dans sa chambre quand on vint frapper à sa porte. Il alla ouvrir et découvrit Emyse qui entra spontanément.
– Tu n’étais pas obligé de faire ça !
– Il le faut Emyse, il n’y a personne d’autre pour le faire.
– Dans ce cas, je demanderai à maître Saurtam de vous accompagner.
– Tu l’as entendu tout comme moi, il ne sert à rien de risquer la vie de plus de deux Mages. Je suis désolé Emyse, je devine ton inquiétude mais je devais le faire. Et puis si ça peut te rassurer, je ne pars pas seul.
– On parle de lui comme s’il était un grand sage… mais il semble attirer le malheur sur lui et ses compagnons. Il ne m’inspire pas confiance.
– Ne dis pas ça. Maître Ataen fait passer la vie des autres avant la sienne. Qui d’autre aurait le courage de faire ce voyage ? Aucun professeur…
– Parce que c’est un suicide ! D’abord Zadion, ensuite toi. La vie de magicien me paraît bien courte.
Neil posa sa main sur l’épaule d’Emyse.
– Je n’ai pas oublié ma promesse amie. Dés que frère Zadion réapparaîtra, j’irai à sa rencontre et je te le ramènerai. Quant à Bratal, et bien je suis sûr qu’il pense à nous. Il n’est pas si loin. Je te promets de revenir sain et sauf. J’espère que Zadion aura refait surface d’ici là. Ait foi en moi.
– Si le prix pour retrouver Zadion est te perdre, je préfère rompre ta promesse.
Cela raviva les sentiments refoulés de Neil pour son amie. Il s’en voulait de l’abandonner, mais il pensait que s’il tombait un jour sur Zadion, il devrait être prêt. Ce long voyage pouvait lui apporter cette maturité.
Pour prêcher la bonne parole, Neil avait du talent. Mais il sentait au fond de lui que Zadion ne pouvait être ramené avec de simples mots. Pour la suite de son apprentissage, il choisit donc la voie de l’Éloquence : une forme de Magie qui mettait l’accent sur les incantations. Avec Ataen, il avait la chance de pouvoir l’apprendre. Ainsi Neil prouverait qu’on est pas obligé de partir pour devenir meilleur.

Le jour du départ, tous firent leurs adieux aux deux explorateurs. Tous les professeurs dont Saurtam, les nains dont Dwili et quelques lutins s’étaient réunis pour leur souhaiter bon voyage.
– Surtout revenez-nous comme vous partez, je vous en supplie. Ne cherchez point la mort mais la vie.
C’étaient les dernières paroles de Saurtam. Quant à Emyse, elle n’eût la force d’assister aux adieux. Mais lorsque Neil et son nouveau maître quittaient l’Académie, la magicienne fit pleuvoir les plus belles fleurs du jardin de l’Académie. Neil se saisit d’une et pensa à son aimée, son cœur devint lourd et une larme coula sur sa joue.

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